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Cet abus étoit monté au comble au tems dont nous parlons, & nous n'en sommes pas encore tout - à - fait corrigés; Vivès au xvj. siecle s'en plaignoit amerement: quo magis miror, dit - il sur le ch. iij. du livre XVII. de civitate Dei, stultitiam, ne dicam an impudentiam, an utrumque eorum, qui ex alle goriis pracepta & leges vita, dogmata religionis, vincula quibus ligemur teneamurque, colligant atque innodant, & ea pro certissimis in vulgum efferunt, ac hoereticum clamant si quis dissentiat.
Mais même en supposant que le sens figuré soit employé par les Théologiens en preuve d'un dogme bien établi d'ailleurs, c'est toûjours un inconvément considérable que d'employer une aussi mauvaise raison, & on doit bannir absolument de la Théologie, l'usage de ces sortes d'explications. Cependant les anciens théologiens (& les modernes ne sont pas tout - à - fait exempts de ce reproche) ont tombé fréquemment dans ce défaut. Il s'en présente à moi un exemple tiré de S. Thomas. Pour prouver que les simples ne sont pas tenus d'avoir une foi explicite de toutes les vérités de la religion, il s'appuie sur le passage de Job. 1. Boves arabant & asinoe pascebantur juxta eos; quia scilicet minores, dit - il, qui significantur per asinos debent in credendis adhoerere majoribus, qui per boves significantur. Voilà une mauvaise preuve & une étrange explication. Il est vrai que saint Grégoire a donné le même sens à ce texte (lib. II. Moral.): mais on voit assez la différence qu'il y a entre l'emploi d'une semblable explication dans un traité de Morale, & celui que S. Thomas en fait dans un traité de Théologie.
Cet abus est si grand, que je ne fais point de doute que si Dieu n'eût veillé sur son Eglise, cette prodigieuse quantité d'explications détournées, de sens allégoriques, &c. ne fût entrée dans le corps de la doctrine chrétienne, comme la cabale des Juifs dans leur théologie: mais la Providence avoit placé dans l'Eglise une barriere à ces excès, l'autorité de l'Eglise elle même, qui seule ayant le droit suprème d'interpréter les Livres saints, anéantit & laisse oubliées les gloses des docteurs particuliers, qui ne rendent point le vrai sens des Ecritures, pendant qu'elle adopte celles qui sont conformes à la doctrine qu'elle a reçûe de J. C.
Le second inconvénient de cette méthode est que les incrédules en ont pris occasion de dire que ces explications précaires ont autant corrompu l'Ecriture parmi les Chrétiens, en en faisant perdre l'intelligence, qu'auroit pû le faire l'altération du texte même. La liberté d'expliquer ainsi l'Ecriture, dit M. Fleury, a été poussée à un tel excès, qu'elle l'a enfin rendue méprisable aux gens d'esprit mal instruits de la religion; ils l'ont regardée comme un livre inintelligible qui ne signifioit rien par lui - même, & qui étoit le joüet des inberpretes. C'est par - là, disent les Sociniens, que nous
En troisieme lieu, d'après la persuasion que l'Ecriture sainte est inspirée, celui qui prétend trouver une vérité de morale ou un dogme dans un passage, au moyen du sens figuré qu'il y découve, donne de son autorité privée une définition en matiere de foi. En effet, cet homme, en interprétan ainsi l'Ecriture, suppose sans doute que Dieu, en inspirant à l'écrvain le passage en question, avoit en vûe ce sens figuré; autrement il ne pourroit pas employer en preuve ce sens, qui ne seroit que dans sa tête. Il doit donc penser que ce passage renferme une vérité de foi, & imposer aux autres la nécessité de croire ce qu'il voit si clairement contenu dans la parole de Dieu. De là naissent bien des inconvéniens, des opinions théologiques érigées en dogmes, les reproches d'hérésie prodigués, &c. Il est vrai pourtant que ceux qui ont donné des explications figurées, n'ont pas toûjours prétendu qu'elles devinssent un objet de foi. C'est ainsi que S. Augustin, au quinzieme livre de civitate Dei, où il fait une grande comparaison de J. C. & de l'arche, insinue que quelqu'un avoit proposé une autre interprétation que la sienne, de ce qu'on lit au ch. vj. v. 16. de la Genese, dans les Septante & dans l'hébreu - samaritan (voyez la poliglotte de Walton): inferiora, bicamerata & tricamerata facies. Il avoit dit que bicamerata signifioit que l'Eglise renfermoit la multitude des nations, parce que cette multitude étoit bipartita, propter circumcisionem & proeputium; & tripartita, propter très filios Noë. Mais il permet qu'on entende par - là la foi, l'espérance & la charité; ou les trois abondances de ces terres, dont les unes, selon Jesus - Christ, portent 30, d'autres 60, & d'autres 100; ou encore la pureté des femmes mariées, celle des veuves, & celle des vierges.
