ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"472"> gétaux se servent pour pomper la nourriture: on verra que les racines se détournent d'un obstacle ou d'une veine de mauvais terrein pour aller chercher la bonne terre; que mêmes ces racines se divisent, se multiplient, & vont jusqu'à changer de forme pour procurer de la nourriture à la plante. La différence entre les animaux & les végétaux, ne peut donc pas s'établir sur la maniere dont ils se nourrissent. Cela peut être, d'autant plus que cet air de spontanéité qui nous frappe dans les animaux qui se meuvent, soit quand ils cherchent leur proie ou dans d'autres occasions, & que nous ne voyons point dans les végétaux, est peut - être un préjugé, une illusion de nos sens trompés par la variété des mouvemens animaux; mouvemens qui seroient cent fois encore plus variés qu'ils n'en seroient pas pour cela plus libres. Mais pourquoi, me demandera - t - on, ces mouvemens sont - ils si variés dans les animaux, & si uniformes dans les végétaux? c'est, ce me semble, parce que les végétaux ne sont mûs que par la résistance ou le choc; au lieu que les animaux ayant des yeux, des oreilles, & tous les organes de la sensation comme nous, & ces organes pouvant être affectés ensemble ou séparément, toute cette combinaison de résistance ou de choc, quand il n'y auroit que cela, & que l'animal seroit purement passif, doit l'agiter d'une infinité de diverses manieres; ensorte que nous ne pouvons plus remarquer d'uniformité dans son action. De - là il arrive que nous disons que la pierre tombe nécessairement, & que le chien appellé vient librement; que nous ne nous plaignons point d'une tuile qui nous casse un bras, & que nous nous emportons contre un chien qui nous mord la jambe, quoique toute la différence qu'il y ait peut - être entre la tuile & le chien, c'est que toutes les tuiles tombent de même, & qu'un chien ne se meut pas deux fois dans sa vie précisément de la même maniere. Nous n'avons d'autre idée de la nécessité, que celle qui nous vient de la permanence & de l'uniformité de l'évenement.

Cet examen nous conduit à reconnoître évidemment qu'il n'y a aucune différence absolument essentielle & générale entre les animaux & les végétaux: mais que la nature descend par degrés & par nuances imperceptibles, d'un animal qui nous paroît le plus parfait, à celui qui l'est le moins, & de celui - ci au végétal. Le polype d'eau douce sera, si l'on veut, le dernier des animaux, & la premiere des plantes.

Après avoir examiné les différences, si nous cherchons les ressemblances des animaux & des végétaux, nous en trouverons d'abord une qui est très générale & très - essentielle; c'est la faculté commune à tous deux de se reproduire, faculté qui suppose plus d'analogie & de choses semblables, que nous ne pouvons l'imaginer, & qui doit nous faire croire que, pour la nature, les animaux & les végétaux sont des êtres à peu près de même ordre.

Une seconde ressemblance peut se tirer du développement de leurs parties, propriété qui leur est commune; car les végétaux ont aussi - bien que les animaux, la faculté de croître; & si la maniere dont ils se développent est différente, elle ne l'est pas totalement ni essentiellement, puisqu'il y a dans les animaux des parties très - considérables, comme les os, les cheveux, les ongles, les cornes, &c. dont le développement est une vraie végétation, & que dans les premiers tems de la formation le foetus végete plûtôt qu'il ne vit.

Une troisieme ressemblance, c'est qu'il y a des animaux qui se reproduisent comme les plantes, & par les mêmes moyens; la multiplication des pucerons, qui se fait sans accouplement, est semblablc à celle des plantes par les graines; & celle des polypes, qui se fait en les coupant, ressemble à la multiplication des arbres par boutures.

On peut donc assûrer, avec plus de fondement encore, que les animaux & les végétaux sont des êtres du même ordre, & que la nature semble avoir passé des uns aux autres par des nuances insensibles, puisqu'ils ont entre eux des ressemblances essentielles & générales, & qu'ils n'ont aucune différence qu'on puisse regarder comme telle.

Si nous comparons maintenant les animaux aux végétaux par d'autres faces, par exemple, par le nombre, par le lieu, par la grandeur, par la forme, &c. nous en tirerons de nouvelles inductions.

Le nombre des especes d'animaux est beaucoup plus grand que celui des especes de plantes; car dans le seul genre des insectes, il y a peut - être un plus grand nombre d'especes, dont la plûpart échappent à nos yeux, qu'il n'y a d'especes de plantes visibles sur la surface de la terre. Les animaux même se ressemblent en général beaucoup moins que les plantes, & c'est cette ressemblance entre les plantes qui fait la difficulté de les reconnoître & de les ranger; c'estlà ce qui a donné naissance aux méthodes de Botanique, auxquelles on a par cette raison beaucoup plus travaillé qu'à celles de la Zoologie, parce que les animaux ayant en effet entre eux des différences bien plus sensibles que n'en ont les plantes entre elles, ils sont plus aisés à reconnoître & à distinguer, plus faciles à nommer & à décrire.

