ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"887"> fluides, finon qu'on doit regarder un fluide comme un amas de petits corpuscules élastiques qui se pressent les uns les autres, & que la conservation des forces vives a lieu, de l'aveu de tout le monde, dans le choc d'un système de corps de cette espece. Il me semble qu'une pareille preuve ne doit pas être regardée comme d'une grande force: aussi l'auteur paroîtil ne l'avoir donnée que comme une induction, & ne l'a même rappellée en aucune maniere dans son grand ouvrage sur les fluides, qui n'a vû le jour que plusieurs années après. Il paroît donc qu'il étoit nécessaire de prouver d'une maniere plus claire & plus exacte le principe dont il s'agit, appliqué aux fluides. Mais c'est ce qu'on ne peut faire sans calcul; & sur quoi nous renvoyons à notre ouvrage, qui a pour titre, traité de l'équilibre & du mouvement des fluides.

Les principes dont je me suis servi pour déterminer le mouvement des fluides non élastiques, s'appliquent avec une extrème facilité aux lois du mouvement des fluides élastiques.

Le mouvement d'un fluide élastique differe de celui d'un fluide ordinaire, principalement par la loi des vîtesses de ses différentes couches. Ainsi, par exemple, lorsqu'un fluide non élastique coule dans un tuyau cylindrique, comme il ne change point de volume, ses différentes tranches ont toutes la même vîtesse. Il n'en est pas de même d'un fluide élastique. Car s'il ne se dilate que d'un côté, les tranches inférieures se meuvent plus vîte que les supérieures, àpeu - près comme il arrive à un ressort attaché à un point fixe, & dont les parties parcourent en se dilatant moins d'espace qu'elles sont plus proches de ce point. Telle est la différence principale qu'il doit y avoir dans la théorie du mouvement des fluides élastiques & de ceux qui ne le sont pas. La méthode pour trouver les lois de leur mouvement, & les principes qu'on employe pour cela, sont d'ailleurs entierement semblables.

C'est aussi en suivant cette même méthode, que l'on peut examiner le mouvement des fluides dans des tuyaux flexibles.

Je suis au reste bien éloigné de penser que la théorie que l'on peut établir sur le mouvement des fluides dans ces sortes de tuyaux, puisse nous conduire à la connoissance de la méchanique da corps humain, de la vîtesse du sang, de son action sur les vaisseaux dans lesquels il circule, &c. Il faudroit pour réussir dans une telle recherche, savoir exactement jusqu'à quel point les vaisseaux peuvent se dilater, connoître parfaitement leur figure, leur élasticité plus ou moins grande, leurs différentes anastomoses, le nombre, la force & la disposition de leurs valvules, le degré de chaleur & de tenacité du sang, les forces motrices qui le poussent, &c. Encore quand chacune de ces choses seroit parfaitement connue, la grande multitude d'élémens qui entreroient dans une pareille théorie, nous conduiroit vraissemblablement à des calculs impraticables. C'est en effet ici un des cas les plus composés d'un problème dont le cas le plus simple est fort difficile à résoudre. Lorsque les effets de la nature sont trop compliqués & trop peu connus pour pouvoir être soûmis à nos calculs, l'expérience, comme nous l'avons déjà dit, est le seul guide qui nous reste: nous ne pouvons nous appuyer que sur des inductions déduites d'un grand nombre de faits. Voilà le plan que nous devons suivre dans l'examen d'une machine aussi composée que le corps humain. Il n'appartient qu'à des physiciens oisifs de s'imaginer qu'à force d'algebre & d'hypothèses, ils viendront à - bout d'en dévoiler les ressorts, & de réduire en calcul l'art de guérir les hommes.

Ces réflexions sont tirées de la préface de l'ouvrage déjà cité, sur l'équilibre & le mouvement des fluides; afin de ne point rendre cet article trop long, nous renvoyons pour les réflexions que cette matiére peut fournir encore, aux mots Hydrostatique, Hydraulique, Hydrodynamique , à l'article Figure de la Terre , à l'ouvrage de M. Clairaut, sur ce même objet, & à l'ouvrage que nous avons donné en 1752, qui a pour titre, essai d'une nouvelle théorie de la résistance des fluides. On trouvera dans le chap. ij. de cet ouvrage, & sur - tout dans l'appendice à la fin du livre, des réflexions que je crois neuves & importantes sur les lois de l'équilibre des fluides, considéré sur - tout par rapport à la figure de la Terre; on trouvera aussi dans les chap. jx. & x. de ce même ouvrage, des recherches sur le mouvement des fluides dans des vases, & sur celui des fleuves.

Après avoir donné une idée de la méthode pour trouver les lois du mouvement des fluides, il ne nous reste plus qu'à examiner leur action sur les corps solides qui y sont plongés, & qui s'y meuvent.

