ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"513"> on ne peut le conserver avec trop de soin, ni le mettre trop tôt dans le cas de compter sur un long fermage; en prolongeant ses espérances, on lui inspire presque le goût de propriété; goût plus actif que tout autre, parce qu'il unit la vanité à l'intérêt.

Il ne faut que connoître l'effet naturel de l'habitude, pour sentir qu'une ferme devient chere à un laboureur, à proportion du tems qu'il en joüit, & de ce qu'elle s'améliore entre ses mains. On s'attache à ses propres soins, à ses inquiétudes, aux dépenses qu'on a faites. Tout ce qui a été pour nous l'objet d'une occupation constante, devient celui d'un intérêt vif. Lorsque par toutes ces raisons une ferme est devenue en quelque sorte le patrimoine d'un laboureur, il est certain que le propriétaire pourroit en attendre des augmentations considérables, s'il vouloit user tyranniquement de son droit; mais outre qu'il seroit mal d'abuser d'un sentiment honnête imprimé par la nature, on doit encore par intérêt être très réservé sur les augmentations. Quoique le fermier paroisse se prêter à ce qu'on exige, il est à craindre qu'il ne se décourage; sa langueur ameneroit la ruine de la ferme. Le véritable intérêt se trouve ici d'accord avec l'équité naturelle; peut - être ce concours est - il plus fréquent qu'on ne croit.

Loin de décourager un fermier par des augmentations rigoureuses, un propriétaire éclairé doit entrer dans des vûes d'amélioration, & ne point se refuser aux dépenses qui y contribuent. S'il voit, par exemple, que son fermier veuille augmenter son bétail, qu'il n'hésite pas à lui en faciliter les moyens. C'est ainsi qu'il pourra acquérir le droit d'exiger dans la suite des augmentations qui ne seront point onéreutes au fermier, & qui seront même offertes par lui.

Nous ne saurions trop le répéter, l'Agriculture ne peut avoir des succès étendus, & généralement intéressans, que par la multiplication des bestiaux. Ce qu'ils rendent à la terre par l'engrais, est infiniment au - dessus de ce qu'elle leur fournit pour leur subsistance.

J'ai actuellement sous les yeux une ferme, dont les terres sont bonnes, sans être du premier ordre. Elles étoient il y a quatre ans entre les mains d'un fermier qui les labouroit assez bien, mais qui les fumoit très - mal, parce qu'il vendoit ses pailles, & nourrissoit peu de bétail. Ces terres ne rapportoient que trois à quatre septiers de blé par arpent dans les meilleures années. Il s'est ruiné, & on l'a contraint de remettre sa ferme à un cultivateur plus industrieux. Tout a changé de face; la dépense n'a point été épargnée; les terres encore mieux labourées qu'elles n'étoient, ont de plus été couvertes de troupeaux & de fumier. En deux ans elles ont été améliorées du point de rapporter dix septiers de blé par arpent, & d'en faire espérer plus encore pour la suite. Ce succès sera répété toutes les fois qu'il sera tenté. Multiplions nos troupeaux, nous doublerons presque nos récoltes en tout genre. Puisse cette utile persuasion frapper également les fermiers & les propriétaires! Si elle devenoit active & générale, si elle étoit encouragée, nous verrions bien - tôt l'Agriculture faire des progrès rapides; nous lui devrions l'abondance avec tous ses effets. On verroit la matiere du Commerce augmentée, le paysan plus robuste & plus courageux, la population rétablie, les impôts payés sans peine, l'état plus riche, & le peuple plus heureux. Cet article est de M. Le Roy, lieutenant des chasses du parc de Versailles.

Fermes du Roi (Page 6:513)

Fermes du Roi, (Bail des) Finances. En général, une ferme est un bail ou loüage que l'on fait d'un fonds, d'un héritage, d'un droit quelconque, moyennant un certain prix, une certaine redevance que l'on paye tous les ans au propriétaire, qui, pour éviter le danger de recevoir beaucoup moins, abandonne l'espérance de toucher davantage, préférant, par une compensation qui s'accorde aussi bien avec la justice qu'avec la raison, une somme fixe & bornée, mais dégagée de tout embarras, à des sommes plus considérables achetées par les soins de la manutention, & par l'incertitude des évenemèns.

Il ne s'agit dans cet article que des droits du Roi, que l'on est dans l'usage d'affermer; & sur ce sujet on a souvent demandé laquelle des deux méthodes est préférable, d'affermer les revenus publics, ou de les mettre en Régie: le célebre auteur de l'esprit des lois en a même fait un chapitre de son ouvrage; & quoiqu'il ait eu la modestie de le mettre en question, on n'apperçoit pas moins de quel côté panche l'affirmative par les principes qu'il pose en faveur de la régie. On va les reprendre ici successivement, pour se mettre en état de s'en convaincre ou de s'en éloigner; & si l'on se permet de les combattre, ce ne sera qu'avec tout le respect que l'on doit au sentiment d'un si grand homme: un philosophe n'est point subjugué par les grandes réputations, mais il honore les génies sublimes & les vrais talens.

