ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"750"> méridien, les étoiles vers lesquelles on alloit, paroissoient s'approcher du haut de la tête, & que les autres au contraire paroissoient s'en éloigner; que de plus ces dernieres étoiles, à force de s'abaisser, disparoissoient tout - à - fait, & que d'autres commençoient à paroître vers la partie opposée. De - là il étoit aisé de conclure que la ligne à - plomb, c'est - à - dire la ligne perpendiculaire à la surface de la Terre, & passant par le sommet de notre tête, changeoit de direction à mesure qu'on avançoit sur le méridien, & ne demeuroit pas toûjours parallele à elle - même; que par conséquent la surface de la Terre n'étoit pas plane, mais courbe dans le sens du méridien. Or les plans de tous les méridiens concourant au pole, comme on vient de le remarquer, il ne faut qu'un peu de réflexion (même sans aucune teinture de Géométrie), pour voir que la terre ne sauroit être courbe dans le sens du méridien, qu'elle ne soit courbe aussi dans le sens perpendiculaire au méridien, & que par conséquent elle est courbe dans tous les sens. D'ailleurs d'autres observations astronomiques, comme celles du lever & du coucher des astres, & de la différence des tems où il arrivoit selon le lieu de la Terre où on étoit placé, confirmoient la rondeur de la Terre dans le sens perpendiculaire au méridien. Enfin l'observation des éclipses de Lune dans lesquelles on voyoit l'ombre de la Terre avancer sur le disque de la Lune, fit connoître que cette ombre étoit non - seulement courbe, mais sensiblement circulaire; d'où on conclut avec raison que la Terre avoit aussi à - peu - près la figure sphérique; je dis à - peu - près, parce qu'il y a eu en effet quelques anciens qui ont crû que la Terre n'avoit pas exactement cette figure; voyez les Mém. de l'Acad. des Belles - Lettres, t. XVIII. p. 97. Mais nonobstant cette opinion des anciens, la non - sphéricité de la Terre doit être regardée comme une découverte qui appartient absolument & uniquement à la philosophie moderne, par les raisons qui ont été exposées dans l'article Erudition, tom. V. p. 918. col. 1. Quoi qu'il en soit, il est certain du moins qu'en général les philosophes anciens attribuoient à la Terre une sphéricité parfaite; & il étoit naturel de le croire jusqu'à ce que l'observation en eût détrompé.

Si la rondeur de la Terre avoit besoin d'une autre preuve encore plus à la portée de tout le monde, ceux qui ont souvent fait le tour de la Terre nous assûroient aussi de sa rondeur. La premiere fois qu'on en a fait le tour, ç'à été en 1519. Ce fut Ferdinand Magellan qui l'entreprit, & il employa 1124 jours à faire le tour entier; François Drake, anglois, en fit autant l'an 1577 en 1056 jours; Thomas Cavendish en 1586 fit le même voyage en 777 jours; Simon Cordes de Rotterdam l'a fait en l'année 1590; Olivier Hoort, Hollandois, en 1077 jours. Guillaume Corn. Van Schout, en l'an 1615, en 749 jours. Jacques Heremites & Jean Huyghens, l'an 1653, en 802 jours. En dernier lieu ce voyage a été fait par l'amiral Anson, dont on a imprimé la relation si intéressante & si curieuse. Tous ces navigateurs alloient de l'est à l'oüest, pour revenir enfin en Europe d'où ils étoient partis, & les phénomenes, soit célestes soit terrestres qu'ils observerent pendant leur voyage, leur prouverent que la Terre est ronde.

La sphéricité de la Terre admise, il étoit assez facile de connoître la valeur d'un degré du méridien, & par conséquent la circonférence & le diametre de la Terre. On a expliqué en général au mot Degré, comment on mesure un degré du méridien, nous y renvoyons, & cela nous suffit quant à présent, reservant un plus grand détail pour la suite de cet article; le degré du méridien s'est trouvé par cette méthode d'environ 25 de nos lieues, & comme il y a 360 degrés, on concluoit que la circonférence de la terre est par conséquent de 9000 lieues, & le rayon ou demi - diametre de la Terre, de 14 à 15 cents lieues, le tout en nombres ronds; car il ne s'agit pas encore ici de la mesure exacte & rigoureuse.

La physique du tems se joignoit aux observations pour prouver la sphéricité de la Terre; on supposoit que la pesanteur faisoit tendre tous les corps à un même centre; on croyoit de plus presque généralement la terre immobile. Or cela posé, la surface des mers devoit être sphérique, pour que les eaux y restassent en équilibre: & comme les mers couvrent une grande partie de la surface de la terre, on en concluoit que la partie solide de cette surface étoit aussi sphérique; & cette conclusion, ainsi que le principe qui l'avoit produite, furent regardés comme incontestables, même après qu'on eut découvert le mouvement de la Terre autour de son axe. Voyez Copernic, &c. Voyons maintenant comment on s'est desabusé de cette sphéricité, & quel est l'état actuel de nos connoissances sur ce point: commençons par quelques réflexions générales.

