ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"564"> pouvoit pas être permis même de tenter de les franchir, parce qu'on le croyoit impossible; jusqu'à Descartes qui a été heureusement assez osé pour prouver le contraire, & pour convaincre par ses succès, qu'il falloit l'imiter, en secoüant comme lui le joug de l'autorité, pour n'être soûmis qu'à celui de la raison.

Cependant ce même Descartes a cru, comme les anciens, que l'homme étoit formé du mélange des liqueurs que répandent les deux sexes. Ce grand philosophe, dans son traité de l'homme, a cru pouvoir aussi expliquer, comment par les seules lois du mouvement & de la fermentation, il se formoit un coeur, un cerveau, un nez, des yeux, &c. Voyez l'homme de Descartes, & la formation du fétus dans ses oeuvres.

Le sentiment de Descartes sur cette formation a quelque chose de remarquable, & qui préviendroit en sa faveur, dit l'auteur de la Vénus physique, si les raisons morales pouvoient entrer ici pour quelque chose; car on ne croira pas qu'il l'ait embrassé par complaisance pour les anciens, ni faute de pouvoir imaginer d'autres systèmes.

En effet, au renouvellement des sciences, quelques anatomistes ayant fait des recherches plus particulieres sur les organes de la génération, elles firent découvrir auprès de la matrice, au lieu de deux testicules qu'y avoient vûs les anciens, deux corps blanchâtres, formés de plusieurs vesicules rondes, remplies d'une liqueur semblable à du blanc d'oeuf; l'analogie s'en empara ensuite. On regarda ces deux corps dans l'espece humaine & dans toutes les especes d'animaux où ils se trouvoient, comme faisant le même office, que ce qu'on appelle les ovaires dans les oiseaux; & les vesicules dont étoient composés ces corps, parurent être de véritables oeufs. Sténon fut le premier qui assûra que les testicules des femelles sont de vrais ovaires; ils furent après lui plus particulierement examinés par Wanhorne & Graaf. Mais c'est principalement au fameux Harvey & au célébre Malpighi, que l'on doit les observations qui ont le plus contribué à établir le nouveau système sur la génération, d'après la découverte des oeufs; mais comme ils sont placés au - dehors de la matrice, comment les oeufs, quand ils seroient détachés de l'ovaire, pourront - ils être portés dans la cavité de la matrice, dans laquelle, si l'on ne veut pas que le fétus se forme, il est du - moins certain qu'il prend son accroissement? Fallope avoit trouvé deux tuyaux dépendans de la matrice, qui furent bientôt jugés propres à établir une communication entre les deux sortes d'organes dont il s'agir: on vit bientôt que les extrémités des deux tuyaux flottantes dans le basventre, qui se terminent en forme de trompe par des especes de membranes frangées, peuvent par l'effet d'une sorte d'érection s'approcher des ovaires, les embrasser, recevoir l'oeuf, & servir à le transmettre dans la matrice, où ces especes de tuyaux ont leur embouchure.

Dans ce tems donc, dit l'auteur de la Vénus physique (en faisant l'exposition des differens systèmes sur la génération), dans ce tems la Physique renaissoit, ou plutôt prenoit un nouveau tour: on vouloit tout comprendre, & on croyoit le pouvoir. La formation du fétus par le mélange des deux liqueurs, ne satisfaisoit plus les savans: des exemples de développement que la nature offre par - tout à nos yeux, firent penser que les fétus sont peut - être contenus, & déja tous formés dans chacun des oeufs; que ce qu'on prenoit pour une nouvelle production, n'est que le développement des parties contenues dans le germe, rendues sensibles par l'accroissement. Il suivoit de - là que la fécondité retombe presque toute sur les femelles, puisque dans cette hypothèse, les oeufs destinés à fournir les rudimens des corps des mâles, ne contiennent chacun qu'un seul mâle; & que l'oeuf d'où doit sortir une femelle, contient non seulement cette femelle entiere, mais la contient avec ses ovaires, dans lesquels d'autres femelles contenues & déja toutes formées, sont une source dé générations à l'infini: car toutes les femelles contenues ainsi les unes dans les autres, & de grandeur toûjours diminuante, dans le rapport de la premiere a son oeuf, n'allarment que l'imagination. La matiere divisible, au - moins à l'indéfini, peut avoir aussi distinctement dans l'oeuf la forme du fétus qui naîtra dans mille ans, que celle du fétus qui doit naître dans neuf mois: la petitesse qui cache le premier à nos yeux, ne le dérobe point aux lois, suivant lesquelles le chêne qu'on voit dans le gland, se développe & couvre la terre de ses branches.

Cependant quoique tous les hommes soient déjà formés dans les oeufs de mere en mere, ils y sont sans vie: ce ne sont que de petites statues renfermées les unes dans les autres, comme les ouvrages du tour, où l'ouvrier s'est plû à faire admirer l'adresse avec laquelle il conduit son ciseau en formant cent boëtes, qui se contenant les unes les autres, sont toutes contenues dans la derniere. Il faut pour que ces petites statues deviennent des hommes, quelqu'agent nouveau, quelqu'esprit subtil, qui s'insinue dans leurs organes, leur donne le mouvement, la végétation & la vie. Cet esprit est fourni par le mâle dans la liqueur qu'il répand avec tant de plaisir dans la copulation; liqueur dont les effets sont semblables à ceux du feu, que les poëtes ont feint que Prométhée avoit dérobé au ciel, pour donner l'ame à des hommes qui n'étoient auparavant que des automates.