Premier principe de M. le président de Montesquieu.

« La régie est l'administration d'un bon pere de famille, qui leve lui - même avec économie & avec ordre ses revenus ».

Observations. Tout se réduit à savoir si dans la régie il en coûte moins au peuple que dans la ferme; & si le peuple payant tout autant d'une façon que de l'autre, le prince reçoit autant des régisseurs que des fermiers: car s'il arrive dans l'un ou dans l'autre cas (quoique par un inconvénient différent) que le peuple foit surchargé, poursuivi, tourmenté, sans que le souverain reçoive plus dans une hypothèse que dans l'autre; si le régisseur fait perdre par sa négligence, ce que l'on prétend que le fermier gagne par exaction, la ferme & la régie ne seront - elles pas également propres à produire l'avantage de l'état, dès que l'on voudra & que l'on saura bien les gouverner? Peut - être néanmoins pourroit - on penser avec quelque fondement, que dans le cas d'une bonne administration il seroit plus facile encore d'arrêter la vivacité du fermier, que de hâter la lenteur de ceux qui régissent, c'est - à - dire qui prennent soin des intérêts d'autrui.

Quant à l'ordre & à l'économie, ne peut - on pas avec raison imaginer qu'ils sont moins bien observés dans les régies que dans les fermes, puisqu'ils sont confiés, savoir, l'ordre à des gens qui n'ont aucun intérêt de le garder dans la perception; l'économie à ceux qui n'ont aucune raison personnelle d'épargner les frais du recouvrement: c'est une vérité dont l'expérience a fourni plus d'une fois la démonstration.

Le souverain qui pourroit percevoir par lui - même, seroit sans contredit un bon pere de famille, puisqu'en exigeant ce qui lui seroit dû, il seroit bien sûr de ne prendre rien de trop. Mais cette perception, praticable pour un simple particulier & pour un domaine de peu d'étendue, est impossible pour un roi; & dès qu'il agit, comme il y est obligé, par un tiers, intermédiaire entre le peuple & lui, ce tiers, quel qu'il soit, régisseur ou fermier, peut intervertir l'ordre admirable dont on vient de parler, & les grands principes du gouvernement peuvent seuls le rétablir & le réhabiliter. Mais ce bon ordre qui dépend de la bonne administration, ne peut - il pas avoir lieu pour la ferme comme pour la régie, en réformant dans l'une & dans l'autre les abus dont chacune est susceptible en particulier?

Second principe de M. de Montesquieu.

« Par la régie le prince est le maître de presser ou de retarder la levée des tributs, ou suivant ses besoins, ou suivant ceux de ses peuples ». [p. 514]

Observations. Il l'est également quand ses revenus sont affermés, lorsque par l'amélioration de certaines parties de la recette, & par la diminution de la dépense, il se met en état ou de se relâcher du prix de bail convenu, ou d'accorder des indemnités. Les sacrifices qu'il fait alors en faveur de l'Agriculture, du Commerce & de l'industrie, se retrouvent dans un produit plus considérable des droits d'une autre espece. Mais ces loüables opérations ne sont ni particulieres à la régie, ni étrangeres à la ferme; elles dépendent, dans l'un & dans l'autre cas, d'une administration qui mette à portée de soulager le peuple & d'encourager la nation. Et n'a - t - on pas vû dans des tems d'ailleurs difficiles en France, où les principaux revenus du Roi sont affermés, sacrifier au bien du commerce & de l'état, le produit des droits d'entrée sur les matieres premieres, & de sortie sur les choses fabriquées?

Troisieme principe de M. de Montesquieu.

« Par la régie le prince épargne à l'état les profits immenses des fermiers, qui l'appauvrissent d'une infinité de manieres ».

Observations. Ce que la ferme absorbe en profits, la regie le perd en frais; ensorte que ce que l'état dans le dernier cas gagne d'un côté, il le perd de l'autre. Qui ne voit un objet que sous un seul aspect, n'a pas tout vû, n'a pas bien vû; il faut l'envisager sous toutes les faces. On verra que le fermier n'exigera trop, que parce qu'il ne sera pas surveillé; que le régisseur ne fera des frais immenses, que parce qu'il ne sera point arrêté: mais l'un ne peut - il pas être excité? ne peuton pas contenir l'autre? C'est aux hommes d'état à juger des obstacles & des facilités, des inconvéniens & des avantages qui peuvent se trouver dans l'une & dans l'autre de ces opérations; mais on ne voit point les raisons de se décider en faveur de la régie, aussi promptement, aussi positivement que le fait l'auteur de l'esprit des lois.

Quatrieme principe de M. de Montesquieu.

« Par la régie le prince épargne au peuple un spectacle de fortunes subites qui l'affligent ».

