ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"693"> gneur, on faisoit des dispositions pour la succession tuture, dans la vûe que le fief pût être servi par les héritiers.

En un mot, les fiefs étant devenus héréditaires, & les arriere - fiefs s'étant étendus, il s'introduisit beaucoup d'usages en France, auxquels les lois saliques, ripuaires, bourguignones, & visigothes n'étoient plus applicables: on en retint bien pendant quelque tems l'esprit, qui étoit de regler la plûpart des affaires par des amendes; mais les valeurs ayant changé, les amendes changerent aussi. L'on suivit l'esprit de la loi, sans suivre la loi même. D'ailleurs la France se trouvant divisée en une infinité de petites seigneuries qui reconnoissoient plûtôt une dépendance féodale, qu'une dépendance politique, il n'y eut plus de loi commune. Les lois saliques, bourguignones, & visigothes, furent donc extrèmement négligées à la fin de la seconde race; & au commencement de la troisieme on n'en entendit presque plus parler. C'est ainsi que les codes des lois des barbares & les capitulaires se perdirent.

Enfin le gouvernement féodal commença entre le douzieme & treizieme siecle, à déplaire également aux monarques qui gouvernoient la France, l'Angleterre, & l'Allemagne: ils s'y prirent tous à - peu - près de même, & presque en même tems, pour le faire évanoüir, & former sur ses ruines une espece de gouvernement municipal de villes & de bourgs. Pour cet effet, ils accorderent aux villes & aux bourgs de leur domination plusieurs priviléges. Quelques serfs devinrent citoyens; & les citoyens acquirent pour de l'argent le droit d'élire leurs officiers municipaux. C'est vers le milieu du douzieme siecle qu'on peut fixer en France l'époque de l'établissement municipal des cités & des bourgs. Henri II. roi d'Angleterre donna des prérogatives semblables aux villes de son royaume; les empereurs suivirent les mêmes principes en Allemagne: Spire, par exemple, acheta en 1166 le droit de se choisir des bourguemestres, malgré l'évêque qui s'y opposoit: ainsi la liberté naturelle aux hommes sembla vouloir renaître de la conjoncture des tems & du besoin d'argent où se trouvoient les princes. Mais cette liberté n'étoit encore qu'une servitude réelle, en comparaison de celle de plusieurs villes d'Italie qui s'érigerent alors en république, au grand étonnement de toute l'Europe.

Il arriva cependant qu'insensiblement les villes & les bourgs de divers royaumes s'accrurent en nombre, & devinrent de plus en plus considérables: ensuite la nécessité, mere de l'industrie, obligea quantité de personnes à imaginer des moyens de contribuer aux commodités des gens riches, pour avoir de quoi subsister: de - là, l'invention de divers métiers en divers lieux & en divers pays. Enfin parut en Europe le commerce qui fructifie tout, le retour aimable des Lettres, des Arts, des Sciences, leur encouragement & leur progrès: mais comme rien n'est pur ici bas, de - là vint la renaissance odieuse de la maltôte romaine, si nuisible & si cruelle, inconnue dans la monarchie des Francs, & malheureusement remise en pratique parmi nous, lorsque les hommes commencerent à joüir des Arts & du Commerce.

Auteurs théoriques sur les fiefs. C'est précisément lorsque les fiefs furent rendus héréditaires, que presque tous les auteurs ont commencé leurs traités sur ce sujet, en appliquant communément aux tems éloignés les idées générales de leur siecle; source d'erreurs intarissable. Ceux qui ont remonté plus haut ont bâti des systèmes sur leurs préjugés. Peu de gens ont sû porter leur esprit sans prévention aux vraies sources des lois féodales; de ces lois qu'on vit paroître inopinément en Europe, sans qu'elles tinssent à celles qu'on avoit jusqu'alors connues; de ces lois qui ont fait des biens & des maux infinis; de ces lois enfin qui ont produit la regle avec une inclination à l'anarchie, & l'anarchie avec une tendance à la regle. M. de Montesquieu tenant le bout du fil est entré dans ce labyrinthe, l'a tout vû, en a peint le commencement, les routes, & les détours, dans un tableau lumineux dont je viens de donner l'esquisse, en empruntant perpétuellement son crayon, je ne dis pas son coloris.

Ceux qui seront curieux de comparer son excellent ouvrage avec d'autres sur la même matiere, peuvent lire, par exemple, de Hauteserre, Origines feudorum pro moribus Gallioe, liber singularis; il se trouve à la fin de ses trois livres de ducibus & comitibus provincialibus Gallioe, Toulouse, 1643, in - 4°. Le Fevre de Chantereau, de l'origine des fiefs; Loyseau, Boutillier, Pasquier; quelques uns de nos historiens; Cambden, dans sa Britannia; Spelman; & Saint - Amand, dans son Essai sur le pouvoir législatif de l'Angleterre. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Fief (Page 6:693)

Fief, (Jurisprud.) en latin feudum, & quelquefois anciennement feodum, est un immeuble ou droit réel qui est tenu & mouvant d'un seigneur, à la charge de lui faire la foi & hommage, quand il y a mutation & changement de personne, soit de la part du seigneur dont releve le fief, soit de la part du vassal, qui est le possesseur du fief.

