ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"74"> ciens; mais par ces doubles & triples emplois, le nombre des bouches inutiles dans la société, & la somme des fonds tirés de la circulation générale, s'augmentent continuellement.

Certaines fondations cessent encore d'être exécutées par une raison différente, & par le seul laps du tems: ce sont les fondations faites en argent & en rentes. On sait que toute espece de rente a perdu à la longue presque toute sa valeur, par deux principes. Le premier est l'augmentation graduelle & successive de la valeur numéraire du marc d'argent, qui fait que celui qui recevoit dans l'origine une livre valant douze onces d'argent, ne reçoit plus aujourd'hui, en vertu du même titre, qu'une de nos livres, qui ne vaut pas la soixante - treizieme partie de ces douze onces. Le second principe est l'accroissement de la masse d'argent, qui fait qu'on ne peut aujourd'hui se procurer qu'avec trois onces d'argent, ce qu'on avoit pour une once seule avant que l'Amérique fût découverte. Il n'y auroit pas grand inconvénient à cela, si ces fondations étoient entierement anéanties; mais le corps de la fondation n'en subsiste pas moins, seulement les conditions n'en sont plus remplies: par exemple, si les revenus d'un hôpital souffrent cette diminution, on supprimera les lits des malades, & l'on se contentera de pourvoir à l'entretien des chapelains.

3°. Je veux supposer qu'une fondation ait eu dans son origine une utilité incontestable; qu'on ait pris des précautions suffisantes pour empêcher que la paresse & la négligence ne la fassent dégénérer; que la nature des fonds les mette à l'abri des révolutions du tems sur les richesses publiques; l'immutabilité que les fondateurs ont cherché à lui donner est encore un inconvenient considérable, parce que le tems amene de nouvelles révolutions, qui font disparoître l'utilité dont elle pouvoit être dans son origine, & qui beuvent même la rendre nuisible. La société n'a pas ûjours les mêmes besoins; la nature & la distribu<-> des propriétés, la division entre les différens ordres du peuple, les opinions, les moeurs, les occupations générales de la nation ou de ses différentes portions, le climat même, les maladies, & les autres accidens de la vie humaine, éprouvent une variation continuelle: de nouveaux besoins naissent; d'autres cessent de se faire sentir; la proportion de ceux qui demeurent change de jour en jour dans la société, & avec eux disparoît ou diminue l'utilité des fondations destinées à y subvenir. Les guerres de Palestine ont donné lieu à des fondations sans nombre, dont l'utilité a cessé avec ces guerres. Sans parler des ordres de religieux militaires, l'Europe est encore couverse de maladreries, quoique depuis long - tems l'on n'y connoisse plus la lepre. La plûpart de ces établissemens survivent long - tems à leur utilité: premierement, parce qu'il y a toûjours des hommes qui en profitent, & qui sont intéressés à les maintenir: secondement, parce que lors même qu'on est bien convaincu de leur inutilité, on est très - long - tems à prendre le parti de les détruire, à se décider soit sur les mesures & les formalités nécessaires pour abattre ces grands édifices affermis depuis tant de siecles, & qui souvent tiennent à d'autres bâtimens qu'on craint d'ébranler, soit sur l'usage ou le partage qu'on fera de leurs débris: troisiemement parce qu'on est très - longtems à se convaincre de leur inutilité, ensorte qu'ils ont quelquefois le tems de devenir nuisibles avant qu'on ait soupçonné qu'ils sont inutiles.

Il y a tout à présumer qu'une fondation, quelque utile qu'elle paroisse, deviendra un jour au - moins inutile, peut - être nuisible, & le sera long - tems: n'en est - ce pas assez pour arrêter tout fondateur qui se propose un autre but que celui de satisfaire sa vanité?

4°. Je n'ai rion dit encore du luxe, des édifices, & du faste qui environne les grandes fondations: ce seroit quelquefois évaluer bien favorablement leur utilité, que de l'estimer la centieme partie de la dépense.

