ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"vj"> le Paganisme comme un pur ouvrage des hommes, qui n'a subsisté que par des moyens humains. Aussi l'Ecriture ne donne à l'Idolatrie qu'une origine toute naturelle, & la plûpart des Peres paroissent penser de même. Plusieurs d'entr eux ont expressément traité les oracles d'impostures, & aucun n'a prétendu que ce sentiment offensât la Religion: ceux même qui n'ont pas été éloignés de croire qu'il y avoit quelque chose de surnaturel dans les oracles, paroissent n'y avoir été déterminés que par une façon particuliere de penser tout - à - fait indépendante des vérités fondamentales du Christianisme. Selon la plûpart des Payens, les Dieux étoient les auteurs des oracles favorables, & les mauvais Génies l'étoient des oracles funestes ou trompeurs. Les Chrétiens profiterent de cette opinion pour attribuer les oracles aux démons: ils y trouvoient d'ailleurs un avantage; ils expliquoient par cette lupposition, le merveilleux apparent qui les embarrassoit dans certains oracles. Un faux principe où ils étoient, servoit à les fortifier dans cette idée; ils croyoient les démons corporels, & S. Augustin s'est expressément rétracté d'avoir donné de semblables explications. Les Chrétiens modernes ont eu des idées plus épurées & plus saines sur la nature des Démons; mais en rejettant le principe, plusieurs ont retenu la conséquence. C'est donc en vain que certains Auteurs ecclésiastiques, qui n'ont pas dans l'Eglise l'autorité des Peres, & qui croyoient que les Démons étoient des animaux d'un esprit aérien, nous rapportent de faux oracles, dont ils prétendent tirer des argumens en faveur de la Religion. Il faut mettre ces faits, & les raisonnemens qui en sont la suite, à côté des relations de la Légende dorée, du Corbeau excommunié pour avoir volé la bague de l'Abbé Conrad, & des extravagances que l'imbécillité a débitées sur les prétendus hommages que les animaux ont rendus à nos redoutables mysteres. Rien n'est plus propre à avilir la Religion (si quelque chose peut l'avilir), rien n'est du - moins plus nuisible auprès des Peuples à une cause si respectable, que de la défendre par des preuves foibles ou absurdes; c'est Osa qui croit que l'Arche chancele, & qui ose y porter la main.

Le P. Baltus abuse évidemment des termes, quand il prétend que l'opinion qui attribue les oracles aux malins esprits, est une vérité enseignée par la Tradition; puisqu'on ne doit regarder comme des vérités de Tradition & par conséquent de Foi, que celles qui ont été constamment reconnues pour telles par l'Eglise; le défenseur des Oracles se contredit ensuite lui - même, quand il avoue que l'opinion qu'il soûtient n'est que de foi humaine, c'est - à dire du genre des choses qu'on peut se dispenser de croire sans cesser d'être Chrétien; mais en cela il tombe dans une autre contradiction, puisque la foi humaine ne peut tomber que sur ce qui est de l'ordre naturel, & que les oracles selon lui n'en sont pas. Le témoignage des Historiens de l'antiquité, ajoûte M. du Marsais, est formellement contraire à ce que le P. Baltus prétend, que jamais les oracles n'ont été rendus par des statues creuses: mais quand cette prétention seroit fondée, elle seroit favorable à la cause de M. de Fontenelle, puisqu'il est encore plus aisé de faire parier un Prêtre qu'une statue. Il n'est point vrai, comme le dit encore le Critique, que ceux qui réduisent les oracles à des causes naturelles, diminuent par ce moyen la gloire de J. C. qui les a fait cesser; ce seroit au contraire affoiblir véritablement cette gloire, que d'attribuer les Oracles aux démons: car le P. Baltus prétend lui - même que Julien dans le jv. siecle du Christianisme, en évoquant essicacement les Enfers par la magie & par les enchantemens, en avoit obtenu réponse. Les permissions particulieres que l'Ecriture dit avoir été accordées au démon, ne nous donnent pas droit d'en supposer d'autres; rien n'est plus ridicule dans l'ordre surnaturel que l'argument qui prouve l'existence d'un fait miraculeux par celle d'un fait semblable. Ajoûter foi trop legerement aux prodiges, dans un siecle où ils ne sont plus nécessaires à l'établissement du Christianisme, c'est ébranler, sans le vouloir, les fondemens de la croyance que l'on doit aux vrais miracles rapportés dans les Livres saints. On ne croit plus de nos jours aux possédés, quoiqu'on croye à ceux de l'Ecriture. Jesus - Christ a été transporté par le démon, il l'a permis pour nous instruire; mais de pareils miracles ne se font plus. La métamorphose de Nabuchodonosor en bête, dont il ne nous est pas permis de douter, n'est arrivée qu'une fois. Enfin Saül a évoqué l'ombre de Samuel, & l'on n'ajoûte plus de foi aux évocations. Le P. Baltus avoue que les prodiges mêmes racontés par les Peres, ne sont pas de foi; à plus forte raison les prétendus miracles du Paganisme, qu'ils ont quelquefois daigné rapporter. Si le sentiment de ces Auteurs (d'ailleurs très - graves) sur des objets étrangers au Christianisme, devoit être la regle de nos opinions, on pourroit justifier par ce principe le traitement que les Inquisiteurs ont fait à Gahlée.

