ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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On ne peut pas douter que les fiefs ne fussent d'abord amovibles. Les historiens, les formules, les codes des différens peuples barbares, tous les monumens qui nous restent, sont unanimes sur ce fait. Enfin, ceux qui ont écrit le livre des fiefs, nous apprennent que d'abord les seigneurs purent les ôter à leur volonté, qu'ensuite ils les assûrerent pour un an, & ensuite les donnerent pour la vie.

Deux sortes de gens étoient tenus au service militaire; les leudes vassaux qui y étoient obligés en conséquence de leur fief; & les hommes libres francs, romains & gaulois, qui servoient sous le comte, & étoient menés par lui & ses officiers.

On appelloit hommes libres, ceux qui d'un côté n'avoient point de bénéfices ou fiefs, & qui de l'autre n'étoient point soûmis à la servitude de la glebe; ces terres qu'ils possédoient, étoient ce qu'on appelloit des terres allodiales.

Il y avoit un principe fondamental, que ceux qui étoient sous la puissance militaire de quelqu'un, étoient aussi sous sa jurisdiction civile. Une des raisons qui attachoit ce droit de justice, au droit de mener à la guerre, faisoit en même tems payer les droits du fisc, qui consistoient uniquement en quelques services de voiture dûs par les hommes libres, & en général en de certains pronts judiciaires très limités. Les seigneurs eurent le droit de rendre la justice dans leurs fiefs, par le même principe qui fit que les comtes eurent le droit de la rendre dans leur comté.

Les fiefs comprenoient de grands territoires; comme les rois ne levoient rien sur les terres qui étoient du partage des francs, encore moins pouvoient - ils se réserver des droits sur les fiefs; ceux qui les obtinrent eurent à cet égard la joüissance la plus étendue: la justice fut donc un droit inhérent au fief même. On ne peut pas, il est vrai, prouver par des contrats originaires, que les justices dans les commencemens ayent été attachées aux fiefs, puisqu'ils furent établis par le partage qu'en firent les vainqueurs; mais comme dans les formules des confirmations de ces fiefs, on trouve que la justice y étoit établie, il résulte que ce droit de justice étoit de la nature du fief, & une de ses prérogatives.

On sait bien que dans la suite, la justice a été séparée d'avec le fief, d'où s'est formée la regle des jurisconsultes françois, autre chose est le fief, autre chose est la justice: mais voici une des grandes causes de cette séparation; c'est que y ayant une infinité d'hommes de fiefs, qui n'avoient point d'hommes sous eux, ils ne furent pas en état de tenir leurs cours: toutes les affaires furent donc portées à la cour de leur seigneur suzerain, & les hommes de fiefs perdirent le droit de justice, parce qu'ils n'eurent ni le pouvoir ni la volonté de le réclamer.

Présentement nous pouvons nous former une idée de la nature des gouvernemens établis en Europe, par les nations du nord. Nous voyons de - là l'origine des principautés, duchés, comtés, dans lesauels les royaumes de l'Europe ont été partagés; de - là nous pouvons remarquer, que la propriété, le domaine (directum dominium) du pays, résidoit dans le corps politique; que les tenanciers en fief étoient seulement revêtus du domaine utile, dominium utile; & que par conséquent les grands tenoient leurs seigneuries du public, du royaume & non du roi. C'est ainsi que les princes d'Allemagne tiennent leurs principautés de l'Empire & non de l'empereur; & c'est aussi pourquoi les seigneurs anglois sont nommés pairs du royaume, quoiqu'on croye communément qu'ils tiennent leur titre du roi. C'est encore par la même raison qu'en Angleterre..... Mais laissons aux particuliers des diverses nations, les remarques intéressantes qui les concernent, & hâtons - nous de parler des principaux changemens, qui par succession de tems, sont arrivés dans le gouvernement féodal & politique de notre royaume.

Changemens arrivés dans le gouvernement féodal & politique de France. Quoique par la loi, les fiefs fussent amovibles, ils ne se donnoient pourtant, ni ne s'ôtoient d'une maniere arbitraire, & c'étoit ordinairement une des principales choses qui se traitoit dans les assemblées de la nation; on peut bien penser que la corruption se glissa parmi nous sur ce point, l'on continua la possession des fiefs pour de l'argent, comme on fit pour la possession des comtés.

Ceux qui tenoient des fiefs avoient de très - grands avantages. La composition pour les torts qu'on leur faisoit, étoit plus forte que celle des hommes libres. On ne pouvoit obliger un vassal du roi de jurer par lui - même, mais seulement par la bouche de ses propres vassaux. Il ne pouvoit être contraint de jurer en justice contre un autre vassal. Ces avantages firent que l'on vint à changer son aleu en fief, c'est - à - dire qu'on donnoit sa terre au roi, qui la donnoit aux donateurs en usufruit ou bénéfice, & celui - ci désignoit au roi ses hériters.

