ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"viij"> famille catholique où personne ne le connoissoit encore, & où il avoit intérêt de donner bonne opinion de sa prudence, il eût hazardé un discours si extravagant, & qui pouvoit être regardé comme une injure; mais on trouva plaisant de le lui attribuer, & par cette raison on continuera peut - être à le lui attribuer encore, non - seulement contre la vérité, mais même contre la vraissemblance. Cependant nous ne devons pas laisser ignorer à ceux qui liront cet Eloge, que ce conte ridicule, répété & même orné en passant de bouche en bouche, est peut - être ce qui a le plus nui à M. du Marsais. Les plaisanteries que notre frivolité se permet si legerement sans en prévoir les suites, laissent souvent après elles des plaies profondes; la hame profite de tout; & qu'il est doux pour cette multitude d'hommes que blesse l'éclat des talens, de trouver le plus leger prétexte pour se dispenser de leur rendre justice!

Cette imputation calomnieuse, & ce que nous avons rapporté au sujet de l'Histoire des Oracles, ne sont pas les seules persécutions que M. du Marsais ait essuyées. Il nous est tombé entre les mains un fragment d'une de ses lettres sur la legereté des soupçons qu'on forme contre les autres en matiere de religion. Il ne lui étoit que trop permis de s'en plaindre, puisqu'il en avoit été si souvent l'bjet & la victime. Nous apprenons par ce fragment, que des hommes qui se disoient Philosophes, l'avoient accusé d'impiété, pour avoir soûtenu contre les Cartésiens, que les bêtes n'étoient pas des automates. Ses Adversaires donnoient pour preuve de cette accusation, l'impossibilité qu'il y avoit, selon eux, de concilier l'opinion qui attribue du sentiment aux bètes, avec les dogmes de la spiritualité & de l'immortalité de l'ame, de la liberté de l'homme, & de la justice divine dans la distribution des maux*. M. du Marsais répondoit que l'opinion qu'il avoit soûtenue sur l'ame des bêtes, n'étoit pas la sienne; qu'avant Descartes elle étoit absolument générale, comme conforme aux premieres notions de l'expérience & du sens commun, & même au langage de l'Ecriture; que depuis Descartes même elle avoit toûjours prévalu dans la plûpart des Ecoles, qui ne s'en étoient pas crues moins orthodoxes; enfin que c'étoit apparemment le sort de quelque opinion que ce fût sur l'ame des bêtes, de faire taxer d'irreligion ceux qui la soûtenoient, puisque Descartes lui - même en avoit été accusé de son tems, pour avoir prétendu que les animaux étoient de pures machines. Il en a été de même parmi nous, d'abord des partisans desidées innées, & depuis pu de leurs Adversaires; plusieurs autres opinions semblables ont eu cette singuliere destinée, que le pour & le contre ont été successivement traités comme impies; tant le zele aveuglé par l'ignorance, est ngénieux à se forger des sujets de scandale, & à se tourmenter lui - même & les autres.

M. du Marsais, après la chûte de M. Law, entra chez M. le Marquis de Bauffremont. Le séjour qu'il y sit durant plusieurs années, est une des époques les plus remarquables de sa vie, par l'utilité dont il a été pour les Lettres. Il donna occasion à M. du Marsais de se dévoiler au Public pour ce qu'il étoit, pour un Grammairien profond & philosophe, & pour un esprit créateur dans une matiere sur laquelle se sont exercés tant d'excellens Ecrivains. C'est principalement en ce genre qu'il s'est acquis une réputation immortelle, & c'est aussi par ce côté important que nous allons désormais l'envisager.

Un des plus grands efforts de l'esprit humain, est d'avoir assujetti les Langues à des regles; mais cet effort n'a été fait que peu - à - peu. Les Langues, formées d'abord sans principes, ont été plus l'ouvrage du besoin que de la raison; & les Philosophes réduits à débrouiller ce cahos informe, se sont bornés à en diminuer le plus qu'il étoit possible l'irrégularité, & à réparer de leur mieux ce que le Peuple avoit construit au hasard: car c'est aux Philosophes à régler les Langues, comme c'est aux bons Ecrivains à les fixer. La Grammaire est donc l'ouvrage des Philosophes; mais ceux qui en ont établi les regles, ont fait comme la plûpart des inventeurs dans les Sciences: ils n'ont donné que les résultats de leur travail, sans montrer l'esprit qui les avoit guidés. Pour bien saisir cet esprit si précieux à connìtre, il faut se remettre sur leurs traces; mais c'est ce qui n'appartient qu'à des Philosophes comme eux. L'étude & l'usage suffisent pour apprendre les regles, & un degré de conception ordinaire pour les appliquer; l'esprit philosophique seul peut remonter jusqu'aux principes sur lesquels les regles sont établies, & distinguer le Grammairien de génie du Grammairien de mémoire. Cet esprit apperçoit d'abord dans la Grammaire de chaque Langue les principes généraux qui sont communs à toutes les autres, & qui forment la Grammaire générale; il démêle ensuite dans les usages particuliers à chaque Langue ceux qui peuvent être fondés en raison, d'avec ceux qui ne sont que l'ouvrage du hasard ou de la négligence: il observe l'influence réciproque que les Langues ont eue les unes sur les autres, & les altérations que ce mélange leur a données, sans leur ôter entierement leur premier caractere: il balance leurs avantages & leurs desavantages mutuels; la différence de leur construction, ici libre, hardie & variée, là réguliere, timide & uni<->

