ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"893"> les, d'inégales, &c. On fit de ces instrumens de tout bois & de toute matiere. Enfin les mêmes flûtes avoient différens noms chez divers peuples. Par exemple, la flûte courbe de Phrygie étoit la même que le titytion des Grecs d'Italie, ou que le pheution des Egyptiens, qu'on appelloit aussi monaule.

Les flûtes courbes sont au rang des plus anciennes; telles sont celles de la table d'Isis: la gyngrine lugubre ou la phénicienne, longue d'une palme mesurée dans toute son étendue, étoit encore de ce genre. Parmi les flûtes moyennes, Aristide le musicien met la pythique & les flûtes de choeur. Pausanias parle des flûtes argiennes & béotiennes. Il est encore fait mention dans quelques auteurs de la flûte hermiope, qu'Anacréon appelle tendre; de la lysiade, de la cytharistrie; des flûtes précentoriennes, corynthiennes, égyptiennes, virginales, milvines, & de tant d'autres dont nous ne pouvons nous former d'idée juste, & qu'il faudroit avoir vûes pour en parler pertinemment. On sait que M. le Fevre desespérant d'y rien débrouiller, couronna ses veilles pénibles sur cette matiere, par faire des vers latins pour loüer Minerve de ce qu'elle avoit jetté la flûte dans l'eau, & pour maudire ceux qui l'en avoient retirée.

Mais loin d'imiter M. le Fevre, je crois qu'on doit au moins tâcher d'expliquer ce que les anciens entendoient par les flûtes égales & inégales, les flûtes droites & gauches, les flûtes sarranes, phrygiennes, lydiennes, tibia pares & impares, tibioe dextroe & sinistioe, tibioe sarranoe, phrygioe, lydicoe, &c. dont il est souvent fait mention dans les comiques, parce que la connoissance de ce point de Littérature est nécessaire pour entendre les titres des pieces dramatiques qui se joüoient à Rome. Voici donc ce qu'on a dit peut - être de plus vraissemblable & de plus ingénieux pour éclaircir ce point d'antiquité.

Dans les comédies romaines qu'on représentoit sur le théatre public, les joüeurs de flûte joüoient toûjours de deux flûtes à - la - fois. Celle qu'ils touchoient de la main droite, étoit appellée droite par cette raison; & celle qu'ils touchoient de la gauche, étoit appellée gauche par conséquent. La premiere n'avoit que peu de trous, & rendoit un son grave; la gauche en avoit plusieurs, & rendoit un son plus clair & plus aigu. Quand les musiciens joüoient de ces deux flûtes de différent son, on disoit que la piece avoit été joüée tibiis imparibus, avec les flûtes inégales; ou tibiis dextris & sinistris, avec les flûtes droites & gauches: & quand ils joüoient de deux flûtes de même son, de deux droites ou de deux gauches, comme cela arrivoit souvent, on disoit que la piece avoit été joüée tibiis paribus dextris, avec des flûtes égales droites, si c'étoit avec celles du son grave; ou tibiis paribus sinistris, avec des flûtes égales gauches, si c'étoit avec des flûtes de son aigu.

Une même piece n'étoit pas toûjours joüée avec les mêmes flûtes, ni avec les mêmes modes; cela changeoit fort souvent. Il arrivoit peut - être aussi que ce changement se faisoit quelquefois dans la même représentation, & qu'à chaque intermede on changeoit de flûte; qu'à l'un on prenoit les flûtes droites, & à l'autre les gauches successivement. Donat prétend que quand le sujet de la piece étoit grave & sérieux, on ne se servoit que des flûtes égales droites, que l'on appelloit aussi lydiennes, & qui avoient le son grave; que quand le sujet étoit fort enjoüé, on ne se servoit que des flûtes égales gauches, qui étoient appellées tyriennes ou sarranes, qui avoient le son aigu, & par conséquent plus propre à la joie; enfin que quand le sujet étoit mêlé de l'enjoüé & du sérieux, on prenoit les flûtes inégales, c'est - à - dire la droite & la gauche, qu'on nommoit phrygiennes.