Le génie des philosophes, en cela peu différent de celui des autres hommes, les porte à ne chercher d'abord ni uniformité ni loi dans les phénomenes qu'ils observent; commencent - ils à y remarquer, ou même à y soupçonner quelque marche réguliere, ils imaginent aussi - tôt la plus parfaite & la plus simple; bientôt une observation plus suivie les détrompe, & souvent même les ramene à leur premier avis avec assez de précipitation, & comme par une espece de dépit; enfin une étude longue, assidue, dégagée de prévention & de système, les remet dans les limites du vrai, & leur apprend que pour l'ordinaire la loi des phénomenes n'est ni assez composée pour être apperçue tout - d'un - coup, ni aussi simple qu'on pourroit le penser; que chaque effet venant presque toûjours du concours de plusieurs causes, la maniere d'agir de chacune est simple, mais que le résultat de leur action réunie est compliqué, quoique régulier, & que tout se réduit à décomposer ce résultat pour en démêler les différentes parties. Parmi une infinité d'exemples qu'on pourroit apporter de ce que nous avançons ici, les orbites des planetes en fournissent un bien frappant: a peine a - t - on soupçonné que les planetes se mouvoient circulairement, qu'on leur a fait décrire des cercles parfaits, & d'un mouvement uniforme, d'abord autour de la Terre, puis autour du Soleil, comme centres. L'observation ayant montré bien - tôt après que les planetes étoient tantôt plus, tantôt moins éloignées du Soleil, on a déplacé cet astre du centre des orbites, mais sans rien changer ni à la figure circulaire, ni à l'uniformité de mouvement qu'on avoit supposées; on s'est apperçû ensuite que les orbites n'étoient ni circulaires ni décrites uniformément; on en a fait des ovales, & on leur a donné la figure elliptique, la plus simple des ovales que nous connoissions; enfin on a vû que cette figure ne répondoit pas encore à tout, que plusieurs des planetes, entr'autres Saturne, Jupiter, la Terre même & surtout la Lune, ne s'y assujettissoient pas exactement dans leurs cours. On a taché de trouver la loi de leurs inégalités, & c'est le grand objet qui occupe aujourd'hui les savans. Voyez Terre, Lune, Jupiter, Saturne , &c.

Il en a été à - peu - près de même de la figure de la Terre: à peine a - t - on reconnu qu'elle étoit courbe, qu'on l'a supposée sphérique; enfin on a reconnu dans les derniers siecles, par les raisons que nous dirons dans un moment, qu'elle n'étoit pas parfaitement ronde; on l'a supposée elliptique, parce qu'après la figure sphérique, c'étoit la plus simple qu'on pût lui donner. Aujourd'hui les observations & les recherches multipliées commencent à faire douter de cette figure, & quelques philosophes prétendent même que la Terre est absolument irréguliere. Discu<pb-> [p. 751] tons toutes ces différentes prétentions, & entrons dans le détail dés raisons sur lesquelles elles sont fondées; mais voyons d'abord en détail comment on s'y prend pour connoître la longueur d'un degré de la Terre.

Tout se réduit à deux opérations; la mesure de l'amplitude de l'arc céleste, compris entre deux lieux placés sous le même méridien à différentes latitudes, & la mesure de la distance terrestre de ces deux lieux. En effet, si on connoît en degrés, minutes & secondes l'amplitude de l'arc céleste compris entre ces deux lieux, & qu'on connoisse outre cela leur distance terrestre, on fera cette proportion; comme le nombre de degrés, minutes & secondes que contient l'amplitude, est à un degré, ainsi la distance terrestre connue entre les deux lieux, est à la longueur d'un degré de la Terre.

Pour mesurer l'amplitude de l'arc céleste, on observe dans l'un des deux lieux la hauteur méridienne d'une étoile, & dans l'autre lieu, on observe la hauteur méridienne de la même étoile; la différence des deux hauteurs donne l'amplitude de l'arc, c'est - à - dire le nombre de degrés du ciel qui répond à la distance des deux lieux terrestres. Voyez l'article Degré, où l'on en a expliqué la raison. Il est inutile de dire qu'on doit corriger les hauteurs observées par les réfractions. Voyez Réfraction. De plus, afin que l'erreur causée par la réfraction soit la moindre qu'il est possible, on a soin de prendre, autant qu'on le peut, une étoile près du zénith, parce que la réfraction au zénith est nulle, & presqu'insensible à 4 ou 5 degrés du zénith. Il est bon aussi que les observations de l'étoile dans les deux endroits soient simultanées, c'est - à - dire qu'elles soient faites dans le même tems, autant qu'il est possible, par deux observateurs différens placés chacun en même tems dans chacun des deux lieux; par ce moyen on évite toutes les réductions & corrections à faire en vertu des mouvemens apparens des étoiles, tels que la précession, l'aberration & la nutation. Voyez ces mois. Cependant s'il n'est pas possible de faire des observations simultanées, alors il faut avoir égard aux corrections que ces mouvemens produisent. Ajoûtons que quand les lieux ne sont pas situés exactement sous le même méridien, ce qui arrive presqu'infailliblement, l'observation de l'amplitude, faite avec les précautions qu'on vient d'indiquer, donne l'amplitude de l'arc céleste compris entre les paralleles de ces deux lieux, & cela suffit pour faire connoître le degré qu'on cherche, au moins dans la supposition que les paralleles soient des cercles; cette supposition a toûjours été faite jusqu'ici dans toutes les opérations qui ont été entreprises pour déterminer la figure de la Terre; il est vrai qu'on a cherché dans ces derniers tems à l'ébranler; c'est ce que nous examinerons plus bas; nous nous contenterons de dire quant à présent, que cette supposition des paralleles circulaires est absolument nécessaire pour pouvoir conclure quelque chose des opérations par lesquelles on mesure les degrés, puisque si les paralleles ne sont pas des cercles, il est absolument impossible, comme on le verra aussi plus bas, de connoître par cette mesure la figure de la Terre, ni même d'être assûré que ce qu'on a mesuré est un degré de latitude.

