ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"ij"> & les dangers qui l'attendent, n'acquiert d'expérience que par ses fautes, & meurt sans avoir eu le tems d'en profiter.

M. du Marsais aimant mieux se priver du nécessaire que du repos, abandonna à sa femme le peu qu'il avoit de bien, & par le conseil de ses amis entra chez M. le Président de Maisons, pour veiller à l'éducation de son fils: c'est le même que M. de Voltaire a célébré dans plusieurs endroits de ses OEuvres, qui dès l'âge de vingt - sept ans fut reçu dans l'Académie des Sciences, & dont les connoissances & les lumieres saisoient déjà beaucoup d'honneur à son maître, lorsqu'il fut enlevé à la fleur de son âge.

Ce fut dans cette maison, & à la priere du pere de son Eleve, que M. du Marsais commença son ouvrage sur les Libertés de l'Eglise Gallicane, qu'il acheva ensuite pour M. le Duc de la Feuillade, nommé par le Roi à l'Ambassade de Rome. Il étoit persuadé que tout François doit connoître les principes de cette importante matiere, généralement adoptés dans le premier âge du Christianisme, obscurcis depuis par l'ignorance & la superstition, & que l'Eglise de France a eu le bonheur de conserver presque seule. Mais cet objet qui nous intéresse de si près, est rarement bien connu de ceux même que leur devoir oblige de s'en occuper. Les savans Ecrits de MM. Pithou & Dupuy sur nos Libertés, un peu rebutans par la forme, sont trop peu lûs chez une Nation qui compte pour rien le mérite d'instruire, quand il n'est pas accompagné d'agrément, & qui préfere l'ignorance de ses droits à l'ennui de les apprendre. M. du Marsais, plein du desir d'être utile à ses Concitoyens, entreprit de leur donner sur ce sujet un Ouvrage précis & méthodique, assez intéressant par les détails pour attacher la paresse même; où la Jurisprudence fût guidée par une Philosophie lumineuse, & appuyée d'une érudition choisie, répandue sobrement & placée à - propos. Tel fut le plan qu'il se forma, & qu'il a exécuté avec succès; si néanmoins dans le siecle où nous vivons tant de science & de logique est nécessaire pour prouver que le souverain Pontife peut se tromper comme un autre homme; que le Chef d'une Religion de paix & d'humilité ne peut dispenser ni les Peuples de ce qu'ils doivent à leurs Rois, ni les Rois de ce qu'ils doivent à leurs Peuples; que tout usage qui va au détriment de l'Etat, est injuste, quoique toléré ou même revêtu d'une autorité apparente; que le pouvoir des Souverains est indépendant des Pasteurs; que les Ecclésiastiques enfin doivent donner aux autres Citoyens l'exemple de la soumission aux Lois.

Le Traité de M. du Marsais, sous le titre d'Exposition de la doctrine de l'Eglise Gallicane par rapport aux prétentions de la Cour de Rome, est divisé en deux parties. L'Auteur établit dans la premiere, les principes généraux sur lesquels sont fondées les deux Puissances, la spirituelle, & la temporelle: dans la seconde il fait usage de ces principes pour fixer les bornes du pouvoir du Pape, de l'Eglise, & des Evêques. Un petit nombre de maximes générales appuyées par la raison, par nos Lois & par nos Annales, & les conséquences qui résultent de ces maximes, font toute la substance de l'Ouvrage.

