ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"130"> des expériences à faire & des problèmes à resoudre; il faudroit déterminer la progression de chaque espece de bois utile à chaque degré de profondeur. Il y en a pour qui la profondeur n'est presque rien; parce que leurs racines s'étendent, au lieu de s'enfoncer: tel est l'orme, & tels sont en général tous les bois blancs. Il y en a qui n'étant encore qu'à la moitié de leur accroissement, ne sont point rajeunis par la coupe: tel est le hêtre, & souvent le charme; leur souche ne repousse point, ou ne peut repousser que foiblement. Quelque bien faites que fussent ces observations, il y auroit encore beaucoup d'exceptions aux regles, & il sera toûjours difficile de se dupenser de la connoissance de coup - d'oeil qui trompe rarement les gens exercés.

Au reste ce terme qu'il est important de saisir pour la coupe des bois, n'est pas le point mathématique entre le dernier degré du plus grand accroissement, & le premier de l'inaction; il y a toûjours plusieurs années. Cet intervalle, qu'on peut regarder comme presque indifférent, est plus ou moins long pour chaque espece de bois, en proportion de sa durée naturelle: mais il vaut mieux prendre un peu sur ce qu'on pourroit encore espérer, que de trop attendre. C'est ainsi que doivent être conduits les taillis, & en général tous les bois qu'on regarde comme en coupe ordinaire. A l'égard de ceux qui sont en réserve, l'économie publique peut se régler sur d'autres principes, parce qu'elle a d'autres intérêts; quoique passé un certain point le bois n'augmente plus chaque année que de moins en moins, cependant il augmente, & l'état a besoin de tout l'accroissement qu'il peut prendre. Il faut des bois de charpente & de construction; & c'est en conséquence de ces besoins que la coupe des reserves doit être prolongée: il faut seulement une égale attention à laisser le bois sur pié tant qu'il peut croître, & à le couper avant que le dépérissement commence; si l'on attendoit plûtard, le bois seroit moins bon pour l'usage, sa souche ne repousseroit plus, & le propriétaire seroit contraint à la dépense rebutante d'une plantation nouvelle.

On a voulu sans doute concilier l'intérêt de l'état avec celui des particuliers, lorsqu'on a imaginé la réserve des baliveaux; l'avarice des propriétaires a dû en être moins effrayée qu'elle n'auroit été de la réserve entiere d'une partie de leurs bois.

Malheureusement il est prouvé que ce ménagement ne produit aucun des effets qu'on a pû s'en promettre. M. de Reaumur & M. de Buffon ont montré que le bois des baliveaux est moins bon qu'aucun autre; que leurs graines ne resement point les bois d'une maniere utile; que les taillis qui en sont couverts sont plus sensibles à la gelée (V. Baliveau & Bois): à cela on peut ajoûter que le fonds même de nos forêts est étrangement altéré par cette réserve, contre laquelle on ne sauroit trop reclamer. Lorsqu'on coupe un taillis, les baliveaux qui restent à découvert poussent des branches qui emportent la seve destinée à faire croître & grossir la tige. Ces branches étouffent le taillis renaissant, ou lorsqu'il est vigoureux, elles sont étouffées par lui. La même chose se répete à chaque coupe, jusqu'à ce que les baliveaux épuisés par cette production latérale meurent en cime sans avoir pû s'accroître: alors on les coupe inutilement; leur souche altérée ne pousse que de foibles rejettons; les placés qu'ils occupoient restent vuides; le jeune bois des environs languit; en un mot on ne peut se promettre de la réserve des baliveaux, que des taillis dépérissant par la gelée, l'ombre, ou le défaut d'air, & de petits chênes contrefaits, mourant d'une vieillesse prématurée.

Ce qui n'arrive que par succession & à différentes reprises dans les bois qu'on coupe jeunes, on en est frappé tout - d'un - coup dans ceux de moyen âge. M. de Reaumur a pensé le contraire, & son opinion est vraissemblable; mais elle est desavouée par l'experience. J'ai vû couper des bois de soixante & dix ans, dont l'effence étoit de charmes mélés d'un assez grand nombre de chênes tres - vivaces. On réserva les plus beaux de ces chênes qui, vû le terrein, devoient profiter encore pendant cinquante ans: mais leur tige exposée à l'air s'étant couverte de branches des la premiere année, ils étoient morts en cime à la quatrieme, & presqu'aucun n'a pû resister à cette forte d'épuisement. La reserve des baliveaux est donc un très - grand obstacle à la conservation des forêts: mais cette réserve preserite par les lois, ne peut être abrogée que par elles. On aura, comme l'a remarque M. de Reaumur, du bois de service de toute espece, en obligeant les particuliers à laisser croître en futaie une partie de leurs taillis, & en augmentant les réserves des gens de main morte. On ne croit plus que les futaies doivent être composées d'arbres de brins; l'expérience nous a même appris que les bois ne s'élevent d'une maniere bien décidée, qu'après avoir été recépés ou coupés en taillis deux ou trois fois: au lieu de baliveaux laissés pour la plûpart dans des terreins dont l'ingratitude ne permet aucune espérance, nous aurions des réserves pleines, choisies dans les meilleurs terreins, & par - là bien plus propres à fournir à tous nos besoins.

