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Feu sacré (Page 6:637)
Il n'est pas surprenant que des hommes, qui ne consultoient que les effets qui s'operent dans la nature, ayent adoré le Soleil comme le créateur & le maître de l'univers. Le culte du feu suivit de près celui qu'on rendit au Soleil; vive image de cet astre lumineux & le plus pur des élémens, il s'attira des especes d'adorations de tous les peuples du monde, & devint pour eux un grand objet de respect, ou pour mieux dire, un instrument de terreur. L'Ecriture nous enseigne que Dieu s'en est servi de ces deux manieres. Tantôt le Seigneur se compare à un feu ardent pour designer sa sainteté; tantôt il se rend visible sous l'apparence d'un buisson enflammé, ou formidable par des menaces d'un feu dévorant, & par des pluies de soufre; quelquefois avant que de parler aux Juifs, il saisit leur attention par des éclairs; & d'autres fois marchant, pour ainsi dire, avec son peuple, il se fait précéder d'une colonne de feu.
Les rois d'Asie, au rapport d'Hérodote, faisoient toûjours porter du feu devant eux: Ammien Marcellin, parlant de cette coûtume, la tire d'une tradition qu'avoient ces rois, que le feu qu'ils conservoient pour cet usage, étoit descendu du ciel: Quinte - Curce ajoûte que ce feu sacré & éternel étoit aussi porté dans la marche de leurs armées à la tête des troupes sur de petits autels d'argent, au milieu des mages qui chantoient les cantiques de leur pays.
Ainsi la vénération pour le feu se répandit chez toutes les nations, qui toutes l'envisagerent comme une chose sacrée, parce que le même esprit de la nature regnoit dans leurs rites & leur culte extérieur. On ne voyoit alors aucun sacrifice, aucune [p. 638]
Il semble toutefois que le lieu du monde où l'on
révéra davantage cet élément, étoit la Perse: on y
trouvoit par - tout des enclos fermés de murailles &
sans toîts, où l'on faisoit assidûment du feu, & où le
peuple dévot venoit en foule à certaines heures pour
prier. Les grands seigneurs se ruinoient à y jetter des
essences précieuses & des fleurs odoriférantes; privilége
qu'ils regardoient comme un des plus beaux
droits de la noblesse. Ces enclos ou ces temples découverts,
ont été connus des Grecs sous le nom de
Quand les rois de Perse étoient à l'agonie, on éteignoit le feu dans les villes principales du royaume; & pour le rallumer, il falloit que son successeur fût couronné. Ces peuples s'imaginoient que le feu avoit été apporté du ciel, & mis sur l'autel du premier temple que Zoroastre avoit fait bâtir dans la ville de Xis en Médie. Il étoit défendu d'y jetter rien de gras ni d'impur; on n'osoit pas même le regarder fixement. Enfin pour en imposer davantage, les prêtres entretenoient ce feu secretement, & faisoient accroire au peuple qu'il étoit inaltérable, & se nourrissoit de lui - même. Voyez Th. Hyde, de relig. Persarum.
Cette folie du culte du feu passa chez les Grecs;
un feu sacré brûloit dans le temple d'Apollon à Athenes, & dans celui de Delphes, où des veuves chargées
de ce soin, devoient avoir une attention vigilante
pour que le brasier fût toûjours ardent. Un feu
semblable brûloit dans le temple de Cérès à Mantinée, ville de Péloponese: Sétenus commit un nombre
de filles à la garde du feu sacré, & du simulacre
de Pallas dans le temple de Minerve. Plutarque parle
d'une lampe qui brûloit continuellement dans le temple
de Jupiter Hammon,
Mais dans l'antiquité payenne, nul feu sacré n'est
plus célebre que le feu de Vesta, la divinité du Feu,
ou le feu même. Son culte consistoit à veiller à la conservation
du feu qui lui étoit consacré, & à prendre
bien garde qu'il ne s'éteignît; ce qui faisoit le principal
devoir des vestales, c'est - à - dire des prêtresses
vierges attachées au service de la déesse. V.
