ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"689"> nom de Goths, Visigoths, Ostrogoths, Vandales, Anglo - Saxons, Francs, Bourguignons, qui se répandirent dans toute l'Europe, s'y établirent, & donnerent le commencement aux états, aux fiefs, qui partagent aujourd'hui cette partie du monde.

Ces peuples barbares, c'est - à - dire ces peuples étrangers à la langue & aux moeurs des pays qu'ils inonderent, descendoient des anciens Germains, dont César & Tacite nous ont si bien dépeint les moeurs. Nos deux historiens se rencontrent dans un tel concert, avec les codes des lois de ces peuples, qu'en lisant César & Tacite, on trouve par - tout ces codes; & qu'en lisant ces codes, on trouve par - tout César & Tacite.

Raisons de cette invasion en occident. Après que le vainqueur de Pompée eut opprimé sa patrie, & qu'elle eut été soûmise à la domination la plus tyrannique, l'Europe gémit long - tems sous un gouvernement violent, & la douceur romaine fut changée en une oppression des plus cruelles. Enfin les nations du Nord favorisées par les autres peuples également opprimés, se rassemblerent & se réunirent ensemble pour venger le monde: elles se jetterent comme des torrens en Italie, en France, en Espagne, dans toutes les provinces romaines du midi, les conquirent, les démembrerent, & en firent des royaumes; Rome avoit si bien anéanti tous les peuples, que lorsqu'elle fut vaincue elle - même, il sembla que la terre en eût enfanté de nouveaux pour la détruire.

Les princes des grands états ont ordinairement peu de pays voisins qui puissent être l'objet de leur ambition; s'il y en avoit eû de tels, ils auroient été enveloppés dans le cours de la conquête: ils sont donc hornés par des mers, des rivieres, des montagnes, & de vastes deserts, que leur pauvreté fait mépriser. Aussi les Romains laisserent - ils les Germains septentrionaux dans leurs forêts, & les peuples du Nord dans leurs glaces; & il s'v conserva, ou il s'y forma des nations qui les asservirent eux - mêmes.

Raisons de cette invasion en Orient. Pendant que les Goths établissoient un nouvel empire en Occident, à la place de celui des Romains, il y avoit en Orient les nations des Huns, des Alains, des Avares, habitans de la Sarmatie & de la Scythie, auprès des Palus - Méotides, peuples terribles, nés dans la guerre & dans le brigandage, errans presque toûjours à cheval ou sur leurs chariots, dans le pays où ils étoient enfermés.

On raconte que deux jeunes Scythes poursuivant une biche qui traversa le bosphore Cimmérien, aujourd'hui le détroit de Kapha, le traverserent aussi. Ils furent étonnés de voir un nouveau monde; & retournant dans l'ancien, ils firent connoître à leurs compatriotes les nouvelles terres, & si l'on peut se servir de ce terme, les Indes qu'ils avoient découvertes.

D'abord les armées innombrables de ces peuples Huns, Alains, Avares, passerent le bosphore, & chasserent sans exception tout ce qu'ils rencontrerent sur leur route; il sembloit que les nations se précipitassent les unes les autres, & que l'Asie pour écraser l'Europe, eût acquis un nouveau poids. La Thrace, l'Illyrie, l'Achaïe, la Dalmatie, la Macédoine, en un mot toute la Grece fut ravagée.

Enfin sous l'empereur Théodose, dans le cinquieme siecle, Attila vint au monde pour desoler l'Univers. Cet homme, un des plus grands monarques dont l'histoire ait parlé, logé dans sa maison de bois où nous le représente l'histoire, étant maître de tous ces peuples Scythes, craint de ses sujets sans être haï, rusé, fier, ardent dans sa colere, & sachant la regler suivant ses intérêts; fidelement servi des rois mêmes qui étoient sous sa dépendance; simple dans sa conduite, & d'ailleurs d'une bravoure qu'on ne peut guere loüer dans le chef d'une nation, où les enfans entroient en fureur au récit des beaux faits d'armes de leurs peres, & où les peres versoient des larmes lorsqu'ils ne pouvoient pas imiter leurs enfans; Attila, dis - je, soûmit tout le Nord, traversa la Germanie, entra dans les Gaules, ravagea l'Italie, détruisit Aquilée, retourna victorieux dans la Pannonie, & y mourut après avoir imposé ses lois à l'empire d'Orient & d'Occident, & se préparant encore à envahir l'Asie & l'Afrique. Envain, après sa mort, les nations barbares se diviserent, l'empire des Romains étoit perdu; il alla de degrés en degrés, de la décadence à sa chûte, jusqu'à ce qu'il s'affaissa tout - à - coup sous Arcadius & Honorius. Ainsi changea la face de l'Univers.