Comme il arriva sous Charles Martel, que les fiefs furent changés en biens d'église, & les biens d'église en fiefs, les fiefs & les biens d'église prirent réciproquement quelque chose de la nature de l'un & de l'autre. Ainsi les biens d'église eurent les priviléges des fiefs, & les fiefs eurent le privilége des biens d'église. Voilà l'origine des droits honorifiques dans les églises.

Les hommes libres ne pouvoient point dans les commencemens se recommander pour un fief; mais ils le purent dans la suite, & ce changement se fit dans le tems qui s'écoula depuis le regne de Gontrand jusqu'à celui de Charlemagne. Ce prince dans le partage fait à ses enfans, déclara que tout homme libre pourroit après la mort de son seigneur, se recommander pour un fief dans les trois royaumes, à qui il voudroit, de même que celui qui n'avoit jamais eu de seigneur. Ensuite tout homme libre put choisir pour son seigneur qui il voulut, du roi ou des autres seigneurs. Ainsi ceux qui étoient autrefois nuement sous la puissance du roi, en qualité d'hommes libres sous la puissance du comte, devinrent insensiblement vassaux des uns des autres à cause de cette liberté.

Voici d'autres changemens qui arriverent en France dans les fiefs depuis Charles le Chauve. Il ordonna dans ses capitulaires, que les comtés seroient donnés aux enfans du comte, & il voulut que ce réglement eût encore lieu pour les fiefs. Ainsi les fiefs passerent aux enfans par droit de succession & par droit d'élection.

L'Empire étoit sorti de la maison de Charlemagne dans le tems que l'hérédité des fiefs ne s'établissoit que par condescendance; au - contraire, quand la couronne de France sortit de la maison de Chatlemagne, les fiefs étoient réellement héréditaires dans ce royaume; la couronne, comme un grand fief, le fut aussi.

Après que les fiefs, d'annuels qu'ils étoient, furent devenus héréditaires, il s'éleva plusieurs contestations entre les seigneurs & leurs vassaux, & entre les vassaux eux - mêmes; dans ces contestations il fallut faire des réglemens concernant les droits & les fonctions réciproques de chacun. Ces réglemens ramassés peu - à - peu des décisions particulieres, furent appellés la loi des fiefs, & on s'en servit en Europe pendant plusieurs siecles.

Cette loi est distinguée par le docteur Nicholson, un des plus savans prélats d'Angleterre en matiere d'antiquités, dans les périodes suivantes: 1°. sa nais<pb-> [p. 692] sance depuis l'irruption des nations septentrionales jusqu'à l'an 650: 2°. son enfance depuis ce tems - là jusqu'en 800: en 3° lieu, sa jeunesse depuis le même tems jusqu'en 1027: enfin 4°, son état de perfection peu de tems après.

Les princes de l'Europe & leurs sujets se trouvant unis mutuellement par des titres de possessions en fief (ce qui étant dûement considéré, montre la vraie nature du pouvoir de la royauté); cette union subsista long - tems dans un heureux état, pendant lequel, aucun prince de l'Europe ne s'imagina être revêtu d'un pouvoir arbitraire, jusqu'à ce que la loi civile ayant été ensevelie dans l'oubli, après l'établissement des nations du nord dans l'occident de l'Empire, cette nouvelle idée parut au jour. Alors quelques princes se servirent de la loi Regia pour s'attribuer un pouvoir despotique, & introduire dans leurs royaumes la loi civile, uniquement par ce motif. Cette entreprise n'eut point de succès en Angleterre, mais elle gagna le dessus dans d'autres parties de l'Europe; en Espagne, par exemple, où la lecture de cette loi fut pour cette raison défendue sur peine de la vie.

Effets qui ont résulté de l'hérédité des fiefs. Une infinité de conséquences ont résulté de la perpétuité des fiefs. Il arriva de cette perpétuité des fiefs, que le droit d'ainesse ou de primogéniture s'établit dans l'Europe, chez les François, les Espagnols, les Italiens, les Anglois, les Allemands. Cependant on ne connoissoit point en France cet injuste droit d'aînesse dans la premiere race; la couronne se partageoit entre les freres, les aleus se divisoient de même, & les fiefs amovibles ou à vie n'étant pas un objet de succession, ne pouvoient être un objet de partage. Dans la seconde race, le titre d'empereur qu'avoit Louis le Débonnaire, & dont il honora Lothaire son fils aîné, lui fit imaginer de donner à ce prince une espece de primaute sur ses cadets.

On juge bien que le droit d'aînesse établi dans la succession des fiefs, le fut de même dans celle de la couronne, qui étoit le grand fief. La loi ancienne qui formoit des partages, ne subsista plus: les fiefs étant chargés d'un service, il falloit que le possesseur fût en état de le remplir: la raison de la loi féodale força celle de la loi politique ou civile.

