ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"x"> au contraire celui qui enseigneroit d'abord à parler, & qui expliqueroit ensuite la méchanique des organes. Il termine son Ouvrage par une application du plan qu'il propose, au Poëme séculaire d'Horace: cet exemple doit suffire aux Maîtres intelligens, pour les guider dans la route qui leur est ouverte.

Rien ne paroît plus philosophique que cette Méthode, plus conforme au développement naturel de l'esprit, & plus propre à abreger les difficultés. Mais elle avoit deux grands défauts; elle étoit nouvelle; elle contenoit de plus une critique de la maniere d'enseigner qu'on pratique encore parmi nous, & que la prévention, la paresse, l'indifférence pour le bien public, s'obstinent à conserver, comme elles consacrent tant d'autres abus sous le nom d'usage. Aussi l'Ouvrage fut - il attaqué, & principalement dans celui de nos Journaux dont les Auteurs avoient un intérêt direct à le combattre. Ils sirent à M. du Marsais un grand nombre d'objections auxquelles il satisfit pleinement. Mais nous ne devons pas oublier de remarquer que lorsqu'il se chargea près de trente ans après de la partie de la Grammaire dans le Dictionnaire encyclopédique, il fut célébré comme un grand maître & presque comme un oracle dans le même Journal où ses premiers Ouvrages sur cette matiere avoient été si mal accueillis. Cependant bien loin d'avoir changé de principes, il s'étoit confirmé par l'expérience & par les réflexions, dans le peu de cas qu'il faisoit de la Méthode ordinaire. Mais sa réputation le mettoit alors au - dessus de la critique; il touchoit d'ailleurs à la sin de sa carriere, & il n'y avoit plus d'inconvénient à le loüer. La plûpart des Critiques de profession ont un avantage dont ils ne s'apperçoivent peut - être pas eux - mêmes, mais dont ils profitent comme s'ils en connoissoient toure l'étendue; c'est l'oubli auquel leurs décisions sont sujettes, & la liberté que cet oubli leur laisse d'approuver aujourd'hui ce qu'ils blâmoient hier, & de le blâmer de nouveau pour l'approuver encore.

M. du Marsais encouragé par le succès de ce premier essai, entreprit de le développer dans un Ouvrage qui devoit avoit pour titre les véritables Principes de la Grammaire, ou nouvelle Grammaire raisonnée pour apprendre la Langue Latine. Il donna en 1729, la Présace de cet Ouvrage qui contient un détail plus étendu de sa Méthode, plusieurs raisons nouvelles en sa faveur, & le plan qu'il se proposoit de suivre dans la Grammaire générale. Il la divise en six articles; sçavoir, la connoissance de la proposition & de la période en tant qu'elles sont composées de mots, l'orthographe, la prosodie, l'étymologie, les préliminaires de la syntaxe, & la syntaxe même. C'est tout ce qu'il publia pour lors de son Ouvrage, mais il en détacha l'année suivante un morceau prétieux qu'il donna séparément au Public, & qui devoit faire le dernier objet de sa Grammaire générale. Nous voulons par ler de son Traité des Tropes, ou des différens sens dans lesquels un même mot peut être pris dans une même Langue. L'Auteur expose d'abord dans cet Ouvrage, à - peu - près comme il l'a fait depuis dans l'Encyclopédie au mot figure, ce qui constitue en général le style figuré, & montre combien ce style est ordinaire non - seulement dans les écrits, mais dans la conversation même; il fait sentir ce qui distingue les figures de pensée, communes à toutes les Langues, d'avec les figures de mots, qui sont particulieres à chacune, & qu'on appelle proprement tropes. Il détaille l'usage des Tropes dans le discours, & les abus qu'on peut en faire; il fait sentir les avantages qu'il y auroit à distinguer dans les Dictionnaires latins françois le sens propre de chaque mot d'avec les sens figurés qu'il peut recevoir; il explique la subordination des tropes ou les différentes classes auxquelles on peut les réduire, & les différens noms qu'on leur a donnés. Enfin pour rendre son Ouvrage complet, il traite eucore des autres sens dont un même mot est susceptible, outre le sens figuré, comme le sens adjectif ou substantif, déterminé ou indéterminé, actif, passif ou neutre, absolu ou relatif, collectif ou distributif, composé ou divisé, & ainsi des autres. Les observations & les regles sont appuyées par - tout d'exemples frappans, & d'une Logique dont la clarté & la précision ne laissent rien à desirer.

Tout mérite d'être lû dans le Traité des Tropes, jusqu'à l'Errata; il contient des réflexions sur notre orthographe, sur ses bisarreries, ses inconséquences, & ses variations. On voit dans ces réflexions un Ecrivain judicieux, également éloigné de respecter superstitieusement l'usage, & de le heurter en tout par une réforme impraticable.

Cet Ouvrage, qu'on peut regarder comme un chef - d'oeuvre en son genre, fut plus estimé qu'il n'eut un prompt débit; il lui a fallu près de trente ans pour arriver à une nouvelle édition, qui n'a paru qu'après la mort de l'Auteur. La matiere, quoique traitée d'une maniere supérieure, intéressoit trop peu ce grand nombre de Lecteurs oisifs qui ne veulent qu'être amusés: le titre même du Livre, peu entendu de la multitude, contribua à l'indifférence du Public, & M. du Marsais nous a rapporté sur cela lui - même une anecdote singuliere. Quelqu'un voulant un jour lui faire compliment sur cet Ouvrage, lui dit qu'il venoit d'entendre dire beaucoup de bien de son Histoire des Tropes: il prenoit les tropes pour un nom de Peuple. [p. xj]

Cette lenteur de succès, jointe à des occupations particulieres, & peut - être à un peu de paresse, a privé le Public de la Grammaire que l'Auteur avoit promise; perte très - difficile à réparer dans ce siecle même, où la Grammaire plus que jamais cultivée par des Philosophes, commence à être mieux approfondie & mieux connue. M. du Marsais se contenta de publier en 1731 l'abrégé de la Fable du P. Jouvenci, disposé suivant sa Méthode; le texte pur d'abord, ensuite le même texte sans inversion & sans mots sous entendus; au - dessous de ce texte la version interlinéaire, & au - dessous de cette version la vraie traduction en Langue françoise. C'est le dernier Ouvrage qu'il a donné au Public; on a trouvé dans ses papiers plusieurs versions de ce genre qu'il seroit facile de mettre au jour, si on les jugeoit utiles.

