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Les déterminations de la volonté ne peuvent pas être exceptées de cette loi; & les attribuer au hasard avec les Epicuriens, c'est dire une absurdité.
Or les défenseurs de l'indifférence d'équilibre, en voulant les soustraire à l'enchaînement des causes, se sont rapprochés de cette opinion des Epicuriens, puisqu'ils prétendent qu'il n'y a point de causes des déterminations de la volonté.
Ils disent donc que dans l'exercice de la liberté, tout est parfaitement égal de part & d'autre, sans qu'il y ait plus d'inclination vers un côté, sans qu'il y ait de raison déterminante de causes qui nous inclinent à prendre un parti préférablement à l'autre: d'où il suit que les actions libres des êtres intelligens doivent être tirées de cet enchaînement des causes que nous avons supposées.
Mais cette opinion est insoûtenable. On trouvera
à l'article
Les actes libres des êtres intelligens ayant eux - mêmes des raisons suffisantes de leur existence, ne rompent donc point la chaîne immense des causes; & si un évenement quelconque est amené à l'existence par les actions combinées des êtres, tant libres que nécessaires, cet évenement est fatal; puisqu'on trouve la raison suffisante de cet évenement dans l'ordre & l'enchaînement des causes, & que la fatalité qu'un philosophe ne peut se dispenser d'admettre, n'est autre chese que cet ordre & cet enchaînement, en tant qu'il a été préetabli par l'><-> tre suprème.
Je dis la fatalité qu'un philosophe ne peut se dispenser d'admettre: en effet il y en a de deux sortes; la fatalité des athées établie sur les rumes de la liberté; & la fatalité chrétienne, fatum christianum, comme l'appelle Léibnitz, c'est - à - dire l'ordre des évenemens établi par la providence.
Assez communément on entend les mots fatalisme, fataliste, fatalité. Dans le premier de ces sens, on ne peut lui donner la deuxieme signification qu'en Philosophie, en regardant tous ces mots comme des genres qui renferment sous eux, comme especes, le fatalisme nécessitant, & celui qui laisse subsister la liberté, la fatalité des athées, & la fatalité chrétienne. Il appartient aux Philosophes, je ne dis pas de former, mais de corriger & de fixer le langage. Qu'on prenne garde que fatalité, selon la force de ce mot, ne signifie que la cause de l'évenement fatal: or comme on est obligé de reconnoître qu'un évenement fatal a des causes, tout le monde en ce sens général est donc fataliste.
Mais si la cause de l'évenement fatal n'est, selon vous, que l'action d'un rigide méchanisme, votre fatalité est nécéssitante, votre fatalisme est affreux: que si cette cause n'est que l'action puissante & douce de l'><-> tre suprème, qui a fait entrer tous les évenemens dans
Nous terminerons l'examen de la premiere question par ce passage, qui renferme l'apologie complete des principes que nous avons établis; & en supposant démontrée l'existence de cette fatalité improprement dite, prise pour l'ordre des causes établi par la providence, nous passerons à la deuxieme question.
On sent assez que la difficulté en cette matiere vient de ce que, selon la remarque que nous avons faite plus haut, il y a des causes libres parmi celles qui amenent l'évenement fatal: & si ces causes sont enchaînées, ou entre elles dans un même ordre, ou avec les causes physiques; dès - là même ne sont - elles pas nécessitées, & l'évenement fatal n'est - il pas nécessaire? Si c'est l'enchaînement des causes qui me fait passer dans une rue où je dois être écrasé par la chûte d'une maison, pendant que j'avois d'autres chemins à prendre, ma détermination à passer dans cette malheureuse rue, a donc été elle - même une suite de l'enchaînement des causes, puisqu'elle entre parmi celles de l'évenement fatal. Mais si cela est, cette détermination est - elle libre, & l'évenement fatal n'est - il pas nécessaire?
