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On peut donc dire que quoique les ouvrages du Créateur soient en eux - mêmes tous également parfaits, l'animal est, selon notre façon d'appercevoir, l'ouvrage le plus complet; & que l'homme en est le chef - d'oeuvre.
En effet, pour commencer par l'animal qui est ici notre objet principal, avant que de passer à l'homme, que de ressorts, que de forces, que de machines & de mouvemens sont renfermés dans cette petite partie de matiere qui compose le corps d'un animal! Que de rapports, que d'harmonie, que de correspondance entre les parties! Combien de combinaisons, d'arrangemens, de causes, d'effets, de principes, qui tous concourent au même but, & que nous ne connoissons que par des résultats si difficiles à comprendre, qu'ils n'ont ce>é d'être des merveilles que par l'habitude que nous avons prise de n'y point réfléchir!
Cependant quelqu'admirable que cet ouvrage nous paroisse, ce n'est pas dans l'individu qu'est la plus grande merveille; c'est dans la succession, dans le renouvellement & dans la durée des especes que la nature paroît tout - à - fait inconcevable, ou plûtôt, en remontant plus haut, dans l'ordre institué entre les parties du tout, par une sagesse infinie & par une main toutepuissante; car cet ordre une fois institué, les effets quelque surprenans qu'ils soient, sont des suites nécessaires & simples des lois du mouvement. La machine est faite, & les heures se marquent sous l'oeil de l'horloger. Mais entre les suites du méchanisme, il faut convenir que cette faculté de produire son semblable qui réside dans les animaux & dans les végétaux, cette espece d'unité toûjours subsistante & qui paroît éternelle; cette vertu procréatrice qui s'exerce perpétuellement sans se détruire jamais, est pour nous, quand nous la considérons en elle - même, & sans aucun rapport à l'ordre institué par le Tout - puissant, un mystere dont il semble qu'il ne nous est pas permis de sonder la profondeur.
La matiere inanimée, cette pierre, cette argille qui est sous nos piés, a bien quelques propriétés: son existence seule en suppose un très - grand nombre; & la matiere la moins organisée ne laisse pas
Nous dirons donc qu'étant formés de terre, & composés de poussiere, nous avons en effet avec la terre & la poussiere, des rapports communs qui nous lient à la matiere en général; tels sont l'étendue, l'impénétrabilité, la pesanteur, &c. Mais comme nous n'appercevons pas ces rapports purement matériels; comme ils ne font aucune impression au - dedans de nous - mêmes; comme ils subsistent sans notre participation, & qu'après la mort ou avant la vie, ils existent & ne nous affectent point du tout, on ne peut pas dire qu'ils fassent partie de notre être: c'est donc l'organisation, la vie, l'ame, qui fait proprement notre existence. La matiere considérée sous ce point de vûe, en est moins le sujet que l'accessoire; c'est une enveloppe étrangere dont l'union nous est inconnue & la présence nuisible; & cet ordre de pensées qui constitue notre être, en est peut - être tout - à - fait indépendant. Il me semble que l'Historien de la nature accorde ici aux Métaphysiciens bien plus qu'ils n'oseroient lui demander. Quelle que soit la maniere dont nous penserons quand notre ame sera débarrassée de son enveloppe, & sortira de l'état de chrysalide; il est constant que cette coque méprisable dans laquelle elle reste détenue pour un tems, influe prodigieusement sur l'ordre de pensées qui constitue son être; & malgré les suites quelquefois très - fâcheuses de cette influence, elle n'en montre pas moins évidemment la sagesse de la providence, qui se sert de cet aiguillon pour nous rappeller sans cesse à la conservation de nous - mêmes & de notre espece.
Nous existons donc sans savoir comment, & nous pensons sans savoir pourquoi. Cette proposition me paroît évidente; mais on peut observer, quant à la seconde partie, que l'ame est sujette à une sorte d'inertie, en conséquence de laquelle elle resteroit perpétuellement appliquée à la même pensée, peut être à la même idée, si elle n'en étoit tirée par quelque chose d'extérieur à elle qui l'avertit, sans toutefois prévaloir sur sa liberté. C'est par cette derniere faculté qu'elle s'arrête ou qu'elle passe légerement d'une contemplation à une autre. Lorsque l'exercice de cette faculté cesse, elle reste fixée sur la même contempla - [p. 471]
Mais quoi qu'il en soit de notre maniere d'être ou de sentir; quoi qu'il en soit de la vérité ou de la fausseté, de l'apparence ou de la réalité de nos sensations, les résultats de ces mêmes sensations n'en sont pas moins certains par rapport à nous. Cet ordre d'idées, cette suite de pensées qui existe au - dedans de nous - mêmes, quoique fort différente des objets qui les causent, ne laissent pas d'être l'affection la plus réelle de notre individu, & de nous donner des relations avec les objets extérieurs, que nous pouvons regarder comme des rapports réels, puisqu'ils sont invariables, & toûjours les mêmes relativement à nous. Ainsi nous ne devons pas douter que les différences ou les ressemblances que nous appercevons entre les objets, ne soient des différences & des ressemblances certaines & réelles dans l'ordre de notre existence par rapport à ces mêmes objets. Nous pouvons donc nous donner le premier rang dans la nature. Nous devons ensuite donner la seconde place aux animaux; la troisieme aux végétaux, & enfin la derniere aux minéraux. Car quoique nous ne distinguions pas bien nettement les qualités que nous avons en vertu de notre animalité seule, de celles que nous avons en vertu de la spiritualité de notre ame, ou plûtôt de la supériorité de notre entendement sur celui des bêtes, nous ne pouvons guere douter que les animaux étant doüé, comme nous des mêmes sens, possédant les mêmes principes de vie & de mouvement, & faisant une infinité d'actions semblables aux nôtres, ils n'ayent avec les objets extérieurs, des rapports du même ordre que les nôtres, & que par conséquent nous ne leur ressemblions à bien des égards. Nous, différons beaucoup des végétaux, cependant nous leur ressemblons plus qu'ils ne ressemblent aux minéraux; & cela, parce qu'ils ont une espece de forme vivante, une organisation animée, semblable en quelque façon à la nôtre; au lieu que les minéraux n'ont aucun organe.