Mais avant de passer outre concernant ce système de la génération, par le moyen des oeufs, il faut observer que les Anatomistes n'ont pas cependant d'abord tous entendu la même chose par le mot oeuf. Lorsque le fameux Harvey a pris pour devise, omnia ex ovo, ce n'est qu'entant qu'il pensoit que le premier produit de la conception dans les vivipares, comme dans les ovipares, est une espece d'oeuf: il croyoit avoir vû cet oeuf se former comme un sac sous ses yeux, après la copulation du mâle & de la femelle; cet oeuf, selon lui, ne venoit pas par conséquent de l'ovaire, ou du testicule de la femelle. On voit bien qu'il n'y a rien là qui soit semblable à ce qu'on entend ordinairement par le mot oeuf, si ce n'est que la figure d'un sac peut être celle d'un oeuf sans coquille, comme celle d'un tel oeuf peut être celle d'un sac.

Cet auteur établit que la génération est l'ouvrage de la matrice; qu'elle conçoit le fétus par une espece de contagion que la liqueur du mâle lui communique, à - peu - près comme l'aimant communique au fer la vertu magnétique: non - seulement cette contagion masculine agit sur la matrice, mais elle se communique encore à tout le corps féminin qui est fécondé en entier, quoique dans toute la femelle il n'y ait que la matrice qui ait la faculté de concevoir le fétus, comme le cerveau a seul la faculté de concevoir les idées; & ces deux sortes de conceptions se font de la même façon. Les idées que conçoit le cerveau sont semblables aux images des objets qu'il reçoit par les sens; le fétus qui est l'idée de la matrice, est semblable à celui qui le produit; & c'est par cette raison que le fils ressemble au pere, &c. (Cette explication paroît si éttange, qu'elle semble n'être propre qu'à humilier ceux qui veulent pénétrer les secrets de la nature). Ensuite cet auteur, au lieu de représenter l'animal croissant par l'intussusception d'une nouvelle matiere, comme il devroit arriver, s'il étoit formé dans l'oeuf de la femelle, pa<pb-> [p. 565] roît être persuadé que c'est un individu qui se forme par la juxta - position de nouvelles parties; & après avoir vû, comme il a été dit, se former le sac qui doit contenir l'embryon, il pense que ce sac, au lieu d'être la membrane d'un oeuf qui se dilateroit, se fait sous ses yeux comme une toile dont il observe les progrès. Il ne parle point de la formation du sac intérieur; mais il a vû l'animal qui y nage se former de la maniere suivante. Ce n'est d'abord qu'un point, mais un point qui a la vie, punctum saliens, & autour duquel toutes les autres parties venant s'arranger, achevent bientôt la formation de l'animal.

