ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"423"> crete dont elles agissent, ne nous permettent pas de saisir leur action; mais par le principe de la raison suffisante nous savons qu'elles tiennent toutes à une cause générale, c'est - à - dire à la force qui fait dépendre dans la nature un évenement d'un autre évenement, & qui unit les évenemens actuels & futurs aux évenemens passés: ensorte que l'état actuel d'un être quelconque dépend de son état antécedent, & qu'il n'y a point de fait isolé, & qui ne tienne, je ne dis pas à quelqu'autre fait, mais à tous les autres faits.

Ce principe, c'est - à - dire l'existence d'une force qui lie tous les faits & qui enchaine toutes les causes, ne sauroit être contesté pour ce qui regarde l'ordre physique où nous voyons chaque phénomene naitre des phénomenes antérieurs, & en amener d'autres à sa suite. Mais en supposant l'existence d'un ordre moral qui entre dans le système de l'Univers, la même loi de continuité d'action doit s'y observer que dans le monde physique: dans l'un & dans l'autre toute cause doit être mise en mouvement pour agir, & toute modification en amener une autre.

Il y a plus: ce monde moral & intelligible, & le monde matériel & physique, ne peuvent pas être deux régions à part, sans commerce & sans communication, puisqu'ils entrent tous les deux dans la composition d'un même système. Les actions physiques ameneront donc d'abord des modifications, des sensations, &c. dans les êtres intelligens; & ces modifications, ces sensations, &c. des actions de ces mêmes êtres; & réciproquement les actions des êtres intelligens ameneront à leur suite des mouvemens physiques.

Cette communication, ce commerce du monde sensible & du monde intellectuel, est une vérité reconnue par la plus grande partie des Philosophes. Leibnitz seulement, en admettant l'enchaînement des causes physiques avec les causes physiques, & des causes intelligentes avec les causes de même espece. a pensé qu'il n'y avoit aucune liaison, aucun enchaînement des causes physiques avec les causes intelligentes ou morales, mais seulement une harmonie préétablie entre tous les mouvemens qui s'exécutent dans l'ordre physique, & les modifications & actions qui ont lieu dans le monde intelligent; idée trop ingénieuse, trop recherchée pour être vraie, à laquelle on ne peut pas peut - être opposer de démonstration rigoureuse, mais qui est tellement combattue par le sentiment intérieur, qu'on ne peut pas la défendre sérieusement; & je croirois assez que c'est de cette partie de son bel ouvrage de la Théodicée, qu'il dit dans sa lettre à M. Pfaff, insérée dans les actes des Savans, mois de Mars 1728: neque Philosophorum est rem seriò semper agere, qui in fingendis hypothesibus, uti bene mones, ingenii sui vires experiuntur. On pourra voir au mot Harmonie l'exposition de cette opinion, & les raisons par lesquelles on la combat; mais nous la supposerons jci réfutée, & nous dirons que l'enchaînement des causes embrasse non - seulement les mouvemens qui s'exécutent dans le monde physique, mais encore les actions des êtres intelligens; & en effet nous voyons la plus grande partie des évenemens tenir à ces deux especes de causes réunies. Un avare ébranle une muraille en voulant se pendre; un thrésor tombe, notre homme l'emporte; le maître du thrésor arrive, & se pend: ne voit - on pas que les causes physiques & les causes morales sont ici mêlées & déterminées les unes par les autres?

Je ne regarde point le système des causes occasionnelles comme interceptant la communication des deux ordres, & comme rompant l'enchaînement des causes physiques avec les causes morales, parce que dans cette opinion le pouvoir de Dieu lie ces deux especes de causes, comme le pourroit faire l'influence physique; & les actions des êtres intelligens y amenent toûjours les mouvemens physiques, & réciproquement.

Mais quoi qu'il en soit de la communication des deux ordres, du moins dans chaque ordre en particulier les causes sont liées, & cela nous suffit pour avancer ce principe général, que la force qui lie les causes particulieres les unes aux autres, & qui enchaîne tous les faits, est la cause générale des évenemens, & par conséquent de l'évenement fatal. C'est cela même que le peuple & les philosophes ont connu sous le nom de fatalité.

D'après ce que nous avons prouvé, on conçoit que ce principe de l'enchaînement des causes doit être commun à tous les systèmes des Philosophes; car que l'univers soit ou non l'ouvrage d'une cause intelligente; qu'il soit composé en partie d'êtres intelligens & libres, ou que tout y soit matiere, les états divers des êtres y dépendront toûjours de l'enchaînement des causes: avec cette différence que l'athée & le matérialiste sont obligés, 1°. de se jetter dans les absurdités du progrès à l'infini, ne pouvant pas expliquer l'origine du mouvement & de l'action dans la suite des causes. 2°. Ils sont contraints de regarder la fatalité comme entraînant après elle une nécessité irrésistible, parce que dans leur opinion les causes sont enchaînées par les lois d'un rigide méchanisme. Telle a été l'opinion d'une grande partie des Philosophes; car sans compter la plûpart des Stoïciens, Cicéron, au livre de Fato, attribue ce sentiment à Démocrite, Empédocle, Héraclide & Aristote.