Ceux qui croiront avoir besoin de recourir à l'Histoire ecclésiastique pour se prémunir contre l'infaillibilité que les Ultramontains attribuent, sans la croire, aux souverains Pontifes, peuvent lire les Preuves de la viiie. Maxime; ils y verront S. Pierre repris par S. Paul, & reconnoissant qu'il s'étoit trompé; le Pape Eleuthere approuvant d'abord les prophéties des Montanistes, qu'il proscrivit bientôt après; Victor blâmé par S. Irenée, pour avoir excommunié mal - à - propos les Evêques d'Asie; Libere souserivant aux formules des Ariens; Honorius anathématisé, comme Monothélite, au sixieme Concile général, & ses Ecrits brûlés; Jean XXII. au xjv. siecle condamné par la Sorbonne sur son opinion de la vision béatifique, & obligé de se rétracter; enfin le grand nombre de contradictions qui se trouvent dans les décisions des Papes, & l'aveu même que plusieurs ont fait de n'être pas infaillibles, dans un tems où ils n'avoient point d'intérêt à le soûtenir. Les faits qui peuvent servir à combattre des prétentions d'un autre genre, sont recueillis dans cet Ouvrage avec le même choix & la même exactitude. On y lit que Grégoire VII. celui qui a le premier levé l'étendart de la rébellion contre les Rois, se repentit en mourant de cette usurpation, & en demanda pardon à son Prince & à toute l'Eglise; que Ferdinand, si mal - à - propos nommé le Pieux, & si digne du nom de traître, enleva la Navarre à la Maison de France, sur une simple Bulle du Pape Jules II; que la Cour de Rome, si on en croit nos Jurisconsultes, a évité pour cette raison, autant qu'elle l'a pû, de donner à nos Rois le titre de Rois de Navarre; omission, au reste, peu importante en elle - même, & que nos Rois ont sans doute regardée comme indifférente à leur grandeur, le nom de Rois de France étant le plus beau qu'ils puissent porter. Enfin M. du Marsais ajoûte que les Bulles de Sixte V. & de Grégoire XIV. contre Henri IV. furent un des plus grands obstacles que trouva ce Prince pour remonter sur le thrône de ses peres. Il fait voir encore, ce qui n'est pas difficile, que l'absolution (réelle ou supposée) donnée à la Nation françoise par le Pape Zacharie, du serment de fidélité qu'elle avoit fait aux descendans de Clovis, ne dispensoit [p. iij] point la Nation de ce serment; d'où il s'ensuit que la race de Hugues Capet a pû légitimement recevoir de cette même Nation une couronne que la race de Charlemagne avoit enlevée aux héririers légitimes.

Non - seulement, ajoûte l'Auteur, les Papes n'ont aucun pouvoir sur les Empires, ils ne peuvent même, sans la permission des Princes, rien recevoir des sujets, à quelque titre que ce puisse ètre. Jean XXII. ayant entrepris de faire une levée d'argent sur notre Clergé, Charles - le - Bel s'y opposa d'abord avec vigueur; mais ensuite le Pape lui ayant donné la dixme des Eglises pendant deux ans, le Roi, pour reconnoître cette condescendance par une autre, lui permit de lever l'argent qu'il vouloit. Les Chroniques de S. Denis, citées par M. du Marsais, racontent cette convention avec la simplicité de ces tems - là: « Le Roi, disent - elles, considérant donnes - m'en, je t'en donrai, octroya au Pape de lever ».

L'Auteur prouve avec la même facilité, par le raisonnement & par l'Histoire, les maximes qui ont rapport à la jurisdiction ecclésiastique des Evêques, & qui font une partie si essentielle de nos Libertés. Selon l'aveu d'un des plus saints Pontifes de l'ancienne Eglise, les Evêques ne tiennent pas leur autorité du Pape, mais de Dieu même: ils n'ont donc pas besoin de recourir au S. Siége pour condamner des erreurs, ni, à plus forte raison, pour des points de diseipline. Ils ont droit de juger avant le Pape & après le Pape; ce n'a été qu'à l'occasion de l'affaire de Jansénius, en 1650, qu'ils se sont adressés à Rome avant que de prononcer eux mêmes. L'usage des appellations au Pape n'a jamais été reçu en Orient, & ne l'a été que fort tard en Occident. L'Evêque de Rome n'ay ant de jurisdiction immédiate que dans son Diocèse, ne peut excommunier ni nos Rois ni leurs Sujets, ni mettre le Royaume en interdit. C'est par les Empereurs, & non par d'autres, que les premiers Conciles généraux ont été convoqués; & le Pape même n'y a pas toûjours assisté, soit en personne, soit par ses Légats. Ces Conciles ont besoin d'être autorisés, non par l'approbation du Pape, mais par la Puissance séculiere, pour faire exécuter leurs lois. Enfin c'est aux Rois à convoquer les Conciles de leur Nation, & à les dissoudre.

