ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"399"> donc hérissés de ronces. Ajoûtons peîne sur peine pour multiplier ma joie & ma féliciré . . . . Que répondre à ce fanatique? . . . . . qu'il use très - mal des choses, parce qu'il ne prend pas bien les paroles, & qu'il reçoit de la main gauche ce qu'on lui a donné de la main droite. Relâchement que toutes ces mitigations, vous dira - t - il: quand Dieu parle, les conseils sont des préceptes; ainsi je vais de ce pas m'enfoncer dans un desert inaccessible aux hommes. Et il part avec un bâton, un sac, & une haire, sans argent & sans provision, pour pratiquer la loi qu'il n'entend pas.

Au second rang sont les visionnaires. Quand à force de jeûnes & de macérations, on ne se croit rempli que de l'esprit de Dieu; qu'on ne vit plus, dit - on, que de sa présence; qu'on est transformé par la contemplation en Dieu même, dans une indépendance des sens tout - à - sait merveilleuse, qui loin d'exclure la joüissance, en sait un droit acquis à la raison; la vertu victorieuse des passions s'en sert quelquefois comme un roi de ses esclaves. Tel est le jargon mystique, dont voici à - peu - près la cause physique. Les esprits rappellés au cerveau par la vivacité & la continuité de la méditation, laissent les sens dans une espece de langueur & d'inaction. C'est sur - tout au fort du sommeil que les phantômes se précipitant tumultueusement dans le siége de l'imagination, ce mélange de traits informes produit un mouvement convulsit, pareil au choc brisé de mille rayons opposés qui coïncident & se croisent; de - là viennent les ébloüissemens & les transports extatiques, qu'on devroit traiter comme un délire, tantôt par des bains froids, tantôt par de violentes saignées, selon le tempérament & les autres situations du malade.

Le troisieme symptome est la pseudoprophétie, lorsqu'on est tellement entêté de ses chimeres phantastiques, qu'on ne peut plus les contenir en soi - même: telles étoient les sibylles aiguillonnées par Apollon. Il n'est point d'homme d'une imagination un peu vive, qui ne sente en lui les germes de cette exaltation méchanique; & tel qui ne croit pas aux sibylles, ne voudroit pas se hasarder à s'asseoir sur leurs trépiés, sur - tout s'il avoit quelque intérêt à débiter des oracles, ou qu'il eût à eraindre une populace prête à le lapider au cas qu'il restât muet. Il faut donc parler alors, & proposer des énigmes qui seront respectées jusqu'à l'evenement, comme des mysteres sur lesquels il ne plaît pas encore à la Divinité de s'expliquer.

Le quatrieme degré du fanatisme est l'impassibilité. Par un progrès de mouvemens, il se trouve que les vaisseaux sont tendus d'une roideur incompréhensible; on diroit que l'ame est resugiée dans la tête ou qu'elle est absente de tout le corps: c'est alors que les épreuves de l'eau, du fer, & du feu ne coûtent rien; que des blessures toutes célestes s'impriment sans douleur. Mais il faut se méfier de tout ce qui se fait dans les ténebres & devant des témoins suspects. Hé, quel est l'incrédule qui oseroit rire à la face d'une foule de fanatiques? Quel est l'homme assez maître de ses sens pour examiner d'un oeil sec des contorsions effrayantes, & pour en pénétrer la cause? Ne sait - on pas qu'on n'admet au fanatisme que des gens préparés par la superstition? Toutefois comme ces énergumenes ne parviennent à l'état d'insensibilité, que par les agitations les plus violentes, il est aisé de conclure que c'est une phrenésie dont l'accès finit par la léthargie.