On pourroit accélérer l'accroissement des brins les plus vigoureux, des maîtres - brins, en coupant de dix ans en dix ans ceux qui plus foibles sont destinés à mourir. Leur suppression, en éclaircissant un peu les futaies, mettroit les principaux arbres dans le cas de devenir plus gros, plus hauts, & plus utiles.

Les fonds qui ne sont point humides, sont à préférer à tous les autres lieux pour les réserves. Où la nature n'offre que des terreins médiocres, on ne peut que choisir les moins mauvais, & regler en conséquence le tems de la coupe.

Cette attention est, comme nous l'avons dit, de la plus grande importance. Ici le bois ne repoussera plus, si vous ne le coupez pas à cinquante ans: là si vous le coupez à cent, vous perdez ce qu'il auroit acquis encore pendant cinquante. C'est en ce point seul que réside toute la partie de l'économie forestiere qui concerne la conservation. Nous disons la conservation prise dans le sens le plus étroit, car il est certain que les bois vieillissent, quelle que soit leur durée. Un chêne en bon fonds subsiste environ trois cents ans: une souche de chêne, rajeunie de tems en tems par la coupe, va plus loin; mais enfin elle s'épuise & meurt. Si l'on veut donc avoir toûjours des taillis pleins & garnis, il faut réparer par degrés ces pertes successives, & remédier aux ravages du tems par une attention continuelle.

Pour y parverir facilement & sûrement, observons la maniere dont la nature agit, & suivons la route qu'elle même nous aura tracées. Si l'on regarde bien les bois très - anciens, on verra qu'à mesure que la premiere essence dépérit, de nouvelles especes s'emparent peu - à - peu du terrein, & qu'après un certain nombre de coupes elles deviennent les especes dominantes; souvent le progrès en est très - rapide, & c'est lorsque l'espece subjuguée est très - vieille. Cette tendance au changement qui paroît être une disposition assez générale dans la nature, est moins remarquée dans les bois qu'ailleurs, parce qu'il faut toûjours un grand nombre d'années pour qu'il y ait. une altération sensible: mais on supplée à cette lente expérience en voyant beaucoup de bois différens, & en comparant les degrés de facilité qu'ont les especes nouvelles à s'y introduire. Dans les anciens bois de chêne on verra des bouleaux, des coudres & d'autres bois blancs remplir peu - à - peu les vuides, & même étouffer les rejettons de chêne qui y languis<pb-> [p. 131] sent encore. Dans un terrein long - tems occupé par des bois blancs, de jeunes chênes vaincront l'ascendant ordinaire que donne à ceux - ci la promptitude avec laquelle ils croissent; loin d'en être étouffés, on les verra s'élever à leur ombre & s'emparer enfin de la place. Il est visible que l'ancienne production manque de nourriture, ou la nouvelle en trouve une abondante.

Je connois des coudraies assez étendues, dans lesquelles on trouve quelques chênes anciens & des cepées de châtaigners, dont la souche décele la vieillesse, & qui sont - là comme témoins de l'ancienne essence.

On ne peut pas soupconner nos peres d'avoir planté des coudres: vraissemblablement ce bois méprisable par son peu d'utilité & sa lenteur à croître, s'est introduit à mesure que les chênes & les châtaigners ont dépéri, parce qu'on a négligé d'introduire une espece plus utile. Ces observations sont confirmées par l'expérience. Tous les gens qui ont beaucoup planté, savent combien il est difficile d'élever quelque sorte de bois que ce soit, dans un terrein qui en a été long - tems fatigué; la resistance qu'on y trouve est marquée & rebutante.

Il faut donc, lorsqu'un taillis commence à dépérir, y favoriser quelque espece nouvelle, & l'on peut dire qu'ordinairement la nature en offre un moyen facile. Il est rare que l'essence des bois foit entierement pure: ici c'est un frêne dont la tige s'éleve au milieu d'une foule de chênes qu'il surmonte, là c'est un hêtre, un orme, &c. ils y prennent un accroissement d'autant plus prompt, qu'ils ne sont point incommodés par des voisins de leur espece. Il faut choisir quelques - uns de ces arbres, & les laisser sur pié lorsqu'on coupe le taillis dépérissant. Leurs fruits portés çà & là par les oiseaux, ou leurs graines dispersées par les vents germeront bientôt, & l'on verra une espece nouvelle & vigoureuse succéder à celle qui languissoit: ainsi la terre réparera ses forces sans l'inconvénient d'une inaction totale; & dans la suite cette essence subrogée venant à dépérir, elle sera peu - à - peu remplacée par des chênes.

Il est aisé de sentir que le choix de l'espece qu'on favorise n'est pas indifférent; ordinairement on doit préférer celle qui sera d'une utilité plus grande, eu égard aux besoins du pays: mais si on veut que l'essence dépérissante renaisse plûtôt, il faut lui substituer celle qui par sa nature doit occuper le terrein moins long - tems qu'aucun autre.