Il est aussi ordinairement dû des droits en argent au seigneur, pour certaines mutations; mais il n'y a que la foi & hommage qui soit de l'essence du fief: c'est ce qui le distingue des autres biens.

Les auteurs sont fort partagés sur l'étymologie du mot fief: les uns le font venir de foedus, à cause de l'alliance qui se fait entre le seigneur & le vassal; d'autres, comme Cujas, le font venir de fides, ou du mot gaulois ou fié, qui signifie foi, parce que la foi est ce qui constitue l'essence du fief; d'autres, du mot saxon feh, gages. Bodin prérend que le mot latin foedus est formé des lettres initiales de ces mots, fidelis ero domino vero meo, qui étoient une ancienne formule de la foi & hommage: Hottmand le fait venir du mot allemand qui signifie guerre: Pontanus le tire du mot danois feid, service militaire: d'autres, du mot hongrois foeld, terre: d'autres, de foden, nourrir; mais l'opinion de Selden, qui paroît la plus suivie, est que ce mot fief tire son étymologie de l'ancien saxon feod, qui signifie joüissance ou possession de la solde; parce qu'en effet les fiefs, dans leur origine, ont été donnés pour récompense du service militaire, & à la charge de faire ce service gratuitement: de maniere que le fief tenoit lieu de solde. De feod on a fait en latin feodum, & par corruption feudum: aussi les termes de féodal & de féodalité sont - ils plus usités dans nos coûtumes, que celui de feudal.

Tous les héritages & droits réels réputés immeubles, sont tenus en fief, ou en censive, ou en francaleu.

Les fiefs sont opposés auxrotures, qui sont les biens tenus en censive; ils sont aussi différens des francaleux, qui ne relevent d'aucun seigneur.

Dans le doute, une terre est présumée roture, s'il n'appert du coutraire.

La qualité de fief doit être prouvée par des actes de foi & hommage, par des aveux & dénombremens, par des partages, ou par des jugemens contradictoires, & autres actes authentiques.

Un seul dénombrement ne suffit pas pour la preuve du fief, à moins qu'il ne soit soûtenu d'autres adminicules: la preuve par témoins n'est point admise en cette matiere.

On peut tenir en fief toutes sortes d'immeubles, tels que les maisons & autres bâtimens, cours, bassecours, jardins, & autres dépendances, les terres la<pb-> [p. 694] bourables, prés, vignes, bois, étangs, rivieres, &c.

M. le Laboureur, sur les Masures de l'isle Barbe, p. 181. dit, à l'occasion d'un titre de l'an 1341, que l'érection d'un fief ne se pouvoit faire qu'il n'y eût 10 liv. de rente; ce qui suffisoit alors pour l'entretien d'un gentilhomme.

On peut aussi tenir en fief toutes sortes de droits réels à prendre sur des immeubles tels que le cens, rentes foncieres, dixmes, champarts, &c. les propriétaires de ces droits sont obligés d'en faire la foi au seigneur dont ils les tiennent.

Les justices seigneuriales sont aussi toutes tenues en fief du roi, & attachées à quelque fief corporel dont elles ne peuvent être séparées par le possesseur.

L'origine des fiefs est un des points les plus obscurs & les plus embrouillés de notre histoire; elle paroît venir de l'ancienne coûtume de toutes les nations, d'imposer un hommage & un tribut au plus foible.

Plusieurs tiennent que les fiefs étoient absolument inconnus aux Romains; parce qu'en effet il n'en est point parlé dans leurs lois: il est néanmoins certain que les empereurs romains donnerent à leurs capitaines & à leurs soldats des terres conquises sur les ennemis, avec des esclaves & des animaux pour les cultiver; ces concessions furent faites à la charge de l'hommage ou reconnoissance envers celui dont ils tenoient ces bienfaits; & à condition de ne passer aux enfans mâles qu'au cas qu'ils portassent les armes. S'il n'y avoit que des filles, ou que les garçons ne portassent pas les armes, l'empereur donnoit les terres à d'autres officiers ou soldats; ce qu'il faisoit, dit Lampride en la vie de Sévere, pour les engager à mieux défendre les frontieres qui étoient devenues leur propre bien. On trouve plusieurs exemples de ces concessions sous les empereurs Alexandre Severe & Probus, l'un mort l'an 211; l'autre, en 282.

On trouve donc dès le tems des Romains le premier modele des fiefs, & l'obligation du service militaire imposée aux possesseurs; & comme c'étoient principalement les terres des frontieres que l'on accordoit ainsi aux officiers, on peut rapporter à cette époque la premiere origine de nos marquis, qui, dans leur institution, étoient destinés à garder les marches ou frontieres du royaume.

