ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"766"> à - peu - près comme celui dont le corps est gêné dans un endroit, cherche continuellement une place qui le satisfasse.

La métaphore paroît dûe évidemment à la grossiereté de la conception, de même que le pléonasme tire son origine du manque de mots. Les premiers hommes étant simples, grossiers & plongés dans les sens, ne pouvoient exprimer leur conception des idées abstraites, & les opérations réfléchies de l'entendement, qu'à l'aide des images sensibles, qui, au moyen de cette application, devenoient métaphores.

Telle est l'origine des figures; & la chose est si vraie, que quiconque voudra faire attention au peuple dans son langage, il le verra presque toûjours porté à parler figurément. Ces expressions, une maison triste, une campagne riante, le froid d'un discours, le feu des yeux, sont dans la bouche de ceux qui courent le moins après les métaphores, & qui ne savent pas même ce que c'est qu'une métaphore.

Nous parlons naturellement un langage figuré, lorsque nous sommes animés d'une violente passion. Quand il est de notre intérêt de persuader aux autres ce que nous pensons, & de faire sur eux une impression pareille à celle dont nous sommes frappés, la nature nous dicte & nous inspire son langage: alors toutes les figures de l'art oratoire, que les Rhéteurs ont revêtu de tant de noms pompeux, ne sont que des façons de parler très - communes, que nous prodiguons sans aucune connoissance de la Rhétorique; ainsi le langage figuré n'est que le langage de la simple nature, appliqué aux circonstances où nous le devons parler.

Dans le trouble d'une passion violente, il s'éleve en nous un nuage qui nous fait paroître les objets, non tels qu'ils sont en effet, mais tels que nous les voulons voir; c'est - à - dire ou plus grands & plus admirables, ou plus petits & plus méprisables, suivant que nous sommes emportés par l'amour ou par la haine. Quand l'amour nous anime, tout est merveilleux à nos yeux; & tout devient horreur quand la haine nous transporte. Nous voulons intéresser à notre cause tous les êtres éloignés, présens, absens, sensibles ou inanimés; & comme nos connoissances ont enrichi nos langues, nous appellons ces êtres en grand nombre, nous leur parlons, & nous les comparons ensemble, par l'habitude où nous sommes de juger de tout par comparaison. A ces mouvemens divers, qui se succedent rapidement & sans ordre, répond un discours plein de ces tours qu'on nomme hyperboles, similitudes, prosopopées, hyperbates, c'est - à - dire plein de toutes les figures, soit de mots, soit de pensées. Ce langage nous est utile, parce qu'il est propre à persuader les autres; il est propre à les persuader, parce qu'il leur plaît; il leur plaît, parce qu'il les échauffe & les remue, en ne leur présentant que des peintures vivantes, & leur donnant le plaisir de juger de la vérité des images: ainsi c'est dans la nature qu'on doit chercher l'origine du style figuré; & dans l'imitation, la source du plaisir qu'il nous cause.

Pourquoi les mêmes pensées nous paroissent - elles beaucoup plus vives quand elles sont exprimées par une figure, que si elles étoient enfermées dans des expressions toutes simples? Cela vient de ce que les expressions figurées marquent, outre la chose dont il s'agit, le mouvement & la passion de celui qui parle, & impriment ainsi l'une & l'autre idée dans l'esprit; au lieu que l'expression simple ne marque que la vérité toute nue. Par exemple, si ce demi - vers de Virgile, usque adeò ne mori miserum? étoit exprimé sans figure, de cette sorte, non est usque adeò mori miserum, il auroit sans doute beaucoup moins de force. La raison est que la premiere construction signifie beaucoup plus que la seconde; car elle exprime non - seulement cette pensée, que la mort n'est pas un si grand mal que l'on s'imagine, mais elle représente de plus l'idée d'une personne qui se roidit contre la mort, & qui l'envisage sans effroi; image beaucoup plus vive que n'est la pensée même à laquelle elle est jointe: il n'est donc pas étrange qu'elle frappe davantage, parce que l'ame s'instruit par les images des vérités, mais elle ne s'émeut guere que par l'image des mouvemens.

Au reste les figures, après avoir tiré leur premiere origine de la nature, des bornes d'un langage simple, & de la grossiereté des conceptions, ont contribué dans la suite à l'ornement du discours, de même que les habits, qu'on a cherché d'abord par la nécessité de se couvrir, ont avec le tems servi de parure. La conduite de l'homme a toûjours été de changer ses besoins & ses nécessités en parade & en luxe, toutes les fois qu'il a pû le faire. Les figures devinrent l'ornement du discours, quand les hommes eurent acquis des connoissances assez étendues des Arts & des Sciences, pour en tirer des images qui, sans nuire à la clarté, étoient aussi riantes, aussi nobles, aussi sublimes que la matiere le demandoit. Enfin, comme on abuse de tout, on crut trouver de grandes beautés à surcharger le style d'ornemens; pour lors le fonds ne devint plus que l'accessoire, & l'art tomba dans la décadence.