5°. Malheur à moi, si mon objet pouvoit être, en présentant ces considerations, de concentrer l'homme dans son seul intérêt; de le rendre insensible au malheur & au bien - être de ses semblables; d'eteindre en lui l'esprit de citoyen; & de substituer une prudence oisive & basse à la noble passion d'être utile aux hommes! Je veux que l'humanité, que la passion du bien public, procurent aux hommes les mêmes biens que la vanité des fondateurs, mais plus sûrement, plus complettement, à moins de frais, & sans le mélange des inconveniens dont je me suis plaint. Parmi les différens besoins de la société qu'on voudroit remplir par la voie des établissemens durables ou des fondations, distinguons - en deux sortes; les uns appartiennent à la société entiere, & ne sont que le resultat des intérêts de chacune de ses parties en particulier: tels sont les besoins généraux de l'humanite, la nourriture pour tous les hommes; les bonnes moeurs & l'éducation des enfans, pour toutes les familles; & cet intérêt est plus ou moins pressant pour les différens besoins: car un homme sent plus vivement le besoin de nourriture, que l'intérêt qu'il a de donner à ses enfans une bonne éducation. Il ne faut pas beaucoup de reflexion pour se convaincre que cette premiere espece de besoins de la société n'est point de nature à être remplie par des fondations, ni par aucun autre moyen gratuit; & qu'à cet égard, le bien général doit être le résultat des efforts de chaque particulier pour son propre intérêt. Tout homme sain doit se procurer sa subsistance par son travail; parce que s'il étoit nourri sans travailler, il le seroit aux dépens de ceux qui travaillent. Ce que l'état doit à chacun de ses membres, c'est la destruction de obstacles qui les gêneroient dans leur industrie, ou qui les troubleroient dans la joüissance des produits qui en sont la récompense. Si ces obstacles subsistent, les bienfaits particuliers ne diminueront point la pauvreté générale, parce que la cause restera toute entiere. De même, toutes les familles doivent l'éducation aux enfans qui y naissent: elles y sont toutes intéressées immédiatement; & ce n'est que des efforts de chacune en particulier que peut naître la perfection générale de l'éducation. Si vous vous amusez à fonder des maîtres & des bourses dans des colléges, l'utilité ne s'en fera sentir qu'à un petit nombre d'hommes favorisés au hasard, & qui peut - être n'auront point les talens nécessaires pour en profiter: ce ne sera pour toute la nation qu'une goutte d'eau répandue sur une vaste mer; & vous aurez fait à très grands frais de très - petites choses. Et puis faut - il accoûtumer les hommes à tout demander, à tout recevoir, à ne rien devoir à eux - mêmes? Cette espece de mendicité qui s'étend dans toutes les conditions, dégrade un peuple, & substitue à toutes les passions hautes un caractere de bassesse & d'intrigue. Les hommes sont - ils puissamment intéressés au bien que vous voulez leur procurer? laissez - les faire: voilà le grand, l'unique principe. Vous paroissent - ils s'y porter avec moins d'ardeur que vous ne desireriez? augmentez leur intérêt. Vous voulez perfectionner l'éducation; proposez des prix à l'émulation des peres & des enfans: mais que ces prix soient offerts à quiconque peut les mériter, du - moins dans chaque ordre de citoyens; que les emplois & les places en tout genre deviennent la récompense du mérite, & la perspective assûrée du travail; & vous verrez l'émulation s'allumer à - la-fois dans le sein de toutes les familles: bien - tôt votre nation s'élevera au - dessus d'elle - même, vous aurez éclairé son esprit; vous lui aurez donné des moeurs; vous aurez fait de grandes choses; & il ne [p. 75] vous en aura pas tant coûté que pour fonder un collége.

L'autre classe de besoins publics auxquels on a voulu subvenir par des fondations, comprend ceux qu'on peut regarder comme accidentels; qui bornés à certains lieux & à certains tems, entrent moins immédiatement dans le système de l'administration générale, & peuvent demander des secours particuliers. Il s'agira de remédier aux maux d'une disette, d'une épidémie; de pourvoir à l'entretien de quelques vieillards, de quelques orphelins, à la conservation des enfans exposés; de faire ou d'entretenir des travaux utiles à la commodité ou à la salubrité d'une ville; de perfectionner l'agriculture ou quelques arts languissans dans un canton; de récompenser des services rendus par un citoyen à la ville dont il est membre; d'y attirer des hommes célebres par leurs talens, &c. Or il s'en faut beaucoup que la voie des établissemens publics & des fondations soit la meilleure pour procurer aux hommes tous ces biens dans la plus grande étendue possible. L'emploi libre des revenus d'une communauté, ou la contribution de tous ses membres dans les cas où le besoin seroit pressant & général; une association libre & des souscriptions volontaires de quelques citoyens généreux, dans les cas où l'intérêt sera moins prochain & moins universellement senti; voilà dequoi remplir parfaitement toute sorte de vûes vraiment utiles; & cette méthode aura sur celle des fondations cet avantage inestimable, qu'elle n'est sujette à aucun abus important. Comme la contribution de chacun est entierement volontaire, il est impossible que les fonds soient détournés de leur destination; s'ils l'étoient, la source en tariroit aussitôt: il n'y a point d'argent perdu en frais inutiles, en luxe, & en bâtimens. C'est une société du même genre que celles qui se font dans le commerce, avec cette différence qu'elle n'a pour objet que le bien public; & comme les fonds ne sont employés que sous les yeux des actionnaires, ils sont à portée de veiller à ce qu'ils soient employés de la maniere la plus avantageuse. Les ressources ne sont point éternelles pour des besoins passagers: le secours n'est jamai, appliqué qu'à la partie de la société qui souffre, à la branche du Commerce qui languit. Le besoin cesse - t - il? la libéralité cesse; & son cours se tourne vers d'autres besoins. Il n'y a jamais de doubles ni de triples emplois; parce que l'utilité actuelle reconnue est toûjours ce qui détermine la générosité des bienfaiteurs publics: enfin cette méthode ne retire aucun fond de la circulation générale; les terres ne sont point irrévocablement possédées par des mains paresseuses; & leurs productions, sous la main d'un propriétaire actif, n'ont de bornes que celles de leur propre fécondité. Qu'on ne dise point que ce sont là desidées chimériques: l'Angleterre, l'Ecosse, & l'Irlande sont remplies de pareilles sociétés, & en ressentent depuis plusieurs années les heureux effets. Ce qui a lieu en Angleterre peut avoir lieu en France: & quoi qu'on en dise, les Anglois n'ont pas le droit exclusif d'être citoyens. Nous avons même déjà dans quelques provinces des exemples de ces associations qui en prouvent la possibilité. Je citerai en particulier la ville de Bayeux, dont les habitans se sont cottisés librement, pour bannir entierement de leur ville la mendicité; & y ont réussi, en fournissant du travail à tous les mendians valides, & des aumônes à ceux qui ne le sont pas. Ce bel exemple mérite d'être proposé à l'émulation de toutes nos villes: rien ne sera si aisé, quand on le voudra bien, que de tourner vers des objets d'une utilité générale & certaine, l'émulation & le goût d'une nation aussi sensible à l'honneur que la nôtre, & aussi facile à se plier à toutes les impressions que le gouvernement voudra & sau<-> donner.