Différence qui a résulté de l'invasion en Occident & en Orient. Par le tableau que nous venons de tracer de ce grand évenement qu'ont produit les invasions successives des Goths & des Huns, le lecteur est en état de juger de la différence qui a dû résulter de l'irruption de ces divers peuples du Nord. Les derniers n'ont fait que ravager les pays de l'Europe où ils ont passé, sans y former d'établissement; semblables aux Tartares leurs compatriotes, soûmis à la volonté d'un seul, avides de butin, ils n'ont songé dans leurs conquêtes qu'à se rendre formidables, à imposer des tributs exorbitans, & à affermir par les armes l'autorité violente de leur chef. Les premiers au contraire se fixerent dans les royaumes qu'ils soûmirent; & ces royaumes, quoique fondés par la force, ne sentirent point le joug du vainqueur. De plus, ces premiers, libres dans leurs pays, lorsqu'ils s'emparerent des provinces romaines en Occident, n'accorderent jamais à leur général qu'un pouvoir limité.

Quelques - uns même de ces peuples, comme les Vandales en Afrique, les Goths dans l'Espagne, déposoient leur roi dès qu'ils n'en étoient pas contens; & chez les autres, l'autorité du prince étoit bornée de mille manieres différentes. Un grand nombre de seigneurs la partageoient avec lui; les guerres n'étoient entreprises que de leur consentement; les dépouilles étoient communes entre le chef & les soldats; aucun impôt en faveur du prince; & les lois étoient faites dans les assemblées de la nation.

Quelle différence entre les Goths & les Tartares! Ces derniers en renversant l'empire grec, établirent dans les pays conquis le despotisme & la servitude; les Goths conquérant l'empire romain, fonderent partout la monarchie & la liberté. Jornandez appelle le nord de l'Europe, la fabrique du genre humain; il seroit encore mieux de l'appeller, la fabrique des instrumens qui ont brisé les fers forgés au midi: c'estlà en effet que se sont formées ces nations vaillantes, qui sont sorties de leurs pays pour détruire les tyrans & les esclaves, & pour apprendre aux hommes que la nature les ayant fait égaux, la raison n'a pû les rendre dépendans que pour leur bonheur.

Autres preuves de cette difference. On comprendra mieux ces vérités, si l'on veut se rappeller les moeurs, le caractere, & le génie des Germains dont sortirent ces peuples, que Tacite nomme Gethones, & qui subjuguerent l'empire d'Occident. Ils ne s'appliquoient point à l'agriculture; ils vivoient de lait, de fromage, & de chair; personne n'avoit de terres ni de limites qui lui fussent propres. Les princes & les magistrats de chaque nation donnoient aux particuliers la portion de terrein qu'ils vouloient dans le lieu qu'ils vouloient, & les obligeoient l'année suivante de passer ailleurs.

Chaque prince avoit une troupe de compagnons (comites) qui s'attachoient à lui & le suivoient. Il y avoit entre eux une émulation singuliere pour obtenir quelque distinction auprès du prince; il regnoit [p. 690] de même une vive émulation entre les princes sur le nombre & la bravoure de leurs compagnons. Dans le combat, il étoit honteux au prince d'être inférieur en courage à ses compagnons; il étoit honteux aux compagnons de ne point égaler la valeur du prince, & de lui survivre. Ils recevoient de lui le cheval du combat, & le javelot terrible. Les repas peu délicats, mais grands, étoient une espece de solde pour ces braves gens.

Il n'y avoit point chez eux de fiefs, mais il y avoit des vassaux. Il n'y avoit point de fiefs, puisque leurs princes n'avoient point de terrein fixe à leur donner; ou si l'on veut, leurs fiefs étoient des chevaux de bataille, des armes, des repas. Il y avoit des vassaux, parce qu'il y avoit des hommes fideles, liés par leur parole, par leur inclination, par leurs sentimens, pour suivre le prince à la guerre. Quand un d'eux, dit César, déclaroit à l'assemblée qu'il avoit formé le projet de quelque expédition, & demandoit qu'on le suivît; ceux qui approuvoient le chef & l'entreprise, se levoient & offroient leur secours. Il ne faut pas s'étonner que les descendans de ces peuples ayant le même gouvernement, les mêmes moeurs, le même caractere, & marchant sur les mêmes traces, ayent conquis l'empire romain.

Idée du gouvernement féodal établi par les peuples du Nord en Europe. Mais pour avoir une idée du gouvernement qu'ils établirent dans les divers royaumes de leur domination, il est nécessaire de considérer plus particulierement la nature de leurs armées envoyées pour chercher de nouvelles habitations, & la conduite qu'ils tinrent. La nation entiere étoit divisée, comme les Israélites, en plusieurs tribus distinctes & séparées, dont chacune avoit ses juges sans aucun supérieur commun, excepté en tems de guerre, tel qu'étoit les dictateurs parmi les Romains: ainsi les armées ou colonies qu'on faisoit partir de leurs pays surchargés d'habitans, n'étoient pas des armées de mercenaires qui fissent des conquêtes pour l'avantage de ceux qui les payoient; c'étoient des sociétés volontaires, ou des co - partageans dans l'expédition qu'on avoit entreprise. Ces sociétés étoient autant d'armées distinctes, tirées de chaque tribu, chacune conduite par ses propres chefs, sous un supérieur ou général choisi par le commun consentement, & qui étoit aussi le chef ou capitaine de sa tribu: c'étoit en un mot une armée de confédérés. Ainsi la nature de leur société exigeoit que la propriété du pays conquis fût acquise à tout le corps des associés, & que chacun eût une portion dans le tout qu'il avoit aidé à conquérir.

