ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS
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qu'on en fasse mention ici, & celle dont nous venons
de donner le procédé mérite à tous égards la
préférence. Je ne parle point non plus, ou plûtôt je
ne dirai qu'un mot d'une autre méthode qu'on peut
employer pour déterminer cette figure, celle de la
mesure des degrés de longitude à différentes latitudes.
Quelque exactitude qu'on puisse mettre à cette
derniere mesure, elle sera toûjours beaucoup plus
susceptible d'erreur que celle de la mesure des degrés
de latitude. M. Bouguer estime que l'erreur peut
être d'une 240e partie sur la mesure d'un arc de deux
degrés de longitude, & six ou sept fois plus grande
que sur la mesure d'un arc de latitude de deux degrés.
Voici maintenant les différentes valeurs du degré
de la Terre, trouvées jusqu'à M. Picard inclusivement,
dans l'hypothèse de la Terre sphérique. Nous
n'avons pas besoin de dire que les mesures des anciens
doivent être regardées comme très - fautives, attendu
l'imperfection des méthodes & des instrumens
dont ils se servoient; mais nous avons cru que le
lecteur verroit avec plaisir le progrès des connoissances
humaines sur cet objet.
Selon Aristote la circonférence de la Terre est de
400000 stades, ce qui donnera le degré de 1111 stades
en divisant par 360.
Selon Eratosthene, cette circonférence est de
250000 stades, ou 252000 en prenant 700 stades
pour le degré.
Selon Hipparque, la circonférence de la Terre
est de 2520 stades plus grande que 252000; cependant
il s'en est tenu à cette derniere mesure d'Eratosthene.
Selon Posidonius, la circonférence de la Terre
est de 240000 stades. Strabon, corrigeant le calcul
de Posidonius, ne donne à la circonférence de la
Terre que 180000 stades. Cette derniere mesure a
été adoptée par Ptolomée. Voyez l'ouvrage de M.
Cassini, qui a pour titre de la grandeur & de la figure
de la Terre, 1718.
Les mathématiciens du calife Almamon dans le
jx. siecle, trouverent le degré dans les plaines de
Sennaar de 56 milles, & l'estimerent 10 mille toises
moindre que Ptolomée ne l'avoit donné.
Le géographe de Nubie dans le xij. siecle, donne
25 lieues au degré.
Fernel, medecin d'Henri II. trouva le degré de
56746 toises, mais par une mesure très - peu exacte
rapportée au mot Degré. Snellius de 57000 toises
(cette mesure a depuis été corrigée par M. Musschenbroek, & mise à 57033); Riccioli, de 62650 (c'est - à - dire plus grand de 5650 toises que Snellius, ce qui
donne [omission: formula; to see, consult fac-similé version] de différence sur la circonférence de la Terre); Norwood, en 1633, de 57300.
Enfin en 1670, M. Picard ayant mesuré la distance
entre Paris & Amiens par la méthode exposée ci - dessus,
a trouvé le degré de France de 57060 toises
à la latitude de 49d 23', moyenne entre celle de ces
deux villes; mais on ne pensoit point encore que la
Terre pût avoir une autre figure que la sphérique.
En 1672, M. Richer étant allé à l'isle de Cayenne,
environ à 5d de l'équateur, pour y faire des observations
astronomiques, trouva que son horloge à
pendule qu'il avoit reglée à Paris, retardoit de 2'
28''par jour. De là on conclut, toute déduction
faite de la quantité dont le pendule devoit être alongé
à Cayenne par la chaleur, voyez Pendule, &c.
que le même pendule se mouvoit plus lentement à
Cayenne qu'à Paris; que par conséquent l'action
de la pesanteur étoit moindre sous l'équateur que
dans nos climats. L'académie avoit déjà soupçonné
ce fait (comme le remarque M. le Monnier dans l'hist.
