ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"562"> que consiste le grand mystere de la génération, qui a excité dans tous les tems la curiosité des Physiciens, & les a portés à faire tant de recherches pour parvenir à le pénétrer, tant d'expériences pour réussir à prendre la nature sur le fait; c'est pour révéler son secret que l'on a imaginé tant de différens systèmes, qui se sont détruits les uns les autres, sans que du choc des opinions si long - tems & si violemment répété, il en ait résulté plus de lumieres sur ce sujet: au contraire il semble que l'on ne fait que se convaincre de plus en plus, que le voile derriere lequel la nature se cache, est essentiellement impénétrable aux yeux de l'esprit le plus subtil, & qu'il faut ranger la cause de la formation de l'animal parmi les causes premieres, telles que celles du mouvement & de la pesanteur, dont nous ne pourrons jamais connoître que les résultats, sans doute parce qu'il n'y a que cette connoissance qui nous soit utile.

Nous nous bornerons donc à faire ici l'histoire des differentes idées par lesquelles les Philosophes ont tenté de représenter l'ouvrage de la nature dans la génération (ouvrage qu'ils n'ont jamais vû); & afin qu'il ne manque dans cet article rien de ce qui appartient aux connoissances humaines sur ce sujet, ou pour mieux dire, aux efforts que l'on a faits dans tous les tems pour étendre ces connoissances sur toute sorte de matiere, il sera joint à cette exposition des principaux systèmes sur la reproduction de l'homme, un précis des raisons qui ont été employées ou qui peuvent l'être, pour réfuter ou pour faire fentir l'insuffisance de ces explications.

Platon, dans le Timée, établit que la génération de l'homme, des animaux, des plantes, des élémens, & même celle du ciel & des dieux, se fait par des simulacres réfléchis, & par des images extraites de la Divinité créatrice, lesquelles par un mouvement harmonique, se sont arrangées selon les propriétés des nombres, dans l'ordre le plus parfait. L'essence de toute génération consiste donc, selon ce philosophe, dans l'unité d'harmonie du nombre trois, ou du triangle; celui qui engendre, celui dans lequel on engendre, & celui qui est engendré: c'est pour cela qu'il a fallu deux individus pour en produire un troisieme: c'estlà ce qui constitue l'ordre essentiel du pere & de la mere, & la relation de l'enfant.

Quelle idée plus sublime, s'écrie à cette occasion le célcbre auteur moderne de l'histoire naturelle! quelles vûes plus nobles! mais quel vuide, quel desert de spéculations! Nous ne sommes pas en effet de pures intelligences; d'ailleurs le réel peut - il être produit par l'abstrait? Prendre les nombres pour des êtres effectifs, dire que l'unité numérique est un individu général, qui non - seulement représente en effet tous les individus, mais même qui peut leur communiquer l'existence; prétendre que cette unité numérique a de plus l'exercice actuel de la puissance d'engendrer réellement une autre unité numérique, à - peu - près semblable à elle - même; constituer parlà deux individus, deux côtés d'un triangle qui ne peuvent avoir de lien & de perfection que par le troisieme côté de ce triangle, par un troisieme individu qu'ils engendrent nécessairement: n'est - ce pas le plus grand abus que l'on puisse faire de la raison? Mais quand on accorderoit au divin Platon que la matiere n'existe pas réellement, en peut - il résulter que nos idées soient du même ordre que celles du créateur; qu'elles puissent en effet produire des existences? la supposition d'une harmonie triangulaire peut - elle faire la substance des élémens? le pere & la mere n'engendrent - ils un enfant que pour terminer un triangle? Ces idées platoniciennes, grandes au premier coup - d'oeil, ont deux aspects bien différens; dans la spéculation, elles semblent partir de principes nobles & sublimes; dans l'application, elles ne peuvent arriver qu'à des conséquences fausses & puériles, puisque nos idées ne viennent que par les sens, & que par conséquent bien loin qu'elles puissent être les causes des choses, elles n'en sont que des effets, & des effets très - particuliers, &c. On peut voir une exposition plus étendue de ce système si singulierement métaphysique, à l'article où il sera traité de la philosophie de Platon en général. Voyez Platonisme.

Les autres anciens philosophes, tels qu'Epicure, au lieu de se perdre comme Platon dans la région des hypotheses, s'appuient au contraire sur des observations, rassemblent des faits, & parlent un langage plus intelligible. L'homme & la femme ayant l'un & l'autre la faculté de répandre une liqueur dans le congrès, elle fut d'abord regardée comme prolifique en tant que leur mélange se présenta naturellement à l'esprit, pour expliquer l'origine de l'homme: c'est pourquoi tel fut le premier système physique sur la génération, qui est reproduit de nos jours sous différentes combinaisons. Lucrece l'a décrit aussi claitement qu'aucun philosophe de l'antiquité.

Et commiscendo, cum semen forte virile Foemina commulsit subitâ vi, corripuitque; &c. . . . . . . . . Semper enim partos duplici de semine constat. &c. . . . . . . . . . Lib. IV. de naturâ rerum.