Il est certain néanmoins que l'emploi des figures bien ménagé, décore le discours, l'anime, le soûtient, lui donne de l'élévation, touche le coeur, réveille l'esprit, l'ébranle & le frappe vivement. La Poésie sur - tout est en possession de s'en servir, elle a droit d'en étendre l'usage plus loin que la prose; elle peut enfin personnifer noblement les choses inanimées. Aristote, Cicéron, Quintilien, Longin; &, pour nommer encore de plus grands maîtres, le goût & le génie, vous apprendront l'art de placer les figures, de les diversifier, de les multiplier à - propos, de les cacher, de les négliger, de les omettre, &c. Tout cela n'est point de mon sujet; je me contenterai seulement de remarquer que comme les figures signifient ordinairement avec les choses, les mouvemens que nous ressentons en les recevant & en parlant, on peut juger assez bien par cette regle générale, de l'usage que l'on doit en faire, & des sujets auxquels elles sont propres. Il est visible qu'il est ridicule de s'en servir dans les matieres que l'on regarde d'un oeil tranquille, & qui ne produisent aucun mouvement dans l'esprit; car puisque les figures expriment les mouvemens de notre ame, celles que l'on met dans les sujets où l'ame ne s'émeut point, sont des mouvemens contre nature, & des especes de convulsions. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Figure (Page 6:766)

Figure, terme de Rhétorique, de Logique & de Grammaire. Ce mot vient de fingere, dans le sens d'efformare, componere, former, disposer, arranger. C'est dans ce sens que Scaliger dit que la figure n'est autre chose qu'une disposition particuliere d'un ou de plusieurs mots: nihil aliud est figura quàm termini aut terminorum dispositio. Scal. exercit. lxj. c. j. A quoi on peut ajoûter, 1°. que cette disposition particuliere est relative à l'état primitif & pour ainsi dire fondamental des mots ou des phrases. Les différens écarts que l'on fait dans cet état primitif, & les différentes altérations qu'on y apporte, font les différentes figures de mots & de pensées. C'est ainsi qu'en Grammaire les divers modes & les différens tems des verbes supposent toûjours le thème du verbe, c'est - à - dire la premiere personne de l'indicatif; TU/WTW est le thème de ce verbe. Ainsi les mots & les phrases sont pris dans leur état simple, lorsqu'on les prend selon leur premiere destination, & qu'on ne leur donne aucun de ces tours ou caracteres singuliers qui s'éloi<pb-> [p. 767] gnent de cette premiere destination, & qu'on appelle figures.

Je vais faire entendre ma pensée par des exemples: selon la construction simple & nécessaire, pour dire en latin ils ont aimé, on dit amaverunt; si au lieu d'amaverunt vous dites amerunt, vous changez l'état original du mot, vous vous en écartez par une figure qu'on appelle syncope: c'est ainsi qu'Horace a dit evasti pour evasisii, II. satyre vij. v. 68. Au contraire, si vous ajoutez une syllabe que le mot n'a point dans son état primitif, & qu'au lieu de dire amari, être aimé, vous disiez amarier, vous faites une figure qu'on appelle paragoge.

Autre exemple: ces deux mots Céres & Bacchus sont les noms propres & primitifs de deux divinités du paganisme; ils sont pris dans le sens propre, c'est - à - dire, selon leur premiere destination, lorsqu'ils signifient simplement l'une ou l'autre de ces divinités: mais comme Cérès étoit la déesse du blé & Bacchus le dieu du vin, on a souvent pris Cérès pour le pain & Bacchus pour le vin; & alors les adjoints ou les circonstances font connoître que l'esprit considere ces mots sous une nouvelle forme, sous une autre figure, & l'on dit qu'ils sont pris dans un sens figuré: il y a un grand nombre d'exemples de cette acception, sous lesquels les noms de Cérès & de Bacchus sont pris, sur - tout en latin; ce que quelques-uns de nos poëtes ont imité. Madame des Houllieres a pris pour refrein d'une ballade,

L'amour languit sans Bacchus & Cérès.
c'est - à - dire, qu'on ne songe guere à faire l'amonr quand or n'a pas dequoi vivre: cette figure s'appelle métonymie.

I. Les figures sont distinguées l'une de l'autre par une conformation particuliere ou caractere propre qui fait leur différence; c'est la considération de cette différence qui leur a fait donner à chacune un nom particulier.

Nous sommes accoûtumés à donner des noms tant aux êtres réels qu'aux êtres métaphysiques, c'est une suite de la réflexion que nous faisons sur les différentes vûes de notre esprit: ces noms nous servent à rendre, pour ainsi dire, sensibles les objets métaphysiques qu'ils signifient, & nous aident à mettre de l'ordre & de la précision dans nos pensées.