céleste publiée en 1741) d'après quelques expériences
faites en divers lieux de l'Europe; mais il semble,
pour le dire en passant, qu'on auroit pû s'en douter
sans avoir besoin du secours de l'expérience, puisque
les corps à l'équateur étant plus éloignés de l'axe
de la terre, la force centrifuge produite par la rotation
y est plus grande, & par conséquent, toutes
choses d'ailleurs égales, ôte davantage à la pesanteur;
voyez Force centrifuge, &c. C'est
ainsi que par une espece de fatalité attachée à l'avancement
des sciences, certains faits qui ne sont
que des conséquences simples & immédiates des principes
connus, demeurent néanmoins souvent ignorés
avant que l'observation les découvre. Quoi qu'il en
soit, des qu'on eut reconnu que la pesanteur étoit
moindre à l'équateur qu'au pole, on fit le raisonnement
suivant: la terre est en grande partie fluide à sa
surface, & l'on peut supposer sans beaucoup d'erreur,
qu'elle a à - peu - près la même figure que si elle étoit
fluide dans son entier. Or, dans ce cas la pesanteur
étant moindre à l'équateur qu'au pole, & la colonne
de fluide qui isoit d'un des points de l'équateur au
centre de la terre, devant nécessairement contrebalancer
la colonne qui iroit du pole au même centre,
la premiere de ces colonnes doit être plus longue
que la seconde; donc la terre doit être plus
élevée sous l'équateur que sous les poles; donc la
Terre est un sphéroïde applati vers les poles.
Ce raisonnement étoit confirmé par une observation.
On avoit découvert que Jupiter tournoit fort
vîte autour de son axe (voyez Jupiter); cette rotation
rapide devoit imprimer aux parties de cette planette
une force centrifuge considérable, & par conséquent
l'applatir sensiblement; or en mesurant les
diametres de Jupiter, on les avoit trouvés très - sensiblement inégaux; nouvelle preuve en faveur de la
Terre applatie.
On alla même jusqu'à essayer de déterminer la
quantité de son applatissement; mais à la vérité les
résultats différoient entr'eux, selon la nature des hypotheses
sur lesquelles on s'appuyoit. M. Huyghens
supposant que la pesanteur primitive, c'est - à - dire non
altérée par la force centrifuge, fût dirigée vers le centre,
avoit trouvé que la Terre étoit un sphéroïde
elliptique, dont l'axe étoit au diametre de l'équateur
en viron comme 577 à 578. Voyez Terre, Hydrostatique & sphéroïde; M. Newton étoit
parti d'un autre principe, il supposoit que la pesanteur
primitive vînt de l'attraction de toutes les parties
du globe, & trouvoit que la Terre étoit encore
un sphéroïde elliptique, mais dont les axes étoient
entr'eux comme 229 à 230; applatissement plus que
double de celui de M. Huyghens.
Ces deux théories, quoique très - ingénieuses, ne
résolvoient pas suffisamment la question de la figure
de la Terre: premierement il falloit décider Jequel
des deux résultats étoit le plus conforme à la vérité,
& le système de M. Newton, alors dans sa
naissance, n'avoit pas fait encore assez de progrès
pour qu'on donnât l'exclusion à l'hypothese de M.
Huyghens; en second lieu, dans chacune des ces
deux théories, on supposoit que la Terre eût absolument
la même figure que si elle étoit entierement
fluide & homogene, c'est - à - dire également dense dans
toutes ses parties; or l'on sentoit que cette suppcsition
gratuite renfermoit peut - être beaucoup d'aibitraire,
& que si elle s'écartoit un peu de la vérité
(ce qui n'étoit pas impossible), la figure réelle de la
Terre pouvoit être fort différente de celle que la
théorie lui donnoit.
De là on conclut avec raison, que le moyen le
plus sûr de connoître la vraie figure de la Terre, étoit
la mesure actuelle des degrés.