Nous avons vû plus haut, que parmi les philosophes qui ont traité cette question, & qui ont reconnu cet enchaînement des causes, la plûpart ont regardé la fatalité comme entraînant après elle une nécessité absolue; & nous avons remarqué que c'étoit une suite naturelle de cette opinion dans tout système d'athéisme & de matérialisme. Mais Cicéron nous apprend que Chrysippe en admettant la fatalité prise pour l'enchaînement des causes, rejettoit pourtant la nécessité.
Or Carnéades, cet homme à qui Cicéron accorde
l'art de tout réfuter, argumentoit ainsi contre Chrysippe. Si omnia antecedentibus causis fiunt, omnia naturali
colligatione contextè consertèque fiunt: quod si
ita est, omnia necessitas efficit: id si verum est, nihil
est in nostrâ potestate: est autem aliquod in nostrâ potestate: non igitnr fato fiunt quoecumque fiunt.
Voilà l'état de la question bien établi, & la difficulté qu'il faut resoudre. Voyons la réponse de Chrysippe. Selon Cicéron, ce philosophe voulant éviter la nécessité, & retenir l'opinion que rien ne se fait que par l'enchaînement des causes, distinguoit différens genres de causes; les unes parfaites & principales, les autres voisines & auxiliaires; alioe per<pb-> [p. 426]
Cette réponse n'est pas sans difficulté; elle est établie sur de fausses notions des sensations & des opérations de l'ame; la comparaison du cylindre n'est pas exacte. Cependant elle a quelque chose de vrai, c'est que l'action des causes qui amenent le consentement de la volonté, ne s'exerçant pas immédiatement sur ce consentement, mais sur la volonté, l'activité de l'ame & son influence libre sur le consentement qu'elle forme, ne sont lésées en aucune maniere.
C'est du moins la réponse de S. Augustin, de civit. Dei, lib. V. cap. jx. qui, après avoir rapporté cette même difficulté de Carneades contre Chrysippe, la résout à - peu - près de la même maniere: ordinem causarum, dit - il, non negamus, non est autem consequens ut si certus est ordo causarum, ideò nihil sit in nostroe voluntatis arbitrio, ipsoe quippe voluntates in causarum ordine sunt. Voilà le principe de Chrysippe: la volonté elle - même entre dans l'ordre des causes, selon saint Augustin; & comme elle produit immédiatement son action, quoiqu'elle y soit portée par des causes étrangeres, elle n'en est pas moins libre, parce que ces causes étrangeres l'inclinent sans la nécessiter.
Mais reprenons nous - mêmes la difficulté; elle se réduit à ceci: si la volonté est mûe à donner son consentement par quelque cause que ce soit, étrangere à elle & liée avec sa détermination, elle n'est pas libre: si elle n'est pas libre, toutes les causes qui amenent l'évenement fatal sont donc nécessaires, & l'évenement fatal est nécessaire. Je répons,
En premier lieu, lorsqu'on regarde cette liaison des causes avec la détermination de la volonté comme destructive de la liberté, on doit prétendre que toute liaison d'une cause avec son effet est nécessaire, puisqu'on soûtient que la cause qui influe sur le consentement de la volonté, par cela seul qu'elle influe sur ce consentement, le rend nécessaire: or cela est insoûtenable, & les réflexions suivantes vont nous en convaincre.