Madame Dacier est au contraire persuadée que ce n'étoit point du tout le sujet des pieces qui regloit la musique, mais l'occasion où elles étoient représentées. En effet, il auroit été impertinent qu'une piece faite pour honorer des funérailles, eût eu une musique enjoüée; c'est pourquoi quand les Adelphes de Térence furent joüés la premiere fois, ils le furent tibiis lydiis, avec les flûtes lydiennes, c'est - à - dire avec deux flûtes droites; & quand ils furent joüés pour des occasions de joie & de divertissement, ce fut tibiis sarranis, avec les deux flûtes gauches. Ainsi quand une piece étoit joüée pendant les grandes fêtes, comme la joie & la religion s'y trouvoient mêlées, c'étoit ordinairement avec les flûtes inégales; ou une fois avec deux droites, & ensuite avec deux gauches, ou bien en les prenant alternativement à chaque intermede.

Au reste, ceux qui joüoient de la flûte pour le théatre, se mettoient autour de la bouche une espece de ligature ou bandage composé de plusieurs courroies qu'ils lioient derriere la tête, afin que leurs joues ne parussent pas enflées, & qu'ils pûssent mieux gouverner leur haleine & la rendre plus douce. C'est cette ligature que les Grecs appelloient FOR BEIA\N; Sophocle en parle, quand il dit:

*FU/SA GA\R , SMIXROI=SIN AU)LI/SXOIS2 E)TI, )*ALL A)GRIAIS2 FU/SAISI FORBEIAS2 A)/TER. « Il ne souffle plus dans de petites flûtes, mais dans des soufflets épouvantables, & sans bandage ». que Cicéron applique heureusement à Pompée, pour marquer qu'il ne gardoit plus de mesures, & qu'il ne songeoit plus à modérer son ambition. Il est parlé du bandage FORBEIA\, autrement appellé PERISTO/MION dans Plutarque, dans le scholiaste d'Aristophane & ailleurs, & l'on en voit la figure sur quelques anciens monumens.

La flûte n'étoit pas bornée au seul théatre, elle entroit dans la plû part des autres spectacles & des céremonies publiques greques & romaines; dans celles des nôces, des expiations, des sacrifices, & sur - tout dans celles des funérailles. Accoûtumée de tout tems aux sanglots de ces femmes gagées qui possedoient l'art de pleurer sans affliction, elle ne pouvoit manquer de former la principale musique des pompes funebres. A celle du jeune Archémore fils de Lycurgue, c'est la flûte qui donne le signal, & ce ton des lamentations. Dans les fêtes d'Adonis on se servoit aussi de la flûte, & l'on y ajoûtoit ces mots lugubres, A)I\, A)I\ TON *A)/DWNIN; hélas, hélas, Adonis! mots qui convenoient parfaitement à la tristesse de ces fetes.

Les Romains, en vertu d'une loi très - ancienne, & que Cicéron nous a conservée, employerent la flûte au même usage. Elle se faisoit entendre dans les pompes funebres des empereurs, des grands, & des particuliers de quelque âge & de quelque qualité qu'ils fussent; car dans toutes leurs funérailles on chantoit de ces chants lugubres appellés noenioe, qui demandoient nécessairement l'accompagnement des flûtes; c'est encore par la même raison qu'on disoit en proverbe, jari licet ad tibicines mittas, envoyez chercher les joüeurs de flûte, pour marquer qu'un malade étoit desespéré, & qu'il n'avoit plus qu'un moment à vivre; expression proverbiale, que Circé employe assez plaisamment dans les reproches qu'elle fait à Polyenos sur son impuissance.