D'ailleurs il y a encore un avantage pour reconnoître les especes d'animaux, & pour les distinguer les unes des autres; c'est qu'on doit regarder comme la même espece celle qui, au moyen de la copulation, se perpétue & conserve la similitude de cette espece, & comme des especes différentes celles qui, par les mêmes moyens, ne peuvent rien produire ensemble; desorte qu'un renard sera une espece différente d'un chien, si en effet, par la copulation d'un mâle & d'une femelle de ces deux especes, il ne résulte rien; & quand même il résulteroit un animal mi - parti, une espece de mulet, comme ce mulet ne produiroit rien, cela suffiroit pour établir que le renard & le chien ne seroient pas de la même espece, puisque nous avons supposé que pour constituer une espece, il falloit une production continue, perpétuelle, invariable, semblable en un mot à celle des autres animaux. Dans les plantes, on n'a pas le même avantage; car quoiqu'on ait prétendu y reconnoître des sexes, & qu'on ait établi des divisions de genres par les parties de la fécondation, comme cela n'est ni aussi certain, ni aussi apparent que dans les animaux, & que d'ailleurs la production des plantes se fait de plusieurs autres façons où les sexes n'ont aucune part, & où les parties de la fécondation ne sont pas nécessaires; on n'a pû employer avec succès cette idée, & ce n'est que sur une analogie mal - entendue, qu'on a prétendu que cette méthode sexuelle devoit nous faire distinguer toutes les especes différentes de plantes.

Le nombre des especes d'animaux est donc plus grand que celui des especes de plantes: mais il n'en est pas de même du nombre d'individus dans chaque espece: comme dans les plantes le nombre d'individus est beaucoup plus grand dans le petit que dans le grand, l'espece des mouches est peut - être cent millions de fois plus nombreuse que celle de l'élephant; de même, il y a en général beaucoup plus d'herbes que d'arbres, plus de chiendent que de chênes. Mais si l'on compare la quantité d'individus des animaux & des plantes, espece à espece, on verra que chaque espece de plante est plus abondante que chaque espece d'animal. Par exemple, les quadrupedes ne produisent qu'un petit nombre de petits, & dans des intervalles assez considérables. Les arbres au contraire produisent tous les ans une grande quantité d'arbres de leur espece.

M. de Busson s'objecte lui - même que sa compa<pb-> [p. 473] raison n'est pas exacte, & que pour la rendre telle, il faudroit pouvoir comparer la quantité de graine que produit un arbre, avec la quantité de germes que peut contenir la semence d'un animal; & que peut - être on trouveroit alors que les animaux sont encore plus abondans en germes que les végétaux. Mais il répond que si l'on fait attention qu'il est possible en ramassant avec soin toutes les graines d'un arbre, par exemple d'un orme, & en les semant, d'avoir une centaine de milliers de petits ormes de la production d'une seule année, on avouera nécessairement que, quand on prendroit le même soin pour ournir à un cheval toutes les jumens qu'il pourroit saillir en un an, les résultats seroient fort différens dans la production de l'animal, & dans celle du végétal. Je n'examine donc pas (dit M. de Buffon) la quantité des germes; premierement parce que dans les animaux nous ne la connoissons pas; & en second lieu, parce que dans les végétaux il y a peut - être de même des germes seminaux, & que la graine n'est point un germe, mais une production aussi parfaite que l'est le foetus d'un animal, à laquelle, comme à celui - ci, il ne manque qu'un plus grand développement.

M. de Buffon s'objecte encore la prodigieuse multiplication de certaines especes d'insectes, comme celle des abeilles dont chaque femelle produit trente à quarante mille mouches: mais il répond qu'il parle du général des animaux comparé au général des plantes, & que d'ailleurs cet exemple des abeilles, qui peut - être est celui de la plus grande multiplication que nous connoissions dans les animaux, ne fait pas une preuve; car de trente ou quarante mille mouches que la mere abeille produit, il n'y en a qu'un très - petit nombre de femelles, quinze cens ou deux mille mâles, & tout le reste ne sont que des mulets ou plûtôt des mouches neutres, sans sexe, & incapables de produire.

Il faut avoüer que dans les insectes, les poissons, les coquillages, il y a des especes qui paroissent être extrèmement abondantes: les huîtres, les harengs, les puces, les hannetons, &c. sont peut - être en aussi grand nombre que les mousses & les autres plantes les plus communes: mais, à tout prendre, on remarquera aisément que la plus grande partie des especes d'animaux est moins abondante en individus que les especes de plantes; & de plus on observera qu'en comparant la multiplication des especes de plantes entre elles, il n'y a pas des différences aussi grandes dans le nombre des individus, que dans les especes d'animaux, dont les uns engendrent un nombre prodigieux de petits, & d'autres n'en produisent qu'un très - petit nombre; au lieu que dans les plantes le nombre des productions est toûjours fort grand dans toutes les especes.

