ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"889"> par les pas inutiles qu'elles nous épargnent. Les méthodes qui les ont égarés, assez séduisantes pour les ébloüir, nous auroient trompés comme eux. Il étoit nécessaire qu'ils les tentassent, pour que nous en connussions les écueils. La difficulté est d'imaginer une autre méthode; mais souvent cette difficulté consiste plus à bien choisir celle qu'on suivra, qu'à la suivre quand elle est bien choisie. Entre les différentes routes qui menent à une vérité, les unes présentent une entrée facile, ce sont celles où l'on se jette d'abord; & si on ne rencontre des obstacles qu'après avoir parcouru un certain chemin, alors comme on ne consent qu'avec peine à avoir fait un travail inutile, on veut du moins paroître avoir surmonté ces obstacles, & on ne fait quelquefois que les éluder. D'autres routes au contraire ne présentent d'obstacles qu'à leur entrée, l'abord en peut être pénible; mais ces obstacles une fois franchis, le reste du chemin est facile à parcourir.

Il faut convenir au reste que les géometres qui ont attaqué M. Newton sur la résistance des fluides, n'ont guere été plus heureux que lui. Les uns après avoir fondé sur le calcul une théorie assez vague, & avoir même crû que l'expérience leur étoit favorable, semblent ensuite avoir reconnu & l'insuffisance de leurs expériences mêmes, & le peu de solidité de leur théorie, pour lui en substituer une nouvelle aussi peu satisfaisante. Les autres reconnoissant de bonne - foi que leur théorie manquoit par les fondemens, nous ont donné, au lieu de vrais principes, beaucoup de calculs.

Ces considérations m'ont engagé à traiter cette matiere par une méthode entierement nouvelle, & sans rien emprunter de ceux qui m'ont précédé dans le même travail.

La théorie que j'expose dans mon ouvrage, ou plûtôt dont je donne l'essai, a ce me semble l'avantage de n'être appuyée sur aucune supposition arbitraire. Je suppose seulement, ce que personne ne peut me contester, qu'un fluide est un corps composé de particules très - petites, détachées, & capables de se mouvoir librement.

La résistance qu'un corps éprouve lorsqu'il en choque un autre, n'est à proprement parler que la quantité de mouvement qu'il perd. Lorsque le mouvement d'un corps est altéré, on peut regarder ce mouvement comme composé de celui que le corps aura dans l'instant suivant, & d'un autre qui est détruit. Il n'est pas difficile de conclure de - là, que toutes les lois de la communication du mouvement entre les corps, se réduisent aux lois de l'équilibre. C'est aussi à ce principe que j'ai réduit la solution de tous les problèmes de Dynamique dans le premier ouvrage que j'ai publié en 1743. J'ai eu fréquemment l'occasion d'en montrer la fécondité & la simplicité dans les différens traités que j'ai mis au jour depuis; peut - être même ne seroit - il pas inutile pour nous éclairer jusqu'à un certain point sur la métaphysique de la percussion des corps, & sur les lois auxquelles elle est assujettie. V. Equilibre. Quoi qu'il en soit, ce principe s'applique naturellement à la résistance d'un corps dans un fluide; c'est aussi aux lois de l'équilibre entre le fluide & le corps, que je réduis la recherche de cette résistance. Mais il ne faut pas s'imaginer que cette recherche, quoique très - facilitée par ce moyen, soit aussi simple que celle de la communication du mouvement entre deux corps solides. Supposons en effet que nous eussions l'avantage dont nous sommes privés, de connoître la figure & la disposition mutuelle des particules qui composent les fluides; les lois de leur résistance & de leur action se réduiroient sans doute aux lois connues du mouvement: car la recherche du mouvement communiqué par un corps à un nombre quelconque de corpuscules qui l'environnent, n'est qu'un problème de Dynamique, pour la résolution duquel on a tous les principes nécessaires. Cependant plus le nombre de corpuscules seroit grand, plus le problème deviendroit compliqué, & cette - méthode par conséquent ne seroit guere praticable dans la recherche de la résistance des fluides. Mais - nous sommes même bien éloignés d'avoir toutes les données nécessaires, pour être à portée de faire usage d'une pareille méthode, comme il a déjà été dit. Non - seulement nous ignorons la figure & l'arrangement des parties des fluides, nous ignorons encore comment ces parties sont pressées par le corps, & comment elles se meuvent entr'elles. Il y a d'ailleurs une si grande différence entre le fluide & un amas de corpuscules solides, que les lois de la pression & de l'équilibre des solides sont très - différentes des lois de la pression & de l'équilibre des fluides; l'expérience seule a pû nous instruire de ces dernieres lois, que la théorie la plus subtile n'eût jamais pû nous faire soupçonner: & aujourd'hui même que l'observation nous les a fait connoître, on n'a pû trouver encore d'hypothèse satisfaisante pour les expliquer, & pour les réduire aux principes connus de la statique des solides.