Mais ces conséquences absurdes ne suivent du principe de l'enchaînement des causes, que dans le système de l'athée & du matérialiste; & le théiste en admettant cette notion de la fatalité, trouve le principe du mouvement & de l'action dans une premiere cause, & ne donne point atteinte à la liberté; comme nous le prouverons en répondant à la deuxieme question.

D'autres preuves plus fortes encore, s'il est possible, établissent la réalité de cet enchaînement des causes, & la justesse de la notion que nous avons donnée de la fatalité.

Le philosophe chrétien doit établir & défendre contre les difficultés des incrédules, la puissance, la prescience, la providence, & tous les attributs moraux de l'Être suprème. Or il ne peut pas combattre ses adversaires avec quelque succès, sans avoir recours à ce même principe. C'est ce que nous allons faire voir en peu de mots, & sans sortir des bornes de cet article.

Et d'abord, pour ce qui regarde la puissance de Dieu, je dis que le decret par lequel il a donné l'existence au monde, a sans doute déterminé l'existence de tous les évenemens qui entrent dans le système du monde, dès l'instant où ce decret a été porté. Or j'avance que ce decret n'a pû déterminer l'existence des évenemens qui devoient suivre dans les différens points de la durée, qu'au moyen de l'enchaînement des causes, qu'au moyen de ce que ces évenemens devoient être amenés à l'existence par la suite des évenemens intermédiaires entr'eux, & le decret emané de Dieu dès le commencement: de sorte que Dieu connoissant la liaison qui étoit entre les premiers effets auxquels il donnoit l'existence, & les effets postérieurs qui devoient en suivre, a déterminé l'existence de ceux - ci, en ordonnant l'existence de ceux - là. Système simple, & auquel on ne peut se refuser sans être réduit à dire, que Dieu détermine dans chaque instant de la durée l'existence des évenemens qui y répondent, & cela par des volontés particulieres, des actes répétés, &c. opi<pb-> [p. 424] nions cent fois renversées, & dont on trouvera la réfutation aux mots Providence, Prémotion, &c.

En second lieu, la providence entraîne, comme la création, l'enchaînement des causes. En effet la providence ne peut être autre chose que la disposition, l'ordre préétabli, la coordination des causes entr'elles, on n'en peut pas avoir d'autre notion, sans s'écarter de la vérité. Ce n'est qu'au moyen de cette coordination & de cet ordre général, qu'on peut venir à - bout de justifier la providence des maux particuliers qui se trouvent dans le système. Si l'on suppose une fois les phénomenes isolés & sans liaison, & Dieu déterminant l'existence de chacun d'eux en particulier, je défie qu'on concilie l'existence d'un seul Dieu, bon, juste, saint, avec les maux physiques & moraux qui sont dans le monde. Aussi personne n'a tenté de justifier la providence, que d'après ce grand principe de la liaison des causes. Malebranche, Léibnitz, &c. ont tous suivi cette route; & avant eux les philosophes anciens, qui se sont faits les apologistes de la Providence. Aulugelle nous a conservé à ce sujet l'opinion de Chrysippe, cet homme qui adoucit la férocité des opinions du portique: Existimat autem non fuisse hoc principale naturoe consilium, ut faceret homines morbis obnoxios: numquam enim hoc convenisse naturoe autori parentique rerum omnium bonarum, sed cum multa atque magna gigneret, pareretque aptissima & utilissima, alia quoque simul agnata sunt incommoda, iis ipsis, quoe faciebat, cohoerentia.

Mais, dira - t - on, cet enchaînement des causes ne justifie point Dieu des défauts particuliers du système, par exemple du mal que souffre dans l'Univers un être sensible. Qu'avois - je à faire, peut dire un homme malheureux, d'être placé dans cet ordre de causes? Dieu n'avoit qu'à me laisser dans l'état de possible, & mettre un autre homme à ma place: ces causes sont fort bien arrangées, si l'on veut; mais je suis fort mal. Et que me sert tout l'ordre de l'Univers, si je n'y entre que pour être malheureux?

Cette difficulté devient encore plus forte lorsqu'on la fait à un théologien, & qu'on suppose les mysteres de la grace, de la prédestination, & les peines d'une autre vie.

Mais je remarque d'abord que cette objection attaque au moins aussi fortement celui qui regarde tous les faits, tous les évenemens comme isolés & sans liaison avec le système entier, que celui qui s'efforce de justifier la providence par l'enchaînement des causes: ainsi cette difficulté ne nous est pas particuliere.

