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Cette imputation calomnieuse, & ce que nous avons rapporté au sujet de l'Histoire des
Oracles, ne sont pas les seules persécutions que M. du Marsais ait essuyées. Il nous est tombé
entre les mains un fragment d'une de ses lettres sur la legereté des soupçons qu'on forme
contre les autres en matiere de religion. Il ne lui étoit que trop permis de s'en plaindre, puisqu'il en avoit été si souvent l'>bjet & la victime. Nous apprenons par ce fragment, que
des hommes qui se disoient Philosophes, l'avoient accusé d'impiété, pour avoir soûtenu
contre les Cartésiens, que les bêtes n'étoient pas des automates. Ses Adversaires donnoient
pour preuve de cette accusation, l'impossibilité qu'il y avoit, selon eux, de concilier l'opinion
qui attribue du sentiment aux bètes, avec les dogmes de la spiritualité & de l'immortalité
de l'ame, de la liberté de l'homme, & de la justice divine dans la distribution des
maux
M. du Marsais, après la chûte de M. Law, entra chez M. le Marquis de Bauffremont. Le séjour qu'il y sit durant plusieurs années, est une des époques les plus remarquables de sa vie, par l'utilité dont il a été pour les Lettres. Il donna occasion à M. du Marsais de se dévoiler au Public pour ce qu'il étoit, pour un Grammairien profond & philosophe, & pour un esprit créateur dans une matiere sur laquelle se sont exercés tant d'excellens Ecrivains. C'est principalement en ce genre qu'il s'est acquis une réputation immortelle, & c'est aussi par ce côté important que nous allons désormais l'envisager.
Un des plus grands efforts de l'esprit humain, est d'avoir assujetti les Langues à des regles; mais cet effort n'a été fait que peu - à - peu. Les Langues, formées d'abord sans principes, ont été plus l'ouvrage du besoin que de la raison; & les Philosophes réduits à débrouiller ce cahos informe, se sont bornés à en diminuer le plus qu'il étoit possible l'irrégularité, & à réparer de leur mieux ce que le Peuple avoit construit au hasard: car c'est aux Philosophes à régler les Langues, comme c'est aux bons Ecrivains à les fixer. La Grammaire est donc l'ouvrage des Philosophes; mais ceux qui en ont établi les regles, ont fait comme la plûpart des inventeurs dans les Sciences: ils n'ont donné que les résultats de leur travail, sans montrer l'esprit qui les avoit guidés. Pour bien saisir cet esprit si précieux à connìtre, il faut se remettre sur leurs traces; mais c'est ce qui n'appartient qu'à des Philosophes comme eux. L'étude & l'usage suffisent pour apprendre les regles, & un degré de conception ordinaire pour les appliquer; l'esprit philosophique seul peut remonter jusqu'aux principes sur lesquels les regles sont établies, & distinguer le Grammairien de génie du Grammairien de mémoire. Cet esprit apperçoit d'abord dans la Grammaire de chaque Langue les principes généraux qui sont communs à toutes les autres, & qui forment la Grammaire générale; il démêle ensuite dans les usages particuliers à chaque Langue ceux qui peuvent être fondés en raison, d'avec ceux qui ne sont que l'ouvrage du hasard ou de la négligence: il observe l'influence réciproque que les Langues ont eue les unes sur les autres, & les altérations que ce mélange leur a données, sans leur ôter entierement leur premier caractere: il balance leurs avantages & leurs desavantages mutuels; la différence de leur construction, ici libre, hardie & variée, là réguliere, timide & uni<->
* Voyez dans ce Volume l'article[p. jx]Forme substantielle .
Le premier fruit des réflexions de M. du Marsais sur l'étude des Langues, fut son Exposition d'une Méthode raisonnée pour apprendre la Langue Latine; elle parut en 1722: il la dédia à MM. de Bauffremont ses Eleves, qui en avoient fait le plus heureux essai, & dont l'un, commencé des l'alphabet par son illustre Maitre, avoit fait en moins de trois ans les progres les plus singuliers & les plus rapides.
La Methode de M. du Marsais a deux parties, l'usage, & la raison. Savoir une Langue, c'est en entendre les mots; & cette connoissance appartient proprement à la mémoire, c'est - à - dire à celle des facultés de notre ame qui se developpe la premiere chez les enfans, qui est même plus vive à cet âge que dans aucun autre, & qu'on peut appeller l'esprit de l'enfance. C'est donc cette faculté qu'il faut exercer d'abord, & qu'il faut même exercer seule. Ainsi on fera d'abord apprendre aux enfans, sans les fatiguer, & comme par maniere d'amusement, suivant différens moyens que l'Auteur indique, les mots latins les plus en usage. On leur dennera ensuite a expliquer un Auteur latin rangé suivant la construction françoise, & sans inversion. On substituera de plus dans le texte, les mots sous - entendus par l'Auteur, & on mettra sous chaque mot latin se terme françois correspondant: vis - à - vis de ce texte ainsi disposé pour en faciliter l'intelligence, on placera le texte de l'Auteur tel qu'il est; & à côté du françois littéral, une traduction françoise conforme au génie de notre Langue. Par ce moyen, l'enfant >epassant du texte latin altéré au texte véritable, & de la version interlinéaire à une traduction libre, s'accoûtumera insensiblement à connoître par le seul usage les façons de parler propres à la Langue latine & à la Langue françoise. Cette maniere d'enseigner le Latin aux enfans, est une imitation exacte de la façon dont on se rend familieres les Langues vivantes, que l'usage seul enseigne beaucoup plus vîte que toutes les méthodes. C'est d'ailleurs se conformer a la marche de la nature. Le langage s'est d'abord établi, & la Grammaire n'est venue qu'à la suite.
A mesure que la mémoire des enfans se remplit, que leur raison se perfectionne, & que l'usage de traduire leur fait appercevoir les variétés dans les terminaisons des mots latins & dans la construction, & l'objet de ces variétés, on leur fait apprendre peu - à - peu les déclinaisons, les conjugaisons, & les premieres regles de la syntaxe, & on leur en montre l'application dans les Auteurs mêmes qu'ils ont traduits: ainsi on les prépare peu - à - peu, & comme par une espece d'instinct, à recevoir les principes de la Grammaire raisonnée, qui n'est proprement qu'une vraie Logique, mais une Logique qu'on peut mettre à la portée des enfans. C'est alors qu'on leur enseigne le méchanisme de la construction, en leur faisant faire l'anatomie de toutes les frases, & en leur donnant une idée juste de toutes les parties du discours.
M. du Marsais n'a pas de peine à montrer les avantages de cette Méthode sur la Méthode ordinaire. Les inconvéniens de celle - ci sont de parler aux enfans de cas, de modes,
de concordance, & de régime, sans préparation, & sans qu'ils puissent sentir l'usage de
ce qu'on leur fait apprendre, de leur donner ensuite des regles de syntaxe très - composées,
dont on les oblige de faire l'application en mettant du françois en latin; de vouloir forcer
leur esprit à produire, dans un tems où il n'est destiné qu'à recevoir; de les fatiguer en
cherchant à les instruire; & de leur inspirer le dégoût de l'étude, dans un âge où l'on ne
doit songer qu'à la rendre agréable. En un mot, dans la Méthode ordinaire on enseigne
le Latin à - peu près comme un homme qui pour apprendre à un enfant à parler, commenceroit
par lui montrer la méchanique des organes de la parole; M. du Marsais imite
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