Pour faire donc l'histoire de l'animal, il faut d'abord reconnoître avec exactitude l'ordre général des rapports qui lui sont propres, & distinguer ensuite les rapports qui lui sont communs avec les végétaux & les minéraux. L'animal n'a de commun avec le minéral que les qualités de la matiere prise généralement; sa substance a les mêmes propriétés virtuelles; elle est étendue, pesante, impénétrable, comme tout le reste de la matiere: mais son oeconomie est toute différente. Le minérai n'est qu'une matiere brute, insensible, n'agissant que par la contrainte des lois de la méchanique, n'obéissant qu'à la force généralement répandue dans l'univers, sans organisation, sans puissance, dénuée de toutes facultés, même de celle de se reproduire; substance informe, faite pour être foulée aux piés par les hommes & les animaux, laquelle malgré le nom de métal précieux, n'en est pas moins méprisée par le sage, & ne peut avoir qu'une valeur arbitraire, toûjours subordonnée à la volonté, & toûjours dépendante de la convention des hommes. L'animal réunit toutes les puissances de la nature; les sources qui l'animent lui sont propres & particulieres; il veut, il agit, il se détermine, il opere, il communique par ses sens avec les objets les plus éloignés; son individu est un centre où tout se rapporte; un point où l'univers entier se réfléchit; un monde en racourci. Voilà les rapports qui lui sont propres: ceux qui lui sont communs avec
L'observateur est forcé de passer d'un individu à un autre: mais l'historien de la nature est contraint de l'embrasser par grandes masses; & ces masses il les coupe dans les endroits de la chaine où les nuances lui paroissent trancher le plus vivement; & il se garde bien d'imaginer que ces divisions soient l'ouvrage de la nature.
La différence la plus apparente entre les animaux & les végétaux, paroît être cette faculté de se mouvoir & de changer de lieu dont les animaux sont doüés, & qui n'est pas donnée aux végétaux. Il est vrai que nous ne connoissons aucun végétal qui ait le mouvement progressif: mais nous voyons plusieurs especes d'animaux, comme les huîtres, les galle - insectes, &c. auxquelles ce mouvement paroît avoir été refusé. Cette différence n'est donc pas générale & nécessaire.
Une différence plus essentielle pourroit se tirer de la faculté de sentir, qu'on ne peut guere refuser aux animaux, & dont il semble que les végétaux soient privés. Mais ce mot sentir renferme un si grand nombre d'idées, qu'on ne doit pas le prononcer avant que d'en avoir fait l'analyse: car si par sentir nous entendons seulement faire une action de mouvement à l'occasion d'un choc ou d'une résistance, nous trouverons que la plante appellée sensitive, est capable de cette espece de sentiment comme les animaux. Si au contraire on veut que sentir signifie appercevoir & comparer des perc>ptions, nous ne sommes pas sûrs que les animaux ayent cette espece de sentiment; & si nous accordons quelque chose de semblable aux chiens, aux éléphans, &c. dont les actions semblent avoir les mêmes causes que les nôtres, nous le refuserons à une infinité d'especes d'animaux, & surtout à ceux qui nous paroissent être immobiles & sans action. Si on vouloit que les huîtres, par exemple, eussent du sentiment comme les chiens, mais à un degré fort inférieur, pourquoi n'accorderoit - on pas aux végétaux ce même sentiment dans un degré encore au - dessous? Cette différence entre les animaux & les végétaux n'est pas générale; elle n'est pas même bien décidée. Mais n'y a - t - il que ces deux manieres de sentir, ou se mouvoir à l'occasion d'un choc ou d'une résistance, ou appercevoir & comparer des perceptions? il me semble que ce qui s'appelle en moi sentiment de plaisir, de douleur, &c. sentiment de mon existence, &c. n'est ni mouvement, ni perception & comparaison de perceptions. Il me semble qu'il en est du sentiment pris dans ce troisieme sens comme de la pensée, qu'on ne peut comparer à rien, parce qu'elle ne ressemble à rien; & qu'il pourroit bien y avoir quelque chose de ce sentiment dans les animaux.
Une troisieme différence pourroit être dans la maniere
de se nourrir. Les animaux par le moyen de
quelques organes extérieurs, saisissent les choses qui
leur conviennent, vont chercher leur pâture, choisissent
leurs alimens: les plantes au contraire paroissent
être réduites à recevoir la nourriture que la terre
veut bien leur fournir. Il semble que cette nourriture
soit toûjours la même; aucune diversité dans la maniere
de se la procurer; aucun choix dans l'espece;
l'humidité de la terre est leur seul aliment. Cependant si l'on fait attention à l'organisation & à l'action
des racines & des feuilles, on reconnoîtra bientôt
que ce sont - là les organes extérieurs dont les vé<pb->
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