En effet, si la Terre étoit sphérique, tous les degrés
seroient égaux, & par conséquent, comme on
l'a prouvé au mot Degré, il faudroit faire par - tout
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le même chemin sur le méridien, pour que la hauteur
d'une même étoile donnée augmentât ou diminuât
d'un degré; mais si la Terre n'est pas sphérique,
alors ses degrés seront inégaux, il fandra faire
plus ou moins de chemin sur le méridien, selon
le lieu de la Terre où l'on sera, pour que la hauteur
d'une étoile qu'on observe, diminue ou augmente
d'un degré. Maintenant, pour déterminer suivant
quel sens les degrés doivent croître & décroître dans
cette hypothese, supposons d'abord la Terre sphérique
& d'une substance molle, & imaginons qu'une
double puissance appliquée aux extrémités de l'axe,
comprime la Terre de dehors en dedans, suivant la
direction de cet axe: qu'arrivera - t - il? certainement
l'axe diminuera de longueur, & l'équateur s'élevera: mais de plus la Terre sera moins courbe aux extrémités
de l'axe qu'elle n'étoit auparavant, elle
sera plus applatie vers l'axe, & au contraire elle
sera plus courbe à l'équateur. Or, plus la Terre a de
courbure dans la direction du méridien, moins il faut
faire de chemin dans cette même direction, pour
que la hauteur observée d'une étoile augmente ou
diminue d'un degré; par conséquent si la Terre est
applatie vers les poles, il faudra faire moins de chemin
sur le méridien près de l'équateur que près du
pole pour gagner ou pour perdre un degré de latitude;
par conséquent si la Terre est applatie, les degrés
doivent aller en diminuant de l'équateur vers
le pole & réciproquement; la raison qu'on vient
d'en donner est suffisante pour ceux qui ne sont pas
géometres; en voici une rigoureuse pour ceux qui
le sont.
Soit (fig. 12 Géog.) C le centre de la Terre; C P
l'axe; E C le rayon de l'équateur; E H P une portion
du méridien; par le point H quelconque, soit
menée HO perpendiculaire au meridien E H P, laquelle
ligne H O touche en O la dévelopée GOF.
Voyez Developpée; H O sera le rayon osculateur
en H. V. Osculateur: soit pris ensuite le point h
tel que le rayon osculateur h o fasse un angle d'un
degré avec H O; il est aisé de voir que H h représentera
un degré du méridien; c'est - à - dire, comme
il a été prouvé au mot Degré, qu'un observateur
qui avanceroit de H en h, trouveroit en h un degré
de plus ou de moins qu'en H dans la hauteur de toutes
les étoiles placées sous le méridien Or, H h
étant à très - peu près un arc de cercle décrit du
rayon H O (ou h o qui lui est sensiblement égal) il
saute aux yeux, que si les degrés H h vont en augmentant
de l'équateur E vers le pole P, les ravons
osculateurs H O iront aussi en augmentant; puisque
le rayon d'un cercle est d'autant plus grand que le
degré ou la 360e partie de ce cercle a plus d'étendue.
Donc la développée G O F sera toute entiere
dans l'angle E C F. Or, par la propriété de la développée,
voyez Développée, on a E G O F=
F C P, & il est visible par les axiomes de Géometrie
que E G O F est « i>EC+CF; donc EC+CF»
CP+CF; donc EC» CP; donc la Terre est applatie
si les degrés vont en augmentant de l'équateur vers le pole.
Ceux qui après M. Picard, mesurerent les premiers
degrés du méridien en France pour savoir si la Terre
étoit sphérique ou non, n'avoient pas tiré cette conclusion;
soit inattention, soit faute de connoissances
géometriques suffisantes, ils avoient crû au contraire
que si la Terre étoit applatie, les degrés devoient
aller en diminuant de l'équateur vers le pole. Voici,
selon toutes les apparences, le raisonnement qu'ils
faisoient: soit tirée du centre une ligne qui fasse
avec E C un angle d'un degré, & du même centre C
soit tirée une ligne qui fasse avec P C un angle d'un
degré, il est certain que E C étant supposé plus
grand que P C, la partie de la Terre interceptée en E
entre les deux lignes qui font un angle d'un degré,
sera plus grande qu'en P; donc (concluoient - ils
peut - être) le degré près de l'équateur sera plus
grand qu'au pole. Le paralogisme de ce raisonnement
consiste en ce que le degré de la terre n'est pas déterminé
par deux lignes qui vont au centre, & qui
font un angle d'un degré; mais par deux lignes qui
sont perpendiculaires à la surface de la Terre, & qui
font un angle d'un degré. C'est par rapport à ces perpendiculaires
(déterminées par la situation du fil à
plomb) qu'on mesure la distance des étoiles au zénith,
& par conséquent leur hauteur; or ces perpendiculaires
ne passeront pas par le centre de la Terre,
quand la Terre n'est pas sphérique. Voyez Développée, Osculateur, &c.