Comme les empereurs faisoient ces sortes de concessions dans les pays qu'ils avoient conquis, on conçoit qu'ils ne manquerent pas d'en faire dans les Gaules, que Jules César avoit réduites en province romaine.

Quelques auteurs croyent entrevoir des traces des devoirs réciproques du seigneur & du vassal, dans l'ancienne relation qu'il y avoit entre le patron & le client.

Il faut néanmoins convenir que les Romains n'avoient point dans leurs états de fiefs tels qu'ils ont été pratiqués en France, sur - tout depuis le tems de la seconde race de nos rois.

Mezeray prétend que la donation des fiefs à la noblesse de France commença sous Charles - Martel.

D'autres tiennent que l'usage des fiefs nous est venu des Lombards, & que Charlemagne l'emprunta d'eux. Il est certain en effet que les Lombards furent les premiers qui érigerent des duchés, pour relever en fief de leur état.

Ces peuples voyant en 584 que l'empereur Maurice vouloit faire les derniers efforts pour les exterminer, remirent leur état en royaume: néanmoins les trente - six ducs qui gouvernoient leurs villes, les garderent en propre & à titre héréditaire; mais ils demeurerent obligés envers le roi à certains devoirs, particulierement de lui obéir & le suivre en guerre. Spolette & Benevent furent sous les Lombards des duchés héréditaires avant Charlemagne.

Ce qui a pû accréditer cette opinion, est que les livres des fiefs que l'on a joints au corps de droit, sont principalement l'ouvrage de deux jurisconsultes lombards nommés Gérard le Noir & Obert de Horto, qui étoient consuls de Milan en 1158: ce sont les jurisconsultes lombards qui ont embrouillé le droit des fiefs des subtilités du digeste; celui de France étoit auparavant fort simple

D'autres encore pensent que Charlemagne prit l'idée des fiefs chez les peuples du nord: en effet, comme on l'a déjà observé, le mot fief paroît venir du mot saxon feod, qui signifie la joüissance ou la possession de la solde; & de feod on a fait feodum, & en françois féodal.

Quelques - uns pour concilier ces deux dernieres opinions, disent que Charlemagne, après avoir pris l'idée des fiefs chez les peuples du nord, s'y confirma par l'exemple des Lombards; & qu'après en avoir fait l'expérience en Italie, il estima tant cette police, qu'il l'introduisit dans tous les pays où il le put faire sans détruire les lois qui y étoient d'ancienneté. C'est ainsi que Tassillon possédoit le duché de Baviere, à condition d'un hommage; & ce duché eût appartenu à ses descendans, si Charlemagne ayant vaincu ce prince n'eût dépouillé le pere & les enfans.

Il y a aussi des historiens qui rapportent l'établissement des fiefs en France au roi Raoul, lequel, pour gagner l'affection des grands, fut obligé de leur donner plusieurs domaines.

D'autres enfin fixent cette époque au tems de Hugues Capet.

Mais nonobstant ces diverses opinions, il paroît constant que l'usage des fiefs est venu en France du nord; qu'il y fut apporté par les Francs lorsqu'ils firent la conquête des Gaules.

M. Schilter, en ses notes sur le traité des fiefs de Struvius, remarque que ce n'est point aux seuls Lom bards qu'on doit l'origine des fiefs; qu'ils étoient en usage en Allemagne, avant que le droit des Lombards y eût été reçû; que les François ont beaucoup plus contribué que les Lombards à introduire l'usage des fiefs; que c'est par eux que les fiefs ont passé en Allemagne.

Il observe encore que les fiefs sont inconnus en Espagne, quoique les Visigoths s'y soient établis: d'où il infere que cet usage n'étoit pas commun à tous les peuples de Germanie; qu'il s'est introduit peu après chez les François & les Lombards, depuis que les uns & les autres furent sortis de Germanie: il y a lieu de croire que les Francs avoient emprunté cet usage des Saxons.

Il est vrai que le terme de fief étoit totalement inconnu sous la premiere race de nos rois: aussi n'en est - il rien dit dans la loi salique ni dans celle des Ripuariens: il n'y est parlé que des terres saliques & des aleux. Les aleux étoient les biens libres qui étoient demeurés aux anciens propriétaires: les terres saliques étoient celles qui étoient données aux officiers & soldats, jure beneficii, c'est - à - dire à titre de bienfait & de récompense, & à la charge du service militaire. Ce fut à ce titre que Clovis donne Melun à Aurélien, jure beneficii concessit: ainsi ces bénéfices qui sont les premiers fondemens des fiefs, sont aussi anciens que la monarchie.

Dumoulin ne doute point que ces distributions de terres appellées bénéfices, dont l'usage avoit commencé chez les Romains, ne soient la premiere origine de nos fiefs; c'est pourquoi il se sert indifféremment des mots bénéfice & fief, quoiqu'il y ait une différence essentielle entre bénéfice & fief. Est - ce que ces bénéfices n'obligeoient point à la foi & hommage, ni aux autres devoirs féodaux? d'ailleurs ces benéfices n'étoient point héréditaires.

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