6°. Ces réflexions doivent faire applaudir aux sages restrictions que le Roi a mises par son édit de 1749 à la liberté de faire des fondations nouvelles. Ajoûtons qu'elles ne doivent laisser aucun doute sur le droit incontestable qu'ont le gouvernement dans l'ordre civil; le gouvernement & l'Eglise dans l'ordre de la religion, de disposer des fondations anciennes, d'en diriger les fonds à de nouveaux objets, ou mieux encore de les supprimer tout - à - fait. L'utilité publique est la loi suprème, & ne doit être balancée ni par un respect superstitieux pour ce qu'on appelle l'intention des fondateurs, comme si des particuliers ignorans & bornés avoient eu le droit d'enchaîner à leurs volontés capricieuses les générations qui n'étoient point encore; ni par la crainte de blesser les droits prétendus de certains corps, comme si les corps particuliers avoient quelques droits vis - à - vis l'état. Les citoyens ont des droits, & des droits sacrés pour le corps même de la société; ils existent indépendamment d'elle; ils en sont les élémens nécessaires; & ils n'y entrent que pour se mettre, avec tous leurs droits, sous la protection de ces mêmes lois auxquelles ils sacrifient leur liberté. Mais les corps particuliers n'existent point par eux - mêmes ni pour eux; ils ont été formés pour la société; & ils doivent cesser d'être au moment qu'ils cessent d'être utiles. Concluons qu'aucun ouvrage des hommes n'est fait pour l'immortalité; puisque les fondations toûjours multipliées par la vanité, absorberoient à la longue tous les fonds & toutes les propriétés particulieres, il faut bien qu'on puisse à la fin les détruire. Si tous les hommes qui ont vécu avoient eu un tombeau, il auroit bien fallu pour trouver des terres à cultiver, renverser ces monumens stériles, & remuer les cendres des morts pour nourrir les vivans.

Fondation (Page 7:75)

Fondation, (Jurisprud.) les nouveaux établissemens que l'on considere dans cette matiere, sont ceux des évêchés, abbayes, & autres monasteres, églises, chapelles, hôpitaux, colléges; les fondations de messes, obits, services, & autres prieres.

Aucune fondation ecclésiastique, telle que celle d'un évêché, monastere, paroisse, chapelle, &c. ne peut être faite sans l'autorité du supérieur ecclésiastique; il faut aussi des lettres patentes du roi, dûement enregistrées au parlement, ce qui est toûjours précédé d'une information de commodo & incommodo.

Il faut aussi des lettres patentes pour autoriser les fondations séculieres, telles que sont les hôpitaux, colléges, & autres communautés séculieres.

On appelle fondateur celui qui a fait la fondation, soit qu'il ait donné le fond ou terrein pour y construire une église ou autre édifice, soit qu'il y ait fait construire l'édifice de l'église, monastere, hôpital ou collége, ou que l'édifice ayant déjà été construit, & depuis tombé en ruine, il l'ait fait relever; ou bien qu'il ait doté l'église ou maison de deniers & revenus destinés à l'entretenement d'icelle: chacune de ces différentes manieres de fonder une église acquiert au fondateur le droit de patronage.

Il faut neanmoins l'avoir réservé spécialement par la fondation; autrement le fondateur n'a simplement que la préséance, l'encens, la recommandation aux prieres nominales, & autres droits honorifiques; mais non pas la collation, présentation ou nomination des bénéfices: pour ce qui est des droits honorifiques, le fondateur en joüit dans les églises conventuelles comme dans les paroissiales.

Un fondateur peut être contraint de redoter l'église par lui fondée, lorsquelle devient pauvre, à moins qu'il ne renonce à son droit de patronage.

S'il étoit prouvé par le titre de la fondation que le fondateur eût renoncé au droit de patronage, la pos<pb->

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