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Cette derniere division enharmonique du tétracorde, dont nul auteur moderne n'a fait mention, semble confirmée par Euclide même, quoique Aristoxenien; car dans son diagramme général des trois genres, il insere bien pour chaque genre un lichanos particulier, mais la parhypate y est la même pour tous les trois; ce qui ne peut se faire que dans le système des Pythagoriciens: comme donc cette modulation, dit M. Burette, se tenoit d'abord très - serrée, ne parcourant que de petits intervalles, des intervalles presqu'insensibles; on la nommoit enharmonique, comme qui diroit bien jointe, bien assemblée, probè coagmentata.
Outre ces genres principaux, il y en avoit d'autres qui résultoient tous des divers partages du tétracorde, ou des façons de l'accorder différentes de celles dont on vient de parler. Aristoxene subdivise le genre chromatique en mol, hémiéolien & tonique; & le genre diatonique en syntonique & diatonique mol, dont il donne toutes les différences. Aristide - Quintilien fait mention de plusieurs autres genres particuliers, & il en compte six qu'il donne pour très - anciens; savoir, le lydien, le dorien, le phrygien, l'ionien, le mixolydien & le syntonolydien Ces six genres qu'il ne faut pas confondre avec les tons ou modes de même nom, différoient en étendue; les uns n'arrivoient pas à l'octave, les autres la remplissoient, les autres excédoient: on en peut voir le détail dans le musicien grec.
Nous avons comme les anciens le genre diatonique, le chromatique & l'enharmonique, mais sans aucunes subdivisions; & nous considérons ces genres sous des idées fort différentes de celles qu'ils en avoient. C'étoit pour eux autant de manieres particulieres de conduire le chant sur certaines cordes prescrites; pour nous ce sont autant de manieres de conduire le corps entier de l'harmonie, qui forcent les parties à marcher par les intervalles prescrits par ces genres; de sorte que le genre appartient encore plus à l'harmonie qui l'engendre, qu'à la mélodie qui le fait sentir.
Il faut encore remarquer que dans notre musique les genres sont presque toûjours mixtes; c. à. d. que le diatonique entre pour beaucoup dans le chromatique, & que l'un & l'autre sont nécessairement mêlés à l'enharmonique. Tout cela vient encore des regles de l'harmonie, qui ne pourroient souffrir une continuelle succession enharmonique ou chromatique, & aussi de celles de la mélodie qui n'en sauroit tirer de beaux chants; il n'en étoit pas de même des genres des anciens. Comme les tétracordes étoient également complets, quoique divisés différemment dans chacun des trois systemes, si un genre eût pû emprunter de l'autre d'autres sons que ceux qui se trouvoient nécessairement communs entr'eux, le
Il est donc aisé de voir qu'il y avoit dans le système de musique des Grecs des cordes communes à tous les genres, & d'autres qui changeoient d'un genre à l'autre; par exemple, dans le premier tétracorde si, ut, re, mi, les cordes si & mi se trouvoient dans tous les genres, & les cordes ut & re changeoient.
Les communes à tous les systèmes s'appelloient cordes stabies & immobiles, les autres se nommoient cordes mobiles: de sorte que si l'on traitoit séparément les trois genres sur des instrumens à cordes, il n'y avoit autre chose à faire que de changer le degré de tension de chaque corde mobile; au lieu que quand on exécutoit sur le même instrument un air composé dans deux de ces genres à la fois ou dans tous les trois, il falloit multiplier les cordes selon le besoin qu'on en avoit pour chaque genre. Voyez les mém. de M. Burette dans le recueil de l'académie des Belles - Lettres.
Il est possible de trouver la basse fondamentale
dans le genre chromatique des Grecs; ainsi mi, fa,
fa #, la, a ou peut avoir pour basse ut, sa, re, la.