Ce pere n'oblige pas, comme on voit, à recevoir son explication: mais d'abord tous n'ont pas eu autant de modestie; & d'ailleurs je trouve que son opinion devoit le conduire là, puisqu'en pensant, comme il faisoit, que le saint Esprit avoit eu ce premier sens en vûe, il devoit regarder son explication comme un objet de foi, quoiqu'elle soit arbitraire.
Je finis en observant un quatrieme inconvénient des explications figurées; c'est qu'elles font tort à la majestueuse simplicité des Ecritures; & on est fâché de voir les ouvrages de beaucoup de peres gâtés par ce défaut. Souvent on y voit tout - au - travers du plus beau plan du monde une explication de cette nature qui défigure tout: par exemple, S. Augustin, au douzieme livre contra Faustum, se proposant de montrer que J. C. avoit été figuré & annoncé par les prophetes, a recours à une prodigieuse quantité de figures, d'allégories, de rapports qu'il trouve entre J. C. & [p. 765]
Au reste, il y a ici une remarque importante à faire; c'est que les peres ont donné dans ces explications figurées, d'après des principes fixes & un système suivi: leur concert en cela pourroit seul en fournir la preuve; mais il y a plus; ils ont exposé en plusieurs endroits ces principes & ce système.
Origene entre autres, dont l'autorité & la méthode ont été respectées dans les deux églises, avance que toute l'Ecriture doit être interpretée allégoriquement, & il va même jusqu'à exclure en plusieurs endroits des livres saints, le sens littéral. Universam porrò sacram scripturam ad allegorieum sensum esse sumendam admonet nos, vel illud aperiam in parabolis os meum. Origen. in praefat. Historia scripturoe interdùm interserit quoedam vel minùs gesta, vel quoe omninò geri non possunt, interdùm quoe possunt geri nec tamen gesta sunt. IV. de princip. S. Augustin, en rejettant cette opinion d'Origene, qu'il y avoit dans l'Ecriture des choses qui n'étoient jamais arrivées, & qu'on ne pouvoit pas entendre à la lettre, soûtient qu'il faut pourtant rapporter les évenemens de l'ancien Testament à la cité de Dieu, à l'Eglise chrétienne, à moins qu'on ne veuille s'écarter beaucoup du sens de celui qui a dicté les livres saints: ad hanc de quâ loquimur Dei civitatem omnia referantur, si ab ejus sensu qui ista conscripsit non vult longè aberrare qui exponit. Lib XV. c. xxvj. de civitate Dei.
En général, ils ont presque tous dit que Dieu en inspirant les Ecritures, ne seroit point entré dans les petits détails qu'on y trouve à chaque pas, s'il n'avoit eu le dessein de cacher sous ces détails les vérités de la Morale & de la religion chrétienne: d'où l'on voit que c'est d'après des principes fixes & un système suivi, qu'ils ont expliqué les Ecritures de cette façon.