Si tous ces hommes aliénés que vous avez vûs dans ce vaste panthéon étoient transportés à leur demeure convenable, il seroit plaisant de les entendre parler. Je suis le monarque de toute la terre, diroit un tailleur, l'Esprit - saint me l'a dit. Non, diroit son voisin, je dois savoir le contraire, car je suis son fils. Taisez<cb-> vous, que j'entende la musique des globes célestes, diroit un docteur: ne voyez - vous pas cet esprit qui passe par ma fenêtre? il vient me révéler tout ce qui fut & qui sera . . . . . J'ai reçu l'épée de Gédeon: allons, enfans de Dieu; suivez - moi, je suis invulnérable ..... Et moi, je n'ai besoin que d'un cantique pour mettre les armées en déroute. ... N'êtesvous pas cet apôtre qui doit venir de la Transylvanie? Nous nous promenons depuis long - tems sur les rivages de la mer pour le recevoir ... Je suis venu, moi, pour la rédemption des femmes, que le Messie avoit oubliées. ... Et moi je tiens école de plophétie: approchez, petits enfans.

Si ces divers caracteres de folie, qui ne sont point tracés d'imagination, avoient par malheur attaqué le peuple, quels ravages n'auroient - ils pas fait? des hommes étonnés (genus attonitum) auroient grimpé les rochers & percé les forêts: là par mille bonds & des sauts périlleux on eût évoqué l'esprit de révélation; un prophete bercé sur les genoux des croyantes les plus timorées, seroit tombé dans une épilepsie toute céleste, l'Esprit divin l'auroit saisi par la cuisse, elle se seroit roidie comme du ser, des frissons tels que d'un amour violent auroient couru par tout son corps; il auroit persuadé à l'assemblée qu'elle étoit une troupe imprenable; des soldats seroient venus à main armée, & on ne leur auroit opposé que des grimaces & des cris. Cependant ces misérables traînés dans les prisons, eussent été traités en rebelles. C'est à la Medecine qu'il faut renvoyer de pareils malades. Mais passons aux grands remedes qui sont ceux de la politique.

Ou le gouvernement est absolument fondé sur la religion, comme chez les Mahométans; alors le fanatisme se tourne principalement au - dehors, & rend ce peupie ennemi du genre humain par un principe de zele: ou la religion entre dans le gouvernement, comme le Christianisme descendu du ciel pour sauver tous les peuples; alors le zele, quand il est malentendu, peut quelquefois diviser les citoyens par des guerres intestines. L'opposition qui se trouve entre les moeurs de la nation & les dogmes de la religion, entre certains usages du monde & les pratiques du culte, entre les lois civiles & les préceptes divins, fomente ce germe de trouble. Il doit arriver alors qu'un peuple ne pouvant allier le devoir de citoyen avec celui de croyant, ébranle tour - à - tour l'autorité du Prince & celle de l'Eglise. L'inutile distinction des deux puissances a beau vouloir s'entremettre pour fixer des limites, il faudroit être neutre. Mais l'empire & le sacerdoce, au mépris de la raison, empietent mutuellement sur leurs droits; & le peuple qui se trouve entre ces deux marteaux supporte seul tous les coups, jusqu'à ce que mutiné par ses prêtres contre ses magistrats, il prenne le fer en main pour la gloire de Dieu, comme on l'a vû si souvent en Angleterre.

Pour détourner cette source intarissable de desordres, il se présente à la vérité trois moyens; mais quel est le meilleur? Faut - il rendre la religion despotique, ou le monarque indépendant, ou le peuple libre?

1°. On pourra dire que le tribunal de l'inquisition, quelque odieux qu'il dût être à tout peuple qui conserveroit encore le nom de quelque liberté, préviendroit les schismes & les querelles de religion, en ne tolérant qu'une façon de penser: qu'à la verité une chambre toûjours ardente brûleroit d'avance les victimes de l'éternité, & que la vie des particuliers seroit continuellement en proie à des soupçons d'hérésie ou d'impiété; mais que l'état seroit tranquille & le prince en sûreté: qu'au lieu de ces violentes maladies qui épuisent tout - à - coup les veines du corps polit que, le sang ne couleroit que goutte à goutte; & que les [p. 400] sujets dans un état d'infirmité habituelle ne se plaindroient pas des brusques fermentations qu'éprouvent les gouvernemens d'une constitution vigoureuse.