Quoique la physique des anciens ne fût, ni aussi déraisonnable, ni aussi bornée que le pensent ou que le disent quelques philosophes modernes, il paroît cependant qu'ils n'étoient pas fort versés dans les Sciences qu'on appelle Physico - Mathématiques, & qui consistent dans l'application du calcul aux phénomenes de la nature. La question de la résistance des fluides est une de celles qu'ils paroissent avoir le moins étudiées sous ce point de vûe. Je dis sous ce point de vûe; car la connoissance de la résistance des fluides étant d'une nécessité absolue pour la construction des navires qu'ils avoient peut - être poussée plus loin que nous, il est difficile de croire que cette connoissance leur ait manqué jusqu'à un certain point: l'expérience leur avoit sans doute fourni des regles pour déterminer le choc & la pression des eaux; mais ces regles, d'usage seulement & de pratique, & pour ainsi dire de pure tradition, ne sont point parvenues jusqu'à nous.

A l'égard de la théorie de cette résistance, il n'est pas surprenant qu'ils l'ayent ignorée. On doit même, s'il est permis de parler ainsi, leur tenir compte de leur ignorance, de n'avoir point voulu atteindre à ce qu'il leur étoit impossible de savoir, & de n'avoir point cherché à faire croire qu'ils y étoient parvenus. C'est à la plus subtile Géométrie, qu'il est permis de tenter cette théorie; & la géométrie des anciens, d'ailleurs très - profonde & très - savante, ne pouvoit aller jusque - là. Il est vraissemblable qu'ils l'avoient senti; car leur méthode de philosopher étoit plus sage que nous ne l'imaginons communément. Les géometres modernes ont sù se procurer à cet égard plus de secours, non parce qu'ils ont été supérieurs aux anciens, mais parce qu'ils sont venus depuis. L'invention des calculs différentiel & intégral nous a mis en état de suivre en quelque maniere le mouvement des corps jusque dans leurs élémens ou dernieres particules. C'est avec le secours seul de ces calculs, qu'il est permis de pénétrer dans les fluides, & de découvrir le jeu de leurs parties, l'action qu'exercent les uns sur les autres ces atomes innombrables dont un fluide est composé, & qui paroissent tout à la fois unis & divisés, dépendans & indépendans les uns des autres. Aussi le méchanisme intérieur des fluides, si peu analogue à celui des corps solides que nous touchons, & sujet à des lois toutes différentes, devroit être pour les Philosophes un objet particulier d'admiration, si l'étude de la nature, des phénomenes les plus simples, des élémens même de la matiere, ne les avoit accoûtumés à ne s'étonner de rien, ou plûtôt à s'étonner également de tout. Aussi peu éclairés que le peuple sur la nature des objets qu'ils considerent, ils n'ont & ne peuvent avoir d'avantage que dans la combinaison qu'ils font du peu de principes qui leur sont connus, & les conséquences qu'ils en tirent; & c'est dans cette espece [p. 888] d'analyse que les Mathématiques leur sont utiles. Cependant avec ce secours même, la recherche de la résistance des fluides est encore si difficile, que les efforts des plus grands hommes se sont terminés jusqu'ici à nous en donner une legere ébauche.

Après avoir refléchi long - tems sur une matiere si importante, avec toute l'attention dont je suis capable, il m'a paru que le peu de progrès qu'on a fait jusqu'à présent dans cette question, vient de ce qu'on n'a pas encore saisi les vrais principes d'après lesquels il faut la résoudre: j'ai crû devoir m'appliquer à chercher ces principes, & la maniere d'y appliquer le calcul, s'il est possible; car il ne faut point confondre ces deux objets, & les géometres modernes semblent n'avoir pas été assez attentifs sur ce point. C'est souvent le desir de pouvoir faire usage du calcul qui les détermine dans le choix des principes; au lieu qu'ils devroient examiner d'abord les principes en eux - mêmes, sans penser d'avance à les plier de force au calcul. La Géométrie, qui ne doit qu'obéir à la Physique quand elle se réunit avec elle, lui commande quelquefois: s'il arrive que la question qu'on veut examiner soit trop compliquée pour que tous les élémens puissent entrer dans la comparaison analytique qu'on veut en faire, on sépare les plus incommodes, on leur en substitue d'autres moins gênans, mais aussi moins réels; & on est étonné d'arriver, après un travail pénible, à un résultat contredit par la nature; comme si après l'avoir déguisée, tronquée ou altérée, une combinaison purement méchanique pouvoit nous la rendre.

Je me suis proposé d'éviter cet inconvénient dans l'ouvrage que j'ai publié en 1752 sur la résistance des fluides. J'ai cherché les principes de cette résistance, comme si l'analyse ne devoit y entrer pour rien; & ces principes une fois trouvés, j'ai essayé d'y appliquer l'analyse. Mais avant que de rendre compte de mon travail & du degré auquel je l'ai poussé, il ne sera pas inutile d'exposer en peu de mots ce qui a été fait jusqu'à présent sur cette matiere.