Selon ce grand poëte philosophe lui - même, non seulement le sperme viril doit être mêlé avec celui de la femme pour qu'elle conçoive, mais il ajoûte encore deux singularités frappantes par le rapport qu'elles ont avec quelques systèmes modernes; c'est que chacune de ces semences a un caractere qui lui est propre, relativement au sexe de l'individu qui la fournit; ensorte que si dans le mélange qui s'en fait dans le corps de la femme, la qualité de sa semence contribue plus à la formation de l'enfant, il a beaucoup de ressemblance avec elle; de même qu'il tient beaucoup du pere, si c'est sa semence qui est prédominante par ses effets; & si l'ouvrage se forme également des deux liqueurs, il arrive que le résultat de cette tendre alliance est le portrait du pere & de la mere: d'ailleurs pour la construction des différentes parties du corps, les deux semences étant composées de parties hétérogenes, le concours de celles qui ont de l'analogie entr'elles, forme les différens organes, comme le concours des atomes en géneral a pu former les différentes parties de l'univers.

Hippocrate paroit avoir adopté ce qu'il y a d'essentiel dans le systeme d'Epicure, pour en former le sien, avec quelques legeres différences, qui consistent principalement en ce qu'il fait de plus grandes recherches sur les causes & sur les effets. Il suppose que la semence vient de toutes les parties du corps, mais particulierement de la tête, d'où il la fait descendre par la moëlle épiniere dans les reins; & en admettant donc ia liqueur prolisique de chaque sexe, il prétend que ces deux semences sont chacune de deux qualités différentes, dont l'une est forte, a plus de chaleur, c'est - à - dire plus d'esprits; l'autre foible, chargée d'humidité, moins active; que les mâles se forment lorsque la semence, tant du mâle que de la femelle, se trouve forte; & les femelles, lorsque les semences dominantes sont foibles; & pour la ressemblance de l'enfant au pere & à la mere, elle dépend, comme dans le système précédent, du plus ou du moins de semence que l'un ou l'autre fournit.

Hippocrate, d'après le maître de Lucrece, appuie son hypothèse sur le fait suivant; savoir, que plusieurs femmes, qui d'un premier mari, n'ont produit que des filles, d'un second ont produit des garçons; & que ces mêmes hommes, dont les premie<pb-> [p. 563] res femmes n'avoient produit que des filles, ayant pris d'autres femmes, ont engendré des garçons, selon, dit ce médecin philosophe, que la semence forte ou foible du mâle ou de la femelle est prédominante dans ces differens cas; mais s'il arrive que le mélange des liqueurs prolisiques se fasse en quantité & en qualité égales, qui contribuent par conséquent autant l'une que l'autre à l'oeuvre de la géneration, l'enfant participera - t - il également à la ressemblance & au sexe de son pere & de sa mere? Et d'ailleurs, dans le cas même le plus ordinaire, à supposer où cette égalité dans les semences n'existe pas, & où la liqueur séminale d'un des deux individus générateurs prédomine & influe le plus sur la ressemblance, pourquoi cette ressemblance n'est - elle pas autant dans le sexe, que dans les traits du visage? L'expérience démontre que ces deux choses se rencontrent tres - rarement ensemble; ainsi cela seul sembleroit suffisant pour faire rejetter cette opinion de l'existence des deux semences dans chaque sexe, & même d'une seule semence prolifique dans la femme en particulier; ce qui dans la suite de cet article sera encore réfuté par d'autres raisons.

Voici comment se fait, selon Hippocrate, la formation du fétus: les liqueurs séminales s'étant mêlées dans la matrice, s'y épaississent par la chaleur du corps de la mere; le mélange recoit & tire l'esprit de la chaleur; & lorsqu'il en est tout rempli, l'esprit trop chaud sort au - dehors: mais par la respiration de la mere, il arrive un esprit froid; & alternativement il entre un esprit froid, & il sort un esprit chaud dans le mélange; ce qui lui donne la vie, & fait naitre une pellicule à la surface du mélange, qui prend une forme ronde; parce que les esprits agissant du milieu comme centre, étendent également de tous côtés le volume de cette matiere. Il se forme peu - à - peu une autre pellicule, de la même façon que la premiere pellicule s'est formée; le sang menstruel dont l'évacuation est supprimée, fournit abondamment à la nourriture: ce sang fourni par la mere au sétus, se coagule par degrés, & devient chair; cette chair s'articule à mesure qu'elle croît, & c'est l'esprit qui donne cette forme à la chair: chaque chose prend sa place. Les parties solides se joignent aux parties solides; celles qui sont humides aux parties humides: chaque chose cherche à s'unir à celle qui lui est semblable; & le fétus est enfin entierement formé par ces causes & ces moyens.