L'amplitude de l'arc céleste étant connue, il s'agit de mesurer la distance terrestre des deux lieux, ou s'ils ne sont pas placés sur le même méridien, la distance entre les paralleles. Pour cela on choisit sur des montagnes élevées différens points, qui forment avec les deux lieux dont il s'agit, une suite de triangles dont on observe les angles le plus exactement qu'il est possible. Comme la somme des angles de chaque triangle est égale à 180 degrés (voyez Triangle), on sera certain de l'exactitude de l'observa<cb-> tion, si la somme des angles observés est égale à 180 degrés ou n'en differe pas sensiblement. Il faut remarquer de plus que les différens points qui forment ces triangles ne sont point pour l'ordinaire placés dans un même plan, ni dans un même niveau, ainsi il faut les y réduire, en observant la hauteur de ces différens points au - dessus du niveau d'une surface concentrique à celle de la Terre, qu'on imagine passer par l'un des deux lieux. Cela fait, on mesure quelque part sur le terrein une base de quelque étendue, comme de 6 à 7000 toises; on observe les angles d'un triangle formé par les deux extrémités de cette base, & par un des points de la suite de triangles. Ainsi on a (y compris les deux extrémités de la base) une suite de triangles dans laquelle on connoît tous les angles & un côté, savoir la base mesurée; donc par le calcul trigonométrique on connoîtra les côtés de chacun de ces triangles: on connoît de plus l'élévation de chaque point au - dessus du niveau; ainsi on connoît les côtés de chaque triangle réduits au même niveau; enfin on connoît encore par l'observation les angles que font les verticaux où sont placés les côtés des triangles, avec le méridien qu'on imagine passer par l'un des deux lieux, & en conséquence on connoît par les réductions que la Géométrie enseigne, les angles que les côtés des triangles réduits au même niveau font avec la direction de la méridienne passant par ce lieu. Donc employant le calcul trigonométrique, & ayant égard, si on le juge nécessaire, à la petite courbure du méridien dans l'espace compris entre les deux lieux, on connoîtra la longueur de l'arc du méridien compris entre les paralleles des deux lieux. Enfin l'on fait à cette longueur une petite réduction, eu égard à la quantité dont s'éleve au - dessus du niveau de la mer celui des deux lieux d'où l'on fait partir la méridienne. Cette réduction faite, on a la longueur de l'arc, réduite au niveau de la mer. Pour vérifier cette longueur, on mesure ordinairement une seconde base en un autre endroit que la premiere, & par cette seconde base liée avec les triangles, on calcule de nouveau un ou plusieurs côtés de ces triangles; si le second résultat s'accorde avec le premier, on est assûré de la bonté de l'opération. La longueur de l'arc terrestre, & l'amplitude de l'arc céleste étant ainsi connues, on en conclut la longueur du degré, comme on l'a expliqué plus haut.

On peut voir dans les différens ouvrages qui ont été publiés sur la figure de la Terre, & que nous indiquerons à la fin de cet article, les précautions qu'on doit prendre pour mesurer l'arc céleste & l'arc terrestre avec toute l'exactitude possible. Ces précautions sont si nécessaires, & doivent être portées si loin, que selon M. Bouguer, on ne peut répondre de 5''dans la mesure de l'amplitude de l'arc céleste qu'en y mettant le plus grand scrupule. Or une seconde d'erreur dans la mesure de l'arc céleste donne environ 16 toises d'erreur dans le degré terrestre, parce qu'une seconde de degré terrestre est d'environ 16 toises; donc on ne pourroit selon M. Bouguer répondre de 80 toises sur le degré, si on n'avoit mesuré qu'un degré. Si l'on mesuroit 3 degrés, comme on l'a fait sous l'équateur, alors l'erreur sur chacun ne seroit que d'environ le tiers de 80 toises, c'est - à - dire environ 27 toises. Il faut pourtant ajoûter que si l'instrument dont on se sert pour mesurer l'arc céleste est fait avec un soin extreme, tel que le secteur employé aux opérations du nord, on peut compter alors sur une plus grande exactitude, surtout quand cet instrument sera mis en oeuvre comme il l'a été par les plus habiles observateurs.

Je ne parle point de quelques autres méthodes que les anciens ont employées pour connoître la figure de la Terre; elles sont trop peu exactes pour

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