* Voyez dans ce Volume l'article Forme substantielle.
[p. jx] forme; la diversité de leur génie tantôt favorable, tantôt contraire à l'expression heureuse & rapide des idées; leur richesse & leur liberté, leur indigence & leur servitude. Le développement de ces différens objets est la vraie Métaphysique de la Grammaire. Elle ne consiste point, comme cette Philosophie ténébreuse qui se perd dans les attributs de Dieu & les facultés de notre ame, à raisonner à perte de vûe sur ce qu'on ne connoit pas, ou à prouver laborieusement par des argumens foibles, des vérités dont la foi nous dispense de chercher les preuves. Son objet est plus réel & plus à notre portée; c'est la marche de l'esprit humain dans la génération de ses idées, & dans l'usage qu'il fait des mots pour transmettre ses pensées aux autres hommes. Tous les principes de cette Métaphysique appartiennent pour ainsi dire à chacun, puisqu'ils sont au - dedans de nous; il ne faut pour les y trouver qu'une analy se exacte & réfléchie; mais le don de cette analyse n'est pas donné à tous. On peut néanmoins s'assûrer si elle est bien faite, par un effet qu'elle doit alors produire infailliblement, celui de frapper d'une lumiere vive tous les bons esprits auxquels elle sera présentée: en ce genre c'est presqu'une marque sure de n'avoir pas rencontré le vrai, que de trouver des contradicteurs, ou d'en trouver qui le soient long - tems. Aussi M. du Marsais n'a - t - il essuyé d'attaques que ce qu'il en falloit pour assûrer pleinement son triomphe; avantage rare pour ceux qui portent les premiers dans les sujets qu'ils traitent, le flambeau de la Philosophie.

Le premier fruit des réflexions de M. du Marsais sur l'étude des Langues, fut son Exposition d'une Méthode raisonnée pour apprendre la Langue Latine; elle parut en 1722: il la dédia à MM. de Bauffremont ses Eleves, qui en avoient fait le plus heureux essai, & dont l'un, commencé des l'alphabet par son illustre Maitre, avoit fait en moins de trois ans les progres les plus singuliers & les plus rapides.

La Methode de M. du Marsais a deux parties, l'usage, & la raison. Savoir une Langue, c'est en entendre les mots; & cette connoissance appartient proprement à la mémoire, c'est - à - dire à celle des facultés de notre ame qui se developpe la premiere chez les enfans, qui est même plus vive à cet âge que dans aucun autre, & qu'on peut appeller l'esprit de l'enfance. C'est donc cette faculté qu'il faut exercer d'abord, & qu'il faut même exercer seule. Ainsi on fera d'abord apprendre aux enfans, sans les fatiguer, & comme par maniere d'amusement, suivant différens moyens que l'Auteur indique, les mots latins les plus en usage. On leur dennera ensuite a expliquer un Auteur latin rangé suivant la construction françoise, & sans inversion. On substituera de plus dans le texte, les mots sous - entendus par l'Auteur, & on mettra sous chaque mot latin se terme françois correspondant: vis - à - vis de ce texte ainsi disposé pour en faciliter l'intelligence, on placera le texte de l'Auteur tel qu'il est; & à côté du françois littéral, une traduction françoise conforme au génie de notre Langue. Par ce moyen, l'enfant epassant du texte latin altéré au texte véritable, & de la version interlinéaire à une traduction libre, s'accoûtumera insensiblement à connoître par le seul usage les façons de parler propres à la Langue latine & à la Langue françoise. Cette maniere d'enseigner le Latin aux enfans, est une imitation exacte de la façon dont on se rend familieres les Langues vivantes, que l'usage seul enseigne beaucoup plus vîte que toutes les méthodes. C'est d'ailleurs se conformer a la marche de la nature. Le langage s'est d'abord établi, & la Grammaire n'est venue qu'à la suite.

A mesure que la mémoire des enfans se remplit, que leur raison se perfectionne, & que l'usage de traduire leur fait appercevoir les variétés dans les terminaisons des mots latins & dans la construction, & l'objet de ces variétés, on leur fait apprendre peu - à - peu les déclinaisons, les conjugaisons, & les premieres regles de la syntaxe, & on leur en montre l'application dans les Auteurs mêmes qu'ils ont traduits: ainsi on les prépare peu - à - peu, & comme par une espece d'instinct, à recevoir les principes de la Grammaire raisonnée, qui n'est proprement qu'une vraie Logique, mais une Logique qu'on peut mettre à la portée des enfans. C'est alors qu'on leur enseigne le méchanisme de la construction, en leur faisant faire l'anatomie de toutes les frases, & en leur donnant une idée juste de toutes les parties du discours.

M. du Marsais n'a pas de peine à montrer les avantages de cette Méthode sur la Méthode ordinaire. Les inconvéniens de celle - ci sont de parler aux enfans de cas, de modes, de concordance, & de régime, sans préparation, & sans qu'ils puissent sentir l'usage de ce qu'on leur fait apprendre, de leur donner ensuite des regles de syntaxe très - composées, dont on les oblige de faire l'application en mettant du françois en latin; de vouloir forcer leur esprit à produire, dans un tems où il n'est destiné qu'à recevoir; de les fatiguer en cherchant à les instruire; & de leur inspirer le dégoût de l'étude, dans un âge où l'on ne doit songer qu'à la rendre agréable. En un mot, dans la Méthode ordinaire on enseigne le Latin à - peu près comme un homme qui pour apprendre à un enfant à parler, commenceroit par lui montrer la méchanique des organes de la parole; M. du Marsais imite

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