Newton, à qui la Physique & la Géométrie sont si redevables, est le premier que je sache, qui ait entrepris de déterminer par les principes de la Méchanique, la résistance qu'éprouve un corps mû dans un fluide, & de confirmer sa théorie par des expériences. Ce grand philosophe, pour arriver plus facilement à la solution d'une question si épineuse, & peut - être pour la présenter d'une maniere plus générale, envisage un fluide sous deux points de vûe différens. Il le regarde d'abord comme un amas de corpuscules élastiques, qui tendent à s'écarter les uns des autres par une force répulsive, & qui sont disposés librement à des distances égales. Il suppose outre cela que cet amas de corpuscules, qui compose le milieu résistant, ait fort peu de densité par rapport à celle du corps, ensorte que les parties du fluide poussées par le corps, puissent se mouvoir librement, sans communiquer aux parties voisines le mouvement qu'elles ont reçû; d'après cette hypothèse, M. Newton trouve & démontre les lois de la résistance d'un tel fluide; lois assez connues pour que nous nous dispensions de les rapporter ici.

Le célebre Jean Bernoulli, dans son ouvrage qui a pour titre, discours sur les lois de la communication du mouvement, a déterminé dans la même supposition la résistance des fluides; il représente cette résistance par une formule assez simple, qui a été démontrée & généralisée depuis; mais il faut avoüer que cette formule est insuffisante. Dans tous les fluides que nous connoissons, les particules sont immëdiatement contiguës par quelques - uns de leurs points, ou du moins agissent les unes sur les autres à - peu - près comme si elles l'étoient; ainsi tout corps mû dans un fluide, pousse nécessairement à - la - fois & au même instant un grand nombre de particules situées dans la même ligne, & dont chacune reçoit une vîtesse & une direction différente, eu égard à sa situation: il est donc extrèmement difficile de déterminer le mouvement communiqué à toutes ces particules, & par conséquent le mouvement que le corps perd à chaque instant.

Ces réflexions n'avoient pas échappé à M. Newton; il reconnoît que sa théorie de la résistance d'un fluide composé de globules élastiques clair - semés, s'il est permis de s'exprimer de la sorte, ne peut s'appliquer ni aux fluides denses & continus dont les particules se touchent immédiatement, tels que l'eau, l'huile, & le mercure; ni aux fluides dont l'élasticité vient d'une autre cause que de la force répulsive de leurs parties, par exemple de la compression & de l'expansion de ces parties, tel que paroît être l'air que nous respirons. Une considération si nécessaire, à laquelle M. Newton en ajoûte d'autres non moins importantes, doit nous faire conclure que cette premiere partie de sa théorie, & celle de M. Jean Bernoulli qui n'en est proprement que le commentaire, sont plûtôt une recherche de pure curiosité, qu'elles ne sont applicables à la nature.

Aussi l'illustre philosophe anglois n'a pas crû devoir s'en tenir - là. Il considere les fluides dans l'état de continuité & de compression où ils sont réellement, composés de particules contiguës les unes aux autres; & c'est le second point de vûe sous lequel il les envisage. La méthode qu'il employe dans cette nouvelle hypothèse, pour resoudre le problème proposé est une espece d'approximation & de tâtonnement dont il seroit difficile de donner ici l'idée. Nous en dirons autant de la maniere ingénieuse & fine dont M. Newton déduit de sa théorie la résistance d'un cylindre & d'un globe, ou en général d'un sphéroïde dans un fluide indéfini; & nous nous bornerons à dire, qu'après assez de combinaisons & de calculs il parvient à cette conclusion, que dans un fluide dense & continu, la valeur absolue de la résistance & le rapport de la résistance de deux corps, sont tout autres que dans le fluide à globules élastiques de la premiere hypothèse.

Mais cette seconde théorie de M. Newton, quoique plus conforme à la nature des fluides, est sujette encore à beaucoup de difficultés. Nous ne les exposerons point ici en détail, elles supposeroient pour être entendues, qu'on eût une idée fort présente de cette théorie, idée que nous n'avons pû donner ici; mais l'on trouvera assez au long dans notre ouvrage & l'exposition de la théorie newtonienne, & les objections qu'on y peut opposer: c'est l'objet particulier d'une introduction qui doit se trouver à la tête, & dont ces réflexions ne sont qu'un extrait. Il nous suffira d'observer ici que la théorie dont nous parlons, manque sans doute de l'évidence & de la précision nécessaire pour convaincre l'esprit, puisqu'elle a été attaquée plusieurs fois & avec succès par les plus habiles géometres. Il n'en faut pas moins admirer les efforts & la sagacité de ce grand philosophe, qui après avoir trouvé si heureusement la vérité dans un grand nombre d'autres questions, a osé entreprendre le premier la solution d'un problème, que personne avant lui n'avoit tenté. Aussi cette solution, quoique peu exacte, brille par - tout de ce génie inventeur, de cet esprit fécond en ressources que personne n'a possédé dans un plus haut degré que lui.

Aidés par les secours que la Géométrie & la Méchanique nous fournissent aujourd'hui en plus grande abondance, est - il surprenant que nous fassions quelque pas de plus dans une carriere vaste & difficile qu'il nous a ouverte? Les erreurs même des grands hommes sont instructives, non - seulement par les vûes qu'elles fournissent pour l'ordinaire, mais

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