ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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Feux d'Artifice (Page 6:639)

Feux d'Artifice, composition de maticres combustibles, faite dans les regles de l'art (Voyez Pyrotechnie), pour servir ou dans les grandes occasions de joie, ou dans la guerre, pour être employée comme arme offensive, ou comme moyen brillant de réjoüissance.

Le méchanisme d'un feu d'artifice dans les deux genres; la partie physique qui guide sa composition, la géométrique qui la distribue, sont des objets déjà traités dans l'article Artifice; dans les savans écrits de M. Frezier; &, en 1750, dans un traité des feux d'artifice de M. Perrinet d'Orval, où la clarté, mille choses nouvelles, le desir d'en trouver encore beaucoup d'autres, l'indication des moyens pour y parvenir, montrent cette sagacité si utile aux progrès des Arts, cette étude assidue des causes & des effets, cette opiniâtreté dans les expériences, qui caractérisent à - la - fois une théorie profonde & une pratique sûre. Voyez l'article suivant.

Je ne crois point devoir toucher à ces objets; je n'ai cherché à les connoître qu'autant qu'ils m'ont paru liés aux grands spectacles que les rois, les villes, les provinces, &c. offrent aux peuples dans les occasions solennelles: ils m'ont paru dans ce cas tenir & devoir être soûmis à des lois générales, qui furent toûjours la regle de tous les Arts.

L'artificier doit donc, par exemple, avoir devant les yeux sans cesse, en formant le plan de différens feux qu'il fait entrer dans sa composition, non - seulement de les assortir les uns avec les autres, de faire ressortir leurs effets par des contrastes, d'animer les couleurs par les mouvemens, & de donner à leur rapidité la plus grande ou la moindre vîtesse, &c. mais encore de combiner toutes ces parties avec le plan général du spectacle que la décoration indique.

Cette loi primitive fait assez pressentir le point fixe où l'art a toûjours voulu atteindre. Il est dans la nature de la chose même, que tout spectacle représente quelque chose: or on ne représente rien dans ces occasions, lorsqu'on ne peint que des objets sans action; le mouvement de la fusée la plus brillante, si elle n'a point de but fixe, ne montre qu'une traînée de feu qui se perd dans les airs.

Ces feux d'artifice qui représentent seulement & comme en répétition, par les différens effets des couleurs, des mouvemens, des brillans du feu, la décoration sur laquelle ils sont posés, fût - elie du plus ingénieux dessein, n'auront jamais que le frivole mérite des découpures. Il faut peindre dans tous les Arts; & dans ce qu'on nomme spectacle, il faut peindre par les actions. Les exemples de ce genre de feux d'artifice sont répandus dans les différens articles de l'Encyclopédie qui y ont quelque rapport. Voyez Fêtes, Fêtes de la Ville de Paris , &c.

Les Chinois ont poussé l'art pour la variété des formes, des couleurs, des effets, jusqu'au dernier période. Les Moscovites sont supérieurs au reste de l'Europe, dans les combinaisons des figures, des mouvemens, des contrastes du feu artificiel: pourquoi, dans le sein de la France, ne pourrions - nous pas, en adoptant tout ce que ces nations étrangeres ont déjà trouvé, inventer des moyens, des secours nouveaux, pour étendre les bornes d'un art dont les effets sont déjà fort agréables, & qui pourroient devenir aussi honorables pour les inventeurs, qu'honorables pour la nation?

Y a - t - il eu encore rien d'aussi imposant en feu d'artifice, que le seroit le combat des bons anges contre les méchans? Les airs sont le lieu de la scene, indiqué par l'action même? Les détails sont offerts par le sublime Milton. Dessinez à votre imagination, echauffée par cette grande image, l'attaque, le combat, la chûte; peignez - vous le spectacle magnifique de ce moment de triomphe des bonsanges; calcu<cb-> lez les coups d'un effet sûr, qui naissent en foule de ce grand sujet.