L'extinction du feu sacré de Vesta, dont la durée passoit pour le type de la grandeur de l'empire, étoit regardé conséquemment comme un présage des plus funestes; & la négligence des vestales à cet égard, étoit punie du foüet. D'éclatans & de malheureux évenemens que la fortune avoit placés à - peu - près dans les tems où le feu sacré s'étoit éteint, avoient fait naître une superstition qui s'étendit jusque sur les gens les plus sensés. Le feu sacré s'éteignit dans la conjoncture de la guerre de Mithridate; Rome vit
Dans la seconde guerre punique, parmi tous les prodiges vûs à Rome ou rapportés du dehors, selon Tite - Live, la consternation ne fut jamais plus grande que lorsqu'on apprit que le feu sacré venoit de s'éteindre au temple de Vesta: ni, selon cet historien, les épis devenus sanglans entre les mains des moissonneurs, ni deux soleils apperçûs à - la - fois dans la ville d'Albe, ni la foudre tombée sur plusieurs temples des dieux, ne firent point sur le peuple la même impression qu'un accident arrivé de nuit par une pure négligence humaine. On en fit une punition exemplaire; le pontife n'eut d'égard qu'à la loi casa flagro est vestalis; toutes les affaires cesserent, tant publiques que particulieres; on alla en procession au temple de Vesta, & on expia le crime de la vestale par l'immolation des grandes victimes. L'appréhension du peuple romain portoit cependant à faux dans cette occasion; & cet accident qui avoit mis tout Rome en mouvement, fut précédé du triomphe de Marcus Livius & de Claudius Néron, & suivi des grands avantages par lesquels Scipion finit la guerre d'Espagne contre les Carthaginois.
Quoi qu'il en soit, quand le feu sacré venoit à s'éteindre
par malheur, on ne songeoit qu'à le rallumer
le plûtôt possible: mais comment s'y prenoit - on?
car il ne talloit pas user pour cela d'un feu matériel,
comme si ce feu nouveau ne pouvoit être qu'un présent
du ciel? du moins, selon Plutarque, il n'étoit
permis de le tirer que des rayons même du Soleil: à
l'aide d'un vase d'airain les rayons venant à se réunir,
la matiere seche & aride sur laquelle tomboient
ces rayons, s'allumoit aussi - tôt; ce vase d'airain
étoit, comme l'on voit, une espece de miroir ardent.
Voyez
On sait que Festus n'est point d'accord avec Plutarque sur ce sujet; car il assûre que pour rallumer le feu sacré, on prenoit une table de bois qu'on perçoit avec un vilbrequin, jusqu'à ce que l'attrition produisît du feu qu'une vestale recevoit dans un crible d'airain, & le portoit en hâte au temple de Vesta, bâti par Numa Pompilius; & alors elle jettoit ce feu dans des réchauds ou vaisseaux de terre, qui étoient placés sur l'autel de la déesse.
Lipse adopte ce dernier sentiment de Festus, & soûtient que le passage de Plutarque cité ci - dessus, se doit entendre des Grecs & non des Romains, d'autant mieux que les vases creux dont il parle, & qui n'étoient autre chose que les miroirs paraboliques, ont été inventés par Archimede, lequel est postérieur à Numa de plus de 500 ans.
Cependant, outre qu'on ne peut guere appliquer
les paroles de Plutarque à la coûtume des Grecs sans
leur faire une grande violence, il seroit aisé de concilier
Festus & Plutarque, en ayant égard aux divers
tems de la république. Je croirois donc que depuis
Numa jusqu'à Archimede, les Romains ignorant l'usage
des miroirs ardens, ont pû se servir de l'invention
de produire du feu qui est décrite par Festus:
mais depuis qu'Archimede eut fait des épreuves
merveilleuses avec ses miroirs, & sur - tout depuis
qu'il en eut écrit un livre exprès, comme Pappus le
rapporte, cette invention fut connue de tout le monde,
& pour lors les Romains s'en servirent sans doute
comme d'un moyen plus noble & plus facile que
tout autre pour rallumer le feu sacré. Article de M. le
Chevalier
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