On aura peine à croire que le P. Baltus ait reproché sérieusement à M. de Fontenelle d'avoir adopté sur les Oracles le sentiment de l'Anabaptiste Vandale, comme si un Anabaptiste étoit condamné à déraisonner en tout, même sur une matiere étrangere aux erreurs de sa Secte. La réponse de M. du Marsais à cette objection, est que le Religieux qui a pris la défense des Oracles, a suivi aussi le sentiment du Luthérien Moebius; & qu'hérétique pour hérétique, un Anabaptiste vaut bien un Luthérien. [p. vij]

Ceux qui ont avancé que les Oracles avoient cessé à la venue de J. C. ne l'ont cru que d'après l'Oracle supposé sur l'enfant hébreu; Oracle regardé comme faux par le P. Baltus lui - même; aussi prétend - il que les Oracles n'ont pas fini précisément à la venue du Sauveur du monde, mais peu - à - peu, à mesure que J. C. a été connu & adoré. Cette maniere de finir n'a rien de surprenant, elle étoit la suite naturelle de l'établissement d'un nouveau culte. Les faits miraculeux, ou plûtôt qu'on veut donner pour tels, diminuent dans une fausse religion, ou à mesure qu'elle s'établit, parce qu'elle n'en a plus besoin, ou à mesure qu'elle s'affoiblit, parce qu'ils n'obtiennent plus de croyance. La pauvreté des peuples qui n'avoient plus rien à donner, la fourberie découverte dans plusieurs Oracles, & conclue dans les autres, enfin les Edits des Empereurs Chrétiens, voilà les causes véritables de la cessation de ce genre d'imposture: des circonstances favorables l'avoient produit, des circonstances contraires l'ont fait disparoître; ainsi les Oracles ont été soumis à toute la vicissitude des choses humaines. On se retranche à dire que la naissance de J. C. est la premiere époque de leur cessation; mais pourquoi certains démons ont - ils fui tandis que les autres restoient? D'ailleurs l'Histoire ancienne prouve invinciblement que plusieurs Oracles avoient été détruits avant la venue du Sauveur du monde, par des guerres & par d'autres troubles: tous les Oracles brillans de la Grece n'existoient plus ou presque plus, & quelquefois l'Oracle se trouvoit interrompu par le silence d'un hommête prêtre qui ne vouloit pas tromper le peuple. L'Oracle de Delphes, dit Lucain, est demeuré muet depuis que les Princes craignent l'avenir; ils ont défendu aux Dieux de parler, & les Dieux ont obéi. Enfin tout est plein dans les Auteurs prophanes d'Oracles qui ont subsisté jusqu'aux jv. & v. siecles, & il y en a encore aujourd'hui chez les Idolatres. Cette opiniâtreté incontestable des Oracles à subsister encore après la venue de J. C. suffiroit pour prouver qu'ils n'ont pas été rendus par les démons, comme le remarquent M. de Fontenelle & son Défenseur; puisqu'il est évident que le Fils de Dieu descendant parmi les hommes, devoit tout - à - coup imposer silence aux Enfers.