Quoi qu'il en soit de cette conjecture, ceux qui les
premiers mesurerent les degrés dans l'étendue de la
France, préoccupés peut - être de cette idée, que la
Terre applatie donnoit les degrés vers le nord plus
petits que ceux du midi, trouverent en effet que
dans toute l'étendue de la France en latitude, les degrés
alloient en diminuant vers le nord. Mais à peine
eurent - ils fait part de ce résultat aux savans de
l'Europe, qu'on leur démontra qu'en conséquence
la Terre devoit être alongée. Il fallut en passer parlà;
car comment revenir sur des mesures qu'on assûroit
très - exactes? on demeura donc assez persuadé
en France de l'alongement de la Terre, nonobstant
les conséquences contraires tirées de la théorie.
Cette conclusion fut confirmée dans le livre de la
grandeur & de la figure de la Terre, publié en 1718 par
M. Cassini, que l'académie des Sciences de Paris
vient de perdre. Dans cet ouvrage M. Cassini donna
le résultat de toutes les opérations faites par lui &
par M. Dominique Cassini son pere, pour déterminer
la longueur des degrés. Il en concluoit que le degré
moyen de France étoit de 57061 toises, à une
toise près de celui de M. Picard; & que les degrés
alloient en diminuant dans toute l'étendue de la France du sud au nord, depuis Collioure jusqu'à Dunkerque. Voyez Degré. D'autres opérations faites depuis
en 1733, 1734, 1736, confirmoient cette conclusion;
ainsi toutes les mesures s'accordoient, en
dépit de la théorie, à faire la Terre alongée.
Mais les partisans de Newton, tant en Angleterre
que dans le reste de l'Europe, & les principaux géometres
de la France même, jugerent que ces mesures
ne renversoient pas invinciblement la théorie; ils
oserent croire qu'elles n'étoient peut - être pas assez
exactes. D'ailleurs en les supposant faites avec soin,
il étoit possible, disoient - ils, que par les erreurs de
l'observation, la différence entre des degrés immédiatement
voisins, ou peu distans (différence très - petite par elle - même), ne fût pas susceptible d'une détermination
bien sûre. On jugea donc à - propos de
mesurer deux degrés très - éloignés, afin que leur différence
fût assez grande pour ne pas être imputée à
l'erreur de l'observation. On proposa de mesurer le
premier degré du méridien sous l'équateur, & le degré
le plus près du pole qu'on pourroit. MM. Godin,
Bouguer, & de la Condamine, partirent pour le premier
voyage en 1735; & en 1736 MM. de Maupertuis, Clairaut, Camus, & le Monnier, partirent
pour la Lapponie. Ces derniers furent de retour
en 1737. Ils avoient mesuré le degré de latitude
qui passe par le cercle polaire, à environ 23d [omission: formula; to see, consult fac-similé version]
du pole, & l'avoient trouvé considérablement plus
grand que le degré moyen de France; d'où ils conclurent
que la Terre étoit applatie.
Le degré de Lapponie, à 66d 20', avoit été trouvé
par ces savans observateurs, de 57438 toises, plus
grand de 378 toises que le degré de 57060 toises de
M. Picard, mesuré par 49d 23'; mais avant que d'en
conclure la figure de la Terre, ils jugerent à - propos
de corriger le degré de M. Picard, en ayant égard à
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