Mais il faudroit donc employer à tous ces spectacles des machines? Et pourquoi non? A quoi destinera - t - on ces ingénieuses ressources de l'art, si on les laisse oisives dans les plus belles occasions? Sans doute qu'il faudroit donner à l'artifice du feu, dans ces représentations surprenantes, le secours des belles machines, qui en ranimant l'action, entretiendroient l'illusion qui est le charme le plus nécessaire. Les Arts ne sont - ils pas destinés à s'entre - aider & à s'unir ensemble?

On vit à Paris, le 24 Janvier 1730, une fête aussi belle que toutes celles qu'on y avoit données dans les occasions d'éclat. J'en vais donner l'esquisse, parce qu'elle servira de preuve à la proposition que j'ai avancée sur l'action que je souhaite dans les feux d'artifice, & aux principes que je propose plus haut sur leur composition. Voyez Fêtes de la Cour

La naissance de monseigneur le Dauphin fut le sujet de cette fête. MM. de Santa - Crux & de Barenechea, ambassadeurs du roi d'Espagne, en avoient été chargés par S. M. Catholique.

L'hôtel de Bouillon situé sur le quai des Théatins vis - à - vis le Louvre, servit d'emplacement à la scene principale; il fut comme le centre de la fête & du spectacle.

Le 24 Janvier 1730, à 6 heures du soir, les illuminations préparées avec un art extrème, & dont on trouvera ailleurs la description (Voyez Illumination), commencerent avec la plus grande célérité, & la surface de la riviere offrit tout - à - coup un spectacle enchanteur; c'étoit un vaste jardin de l'un à l'autre rivage du fleuve, qui à cet endroit a environ 90 toises de large, sur un espace de 70 dans sa longueur. La situation étoit des plus magnifiques & des plus avantageuses, étant naturellement bien décorée par le quai du collége des Quatre - Nations d'un côté, par celui des galeries du Louvre de l'autre, & aux deux bouts par le Pont - Neuf & par le Pont - Royal.

Deux rochers isolés ou montagnes escarpées, symbole des monts Pyrénées, qui séparent la France de l'Espagne, formoient le principal objet de cette pompeuse décoration au milieu de la riviere. Les deux monts étoient joints par leurs bases sur un plan d'environ 140 piés de long, sur 60 de large, & séparés par leur cime de près de 40 piés, ayant chacun 82 piés d'élevation au - dessus de la surface de l'eau, & des deux grands bateaux sur lesquels tout l'édifice étoit construit.

On voyoit une agréable variété sur ces montagnes, où la nature étoit imitée avec beaucoup d'art dans tout ce qu'elle a d'agreste & de sauvage. Dans un endroit c'étoient des crevasses, avec des quartiers de rochers en saillie: dans d'autres, des plantes & des arbustes, des cascades, des nappes & chûtes d'eau imitées par des gases d'argent, des antres, des cavernes, &c. Il y avoit tout au pourtour, à fleurd'eau, des sirenes, des tritons, des néréides, & autres monstres marins

A une certaine distance, au - dessus & au - dessous des rochers, on voyoit à fleur d'eau deux parterres de lumieres qui occupoient chacun un espace de 18 toises sur 15, dont les bordures étoient ornées alternativement d'ifs & d'orangers, avec leurs fruits, de 12 piés de haut, chargés de lumieres. Le dessein des parterres étoit tracé & figuré d'une maniere variée & agréable par des terrines, par du gazon & du sable de diverses couleurs.

Du milieu de chacun de ces parterres s'élevoient des especes de rochers jusqu'à la hauteur de 15 piés, sur un plan de 30 piés sur 22. On avoit placé au - dessus une figure colossale, bronzée en ronde bosse, [p. 640] de 16 piés de proportion. A l'un c'étoit le fleuve du Guadalquivir, avec un lion au bas; on lisoit en lettres d'or, sur l'urne de ce fleuve ces deux vers d'Ovide: Non illo melior quisquam, nec amantior aqui Rex fuit, aut illa reverentior ulla dearum. & à l'autre parterre c'étoit la riviere de Seine avec un coq. On voyoit sur l'urne, d'où l'eau du fleuve paroissoit sortir en gaze d'argent, ces vers de Tibulle: Et longè ante alias omnes mitissima mater, Isque pater, quo non alter amabilior.