Dès que les fiefs furent devenus héréditaires, les ducs ou gouverneurs des provinces, les comtes ou gouverneurs des villes, non contens de perpétuer ces fiefs dans leurs maisons, s'érigerent eux - mêmes en seigneurs propriétaires des lieux, dont ils n'étoient que les magistrats, soit militaires, soit civiles, soit tous les deux ensemble. Par - là fut introduit un nouveau genre d'autorité dans l'état, auquel on donna le nom de suzeraineté; mot, dit Loyseau, qui est aussi étrange que cette espece de seigneurie est absurde.

A l'égard des fiefs qui étoient dans leurs gouvernemens, & qu'ils ne purent pas s'approprier, parce qu'ils passoient par hérédité aux enfans du possesseur, ils inventerent, pour s'en dédommager, un droit qu'on appella le droit de rachat, qui se paya d'abord en ligne directe, & qui par usage, vint à ne se payer plus qu'en ligne collatérale. Voilà l'origine du droit de rachat reçu par nos coûtumes.

Bien - tôt les fiefs pûrent être transportés aux étrangers comme un bien patrimonial; c'est à quoi l'on attribue en général l'origine du droit de lods & ventes; mais consultez là - dessus ceux qui ont traité de cette matiere, relativement aux différentes coûtumes du royaume.

Lorsque les fiefs étoient à vie, on ne pouvoit pas donner une partie de son fief, pour le tenir à toûjours en arriere - fief; il eût été absurde qu'un simple usufruitier eût disposé de la propriété de la chose; mais lorsqu'ils devinrent perpétuels, cela fut permis avec de certaines restrictions, que nos coûtumes ont en partie adoptées; c'est - là ce qu'on a nommé se joüer de son fief.

La perpétuité des fiefs ayant établi le droit de rachat, comme nous l'avons dit, il arriva queles filles purent succéder à un fief au défaut des mâles; car le seigneur donnant le fief à la fille, il multiplioit les cas de son droit de rachat, parce que le mari devoit le payer comme la femme: mais cette disposition ne pouvoit avoir lieu pour la couronne; car comme elle ne relevoit de personne, il ne pouvoit y avoir de droit de rachat sur elle.

Eléonore succéda à l'Aquitaine, & Mathilde à la Normandie. Le droit des filles à la succession des fiefs parut dans ce tems - là si bien établi, que Louis VII. dit le jeune, après la dissolution de son mariage avec Eléonore, ne fit aucune difficulté de lui rendre la Guienne en 1150.

Quand les fiefs étoient amovibles, on les donnoit à des gens qui pouvoient les servir; & il n'étoit point question de mineur: mais quand ils furent perpétuels, les seigneurs prirent le fief jusqu'à la majorité, soit pour augmenter leur profit, soit pour faire élever le pupille dans l'exercice des armes. Ce fut, je pense, vers l'an 877, que les rois firent administrer les fiefs, pour les conserver aux mineurs; exemple qui fut suivi par les seigneurs, & qui donna l'origine à ce que nous appellons la garde - noble; laquelle est fondée sur d'autres principes que ceux de la tutelle, & en est entierement distincte.

Quand les fiefs étoient à vie, on se recommandoit pour un fief; & la tradition réelle qui se faisoit par le sceptre, constatoit le fief, comme fait aujourd'hui ce que nous nommons l'hommage.

Lorsque les fiefs passerent aux héritiers, la reconnoissance du vassal, qui n'étoit dans les premiers tems qu'une chose occasionnelle, devint une action réglée; elle fut faite d'une maniere plus éclatante; elle fut remplie de plus de formalités, parce qu'elle devoit porter la mémoire des devoirs du seigneur & du vassal, dans tous les âges.

Quand les fiefs étoient amovibles ou à vie, ils n'appartenoient guere qu'aux lois politiques; c'est pour cela que dans les lois civiles de ce tems là il est fait si peu mention des lois des fiefs: mais lorsqu'ils devinrent héréditaires, qu'ils purent se donner, se vendre, se léguer, ils appartinrent & aux lois politiques & aux lois civiles. Le fief considéré comme une obligation au service militaire, tenoit au droit politique; considéré comme un genre de bien qui étoit dans le commerce, il tenoit au droit civil: cela donna naissance aux lois civiles sur les fiefs.

Les fiefs étant devenus héréditaires, les lois concernant l'ordre des successions dûrent être relatives à la loi de la perpétuité des fiefs: ainsi s'établit, malgré la disposition du droit romain & de la loi salique, cette regle du droit françois, propres ne remontent point. Il falloit que le fief fût servi; mais un ayeul, un grand oncle, auroient été de mauvais vassaux à donner au seigneur: aussi cette regle n'eutelle d'abord lieu que pour les fiefs, comme nous l'apprenons de Boutillier.

Les fiefs étant devenus héréditaires, les seigneurs soigneux de veiller à ce que le fief fût servi, exigerent que les filles qui devoient succéder aux fiefs ne pussent se marier sans leur consentement; de sorte que les contrats de mariage devinrent pour les nobles une disposition féodale, & une disposition civile. Dans un acte pareil fait sous les yeux du sei<pb->

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