Il faut au reste, comme M. du Marsais l'observe après plusieurs Ecrivains, distinguer avec soin la Cour de Rome, le Pape, & le Saint - Siége: on doit toûjours conserver l'unité avec celui - ci, quoiqu'on puisse desapprouver les sentimens du Pape, & l'ambition de la Cour de Rome. Il est triste, ajoûte - t - il, qu'en France même on n'ait pas toûjours sù faire cette distinction si essentielle; & que plusieurs Ecclésiastiques, & sur - tout certains Ordres religieux, soient encore secretement attachés parmi nous aux sentimens ultramontains, qui ne sont pas même regardés comme de foi dans les pays d'lnquisition.

M. du Marsais dit à la fin de son Livre, qu'il avoit eu dessein d'y joindre une dissertation historique qui exposât par quels degrés les Papes sont devenus Souverains. Cette matiere, aussi curieuse que délicate, étoit bien digne d'être traitée par un Philosophe qui sans doute auroit sû se garantir également du fiel & de la flaterie; en avoüant le mal que quelques Papes ont fait pour devenir Princes, il n'auroit pas laissé ignorer le bien que plusieurs ont fait depuis qu'ils le sont devenus: aux entraves funestes que la Philosophie a reçûes par quelques Constitutions apostcliques, il eût opposé la renaissance des Arts en Europe, presqu'uniquement dûe à la magnificence & au goût des souverains Pontifes. Il n'eût pas manqué d'observer qu'aucune liste de Monarques ne présente, à nombre égal, autant d'hommes dignes de l'attention de la postérité. Enfin il se fût conformé sur cette matiere à la maniere de penser du Public, qui malgré sa malignité naturelle, est aujourd'hui trop éclairé sur la Religion, pour faire servir d'argumens contr'elle les scandales donnés par quelques Chefs de l'Eglise. L'indifférence avec laquelle on recevroit maintenant parmi nous une satyre des Papes, est une suite heureuse & nécessaire des progrès de la Philosophie dans ce siecle.

Nous savons, & nous l'apprenons avec regret au Public, que M. du Marsais se proposoit encore de joindre à son Ouvrage l'examen impartial & pacifique d'une querelle importante, qui tient de près à nos Libertés, & que tant d'Ecrivains ont agitée dans ces derniers tems avec plus de chaleur que de logique. L'Auteur, en Philosophe éclairé & en Citoyen sage, avoit réduit toute cette querelle aux questions suivantes, que nous nous bornerons sagement à énoncer, sans entreprendre de les résoudre: Si une société d'hommes qui croit devoir se gouverner à certains égards par des lois indépendantes de la Puissance temporelle, peut exiger que cette Puissance concoure au maintien de ces lois? Si dans les pays nombreux où l'Eglise ne fait avec l'Etat qu'un même corps, la liberté absolue que les Ministres de la Religion reclament dans l'exercice de leur ministere, ne leur donneroit pas un droit qu'ils sont bien éloignés de prétendre sur les priviléges & sur l'état des Citoyens? En cas que cet inconvénient fût réel, quel parti les Législateurs devroient prendre pour le prévenir? ou de mettre au pouvoir spirituel de l'Eglise des bornes qu'elle croira toûjours devoir franchir, ce qui entretiendra dans l'Etat la division & le trouble; ou de tracer

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