Dieu peut faire un système de causes libres. Qu'estce qu'un système quelconque? la suite & l'enchaînement des actions qui doivent s'exercer dans ce système. Dieu ne peut - il pas enchaîner les actions des causes libres entr'elles, de sorte que la premiere amene la seconde, & que la seconde suppose la premiere; que la premiere & la seconde amenent la troisieme, & que la troisieme suppose la premiere & la seconde, & ainsi de suite? Ces causes, dès - là qu'elles seront coordonnées entr'elles de sorte que les modifications & les actions de l'une amenent les modifications & les actions de l'autre, seront - elles nécessitées? non sans doute. Un pere tendrement aimé menace, exhorte, prie un fils bien - né: ses menaces, ses exhortations, ses prieres faites dans des circonstances favorables, produiront infailliblement leur effet, & seront causes des déterminations de la volonté de ce fils; voilà l'influence d'une cause libre sur une cau<cb->
Mais dira - t - on: que les causes intelligentes soient coordonnées & liées entr'elles, peut - être que cet enchaînement ne sera pas incompatible avec leur liberté: mais si des causes physiques agissent sur des causes intelligentes, cette action n'emportera - t - elle pas une nécessité dans les causes intelligentes? Or il paroît que selon notre opinion ces deux especes de causes sont liées les unes aux autres, de sorte que les actions des causes physiques entraînent les actions des êtres intelligens, & réciproquement.
Je répons 1°. que la nécessité, s'il en résultoit quelqu'une de l'impulsion d'une cause physique sur une cause intelligente, s'ensuivroit de même de l'impulsion d'une cause intelligente & libre sur une cause intelligente, parce que l'action de la cause physique n'emporteroit la nécessité qu'à raison de la maniere d'agir, ou à raison de ce qu'elle seroit étrangere à la volonté; or la cause intelligente & libre qui influeroit sur l'action d'une cause intelligente, seroit également étrangere à celle - ci & agiroit d'une maniere aussi contraire à la liberté.
2°. Ceci n'a besoin que d'une petite explication. Si l'action de la cause physique que nous disons amener l'action d'une cause libre, telle que la volonté, s'exerçoit immédiatement sur la détermination, sur le consentement de la volonté (à - peu - près comme les Théologiens savent que les Thomistes font agir leur prémotion), nous convenons que la liberté seroit en danger; mais il n'en est pas ainsi. L'action des causes physiques amene dans l'être intelligent (soit par le moyen de l'influence physique, soit dans le système des causes occasionnelles) amene, dis - je, d'abord des modifications, des sensations, des mouvemens indélibérés; & à la suite de tels & tels mouvemens, de telles & telles modifications reçues dans l'ame naissent infailliblement, mais non nécessairement, telles actions dont ces mouvemens & ces modifications sont la cause ou la raison suffisante; c'est cette cause ou raison suffisante qui unit le monde physique avec le monde intellectuel: or que les actions qui s'exercent dans l'ordre physique entraînent des modifications, des sensations, des mouvemens dans les causes intelligentes, & que ces modifications, ces sensations, &c. amenent des actions de ces causes intelligentes, il n'y a rien là de contraire à l'activité & à la liberté de ces êtres intelligens.
Il suit de - là, que Dieu a pû coordonner & lier entr'elles les actions qui s'exercent dans un monde physique & celles des êtres intelligens & libres, sans nuire à la liberté de ces mêmes êtres; que dans cette hypothèse, l'enchaînement des causes établi par Dieu amenant les actions des êtres intelligens, ne rend pas ces actions nécessaires; que parmi les causes enchaînées de l'évenement fatal, il y en a de libres, & par conséquent que l'évenement fatal n'est pas lui - même nécessaire.
En second lieu, pour soûtenir que cette liaison des
causes avec la détermination de la volonté est incompatible
avec la liberté, il faut partir de ce principe,
que toute liaison infaillible d'une cause avec son effet
est nécessaire, & que tout enchaînement de causes
est incompatible avec la liberté: si omnia naturali
colligatione fiunt, omnia necessitas efficit. Or cette prétention
est absolument fausse, & voici les raisons qui
la combattent: 1°. rien ne se fait sans raison suffisante,
& un effet qui a une raison suffisante, n'est pas
pour cela nécessaire; or un effet qui a une raison suffisante
est par cela même infaillible; car si un effet
qui a une raison suffisante n'étoit pas infaillible, on
pourroit supposer qu'étant donnée la raison suffisante
d'un tel effet, il en est arrivé un autre. Or cette supposition
est absurde; car dans ce cas la raison qui fait
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