Pour fixer cette portion, le pays conquis étoit divisé en autant de districts que l'armée contenoit de tribus; on les appella provinces, comtés (en anglois shire, qui vient du mot saxon scyre, c'est - à - dire diviser, partager). Après cette division générale, les terres étoient encore partagées entre les chefs des tribus. Comme il étoit nécessaire à leur établissement, dans un pays nouvellement conquis, de continuer leur général dans son autorité, on doit le considérer sous deux divers égards; comme seigneur d'un district particulier, divisé parmi ses propres volontaires; ou comme seigneur ou chef de la grande seigneurie du royaume. A chaque district ou comté présidoit le comte (en anglois ealdorman), qui avec une assemblée de vassaux tenanciers (landholders) régloit toutes les affaires du comté; & sur toute la seigneurie du royaume, présidoit le général ou roi, lequel avec une assemblée générale des vassaux de la couronne, régloit les affaires qui regardoient tout le corps de la république ou communauté.

Ainsi quand les Gaules furent envahies par les nations germaines, les Visigoths occuperent la Gaule narbonnoise, & presque tout le midi; les Bourgui<cb-> gnons se fixerent dans la partie qui regarde l'orient; les Francs conquirent à - peu - près le reste; & ces peuples conserverent dans leurs conquêtes les moeurs, les inclinations, & les usages qu'ils avoient dans leur pays, parce qu'une nation ne change pas dans un instant de manieres de penser & d'agir. Ces peuples, dans la Germanie, cultivoient peu les terres, & s'appliquoient beaucoup à la vie pastorale. Roricon, qui écrivoit l'histoire chez les Francs, étoit pasteur.

Le partage des terres se fit différemment chez les divers peuples qui envahirent l'empire: les uns comme les Goths & les Bourguignons, firent des conventions avec les anciens habitans sur le partage des terres du pays: les seconds, comme les Francs dans les Gaules, prirent ce qu'ils voulurent, & ne firent de réglemens qu'entre eux; mais dans ce partage même, les Francs & les Bourguignons agirent avec la même modération. Ils ne dépouillerent point les peuples conquis de toute l'étendue de leurs terres; ils en prirent tantôt les deux tiers, tantôt la moitié, & seulement dans certains quartiers. Qu'auroient - ils fait de tant de terres?

D'ailleurs il faut considérer que les partages ne furent point exécutés dans un esprit tyrannique, mais dans l'idée de subvenir aux besoins mutuels de deux peuples qui devoient habiter le même pays. La loi des Bourguignons veut que chaque bourguignon soit reçu en qualité d'hôte chez un romain: le nombre des romains qui donnerent le partage, fut donc égal à celui des bourguignons qui le reçurent. Le romain fut lésé le moins qu'il lui fut possible: le bourguignon chasseur & pasteur, ne dédaignoit pas de prendre des friches; le romain gardoit les terres les plus propres à la culture; les troupeaux du bourguignon engraissoient le champ du romain.

Ces partages de terres sont appellés par les écrivains du dernier tems, sortes gothicoe, & sortes romanoe en Italie. La portion du terrein que les Francs prirent pour eux dans les Gaules, fut appellée terroe salica, terre salique; le reste fut nommé allodium, en françois aleu, de la particule négative à, & heud qui signifie en langue teutonique, les personnes attachées par des tenemens de fief, qui seules avoient part à l'établissement des lois.

Le romain ne vivoit pas plus dans l'esclavage chez les Francs, que chez les autres conquérans de la Gaule; & jamais les Francs ne firent de réglement général, qui mît le romain dans une espece de servitude. Quant aux tributs, si les Gaulois & les Romains vaincus en payerent aux Francs, ce qui n'est pas vraissemblable dans la monarchie de ces peuples simples, ces tributs n'eurent pas lieu long - tems, & furent changés en un service militaire: quant aux cens, il ne se levoit que sur les serfs, & jamais sur les hommes libres.

Comme les Germains avoient des volontaires qui suivoient les princes dans leurs entreprises, le même usage se conserva après la conquête. Tacite les désigne par le nom de compagnons comites; la loi salique par celui d'hommes qui sont sous la foi du roi, qui sunt in truste regis, tit. xljv. art. 4; ces formules de Marculfe (l. I. form. 18), par celui d'antrustions du roi du mot trew, qui signifie fidel chez les Allemands, & chez les Anglois true, vrai; nos premiers historiens par celui de leudes, de fideles; & les suivans par celui de vassaux, & seigneurs, vassali, seniores.

Les biens réservés pour les leudes, furent appellés dans les divers auteurs, & dans les divers tems, des biens fiscaux, des bénéfices; termes que l'on a ensuite appropriés aux promotions ecclésiastiques; des honneurs, des fiefs, c'est - à - dire, dons ou possessions, du mot teutonique, feld ou foeld, qui a cette signification; dans la langue angloise on les appella fees.

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