Il paroît par tout ce qui précede, que les especes les plus viles, les plus abjectes, les plus petites à nos yeux, sont les plus abondantes en individus, tant dans les animaux que dans les plantes. A mesure que les especes d'animaux nous paroissent plus parfaites, nous les voyons réduites à un moindre nombre d'individus. Pourroit - on croire que de certaines formes de corps, comme celles des quadrupedes & des oiseaux, de certains organes pour la perfection du sentiment, coûteroient plus à la nature que la production du vivant & de l'organisé, qui nous paroît si difficile à concevoir? Non, cela ne se peut croire. Pour satisfaire, s'il est possible, au phénomene proposé, il faut remonter jusqu'à l'ordre primitif des choses, & le supposer tel que la production des grands animaux eût été aussi abondante que celle des insectes. On voit au premier coup d'oeil que cette espece monstrueuse eût bien - tôt englouti les autres, se fût dévorée elle - mêm, eût couvert seule la surface de la terre, & que bien - tôt il n'y eût eu sur le continent que des insectes, des oiseaux & des élephans; & dans les eaux, que les baleines & les poissons qui, par leur petitesse, auroient échappé à la voracité des baleines; ordre de choses qui certainement n'eût pas été comparable à celui qui existe. La Providence semble donc ici avoir fait les choses pour le mieux.

Mais passons maintenant, avec M. de Buffon, à la comparaison des animaux & des végétaux pour le lieu, la grandeur & la forme. La terre est le seul lieu où les végétaux puissent subsister: le plus grand nombre s'éleve au - dessus de la surface du terrein, & y est attaché par des racines qui le pénetrent à une petite profondeur. Quelques - uns, comme les truffes, sont entierement couverts de tere; quelques - autres, en petit nombre, croissent sous les eaux: mais tous ont besoin pour exister, d'être placés à la surface de la terre. Les animaux au contraire sont plus généralement répandus; les uns habitent la surface; les autres l'intérieur de la terre: ceux - ci vivent au fond des mers; ceux - là les parcourent à une hauteur médiocre. Il y en a dans l'air, dans l'intérieur des plantes; dans le corps de l'homme & des autres animaux; dans les liqueurs: on en trouve jusque dans les pierres, les dails. Voyez Dails.

Par l'usage du microscope, on prétend avoir découvert un grand nombre de nouvelles especes d'animaux fort différentes entre elles. Il peut paroître singulier qu à peine on ait pû reconnoître une ou deux especes de plantes nouvelles par le secours de cet instrument. La petite mousse produite par la moisissure est peut - être la seule plante microscopique dont on ait parlé. On pourroit donc croire que la nature s'est refusée à produire de très - petites plantes; tandis qu'elle s'est livrée avec profusion à faire naître des animalcules: mais on pourroit se tromper en adoptant cette opinion sans examen; & l'erreur pourroit bien venir en effet de ce que les plantes se ressemblant beaucoup plus que les animaux, il est plus difficile de les reconnoître & d'en distinguer les especes; ensorte que cette moisissure, que nous ne prenons que pour une mousse infiniment petite, pourroit être une espece de bois ou de jardin qui seroit peuplé d'un grand nombre de plantes très - différentes, mais dont les différences échappent à nos yeux.

Il est vrai qu'en comparant la grandeur des animaux & des plantes, elle paroîtra assez inégale; car il y a beaucoup plus loin de la grosseur d'une baleine à celle d'un de ces prétendus animaux microscopiques, que du chêne le plus élevé à la mousse dont nous parlions tout - à - l'heure; & quoique la grandeur ne soit qu'un attribut purement relatif, il est cependant utile de considérer les termes extrèmes où la nature semble s'être bornée. Le grand paroît être assez égal dans les animaux & dans les plantes; une grosse baleine & un gros arbre sont d'un volume qui n'est pas fort inégal; tandis qu'en petit on a crû voir des animaux dont un millier réunis n'égaleroient pas en volume la petite plante de la moisissure.

Au reste, la différence la plus générale & la plus sensible entre les animaux & les végétaux est celle de la forme: celle des animaux, quoique variée à l'infini, ne ressemble point à celle des plantes; & quoique les polypes, qui se reproduisent comme les plantes, puissent être regardés comme faisant la nuance entre les animaux & les végétaux, non - seulement par la façon de se reproduire, mais encore pai la forme extérieure; on peut cependant dire que la figure de quelque animal que ce soit est assez différente de la forme extérieure d'une plante, pour qu'il soit difficile de s'y tromper. Les animaux peuvent à la vérité faire des ouvrages qui ressemblent à des plantes ou à des fleurs: mais jamais les plantes ne produiront rien de semblable à un animal;

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