II. Le mot de figure est pris ici dans un sens méraphysique & par imitation; car comme tous les corps, outre leur étendue, ont chacun leur figure ou conformation particuliere, & que lorsqu'ils viennent à en changer, on dit qu'ils ont changé de figure; de même tous les mots construits ont d'abord la propriété générale qui consiste à signifier un sens, en vertu de la construction grammaticale; ce qui convient à toutes les phrases & à tous les assemblages de mots construits; mais de plus, les expressions figurées ont encore chacune une modification singuliere qui leur est propre, & qui les distingue l'une de l'autre. On ne sauroit croire jusqu'à quel point les Grammairiens & les Rhéteurs ont multiplié leurs observations, & par conséquent les noms de ces figures. Il est, ce me semble, assez inutile de charger la mémoire du détail de ces différens noms; mais on doit connoître les différentes sortes ou especes de figures, & savoir les noms de celles de chaque espece qui sont le plus en usage.

Il y a d'abord deux especes générales de figures; 1°. figures de mots; 2°. figures de pensées: la différence qui se trouve entre ces deux sortes de figures, est bien sensible.

« Si vous changez le mot, dit Cicéron, vous ôtez la figure du mot, au lieu que la figure de pensée subsiste toûjours, quels que soient les mots dont vous vous serviez pour l'énoncer:» conformatio verborum tollitur, si verba mutatis; sententiarum permanet, qui<cb-> buscnnque verbis uti velis. De Orat, lib. III. c. lij. Par exemple, si en parlant d'une flotte, vous dites qu'elle est composée de cent voiles, vous faites une figure de mots; substituez vaisseaux à voiles, il n'y a plus de figure.

Les figures de mots tiennent done essentiellement au materiel des mots; au lieu que les figures de pensées n'ont besoin des mots que pour être énoncées; elles sont essentiellement dans l'ame; & consistent dans la forme de la pensée, & dans l'espece du sentiment.

A l'égard des figures de mots, il y en a de quatre sortes. I. par rapport au matériel du mot, c'est - à - dire par rupport aux changemens qui arrivent aux lettres ou sons dont les mots sont composés: on les appelle figures de diction.

II. Ou par rapport à la construction grammaticale; on les appelle figures de construction.

III. La troisieme classe de figures de mots, ce sont celles qu'on appelle tropes, par rapport au changement qui arrive alors à la signification du mot; c'est lorsqu'on donne à un mot un sens différent de celui pour lequel il a été premierement établi; TROWH\, conversio; TRI/PW, verto.

IV. La quatrieme sorte de figure de mots, ce sont celles qu'on ne sauroit ranger dans la classe des tropes, puisque les mots y conservent leur premiere signification: on ne peut pas dire non plus que ce sont des figures de pensées, puisque ce n'est que par les mots & les syllabes, & non par la pensée, qu'elles sont figures, c'est - à - dire, qu'elles ont cette conformation particuliere qui les distingue des autres façons de parler.

Donnons des exemples de chacune de ces figures de mots, ou du moins des principales de chaque espece.

Des figures de diction qui regardent le matériel du mot. Les altérations qui arrivent au matériel d'un mot se font en cinq manieres différentes; 1°. ou par augmentation; 2°. ou par diminution de quelque lettre, ou du son; 3°. par transposition de lettres ou de syllabes; 4°. par la séparation d'une syllabe en deux; 5°. par la réunion de deux syllabes en une.

I. Par augmentation ou pléonasme; ce qui se fait au commencement du mot, ou au milieu, ou â la fin.

1°. L'augmentation qui se fait au commencement du mot est appellée prosthêse, WRO\S2QESIS2, comme gnatus pour natus, vesper, du grec E)SWEROS2.

2°. Celle du milieu est appellée épenthèse, E)WE/NQESIS2, relligio pour religio; Mavors au lieu de Mars; induperator pour imperator.

3°. Celle de la fin, paragoge, WARMGWGH/, comme amarier au lieu d'amari.

II. Le retranchement se fait de même.

1°. Au commencement, & on l'appelle aphérese, A)FAI/RESIS2, comme dans Virgile temere pour contemnere.

Discite justitiam moniti, & non temnere divos. AEneïd. VI. v. 620.

2°. Au milieu, & on le nomme syncope, SUGKOPH\, amarit pour amaverit, scuta virûm pour virorum.

3°. A la fin du mot. on le nomme apocope, A)POKOPH/, negotî pour negotii, cura peculi, pour peculii.

Nee spes libertatis erat, nec cura peculi. Virg. Ecl. I. v. 34.

III. La transposition de lettres ou de syllabes est appellée metathèse, META/QESIS2, c'est ainsi que nous disons Hanovre pour Hanover.

IV. La séparation d'une syllabe en deux est appellée dierèse, DIAI/RESIS2, comme aulaï de trois syllabes au lieu d'auloe, vitaï pour vitoe; & dans Tibulle dissoluenda pour dissolvenda. En françois Laïs, nom propre, est de deux syllabes, & dans les freres - lais, ce mot n'est que d'une syllabe; & de même Créüse, nom propre de trois syllabes, creuse, adjectif femi<pb->

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