Cette ignorance n'a cependant pas empêché que l'on n'ait fait de grands progrès dans l'Hydrostatique; car les Philosophes ne pouvant déduire immédiatement & directement de la nature des fluides les lois de leur équilibre, ils les ont au moins réduites à un seul principe d'expérience, l'égalité de pression en tout sins; principe qu'ils ont regardé (faute de mieux) comme la propriété fondamentale des fluides, & celle dont il falloit déduire toutes les autres. En effet condamnés comme nous le sommes, à ignorer les premieres propriétés & la contexture intérieure des corps, la seule ressource qui reste à notre sagacité, c'est de tâcher au moins de saisir dans chaque matiere l'analogie des phénomenes, & de les rappeller tous à un petit nombre de faits primitifs & fondamentaux. La nature est une machine immense, dont les ressorts principaux nous sont cachés: nous ne voyons même cette machine qu'à - travers un voile qui nous dérobe le jeu des parties les plus délicates. Entre les parties les plus frappantes que ce voile nous laisse appercevoir, il en est quelques - unes qu'un même ressort met en mouvement, & ce méchanisme est ce que nous devons principalement chercher à démêler.

Ne pouvant donc nous flater de déduire de la nature même des fluides, la théorie de leur résistance & de leur action, bornons - nous à la tirer, s'il est possible, des lois hydrostatiques, qui sont depuis long - tems bien constatées. La découverte purement expérimentale de ces lois supplée en quelque sorte à celle de la figure & de la disposition des parties des fluides, & peut - être rend le problème plus simple, que si pour le resoudre nous étions bornés à cette derniere connoissance; il ne s'agit plus que de développer par quel moyen les lois de la résistance des fluides, peuvent se déduire des lois de l'Hydrostatique. Mais ce détail demande une assez longue suite de propositions, dont je ne pourrois présenter ici qu'une esquisse fort imparfaite. Voy. Résistance. Je me contenterai de dire, que voulant démontrer tout en rigueur, j'ai trouvé dans les propositions même les plus simples, plus de difficultés qu'on n'auroit dû en soupçonner, & que ce n'a pas été sans peine que je suis parvenu à démontrer sur cette matiere les vérités les plus généralement connues, & les moins rigoureusement prouvées jusqu'ici. Mais après avoir pour ainsi dire sacrifié à la sûreté des principes la facilité dû calcul, je devois naturellement m'attendre que l'application du calcul à ces mêmes principes seroit fort pénible; & c'est aussi ce qui m'est arrivé: je ne voudrois pas même assûrer que du moins [p. 890] en certains cas la solution du problème dont il est question, ne se refusât entierement à l'analyse. C'est aux Savans à prononcer sur ce point; je croirois avoir travaillé fort utilement, si j'étois parvenu dans une matiere si difficile, soit à fixer moi - même, soit à faire trouver à d'autres jusqu'où peut aller la théorie, & les limites où elle est forcée de s'arrêter.

Quand je parle ici des bornes que la théorie doit se prescrire, je ne l'envisage qu'avec les secours actuels qu'elle peut se procurer, non avec ceux dont elle pourra s'aider dans la suite, & qui sont encore à trouver: car en quelque matiere que ce soit, on ne doit pas trop se hâter d'élever entre la nature & l'esprit humain un mur de séparation. Pour avoir appris à nous méfier de notre industrie, il ne faut pas nous en méfier avec excès. Dans l'impuissance fréquente que nous éprouvons de surmonter tant d'obstacles qui se présentent à nous, nous serions sans doute trop heureux, si nous pouvions au moins juger du premier coup - d'oeil jusqu'où nos efforts peuvent atteindre. Mais telle est tout à - la - fois le force & la foiblesse de notre esprit, qu'il est souvent aussi dangereux de prononcer sur ce qu'il ne peut pas que sur ce qu'il peut. Combien de découvertes modernes dont les anciens n'avoient pas même l'idée? Combien de découvertes perdues, que nous contesterions peut - être trop legerement? & combien d'autres que nous jugerions impossibles, sont reservées pour notre postérité?

Voilà les vûes qui m'ont guidé, & l'objet que je me suis proposé dans mon ouvrage qui a pour titre: Essai d'une nouvelle théorie de la résistance des fluides. Pour rendre mes principes encore plus dignes de l'attention des Physiciens & des Géometres, j'ai crû devoir indiquer en peu de mots, comment ils peuvent s'appliquer à différentes questions, qui ont un rapport plus ou moins immédiat à la matiere que je traite; telles que le mouvement d'un fluide qui coule soit dans un vase, soit dans un canal quelconque; les oscillations d'un corps qui flote sur un fluide, & d'autres problèmes de cette espece.