2°. Que si vous préferiez les périls inséparables de la liberté, à l'oppression continuelle, seroit - il mieux de mettre votre souverain à l'abri de toute domination étrangere, & qu'il n'y eût qu'un seul chef dans l'état? Mais s'il n'y a point de barriere au pouvoir du souverain ..... Hé quoi! ne nous reste - t - il pas des lois fondamentales & des corps intermédiaires? Il s'ensuivroit donc une réforme générale dans le corps dévoüe au culte religieux. Mais seroit - ce un malheur qu'un corps trop puissant perdît quelque chose, si tant d'autres devoient y gagner? Tandis qu'il resteroit une extrème considération pour les richesses, le commerce tiendroit les autres étais en équilibre, la noblesse ne prévaudroit pas; les tribunaux se rempliroient d'excellens sujets, qui ne sont pas toûjours tels dans l'ordre ecclésiastique: au lieu de ces discussions théologiques, qui tourmentent les esprits sans affermir la religion, l'application se tourneroit vers les matieres de droit public; on s'éclaireroit sur les véritables intérêts de la nation: cette fourmiliere, qui se jette dans les bas emplois de la Magistrature & de l'Eglise, peupleroit les campagnes & les atteliers; on s'occuperoit du travail des mains, beaucoup plus naturel a l'homme que les travaux de l'esprit. Il ne faudroit qu'adoucir la condition du peuple, pour l'accoûtumer insensiblement à cette amélioration.

3°. Les rois ont tant d'intérêt à arrêter les progrès du fanatisme; s'il leur fut quelquefois utile, ils ont eu tant de raisons de s'en plaindre, qu'on ne peut assez demander comment ils osent traiter avec un ennemi si dangereux. Tous ceux qui s'occupent à le détruire, de quelque nom odieux qu'on les appelle, sont les vrais citoyens qui travaillent pour l'intérêt du prince & la tranquillité du peuple. L'esprit philosophique est le grand pacificateur des états; c'est peut - être dommage qu'on ne lui donne pas de temsen - tems un plein pouvoir. Les Sintoïstes, secte du Naturalisme au Japon, regardent le sang comme la plus grande de toutes les souillures; cependant les prêtres du pays les détestent & les décrient, parce qu'ils ne prêchent que la raison & la vertu, sans cérémonies.

Un peu de tolérance & de modération; sur - tout ne confondez jamais un malheur (tel que l'incrédulité) avec un crime qui est toûjours volontaire. Toute l'amertume du zele devroit se tourner contre ceux qui croyent, & n'agissent pas; les incrédules resteroient dans l'oubli qu'ils méritent, & qu'ils doivent souhaiter. Punissez à la bonne heure ces libertins qui ne secouent la religion, que parce qu'ils sont révoltés contre toute espece de joug, qui attaquent les moeurs & les lois en secret & en public: punissez - les, parce qu'ils deshonorent & la religion où ils sont nés, & la philosophie dont ils font profession: poursuivez - les comme les ennemis de l'ordre & de la société; mais plaignez ceux qui regrettent de n'être pas persuadés. Eh, n'est - ce pas une assez grande perte pour eux que celle de la foi, sans qu'on y ajoûte la calomnie & les tribulations? Qu'il ne soit donc pas permis à la canaille d'insulter la maison d'un honnête homme à coups de pierre, parce qu'il est excommunié: qu'il joüisse encore de l'eau & du feu, quand on lui a interdit le pain des fideles: qu'on ne prive pas son corps de la sépulture, sous prétexte qu'il n'est point mort dans le sein des élus; en un mot, que les tribunaux de la justice puissent servir d'asyle au défaut des autels .... Quelle indigne licence, dites - vous, va faire tomber la religion dans le mépris? . . . . . Est - ce qu'elle se soûtient sur des bras de chair? Voudriez - vous la faire regarder comme un instrument de politique? N'en appellez donc plus des decrets des hommes à l'autorité divine, & soûmettez - vous le premier à une puissance de qui vous tenez la vôtre; mais plûtôt faites aimer la religion, en laissant à chacun la liberté de la suivre. Prouvez la vérité par vos oeuvres, & non par un étalage de faits étrangers à la Morale, & moins conséquens que vos exemples; soyez doux & pacifiques; voilà le triomphe assûré à la religion, & le chemin coupé au fanatisme.