Secondement, quand cet homme malheureux dit, qu'il voudroit bien n'être pas entré dans le système de l'Univers, c'est comme s'il disoit, qu'il voudroit bien que l'Univers entier fût resté dans le néant; car si lui seul, & non pas un autre, pouvoit occuper la place qu'il remplit dans le système actuel, & si le système actuel exigeoit nécessairement qu'il y occupât cette même place dont il est mécontent, il desire que le système entier n'ait pas lieu, en desirant de n'y point entrer. Or je puis lui dire: Pour vous Dieu devoit - il s'abstenir de donner l'existence au système actuel, dans lequel il y a d'ailleurs tant de bonnes choses, tant d'êtres heureux? oseriez - vous assûrer que sa justice & sa bonté exigeoient cela de lui? Si vous l'osiez, la nature entiere qui joüit du bien de l'existence s'éleveroit contre vous, & mérite bien plus que vous d'être écoutée.

On voit bien que cette liaison étroite d'un être quelconque avec le système entier de l'Univers, qui fait que l'un ne peut pas exister sans l'autre, nous sert ici de principe pour resoudre la difficulté proposée: or cette liaison est une conséquence immédiate & nécessaire du système de l'enchaînement des cau<cb-> ses; puisque dans cette doctrine, un être quelconque avec ses états divers, tient tellement à tout le système des choses, que l'existence du monde entraîne & exige son existence & ses états divers, & réciproquement.

On sait qu'avec les principes de l'Origénisme on résout facilement cette objection; parce que dans cette opinion tous les hommes devant être heureux après un tems déterminé de peines & de malheurs, il n'y en a point qui ne doive se loüer de son existence, & remercier l'auteur de la nature de l'avoir placé dans l'Univers. Cependant pour donner une réponse tout - à - fait satisfaisante, il faut toûjours que l'Origéniste lui - même explique pourquoi les hommes sont malheureux, même pendant une petite partie de la durée.

Pour cela il est nécessaire, & dans son système & dans toute philosophie, de dire que cette objection prend sa source dans l'ignorance où nous sommes des raisons pour lesquelles Dieu a créé le monde; que nous savons certainement que ces raisons, quelles qu'elles soient, tiennent au système entier, qu'elles ont empêché que les choses ne fussent autrement; & que si nous les connoissions, la providence seroit justifiée. Réponse qui, comme on le voit, est toûjours d'après le principe de l'enchaînement des causes.

En troisieme lieu, la prescience de l'Être suprème suppose cet enchaînement des causes; car Dieu ne peut prévoir les évenemens futurs, tant libres que nécessaires, que dans la suite des causes qui doivent les amener; parce que l'infaillibité de la prescience de Dieu ne peut avoir d'autre fondement que l'infaillibilité de l'influence des causes sur les évenemens. Nous ne pourrions pas entrer dans quelques détails à ce sujet, sans sortir des bornes de cet article: c'est pourquoi nous renvoyons les lecteurs au mot Prescience, où nous traiterons cette question.

Nous concluons que la puissance de Dieu, sa providence, sa prescience, & tous ses attributs moraux, exigent qu'on reconnoisse entre les causes secondes, cette liaison & cet enchaînement, que nous disons être la cause des évenemens, & par conséquent de tout évenement fatal.

Je ne vois que deux sortes de personnes qui combattent cet enchaînement des causes; les défenseurs du hasard d'Epicure, & les philosophes qui soûtiennent dans la volonté l'indifférence d'équilibre.

Les premiers ont prétendu qu'il y avoit des effets sans cause; & nous voyons dans Cicéron, de fato, que les Epicuriens pressés d'expliquer d'où venoit cette déclinaison des atomes, en quoi ils faisoient consister la liberté, disoient qu'elle survenoit par hasard, casu, & que c'étoit cette déclinaison qui affranchissoit les actes de la volonté de la loi du fatum.

On peut s'en convaincre par ces vers de Lucrece, liv. II. vers. 251. & suiv.

Denique si semper motus connectitur omnis, Et vetere exoritur semper novus ordine certo; Nec declinando faciunt primordia motûs Principium quoddam, quod fati foedera rumpat, Ex infinito ne causam causa sequatur: Libera per terras unde hoec animantibus extat, Unde est hoec, inquam, fatis avolsa voluntas Per quam progredimur quò ducit quemque voluptas?

Il n'est pas nécessaire de nous arrêter ici à réfuter de pareilles chimeres; il suffira de rapporter ici ces paroles d'Abbadie (Vérité de la Relig. tom. I. c. v.): « Le hasard n'est, à proprement parler, que notre ignorance, laquelle fait qu'une chose qui a en soi

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