Puisque la flûte servoit à des cérémonies de différente nature, il falloit bien qu'on eût trouvé l'art d'en ajuster les sons à ces diverses cérémonies, & cet art fut imaginé de très - bonne heure. Nous lisons dans Plutarque que Clonas est le premier auteur des nomes ou des airs de flûte. Les principaux qu'il inventa, & qui furent extrèmement perfectionnés après lui, sont l'apothétos, le schoénion, le trime<pb-> [p. 894] lès, Pélégiaque, le comarchios, le cépionien, & le déios. Expliquons tous ces mots énigmatiques, qu'on trouve si souvent dans les anciens auteurs.

L'air apothétos étoit un air majestueux, réservé pour les grandes fêtes & les cérémonies d'éclat.

L'air schoénion, dont Pollux & Hésy chius parlent beaucoup, devoit ce nom au caractere de musique & de poésie, dans lequel il étoit composé; caractere qui, selon Casaubon, avoit quelque chose de mou, de flexible, & pour ainsi dire d'efféminé.

L'air trimelès étoit partagé en trois strophes ou couplets: la premiere strophe se joüoit sur le mode dorien; la seconde sur le phrygien; la troisieme sur le lydien, & c'est de ces trois changemens de modes que cet air tiroit son nom, comme qui diroit air à trois modes: c'est à quoi répondroit précisément dans notre musique un air à trois couplets, dont le premier seroit composé en c sol ut, le second en d la ré, le troisieme en e si mi.

L'air élégiaque ou plaintif s'entend assez.

L'air comarchios ou bacchique avoit le premier rang parmi ceux que l'on joüoit dans les festins & dans les assemblées de débauches, auxquelles présidoit le dieu Comus.

L'air cépion empruntoit son nom de son auteur, eleve de Terpandre, qui s'étoit signalé dans les airs pour la flûte & pour la cithare; mais on ignore quel étoit le caractere distinctif de l'air cépionien.

L'air déios semble signifier un air craintif & timide.

Outre les airs de flûte que nous venons de donner, Olympe phrygien d'origine, composa sur cet instrument, à l'honneur d'Apollon, l'air appellé polycéphale ou à plusieurs têtes. Pindare en fait Pallas l'inventrice pour imiter les gémissemens des soeurs de Méduse, après que Persée lui eut coupé la tête. Comme les serpens qui couvroient la tête de Méduse étoient censés siffler sur differens tons, la flûte imitoit cette variété de sifflemens.

Les auteurs parlent aussi de l'air pharmatios, c'est - à - dire du char. Hésy chius prétend que cet air prit ce nom de son jeu, qui lui faisoit imiter la rapidité ou le son aigu du mouvement des roues d'un char.

L'air orthien est célebre dans Homere, dans Aristophane, dans Hérodote, dans Plutarque, & autres. La modulation en étoit élevée, & le rythme plein de vivacité, ce qui le rendoit d'un grand usage dans la guerre, pour encourager les troupes. C'est sur ce haut ton que crie la discorde dans Homere, pour exciter les Grecs au combat. C'étoit, comme nous le dirons bien - tôt, en joüant ce même air sur la flûte, que Timothée le thébain faisoit courir Alexandre aux armes. C'étoit, au rapport d'Hérodote, le nome orthien que chantoit Arion sur la poupe du vaisseau, d'où il se précipita dans la mer.

Enfin l'on met au nombre des principaux airs de flûte le cradias, c'est - à - dire l'air du figuier, qu'on joüoit pendant la marche des victimes expiatoires dans les thargélies d'Athenes; il y avoit dans ces fêtes deux victimes expiatoires qu'on frappoit pendant la marche avec des branches de figuier sauvage. Ainsi le nom de cradias est tiré de XRA/DH, branche de figuier.

Comme il n'étoit plus permis de rien changer dans le jeu des airs de flûte, soit pour l'harmonie, soit pour la cadence, & que les musiciens avoient grand soin de conserver à chacun de ces airs, le ton qui lui étoit propre; de - là vient qu'on appelloit leurs chants nomes, c'est - à - dire loi, modele, parce qu'ils avoient tous différens tons qui leur étoient affectés, & qui servoient de regles invariables, dont on ne devoit point s'écarter.

