ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"iiij"> entre les matieres spirituelles & les matieres civiles une ligne de séparation invariable? Si les principes du Christianisme s'opposeroient à cette séparation, & si elle ne produiroit pas insensiblement & sans effort la tolérance civile, que la politique a conseillée à tant de Princes & à tant d'Etats?

Telles étoient les questions que M. du Marsais se proposoit d'examiner; éloigné, comme il l'étoit, de tout fanatisme par son caractere, & de tout préjugé par ses réflexions, personne n'étoit plus en état de traiter cet important sujet avec la modération & l'équité qu'il exige. Mais comme ce n'est point par des Livres qu'on ramene au vrai des esprits ulcérés ou prévenus, cette modération & cette équité n'eussent peut - être servi qu'à lui faire des ennemis puissans & implacables. Quoique les matieres qu'il a discutées dans son Ouvrage, soient beaucoup moins délicates que celle - ci, quoiqu'en traitant ces matieres il présente la vérité avec toute la prudence dont elle a besoin pour se faire recevoir, il ne jugea pas à - propos de laisser paroître de son vivant son Exposition des Libertés de l'Eglise Gallicane. Il craignoit, disoit - il, des persécutions semblables à celles que M. Dupuy, le défenseur de ces Libertés dans le dermer siecle, avoit eu à souffrir de quelques Evêques de France, desavoués sans doute en cela par leurs Confreres. La suite de cet Eloge fera voir d'ailleurs que M. du Marsais avoit de grands ménagemens à garder avec l'Eglise, dont il avoit pourtant défendu les droits plus encore qu'il ne les avoit bornés. Il se plaint dans une espece d'introduction qui est à la tete de son Livre, qu'on ne puisse exposer impunément en France la doctrine constante du Parlement & de la Sorbonne sur l'indépendance de nos Rois & sur les droits de nos Evêques, tandis que chez les Nations imbues des opinions contraires, tout parle publiquement & sans crainte contre la justice & la vérité. Nous ignorons si ces plaintes étoient fondées dans le tems que M. du Marsais écrivoit; mais la France connoît mieux aujourd'hui ses vrais intérêts. Ceux entre les mains desquels le manuscrit de l'Auteur est tombé après sa mort, moins timides ou plus heureux que lui, en ont fait part au Public. Les ouvrages pleins de vérités hardies & utiles, dont le genre humain est de tems en tems redevable au courage de quelque homme de Lettres, sont aux yeux de la postérité la gloire des Gouvernemens qui les protegent, la censure de ceux qui ne savent pas les encourager, & la honte de ceux qui les proscrivent.

La suppression de ce Livre eût été sans doute une perte pour les Citoyens; mais les Philosophes doivent regretter encore plus que M. du Marsais n'ait pas publié sa réponse à la critique de l'Histoire des Oracles; on n'a trouvé dans ses papiers que des fragmens imparfaits de cette réponse, à laquelle il ne paroît pas avoir mis la derniere main. Pour la faire connoître en détail, il faut reprendre les choses de plus haut.

Feu M. de Fontenelle avoit donné en 1686, d'après le Médecin Vandale, l'Histoire des Oracles, un de ses meilleurs ouvrages, & peut être celui de tous auquel le suffrage (b) unanime de la postérité est le plus assuré. Il y soutient, comme tout le monde sait, que les oracles étoient l'ouvrage de la superstition & de la fourberie, & non celui des démons, & qu'ils n'ont point cessé a la venue de J. C. Le Pere Baltus, Jesuite, vingt ans après la publication de ce Livre, crut qu'il étoit de son devoir d'en prévenir les effets dangereux, & se proposa de le refuter. Il soutint, avec toute la modération qu'un Théologien peut se permettre, que M. de Fontenelle avoit attaqué une des principales preuves du Christianisme, pour avoir prétendu que les Prêtres payens etoient des imposteurs ou des dupes. Cependant en avançant une opinion si singuliere, le Critique avoit eu l'art de lier son système a la Religion, quoiqu'il y soit réellement contraire par les armes qu'il peut fournir aux incrédules. La cause du Philosophe étoit juste, mais les dévots étoient soulevés, & s'il répondoit, il étoit perdu. Il eut donc la sagesse de demeurer dans le silence, & de s'abstenir d'une defense facile & dangereuse, dont le public sa dispensé depuis en lisant tous les jours son Ouvrage, & en ne lisant point celui de son Adversaire. M. du Marsais, jeune encore, avide de se signaler, & n'ayant à risquer ni places ni fortune, entreprit de justifier M. de Fontenelle contre les imputations du Pere Baltus. Il accusoit le Critique de n'avoir point entendu les PP. de l'Eglise, & de ne les avoir pas cités exactement; il lui reprochoit des méprises considérables, & un plagiat moins excusable encore du Professeur Moebius, qui avoit écrit contre Vandale. Assuré de la bonté de sa cause, le défenseur de M. de Fontenelle ne craignit point de faire part de son Ouvrage à quelques Confreres du Pere Baltus; il ne vouloit par cette démarche que donner des marques de son estime à une Société long - tems utile aux Lettres, & qui se souvient encore aujourd'hui avec complaisance du crédit & des hommes célebres qu'elle avoit alors. Nous avons peine à nous persuader que dans une matiere aussi indifférente en elle - même, cette Société se soit crue