J'aurois desiré pouvoir comparer ma théorie de la résistance des fluides, aux expériences que plusieurs physiciens célebres ont faites pour la déterminer: mais après avoir examiné ces expériences, je les ai trouvées si peu d'accord entr'elles, qu'il n'y a ce me semble encore aucun fait suffisamment constaté sur ce point. Il n'en faut pas davantage pour montrer combien ces expériences sont délicates; aussi quelques personnes très - versées dans cet art, ayant entrepris depuis peu de les recommencer, ont presque abandonné ce projet par les difficultés de l'exécution. La multitude des forces, soit actives, soit passives, est ici compliquée à un tel degré, qu'il paroît presque impossible de déterminer séparément l'effet de chacune; de distinguer, par exemple, celui qui vient de la force d'inertie d'avec celui qui résulte de la tenacité, & ceux - ci d'avec l'effet que peut produire la pesanteur & le frotement des particules: d'ailleurs quand on auroit démêié dans un seul cas les effets de chacune de ces forces, & la loi qu'elles suivent, seroit - on bien fondé à conclure, que dans un cas où les particules agiroient tout autrement, tant par leur nombre que par leur direction, leur disposition & leur vîtesse, la loi des effets ne seroit pas toute différente? Cette matiere pourroit bien être du nombre de celles où les expériences faites en petit n'ont presque aucune analogie avec les expériences faites en grand, & les contredisent même quelquefois, où chaque cas particulier demande presqu'une expérience isolée, & où par conséquent les résultats généraux sont toûjours très - fautifs & très - imparfaits.

Enfin la difficulté fréquente d'appliquer le calcul à la théorie, pourra rendre souvent presque impraticable la comparaison de la théorie & de l'expérience: je me suis donc borné à faire voir l'accord de mes principes avec les faits les plus connus, & les plus généralement avoüés. Sur tout le reste, je laisse encore beaucoup à faire à ceux qui pourront travailler d'après mes vûes & mes calculs. On trouvera peut - être ma sincérité fort éloignée de cet appareil, auquel on ne renonce pas toûjours en rendant compte de ses travaux; mais c'est à mon ouvrage seul à se donner la place qu'il peut avoir. Je ne me flate pas d'avoir poussé à sa perfection une théorie que tant de grands hommes ont à peine commencée. Le titre d'essai que je donne à cet ouvrage, répond exactement à l'idée que j'en ai: je crois être au moins dans la véritable route; & sans oser apprétier le chemin que je puis y avoir fait, j'applaudirai volontiers aux efforts de ceux qui pourront aller plus loin que moi; parce que dans la recherche de la vérité, le premier devoir est d'être juste. Je crois encore pouvoir donner aux Géometres, qui dans la suite s'appliqueront à cette matiere, un avis que je prendrai le premier pour moi - même; c'est de ne pas ériger trop legerement des formules d'algebre en vérités ou propositions physiques. L'esprit de calcul qui a chassé l'esprit de systeme, regne peut - être un peu trop à son tour: car il y a dans chaque siecle un goût de philosophie dominant; ce gout entraîne presque toûjours quelques préjugés, & la meilleure philosophie est celle qui en a le moins à sa suite. Il seroit mieux sans doute qu'elle ne fût jamais assujettie à aucun ton particulier; les différentes connoissances acquises par les Savans en auroient plus de facilité pour se rejoindre & former un tout. Mais c'est un avantage que l'on ne peut guere espérer. La Philosophie prend, pour ainsi dire, la teinture des esprits où elle se trouve. Chez un métaphysicien, elle est ordinairement toute systématique; chez un géometre, elle est souvent toute de calcul. La méthode du dernier, à parler en général, est sans doute la plus sûre; mais il ne faut pas en abuser, & croire que tout s'y réduise: autrement nous ne ferions de progrès dans la Géométrie transcendante que pour être à proportion plus bornés sur les vérités de la Physique. Plus on peut tirer d'utilité de l'application de celle - là à celle - ci, plus on doit être circonspect dans cette application. Voy. Application. Voyez aussi l'article Résistance, & la préface de mon Essai d'une nouvelle théorie de la résistance des fluides, d'où ces réflexions sont tirées. On y trouvera un plus grand détail sur cet objet; car il est tems de mettre fin à cet article. (O)

FLUIDITÉ (Page 6:890)

FLUIDITÉ, s. f. en Physique, est cette propriété, cette affection des corps, qui les fait appeller ou qui les rend fluides. Voyez Fluide.

Fluidité est directement opposée à solidité. Voyez Solidité.

Fluidité est distinguée d'humidité, en ce que l'idée de la premiere propriété est absolue, au lieu que l'idée de la derniere est relative, & renferme l'idée d'adhérence à notre corps, c'est - à - dire de quelque chose qui excite ou peut exciter en nous la sensation de moiteur, qui n'existe que dans nos sens. Ainsi les métaux fondus, l'air, la matiere éthérée, sont des corps fluides, mais non humides; car leurs parties sont seches, & n'impriment aucun sentiment de moiteur. Il est bon de remarquer que liquide & humide ne sont pas absolument la même chose; le mercure, par exemple, est liquide sans être humide. Voyez Liquide & Humide.

Enfin liquide & fluide ne sont pas non plus absolument synonymes; l'air est un fluide sans être un liquide. &c. Voyez la fin de cet article.

Les Gassendistes & les anciens philosophes corpusculaires ne supposent que trois conditions essen<pb->

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