Telle est l'analyse de l'Ouvrage de M. du Marsais sur les Oracles. Revenons maintenant à sa personne. Il étoit destiné à être malheureux en tout; M. de Maisons le pere chez qui il étoit entré, & qui en avoit fait son ami, étoit trop éclairé pour ne pas sentir les obligations qu'il avoit à un pareil Gouverneur, & trop équitable pour ne pas les reconnoître; mais la mort l'enleva dans le tems où l'éducation de son fils étoit prête à finir, & où il se proposoit d'assûrer à M. du Marsais une retraite honnête, juste fruit de ses travaux & de ses soins. Notre Philosophe, sur les espérances qu'on lui donnoit de suppléer à ce que le pere de son Eleve n'avoit pû faire, resta encore quelque tems dans la maison; mais le peu de considération qu'on lui marquoit & les dégoûts même qu'il essuya, l'obligerent enfin d'en sortir, & de renoncer à ce qu'il avoit lieu d'attendre d'une famille riche à laquelle il avoit sacrifié les douze plus belles années de sa vie. On lui proposa d'entrer chez le fameux Law, pour être auprès de son fils, qui étoit alors âgé de seize ou dix - sept ans; & M. du Marsais accepta cette proposition. Quelques amis l'accuserent injustement d'avoir eu dans cette démarche des vues d'intérêt: toute sa conduite prouve assez qu'il n'étoit sur ce point ni fort éclairé, ni fort actif, & il a plusieurs fois assûré qu'il n'eût jamais quitté son premier Eleve, si par le refus des égards les plus ordinaires on ne lui avoit rendu sa situation insupportable.

La fortune qui sembloit l'avoir placé chez M. Law, lui manqua encore; il avoit des Actions qu'il vouloit convertir en un bien plus solide: on lui conseilla de les garder; bien - tôt après tout fut anéanti. & M. Law obligé de sortir du Royaume, & d'aller mourir dans l'obscurité à Venise. Tout le fruit que M. du Marsais retira d'avoir demeuré dans cette maison, ce fut, comme il l'a écrit lui - même, de pouvoir rendre des services importans à plusieurs personnes d'un rang très - supérieur au sien, qui depuis n'ont pas paru s'en souvenir; & de connoître (ce sont encore ses propres termes) la bassesse, la servitude & l'esprit d'adulation des Grands.

Il avoit éprouvé par lui - même combien cette profession si noble & si utile, qui a pour objet l'éducation de la jeunesse, est peu honorée parmi nous, tant nous sommes eclairés sur nos intérets; mais la situation de ses affaires, & peut - être l'habitude, lui avoient rendu cette ressource indispensable: il rentra donc encore dans la même carriere, & toûjours avec un égal succès. La justice que nous devons à sa mémoire, nous oblige de repousser à cette occasion une calomnie qui n'a été que trop répandue. On a prétendu que M. du Marsais étant appellé pour présider à l'éducation de trois freres dans une des premieres Maisons du Royaume, avoit demandé dans quelle religion on vouloit qu'il les élevât. Cette question singuliere avoit été faite à M. Law, alors de la Religion anglicane, par un homme d'esprit qui avoit été pendant quelque tems auprès de son fils. M. du Marsais avoit sû le fait, & l'avoit simplement raconté: il étoit absurde de penser qu'en France, dans le sein d'une

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