(b) Il n'y a peut - être cu'une phrase à retrancher de cet Ouvrage: ce sont ces deux lignes de la Préface: « Il me lemble qu'il ne faudroit donner dans le sublime qu'à son corps défendant: il est si peu naturel! J'avoue que le style bas est encore quelque chose de pis».
[p. v] blessée par l'attaque d'un de ses membres; nous ignorons par qui & comment la confiance de M. du Marsais fut trompée; mais elle le fut. On travailla efficacement a empécher l'impression & même l'examen de l'Ouvrage; on accusa faussement l'auteur d'avoir voulu le faire paroître sans approbation ni privilége, quoique son Adversaire eût pris la même liberté. Il représenta en vain que ce livre avoit été approuvé par plusieurs personnes savantes & pieuses, & qu'il demandoit à le mettre au jour, non par vanité d'Auteur, mais pour prouver son innocence: il offrit inutilement de le soumettre a la censure de la Sorbonne, de le faire même approuver par l'Inquisition, & imprimer avec la permission des Supérieurs dans les terres du Pape; on étoit resolu de ne rien écouter, & M. du Marsais eut une défense expresse de faire paroître son Livre, soit en France, soit ailleurs. Cet évenement de sa vie fut la premiere époque, & peut être la source des injustices qu'il essuya; on n'avoit point eu de peine à prévenir contre lui un Monarque respectable alors dans sa vieillesse, & d'une délicatesse louable sur tout ce qu'il croyoit blesser la Religion; on lui avoit inspiré quelques soupçons sur la maniere de penser de l'Antagoniste du P. Baltus; espece d'armes dont on n'abuse que trop souvent auprès des Princes, pour perdre le mérite sans appui, sans hypocrisie, & sans intrigue. L'Auteur abandonna donc entierement son Ouvrage; & le P. Baltus libre de la guerre dont il étoit menacé, entra dans une carriere plus convenable à son etat; il avoit trop légerement sacrifié les prémices de sa plume à défendre sans le vouloir les Oracles des Payens; il l'employa plus heureusement dans la suite à un objet sur lequel il n'avoit point de contradictions à craindre, à la défense des Prophéties de la Religion chrétienne.

Comme l'Oavrage de M. du Marsais sur les Oracles n'a point paru, nous tâcherons d'en donner quelqu'idée a nos Lecteurs d'après les fragmèns qui nous ont été remis. La Préface contient quelques reflexions générales sur l'abus qu'on peut faire de la Religion en l'étendant a des objets qui ne sont pas de son ressort; on y expose ensuite le dessein & le plan de l'Ouvrage, dans lequel il paroît qu'on s'est proposé trois objets; de prouver que les Démons n'étoient point les auteurs des oracles; de repondre aux objections du P. Baltus; d'examiner enfin le tems auquel les oracles ont cessé, & de faire voir qu'ils ont cessé d'une maniere naturelle.

Le desir si vif & si inutile de connoître l'avenir, donna naissance aux Oracles des Payens. Quelques hommes adroits & entreprenans mirent à profit la curiosité du peuple pour le tromper: il n'y eut point en cela d'autre magie; l'imposture avoit commencé l'ouvrage, le fanatisme l'acheva: car un moyen infaillible de faire des fanatiques, c'est de persuader avant que d'instruire; quelquefois même certains prêtres ont pû être la dupe des oracles qu'ils rendoient ou qu'ils faisoient rendre, semblables à ces Empyriques dont les uns participent à l'erreur publique qu'ils entretiennent, les autres en profitent sans la partager.

C'est par la foi seule que nous savons qu'il y a des Démons, c'est donc par la foi seule que nous pouvons apprendre ce qu'ils sont capables de faire dans l'ordre surnaturel; & puisque la révélation ne leur attribue pas les oracles, elle nous permet de croire que ces oracles n'étoient pas leur ouvrage. Lorsqu'Isaîe défia les dieux des Payens de prédire l'avenir, il ne mit point de restrictions à ce dési, qui n'eût plus été qu'imprudent, si en effet les Démons avoient eu le pouvoir de prophétiser. Daniel ne crut pas que le serpent des Babyloniens fût un démon; il rit en Philosophe, dit l'Ecriture, de la crédulité du Prince & de la fourberie des Prêtres, & empoisonna le serpent. D'ailleurs les Partisans même des oracles conviennent qu'il y en a eu de faux, & par - la ils nous mettent en droit (s'il n'y a pas de preuve évidente du contraire) de les regarder sans exception comme supposés: tout se réduisoit à cacher plus ou moins adroitement l'imposture. Enfin les Payens même n'ont pas crû généralement que les oracles fussent surnaturels. De grandes sectes de Philosophes, entr'autres les Epicuriens, se vantoient, comme les Chrétiens, de faire taire les Oracles & de démasquer les Prêtres. Valere - Maxime & d'autres disent, il est vrai, que des statues ont parlé; mais l'Ecriture dément ce témoignage, en nous apprenant que les statues sont muettes. Les Historiens prophanes, lorsqu'ils racontent sur un simple oui - dire des faits extraordinaires, sont moins croyables que les Historiens de la Chine sur l'antiquité qu'ils donnent au Monde. Casaubon se mocque avec raison d'Hérodote, qui rapporte sérieusement plusieurs de ces oracles ridicules de l'antiquité, & d'autres prodiges de la même force.

Si les oracles n'eussent pas été une fourberie, l'idolatrie n'eût plus été qu'un malheur excusable, parce que les Payens n'auroient eu aucun moyen de découvrir leur erreur par la raison, le seul guide qu'ils eussent alors. Quand une fausse Religion, ou quelque Secte que ce puisse être, vante les prodiges opérés en sa faveur, & qu'on ne peut expliquer ces prodiges d'une maniere naturelle, il n'y a qu'un parti à prendre, celui de nier les faits. Rien n'est donc plus conforme aux principes & aux intérêts du Christianisme, que de regarder

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