On eut d'autant plus de soin de s'y conformer, qu'on ne manqua pas d'attribuer à l'excellence de quelques - uns de ces airs, des effets surprenans pour animer ou calmer les passions des hommes. L'histoire nous en fournit quelques exemples, dont nous discuterons la valeur.

Pythagore, selon le témoignage de Boece, voyant un jeune étranger échauffé des vapeurs du vin, transporté de colere, & sur le point de mettre le feu à la maison de sa maîtresse, à cause d'un rival préféré, animé de plus par le son d'une flûte, dont on joüoit sur le mode phrygien; Pythagore, dis - je, rendit à ce jeune homme la tranquillité & son bon sens, en ordonnant seulement au musicien de changer de mode, & de joüer gravement, suivant la cadence marquée par le pié appellé spondée, comme qui diroit aujourd'hui sur la mesure dont l'on compose dans nos opéra les symphonies connues sous le nom de sommeils, si propres à tranquilliser & à endormir.

Galien raconte une histoire presque toute pareille, à l'honneur d'un musicien de Milet, nommé Damon. Ce sont de jeunes gens ivres, qu'une joüeuse de flûte a rendus furieux, en joüant sur le mode phrygien, & qu'elle radoucit, par l'avis de ce Damon, en passant du mode phrygien au mode dorien.

Nous apprenons de S. Chrysostome, qui Timothée joüant un jour de la flûte devant Alexandre le - Grand sur le mode orthien, ce prince courut aux armes aussi - tôt. Plutarque dit presque la même chose du joüeur de flûte Antigénide, qui, dans un repas, agita de telle maniere ce même prince, que s'étant levé de table comme un forcené, il se jetta sur ses armes, & mêlant leur cliquetis au son de la flûte, peu s'en fallut qu'il ne chargeât les convives.

Voilà ce que l'histoire nous a conservé de plus mémorable en faveur de la flûte des anciens: mais sans vouloir ternir sa gloire, comme ce n'est que sur des gens agités par les fumées du vin, que roulent presque tous les exemples qu'on allegue de ses effets, ils semblent par - là déroger beaucoup au merveilleux qu'on voudroit y trouver. Il ne faut aujourd'hui que le son aigu & la cadence animée d'un mauvais hautbois, soûtenu d'un tambour de basque, pour achever de rendre furieux des gens ivres, & qui commencent à se harceler. Cependant lorsque leur premier feu est passé, pour peu que le hautbois joue sur un ton plus grave, & ralentisse la mesure, on les verra tomber insensiblement dans le sommeil, auquel les vapeurs du vin ne les ont que trop disposés. Quelqu'un s'aviseroit - il, pour un semblable effet, de se recrier sur le charme & sur la perfection d'une telle musique? On me permettra de ne concevoir pas une idée beaucoup plus avantageuse de la flûte, ou, si l'on veut, du hautbois, dont Pythagore & Damon se servirent en pareils cas.

Les effets de la flûte de Timothée ou de celle d'Antigénide sur Alexandre, qu'ont - ils de si surprenant? N'est - il pas naturel qu'un prince jeune & belliqueux, extrèmement sensible à l'harmonie, & que le vin commence à échauffer, se leve brusquement de table, entendant sonner un bruit de guerre, prenne ses armes & se mette à danser la pyrrhique, qui étoit une danse impétueuse, où l'on faisoit tous les mouvemens militaires, soit pour l'attaque, soit pour la défense? Est - il nécessaire pour cela de supposer dans ces musiciens un art extraordinaire, ou dans leur flûte un si haut degré de perfection? On voit dans le festin de Seuthe, prince de Thrace, décrit par Xénophon, des Cérasontins sonner la charge avec des flûtes & des trompettes de cuir de boeuf crud; & Seuthe lui - même sortir de table en poussant un cri de guerre, & danser avec autant de vîresse & de legereté, que s'il eût été question d'éviter un dard. Jugera - t - on de - là que ces Cérasontins étoient d'excellens maîtres en Musique?

L'histoire parle d'un joüeur de harpe qui vivoit

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