Tel est le précis du système de ce grand anatomiste, qu'il semble avoir formé d'après le plus grand appareil d'expériences; d'où il ne résulte cependant presqu'autre chose, sinon qu'Aristote l'a guidé plus que l'observation: car à tout prendre, il a vû dans l'oeuf de la matrice tout ce que le philosophe a dit; & il n'a pas vû beaucoup au - delà. D'ailleurs la plûpart des observations essentielles qu'il rapporte, ne sont qu'une confirmation de celles qui avoient été faites avant lui par Parisanus, Volcher - Coïter, Aquapendente. Il est bon ensuite de remarquer, pour juger sainement de la valeur des autres expériences de l'anatomiste anglois, qu'il y a grande apparence qu'il ne s'est pas servi du microscope qui n'étoit pas perfectionné de son tems; & qu'ainsi il ne peut qu'avoir mal vû, puisque la plûpart de ses observations sont si peu conformes à la vérité. Il ne faut pour s'en assûrer, que répéter les expériences sur les oeufs, ou seulement lire avec attention celles de malpighi (Malpighii pullus in ovo), qui ont été faites environ trente - cinq ou quarante ans après celles de Harvey; d'où il résulte que ce dernier n'a pas fait les siennes, à beaucoup près, avec autant de succès: car s'il avoit vû ce que Malpighi a vû, il n'auroit pas asûre, comme il l'a fait, que la cicatricule d'un oeuf infécond & celle d'un oeuf fécond, n'ont aucune difference; tandis que Malpighi ayant examiné avec soin cette partie essentielle de l'oeuf, l'a trouvée grande dans tous les oeufs féconds, & petite dans les oeufs inféconds. Harvey n'auroit pas dit que la semence du mâle ne produit aucune altération dans l'oeuf, & qu'elle ne forme rien dans la cieatrlcule: il n'autoit pas dit qu'on ne voit rien avant la fin du troisieme jour; & que ce qui paroît le premier est un point animé, dans lequel il croit que s'est chargé le point blanc. Il auroit vû que ce point blanc étoit une bulle qui contient l'ouvrage entier de la génération, & que toutes les parties du fétus y sont ébauchées, au moment que la poule a eu communication avec le coq: il auroit reconnu de même, que sans cette communication, elle ne contient qu'une mole qui ne peut devenir animée, que lorsqu'elle est pénétrée des parties vivifiantes de la semence du mâle. Il paroît d'ailleurs que Harvey s'est trompé sur plusieurs autres choses essentielles. Il assûre que cette liqueur prolifique n'entre pas dans la matrice de la femelle, & même qu'elle ne peut pas y entrer; cependant Verrheyen a trouvé une grande quantité de semence du mâle dans la matrice d'une vache, disséquée seize heures après l'accouplement. Verrheyen sup. anat. tract. V. cap. iij. Le célébre Ruysch assûre avoir disséqué la matrice d'une femme, (qui ayant été surprise en adultere, avoit été assassinée sur le champ), & avoir trouvé non - seulement dans la cavité de la matrice, mais aussi dans les deux trompes, une grande quantité de la liqueur séminale du mâle. Ruysch. thes. anat. tab. VI. On ne peut guere douter après le témoignage positif de ces grands anatomistes, que Harvey ne se soit trompé sur ce point important, àmoins que l'on ne dise que ce qu'ils ont pris pour de la liqueur du mâle, n'étoit en effet que de la prétendue semence de la femelle; mais son existence n'est pas assez bien établie, comme il a été déjà dit (& il en sera encore fait mention), pour entrer en opposition avec des observations d'un si grand poids. Harvey qui a disséqué tant de femelles vivipares, assûre encore qu'il n'a jamais apperçû d'altération dans leurs testicules après la fécondation: il les regarde même comme de petites glandes tout - à - fait inutiles à la génération; tandis que ces testicules sont des parties fort considérables dans la plûpart des femelles, & qu'il y arrive des changemens & des altérations très - marquées, ainsi qu'on peut le voir aisément dans les vaches sur - tout. Ce qui a trompé Harvey, c'est que ce changement n'est pas à - beaucoup - près si marqué dans les biches & dans les daines. Conrad - Peyer qui a fait plusieurs observations sur les testicules des daines, croit avec quelque raison, que la petitesse des testicules dans les daines & dans les biches, est cause que Harvey n'y a pas remarqué de changement: Conrad - Peyer myrecolog. Enfin, si ce fameux observateur anglois eût été aussi exact dans ses recherches que ceux qui l'ont suivi, & particulierement encore Malpighi, il se seroit convaincu que dès le moment de la fécondation, par l'effet de la semence du mâle, l'animal paroit formé tout entier; que le mouvement y est encore imperceptible, & qu'il ne se découvre qu'au bout de quarante heures d'incubation. Il n'auroit pas assûré que le coeur est formé le premier; que les autres parties viennent s'y joindre extérieurement, puisqu'il est évident par les observations de l'anatomiste italien, que les ébauches de toutes les parties sont toutes formées d'abord, mais que ces parties ne paroissent qu'à mesure qu'elles se développent.

Les observations de Malpighi ont donc ainsi contribué principalement à rectifier les idées d'Harvey sur les premiers faits de la génération par le moyen des oeufs; & à faire regarder, d'après la confirmation de ses expériences par celles de Graaf & de Vallisnieri, les testicules des femelles comme de vrais ovaires, & les oeufs comme contenant véritablement les rudimens du fétus, qui n'ont besoin, pour être vivifiés d'un mouvement qui leur soit propre, que de l'influence de la semence du mâle dardée dans le vagin, pompée par l'orifice de la matrice, & élevée dans les trompes (au - moins quant à sa partie la plus atténuée) par une sorte de suction semblable à celle des tubes capillaires des points lacrymaux supérieurs; ou par l'effet d'un mouvement péristaltique que l'on prétend avoir observé dans ces conduits; ensorte que cette liqueur prolifique pénetre & est portée jusqu'aux ovaires, sur lesquels elle est versée, pour y féconder un ou plusieurs des oeufs qui sont le plus exposés à la contagion. Ce systeme auroit emporté le suffrage unanime de tous les Physiciens, si dans le tems même où on étoit le plus occupé à perfectionner cette maniere d'expliquer la génération, pour l'espece humaine sur - tout, & à la rendre incontestable, on n'eût pas mis au jour une autre opinion fondée sur une nouvelle découverte qui avoit fait voir, par le moyen du microscope, des corpuscules singuliers paroissant animés dans la liqueur spermatique de la plûpart des animaux; corpuscules que l'on crut d'abord devoir regarder aussi comme de vrais animaux: & comme on n'en trouva pas d'abord dans les autres humeurs du corps, on ne put pas se refuser à l'idée que ces animalcules découvertes dans la seule semence des mâles, étoient de vrais embryons, auxquels il étoit réservé de reproduire les différentes especes d'animaux; car malgré leur petitesse infinie & leur forme de poisson, le changement de grandeur & de figure coûte peu à concevoir au physicien, & encore moins à executer à la nature: mille exemples de l'un & de l'autre sont sous nos yeux, d'animaux dont le dernier accroisse<pb->

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