Il avoit composé pour l'usage de ses Eleves ou pour le sien, d'autres Ouvrages qui n'ont point paru. Nous ne citerons que sa Logique ou réflexions sur les opérations de l'esprit; ce traité contient sur l'art de raisonner tout ce qu'il est utile d'apprendre, & sur la Métaphysique tout ce qu'il est permis de savoir. C'est dire que l'Ouvrage est très - court; & peut - être pourroit - on l'abréger encore.

L'éducation de MM. de Bauffremont finie, M. du Marsais continua d'exercer le talent rare qu'il avoit pour l'éducation de la jeunesse; il prit une Pension au Faubourg S. Victor, dans laquelle il élevoit suivant sa méthode un certain nombre de jeunes gens; mais des circonstances imprévues le forcerent d'y renoncer. Il voulut se charger encore de quelques éducations particulieres, que son âge avancé ne lui permit pas de conserver long tems: obligé enfin de se borner à quelques leçons qu'il faisoit pour subsister, sans fortune, sans espérance, & presque sans ressource, il se réduisit à un genre de vie fort étroit. Ce fut alors que nous eumes le bonheur de l'associer à l'Encyclopédie; les articles qu'il lui a fournis, & qui sont en grand nombre dans les six premiers volumes, feront à jamais un des principaux ornemens de cet Ouvrage, & sont supérieurs à tous nos éloges. La Philosophie saine & lumineuse qu'ils contiennent, le savoir que l'Auteur y a répandu, la précision des regles & la justesse des applications, ont fait regarder avec raison cette partie de l'Encyclopédie comme une des mieux traitées. Un succès si général & si juste ne pouvoit augmenter l'estime que les gens de Lettres avoient depuis long - tems pour l'Auteur, mais le fit connoître d'un grand nombre de gens du monde, dont la plûpart ignoroient jusqu'à son nom. Enhardi & souten par les marques les moins équivoques de l'approbation publique, il crut pouvoir en faire usage pour se procurer le néceslaire qui lui manquoit. Il écrivit à un Philosophe, du petit nombre de ceux qui habitent Versailles, pour le prier de s'intéresser en sa faveur auprès des distributeurs des graces. Ses ouvrages & ses travaux, recommandation trop inutile, étoient la seule qu'il pût faire parler pour lui. Il se comparoit dans sa Lettre, au Paralytique de trente - huit ans, qui attendoit en vain que l'eau de la piscine fût agitée en sa faveur. Cette Lettre touchante eut l'effet qu'elle devoit avoir à la Cour, où les intérêts personnels étouffent tout autre intérêt, où le mérite a des amis timides qui le servent foiblement, & des ennemis ardens, attentifs aux occasions de lui nuire. Les services de M. du Marsais, sa vieillesse, ses infirmités, les prieres de son ami, ne purent rien obtenir. On convint de la justice de ses demandes, on lui témoigna beaucoup d'envie de l'obliger; ce fut tout le fruit qu'il retira de la bonne volonté apparente qu'on lui marquoit. La plus grande injure que les gens en place puissent faire à un homme de Lettres, ce n'est pas de lui refuser l'appui qu'il a droit d'attendre d'eux; c'est de le laisser dans l'oppression ou dans l'oubli, en voulant paroître ses protecteurs. L'indifférence pour les talens ne les offense pas toûjours, mais elle les révolte quand elle cherche à se couvrir d'un faux air d'intérêt; heureusement elle se démasque bientôt elle - même, & les moins clairvoyans n'y sont pas long - tems trompés.

M. du Marsais, avec moins de délicatesse & plus de talent pour se faire valoir, eût peut - être trouvé chez quelques Citoyens riches & généreux, les secours qu'on lui refusoit d'ailleurs. Mais il avoit assez vécu pour apprendre a redouter les bienfaits, quand l'amitié n'en est pas le principe, ou quand on ne peut estimer la main dont ils viennent. C'est parce qu'il étoit très - capable de reconnoissance, & qu'il en connoissoit tous les devoirs, qu'il ne vouloit pas placer ce sentiment au hasard. Il racontoit à cette occasion avec une sorte de gaieté que ses malheurs ne lui avoient point fait perdre, un trait que Moliere n'eût pas laissé échapper, s'il eût pû le connoître: M. du Marsais, disoit un riche Avare, est un fort honnête homme; il y a quarante ans qu'il est inon ami, il est pauvre, & il ne m'a jamais rien demandé.

Sur la fin de sa vie il crut pouvoir se promettre des jours un peu plus heureux; son fils, qui avoit fait une petite fortune au Cap François, où il mourut il y a quelques années, lui donna par la disposition de son testament l'usufruit du bien qu'il laissoit. Peut - être un pere avoit - il droit d'en attendre davantage; mais c'en étoit assez pour un vieillard & pour un Philosophe: cependant la distance des lieux & le peu de tems qu'il survécut à son fils,

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