Je me crois obligé de terminer cet article par une remarque du savant & judicieux Fleury. Je sai, dit - il, que les sens figurés ont été de tout tems reçûs dans l'Eglise ...... Nous en voyons dans l'Ecriture même, comme l'allégorie des deux alliances, signifiées par les deux femmes d'Abraham; mais puisque nous savons que l'épître de S. Paul aux Galates n'est pas moins écrite par inspiration divine que le livre de la Genese, nous sommes également assûrés de l'histoire & de l'application, & cette application est le sens littéral du passage de S. Paul. Il n'en est pas de même des sens figurés que nous lisons dans Origene, dans S. Ambroise, dans S. Augustin. Nous pouvons les regarder comme les pensées particulieres de ces docteurs ..... & nous ne devons suivre ces applications, qu'autant qu'elles contiennent des vérités conformes à celles que nous trouvons ailleurs dans l'Ecriture, prise en son sens littéral. Cinquieme discours. (b)
Figure (Page 6:765)
Aristote trouve l'origine des figures dans l'inclination qui nous porte à goûter tout ce qui n'est pas commun. Les mots figures n'ayant plus leur signification naturelle, nous plaisent, selon lui, par leur déguisement, & nous les admirons à cause de leur habillement étranger; mais il s'en faut bien que les figures ayent été dans leur berceau des expressions déguisées, inventées pour plaire par leur déguisement. Ce n'est pas non plus la hardiesse des expressions étrangeres que nous aimons dans les figures, puisqu'elles cessent de plaire si - tôt qu'elles paroissent tirées de trop loin. Nous donnons sans aucune recherche le nom de nuée à cet amas de traits que deux armées lançoient autrefois l'une contre l'autre; & parce que l'air en étoit obscurci, l'image d'une nuée se présente tout naturellement, & le terme suit cette image. Voici donc des idées plus philosophiques que celles d'Aristote sur cette matiere.
Le langage, si l'on en juge par les monumens de l'antiquité & par le caractere de la chose, a été d'abord nécessairement figuré, stérile & grossier; ensorte que la nature porta les hommes, pour se faire entendre les uns des autres, à joindre le langage d'action & des images sensibles à celui des sons articulés; en conséquence la conversation, dans les premiers siecles du monde, fut soûtenue par un discours entremêlé de mots & d'actions. Dans la suite, l'usage des hiéroglyphes concourut à rendre le style de plus en plus figuré. Comme la nature & la nécessité, & non pas le choix & l'art, ont produit les diverses especes d'écritures hiéroglyphiques, la même chose est arrivée dans l'art de la parole. Ces deux manieres de communiquer nos pensées ont nécessairement influé l'une sur l'autre; & pour s'en convaincre on n'a qu'à lire dans M. Warburthon le parallele ingénieux qu'il fait entre l'apologue, la parabole, l'énigme & les figures du langage, d'une part; & d'autre part les difiérentes especes d'écritures. Il étoit aussi simple en parlant d'une chose, de se servir du nom de la figure hiéroglyphique, symbole de cette chose, qu'il avoit été naturel, lors de l'origine des hiéroplyphes, de peindre les figures auxquelles la coûtume avoit donné cours. Le langage figuré est proprement celui des prophetes, & leur style n'est pour ainsi dire qu'un hiéroglyphe parlant. Enfin les progrès & les changemens du langage ont suivi le sort de l'écriture; & les premiers efforts dùs à la nécessité de communiquer ses pensées dans la conversation, sont venus par la suite des siecles, de même que les premiers hiéroglyphes, à se changer en mysteres, & finalement à s'élever jusqu'à l'art de l'éloquence & de la persuasion.
On comprend maintenant que les expressions figurées étant naturelles à des gens simples, ignorans & grossiers dans leurs conceptions, ont dû faire fortune dans leurs langues pauvres & stériles: voilà pourquoi celles des Orientaux abondent en pléonasmes & en métaphores. Ces deux figures constituent l'élégance & la beauté de leurs discours, & l'art de leurs orateurs & de leurs poëtes consiste à y exceller.
Le pléonasme se doit visiblement aux bornes étroites d'un langage simple: l'hebreu, par exemple, où
cette figure se trouve fréquemment, est la moins
abondante de toutes les langues orientales; de - là
vient que la langue hébraïque exprime des choses
différentes par le même mot, ou une même chose
par plusiours synonymes. Lorsque les expressions ne
répondent pas entierement aux idées de celui qui
parle, comme il arrive souvent en se servant d'une
langue qui est pauvre, il cherche nécessairement à
s'expliquer en repétant sa pensée en d'autres termes,
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