Aux deux côtés des parterres & des deux monts regnoient six plate - bandes sur deux lignes aussi à fleur d'eau, ornées & décorées dans le même goût des parterres. Les trois de chaque côté occupoient un espace de plus de cent piés de long sur 15 de large.

Deux terrasses de charpente, à doubles rampes de 20 piés de haut, étoient adossées aux quais des deux côtés, & se terminoient en gradins jusque sur le rivage. Elles regnoient sur toute la longueur du jardin, & occupoient un terrein de 408 piés sur la même ligne, en y comprenant une suite de décorations rustiques, qui sembloient servir d'appui à ces deux grands perrons; le tout étoit garni d'une si grande quantité de terrines, que les yeux en étoient ébloüis, & les ténebres de la nuit entierement dissipées. Le mouvement des lumieres, qui en les confondant leur donnoit encore plus d'éclat, faisoit un tel effet à une certaine distance, qu'on croyoit voir des nappes & des cascades de feu.

Entre ces terrasses lumineuses & le brillant jardin, à la hauteur des deux montagnes, on avoit placé deux bateaux de 70 piés de long, sur 24 de large, d'une forme singuliere & agréable, ornés de sculpture & dorés. Du milieu de chacun de ces bateaux, s'élevoit une espece de temple octogone, couvert en maniere de baldaquin, soûtenu par huit palmiers avec des guirlandes, des festons de fleurs, & des lustres de crystal. Les bateaux étoient remplis de musiciens pour les fanfares qu'on entendoit alternativement.

Sur la partie la plus élevée du temple, placé du côté de l'hôtel de Bouillon, on lisoit ce vers de Tibulle.

Omnibus ille dies semper natalis agatur

Pour inscription sur l'autre temple du côté du Louvre, on lisoit cet autre vers du même Poéte:

O quantùm felix, terque quaterque dies!

Le sommet de ces deux magnifiques gondoles étoit terminé par de gros fanaux & par des étendarts, sur lesquels on avoit représenté des dauphins & des amours.

Les quatre coins de ce vaste, lumineux, & magnifique jardin, étoient terminés par quatre brillantes tours, couvertes de lampions à plaque de ferblanc, qui augmentoient considérablement l'éclat des lumieres, & qui pendant le jour faisoient paroître les tours comme argentées. Elles sembloient s'élever sur quatre terrasses de lumieres, ayant 18 piés de diametre, sur 70 de haut, en y comprenant les étendarts aux armes de France & d'Espagne, qu'on y avoit arborés à un petit mât chargé d'un gros fallot.

C'est du haut de ces tours que commença une partie de l'artifice de ce grand spectacle, après que le signal en eut été donné par une décharge de boîtes & de canons, placés sur le quai du côté des Tuileries, & après que les princes & princesses du sang, les ambassadeurs & ministres étrangers, & les seigneurs & dames de la cour, invités à la fête, furent arrivés à l'hôtel de Bouillon.

On vit partir en même tems de ces tours les fusées d'honneur, & ensuite quantité d'autres artifices, soleils fixes & tournans, gerbes, &c. après quoi commença le spectacle d'un combat sur la riviere, dans les intervalles & les allées du jardin, de douze monstres marins, tous différens, figurés sur autant de bateaux de plus de 20 piés de long, d'où on vit sortir une grande quantité de serpenteaux, de grenades, balons d'eau, & autres artifices qui plongeoient dans la riviere, & qui en ressortoient avec une extrème vîtesse, prenant différentes formes, comme de serpens, &c.

Pour troisieme acte de cet agréable spectacle, on fit partir d'abord du bas des deux montagnes, & ensuite par gradation, des saillies, des crevasses, des cavités, & enfin du sommet des deux monts, une très - grande quantité d'artifice suivi & diversifié, ce qui formoit comme deux montagnes de feu dont l'action n'étoit interrompue que par des volcans clairs & brillans, qui sortoient à plusieurs reprises de tous côtés & du sommet des rochers. Les intervalles des différens tems auxquels les volcans partoient, étoient remplis par des fougades très - vives par le grand nombre & par la singularité des fusées. La fin fut marquée par plusieurs girandes. (B)

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