Mais il n'en est pas de même dans le genre enharmonique;
car ce chant, mi, mi dièse enharmonique,
fa, n'a point de basse fondamentale naturelle,
comme M. Rameau l'a remarqué. Voyez
On a vû au mot
L'enharmonique du premier genre, où le quart de ton n'a point lieu, & où il se fait pour ainsi dire sentir sans être entendu, a été employé par M. Rameau avec succès dans le premier monologue du quatrieme acte de Dardanus; & nous croyons que le mélange de ce genre avec le diatonique & le chromatique, aideroit beaucoup à l'expression, sur - tout dans les morceaux où il faudroit peindre quelque violente agitation de l'ame. Quel effet, par exemple, le genre enharmonique sobrement ménagé & mélé de chromatique, n'eût - il pas produit dans le fameux monologue d'Armide, où le poete est si grand & le musicien si foible; où le coeur d'Armide fait tant de chemin, candis que Lulli tourne froidement autour de la même modulation, sans s'écarter des routes les plus communes & les plus élémentaires? Aussi ce monologue est - il tout - à - la - fois une tres - bonne leçon de composition pour les commençans, & un.très mauvais modele pour les hommes de génie & de goût. M. Rameau, il est vrai, a entrepris de la défendre contre les coups qui lui ont été portés:
. . . . . . . Si Pergama dexerâ Defendi possent, etiam hâc defensa suissent. Mais en changeant, comme il l'a fait, la basse de Lulli en divers endroits, pour répondre aux plus fortes objections de M. Rousseau, en supposant dans cette basse mille choses sousentendues qui ne devroient pas l'être, & auxquelles Lulli n'a jamais pensé, il n'a fait que montrer combien les objections étoient solides. D'ailleurs, en se bornant à quelques changemens dans la basse de Lulli, croit - on avoir rechaussé ou pallié la froideur du monologue? Nous en appellons au propre témoignage de son célebre défenseur. Eût - il fait ainsi chanter Armide? eût - il fait marcher la basse d'une maniere si pédestre & si triviale? Qu'il compare ce monologue avec la scene du second acte de Dardanus, & il sentira la différence. Les beautés de Lulli sont à lui, ses fautes viennent de l'état d'enfance où la musique étoit de son tems; excusons ces fautes, mais avoiions - les.
La scene de Dardanus, que nous venons de citer, vient ici d'autant plus à - propos, qu'elle nous fournit un exemple du genre chromatique employé dans le chant & dans la basse: nous voulons parler de cet endroit,
Et s'il étoit un coeur trop foible, trop sensible, Dans de funestes noeuds malgré lui retenu, Pourriez vous? &c. Le chant y procede en montant par semi - tons, ce qui amene nécessairement le demi - ton mineur dans
Le genre chromatique qui procede par semitons en montant, a été employé avec d'autant plus de vérité dans ce morceau, qu'il nous paroît représenter parfaitement les tons de la nature. Un excellent acteur rendroit infailliblement le second & le troisieme vers comme ils sont notés, en élevant sa voix par semi - tons; & nous remarquerons que si on chantoit cet endroit comme on chante le récitatif italien, sans appuyer sur les sons, sans les filer, àpeu - près comme si on parloit ou on lisoit, en observant seulement d'entonner juste, on n'appercevroit point de différer ce entre le chant de ce morceau & une belle déclamation théatrale: voilà le modele d'un bon récitatif.
Je ne sai, pour le dire en passant, si la méthode de chanter notre récitatif à l'italienne, seroit impraticable sur notre théatre. Dans les récitatiss bien faits, elle n'a point paru choquante à d'excellens connoisseurs devant lesquels j'en ai fait essai; ils l'ont unanimement préférée à la langueur insipide & insupportable de notre chant de l'opéra, qui devient tous les jours plus traînant, plus froid, & d'un ennui plus mortel. Ce que je crois pouvoir assûrer, c'est que quand le récitatif est bon, cette maniere de le chanter le fait ressembler beaucoup mieux à la déclamation. J'ajoûte, par la même raison, que tout récitatif qui déplaira étant chanté de cette sorte, sera infailliblement mauvais; ce sera une marque que l'artiste n'aura pas suivi les tons de la nature, qu'il doit avoir toûjours présens. Ainsi un musicien veutil voir si son récitatif est bon? qu'il l'essaye en le chantant à l'italienne; & s'il lui déplaît en cet état, qu'il en fasse un autre. On peut remarquer que les deux vers du monologue d'Armide, que M. Rousseau trouve les moins mal déclamés,
Est ce ainsi que je dois me venger aujourd'hui?
Ma colere s'éteint quand j'approche de lui,
sont en effet ceux qui, étant récités à l'italienne,
auroient moins l'air de chant. Nous prions le lecteur
de nous pardonner cette legere digression, dont une
partie eût peut - être été mieux placée à
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