Un taillis subsiste plus long - tems, à proportion que le bois dont il est composé enfonce plus avant ses racines: par cette raison, le bouleau, le tremble, &c. ne devant pas occuper long - tems le même terrein, sont propres à devenir especes intermédiaires.

Au moyen de cette succession de bois différens, on n'appercevra jamais dans les taillis un dépérissement marqué par des vuides; les pertes qui n'arrivent que par degrés, se répareront de même: mais si le terrein n'offroit point d'arbres propres à resemer, il faudroit avoit recours à la plantation; il faudroit aller chercher dans les bois voisins quelque espece propre à remplir cet objet, & en regarnir les places vuides. Cette maniere de réparet demande plus de soins que de dépense.

Dans les futaies qu'on aura abattues, il faudra se régler par les mêmes principes; replanter, s'il n'y a pas assez d'arbres d'une autre espece pour attendre de la nature toute seule un prompt rétablissement. Il faut cependant distinguer ici entre les vieilles futaies celles qui le sont à l'excès, & qui depuis long - tems ne font que dépérir: dans celles - là le changement d'espece devient beaucoup moins nécessaire, & cette remarque de fait est une nouvelle conséquence de notre principe. Dans une futaie qui dépérit, les arbres sont dans le cas d'une végétation si languissante, qu'ils n'ont presque rien à demander à la terre; ce qu'elle leur fournit tous les ans pour entretenir leur foible existence, ils le lui rendent par la chûte de leurs feuilles; ce tems est pour elle un véritable repos qui rétablit ses forces. Lors donc qu'on abat une telle futaie, on doit trouver & on trouve en effet moins de résistance à y réhabiliter la même espece de bois. Voilà pourquoi on ne remarque point de changement dans les grandes forêts éloignées des lieux où le bois se consomme; les bois y vieillissent jusqu'au dernier degré, la terre se répare pendant leur long dépérissement, & devient à la fin en état de reproduire la même espece.

Quelque simple que soit le moyen que nous avons proposé pour rétablir continuellement les bois, il réussira surement lorsque la nature sera laissée à elle - même, ou du - moins lorsque ses dispositions seront secondées. Il n'en sera pas ainsi lorsqu'on voudra multiplier à un certain point le gibier, bêtres fauves, lapins, &c. Ces ennemis des bois qu'ils habitent, dévorent les germes tendres destinés au rétablissement des forêts. Chaque fois qu'on coupe un taillis, il est dans un danger évident, si on ne le préserve pas pendant deux ans de la dent des lapins, & pendant quatre de celle du fauve. Quelques especes même, comme sont le charme, le frêne, le hêtre, sont en danger du côté des lapins pendant six ou sept ans. Si l'on veut donc avoir en même tems & des bois & du gibier, il faut une attention plus grande, & plus que de l'attention, des précautions & des dépenses. Il faut enfermer les taillis jusqu'à ce qu'ils soient hors d'insulte; il faut arracher les futaies pour les replanter, & préserver le plant de la même maniere pendant un tems beaucoup plus long. On ne peut plus s'en fier à la nature, lorsqu'on a une fois rompu l'ordre de proportion qu'elle a établi entre ses différentes productions. En extirpant les beletes, on croit ne détruire qu'un animal malfaisant: mais outre que les beletes empêchent la trop grande multiplication des lapins, elle sont ennemies des mulots, & les mulots multipliés dévorent le gland, la châtaigne, la faine, qui repeupleroient nos forêts. Au reste si les dépenses & les soins sont nécessaires, il est sûr aussi qu'en n'épargnant ni les uns ni les autres, on peut conserver en même tems & des bois & du gibier: mais il faut sur - tout les redoubler, pour faire réussir les plantations nouvelles.

Par - tout où la quantité de gibier ne sera pas trop grande, les plantations, que les écrivains économiques rendent si effrayantes, deviennent très - faciles, & se font à peu de frais. La méthode conforme à la nature qu'a suivie M. de Buffon, & dont il a rendu compte dans un mémoire à l'académie, réussira presque toûjours; elle se borne à enterrer legerement le gland après un assez profond labour, & à ne donner de soin au plant que celui de le récéper lorsqu'il languit. Voyez Bois. Cette méthode est par sa simplicité préférable à toute autre, par - tout où le bois ne sera pas fort cher, & où la terre un peu legere ne poussera pas une grande quantité d'herbe. Dans une terre où l'herbe croîtra avec abondance, il sera difficile de se passer de quelque leger binage au pié des jeunes plants. il leur est aussi desavantageux d'être pressés par l'herbe, qu'utiles d'en être protégés contre la trop grande ardeur du soleil. Il arrivera peut - être aussi que dans un terrein très - ferme, le gland étant semé, comme le dit M. de Buffon, les jeunes chênes ne croîtront que lentement, malgré les effets du recépage. C'est ce qu'il faut éviter dans les lieux où le bois est cher. Une joüissance beaucoup plus prompte y dédommage d'une dépense un peu plus grande: je conseillerois alors de se servir de plant élevé en

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