Observations. C'est moins le spectacle de la fortune de quelques particuliers qu'il faut épargner au peuple, que l'appauvrissement de provinces entieres; ce sont moins aussi les fortunes subites qui frappent le peuple, qui l'étonnent & qui l'affligent, que les moyens d'y parvenir, & les abus que l'on en fait. Le gouvernement peut en purifier les moyens, & l'on est puni des abus par le ridicule auquel ils exposent, souvent même par une chute qui tient moins du malheur que de l'humiliation. Ce ne sont pas là des raisons de loüer ou de blâmer, de rejetter ou d'admettre la régie ni la ferme. Une intelligence, une industrie active, mais loüable, & renfermée dans les bornes de la justice & de l'humanité, peut donner au fermier des produits honnêtes, quoique considérables La négligence & le défaut d'économie rendent le régisseur d'autant plus coupable de l'affoiblissement de la recette & de l'augmentation de la dépense, que l'on ne peut alors remplir le vuide de l'une & pourvoir à l'excédent de l'autre, qu'en chargeant le peuple de nouvelles impositions; au lieu que l'enrichissement des fermiers laisse au moins la ressource de mettre à contribution leur opulence & leur crédit.

Cinquieme principe de M. de Montesquieu.

« Par la régie l'argent levé passe par peu de mains; il va directement au prince, & par conséquent revient plus promptement au peuple ».

Observations. L'auteur de l'esprit des lois appuie tout ce qu'il dit, sur la supposition que le régisseur, qui n'est que trop communément avare de peines & prodigue de frais, gagne & produit à l'état autant que le fermier, qu'un intérêt personnel & des engagemens considérables excitent sans cesse à suivre de près la perception. Mais cette présomption est - elle bien fondée? est - elle bien conforme à la connoissance que l'on a du coeur & de l'esprit humain, & de tout ce qui détermine les hommes? Est - il bien vrai d'ailleurs que les grandes fortunes des fermiers interceptent la circulation? tout ne prouve - t - il pas le contraire?

Sixieme principe de M. de Montesquieu.

« Par la régie le prince épargne au peuple une infinité de mauvaises lois qu'exige toûjours de lui l'avarice importune des fermiers, qui montrent un avantage présent pour des réglemens funestes pour l'avenir ».

Observations. On ne connoît en finances, comme en d'autres matieres, que deux sortes de lois, les lois faites & les lois à faire; il faut être exact à faire exécuter les unes, il faut être réservé pour accorder les autres. Ces principes sont incontestables; mais conviennent - ils à la régie plus qu'à la ferme? Le fermier, dit - on, va trop loin sur les lois à faire; mais le régisseur ne se relâche - t - il pas trop sur les lois qui sont faites? On craint que l'ennemi ne s'introduise par la breche, & l'on ne s'apperçoit pas que l'on a laissé la porte ouverte.

Septieme principe de M. de Montesquieu.

« Comme celui qui a l'argent est toûjours le maître de l'autre, le traitant se rend despotique sur le prince même; il n'est pas législateur, mais il le force à donner des lois ».

Observations. Le prince a tout l'argent qu'il doit avoir, quand il fait un bail raisonnable & bien entendu: il laissera sans doute aux fermiers qui se chargent d'une somme considérable, fixe, indépendante des évenemens par rapport au Roi, un profit proportionné aux fruits qu'ils doivent équitablement attendre & recueillir de leurs frais, de leurs avances, de leurs risques & de leurs travaux.

Le prétendu despotisme du fermier n'a point de réalité. La dénomination de traitant manque de justesse: on s'est fait illusion sur l'espece de crédit dont il joüit effectivement; il a celui des ressources, & le gouvernement sait en profiter. Il ne sera jamais despotique quand il sera question de faire des lois; mais il reconnoîtra toûjours un maître, quand il s'agira de venir au secours de la nation avec la fortune même qu'il aura acquise légitimement.

Huitieme principe de M. de Montesquieu.

« Dans les républiques, les revenus de l'état sont presque toûjours en régie: l'établissement contraire fut un grand vice du gouvernement de Rome. Dans les états despotiques où la régie est établie, les peuples sont infiniment plus heureux, témoin la Perse & la Chine. Les plus malheureux sont ceux où le prince donne à ferme ses ports de mer & ses villes de commerce. L'histoire des monarchies est pleine de maux faits par les traitans ».

Observations. Ce seroit un examen fort long, très difficile, & peut - être assez inutile à faire dans l'espece présente, que de discuter & d'approfondir la question de savoir ce qui convient le mieux de la ferme ou de la régie, relativement aux différentes sortes de gouvernemens. Il est certain qu'en tout tems, en tous lieux, & chez toutes les nations, il faudra dans l'établissement des impositions, se tenir extrèmement en reserve sur les nouveautés; & qu'il faudra veiller dans la perception, à ce que tout rentre

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