Ajoûterons - nous, d'après un auteur anglois, que « le fanatisme est très - contraire à l'autorité du sacerdoce? En effet portés dans leurs extases à la source même de la lumiere, loin de reconnoître les lois de l'Eglise, les fanatiques s'érigent eux - mêmes en législateurs, & publient tout haut les secrets de la Divinité, au mépris des traditions & des formes reçues ». Comme un favori du prince, qui n'attend ni son rang ni l'expérience pour commander, & qui ne pouvant être à la tête des affaires, faute d'habileté, se plaît à renverser par son crédit les dispositions du ministere; « le fanatique, sans recevoir l'onction, se consacre lui - même; & n'ayant pas besoin de médiateur pour aller à Dieu, il substitue ses vifions à la révélation & ses grimaces aux cérémonies.

En général nous avons vû en Angleterre nos enthousiastes en fait de religion, passionnés pour le gouvernement républicain, tandis que les plus superstitieux étoient les partisans de la prérogative. De même, continue le même auteur, nous voyons ailleurs deux partis, dont l'un esclave & tyran de la cour est dévoüé à l'autorité, & l'autre peu soûmis conserve quelques étincelles de l'amour pour la liberté ».

Si la superstition subjugue & dégrade les hommes, le fanatisme les releve: l'une & l'autre sont de mauvais politiques; mais celui - ci fait les bons soldats. Mahomet n'eut presque jamais qu'un croyant contre dix infideles dans la plûpart de ses combats: avec trois cents hommes, il étoit en état d'en vaincre dix mille, tant la confiance en des légions célestes & l'espérance d'une couronne immortelle donnoient de force à sa petite troupe. Un général d'armée, un ministre d'état, peuvent tirer grand parti de ces ames de feu. Mais aussi quels dangereux instrumens en de mauvaises mains! Un enthousiaste est souvent plus redoutable avec ses armes invisibles, qu'un prince avec toute son artillerie. Que faire à des gens qui mettent leur salut dans la mort; qui se multiplient à mesure qu'on les moissonne, & dont un seul suffit pour réparer les plus nombreuses pertes? Semblables au polype, partagez tout le corps en mille pieces, chaque membre coupé forme un nouveau corps. Exilez ces esprits ardens au fond des provinces, ils mettront toutes les villes en feu. Il ne resteroit donc qu'à les enfermer çà & là dans les prisons, où ils se consumeroient comme des tisons embrasés, jusqu'à ce qu'ils fussent réduits en cendres.

On ne sait guere quel parti prendre avec un corps de fanatiques; ménagez - les, ils vous foulent aux piés; si vous les persécutez, ils se soûlevent. Le meilleur moyen de leur imposer silence, est de détourner adroitement l'attention publique sur d'autres objets; mais ne forcez jamais. Il n'y a que le mépris & le ridicule qui puissent les décréditer & les affoiblir. On dit qu'un chef de police, pour faire cesser les prestiges du fanatisme, avoit résolu, de concert avec un chimiste célebre, de les faire parodier à la foire par des charlatans. Le remede étoit spécifique, si l'on pouvoit desabuser les hommes sans de grands risques; mais pour peu qu'on leve le voile, il est bien - tôt déchiré. Ménagez la religion & le peuple, parce qu'ils sont redoutables l'un par l'autre.

Le fanatisme a fait beaucoup plus de mal au mon<pb->

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