Aristote, qui est celui de tous les anciens qui a le plus écrit sur la reproduction des êtres organisés, & qui a traité de ce sujet le plus généralement, établit pour principe à cet égard, que la matiere n'étant qu'une capacité de recevoir les formes, prend dans la génération une forme semblable à celle des individus qui la fournissent; & par rapport aux animaux qui ont des sexes, son sentiment est que le mâle fournit seul le principe prolifique, & que la femelle ne donne rien qu'on puisse regarder comme tel. Voyez les oeuvres de ce philosophe, de generatione, lib. I. cap. xx. & lib. II. cap. jv. Car quoiqu'il dise ailleurs, en parlant des animaux en général, que la femelle dans le coit répand une liqueur au - dedans d'elle - même, il paroit qu'il ne regarde pas cette liqueur comme un principe prolifique; & cependant selon lui, la femelle fournit toute la matiere nécessaire à la génération. Cette matiere est le sang menstruel, qui sert à la formation, à la nourriture & au développement du fétus; mais le principe efficient existe seulement dans la liqueur séminale, laquelle n'agit pas comme matiere, mais comme cause.

Averroès, Avicenne & plusieurs autres philosophes, qui ont suivi le sentiment d'Aristote, ont cherché des raisons pour prouver que les femelles n'ont point de liqueur prolifique. Ils ont dit que comme les femelles ont la liqueur menstruelle, & que cette iiqueur est nécessaire & suffisante à la génération, il ne paroît pas naturel de leur en accorder une autre, & qu'on peut penser que le sang menstruel est en effet la seule liqueur fournie par les femelles pour la génération, puisqu'elle ne commence à paroitre que dans le tems de la puberté; comme la liqueur prolifique du mâle ne paroît aussi que dans ce tems. D'ailleurs, disent - ils, si la femelle a réellement une liqueur séminale & prolifique, comme celle du mâle, pourquoi les femelles ne produisent - elles pas d'elles - mêmes, & sans l'approche du mâle, puisqu'elles contiennent le principe de fécondation, aussi - bien que la matiere nécessaire pour former l'embryon? Cette raison métaphysique est une difficulté très - considérable contre tous les systèmes de la génération, dans lesquels on admet une semence prolifique, propre à chaque individu des deux sexes. M. de Buffon en traitant de ce sujet, dans son grand ouvrage de l'histoire naturelle, témoigne avoir senti toute la force de cette difficulté, à l'égard même de son système, qui est un de ceux de ce genre; mais cette objection peut être encore étayée par bien d'autres que font les Aristotéliciens. Ils ajoûtent donc, que s'il existoit une liqueur prolifique dans les femelles, elle ne pourroit être répandue que par l'effet du plaisir vénérien, comme il arrive à l'égard de celle du mâle; mais qu'il y a des femmes qui conçoivent sans aucun plaisir; que ce n'est pas le plus grand nombre des femmes qui répandent de la liqueur dans l'acte de la copulation; qu'en général celles qui sont brunes, & qui ont l'air hommasse, ne répandent rien, & cependant n'engendrent pas moins que celles qui sont blanches, & dont l'air est plus féminin, qui répandent beaucoup; qu'ainsi on peut conclure aisément de toutes ces raisons, que la liqueur que les femmes répandent, ou qu'elles ont la faculté de répandre dans le coït, n'est point essentielle à la génération; qu'elle n'est par conséquent point prolifique.

N'est - il pas en effet plus vraissemblable qu'elle n'est que comme une salive excrémenteuse, destinée à lubrifier les cavités du vagin & de la matrice; que lorsquelle est répandue d'une maniere sensible, ce n'est que par l'effet d'une plus forte expression des glandes ou vaisseaux qui la contiennent, excitée par la tension ou la constriction convulsive qu'y opere le prurit vénérien?

Mais pour revenir aux raisonnemens des Péripatéticiens, ils pensent absolument que les femelles ne fournissent rien que le sang menstruel, qui est la matiere de la génération, dont la liqueur séminale du mâle est la cause efficiente, en tant qu'elle contient le principe du mouvement; qu'elle communique aux menstrues une espece d'ame, qui donne la vie; que le coeur est le premier ouvrage de cette ame; que cet organe contient en lui - même le principe de son accroissement; qu'il a la puissance d'arranger, de réaliser successivement tous les visceres, tous les membres; qu'ainsi les menstrues contiennent en puissance toutes les parties du fétus.

Voilà le précis du système sur la génération, proposé par Aristote, & étendu par ses sectateurs: Hippocrate & lui ont eu chacun les leurs. Presque tous les philosophes scholastiques, en adoptant la philosophie d'Aristote, ont aussi pensé comme lui à l'égard de la reproduction des animaux; presque tous les médecins ont suivi le sentiment d'Hippocrate sur ce sujet; & il s'est passé dix - sept ou dix - huit siecles sans qu'il ait plus rien paru de nouveau sur cette matiere, attendu la stupide vénération pour ces deux maîtres, que l'on a conservée pendant tout cet espace de tems, au point de regarder leurs productions comme les bornes de l'esprit humain: ensorte qu'il ne

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