ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"375"> l'abstinence, donne moins de prise au chatouillement du suc gastrique; & parce que le cours du sang dans ce viscere se fait moins aisément quand il est flasque, que quand il est raisonnablement distendu.

2°. On ne sent pas de faim lorsque les parois de l'estomac sont couvertes d'une pituite épaisse: cela vient de deux raisons. La premiere, de ce que le ventricule étant relâché par cette abondance de pituite, son sentiment doit être émousse. La seconde consiste en ce que les filtres sont remplis, & cette plénitude produit une compression qui émousse encore davantage la sensibilité de l'estomac.

3°. La faim seroit presque continuelle dans la bonne santé, si l'estomac, le duodenum, & les intestins se vuidoient promptement. Or c'est ce qui arrive dans certaines personnes, lorsqu'il y a chez elles une grande abondance de bile qui coule du foie dans les intestins; car comme elle dissout parfaitement les alimens, elle fait que le chyle entre promptement dans les veines lactées, & par conséquent elle est cause que les intestins & l'estomac se vuident: enfin c'est un purgatif qui par son impression précipite les alimens & les excrémens hors du corps. Il y a quelquefois d'autres causes particulieres d'une faim vorace, même sans maladio; c'est cette faim qu'on appelle orexie. Voyez Orexie.

4°. On peut donner de l'appétit par l'usage de certaines drogues: telles sont les amers qui tiennent lieu de bile, raniment l'action de l'estomac, & empêchent qu'il ne se relâche; tel est aussi l'esprit de sel, parce qu'il picote le tissu nerveux dû ventricule. Enfin il y a une infinité de choses qui excitent l'appétit, parce qu'elles flatent le goût, piquent le palais, & mettent en jeu toutes les parties qui ont une liaison intime avec le ventricule.

5°. Dans les maladies aiguës, on n'a pas d'appétit; soit parce que les humeurs sont viciées; soit par l'inflammation des visceres, dont les nerfs communiquant à ceux de l'estomac, en resserrent le tissu, ou excitent un sentiment douloureux dans cet organe.

6°. Les jeunes gens ressentent la faim plus vivement que les autres; cela doit être, parce que chez les jeunes gens il se fait une plus grande dissipation d'humeurs, le sang circule chez eux avec plus de promptitude, les papilles nerveuses de leur estomac sont plus sensibles.

7°. Si les tuniques du ventricule étoient fort relâchées, les nerfs le seroient aussi, le sentiment seroit moindre, & par conséquent l'appétit diminueroit: de - là vient, comme je l'ai dit ci - dessus, que lorsqu'il se filtre trop de pituite ou de suc stomacal, on ne sent plus de faim.

8°. Dès que l'estomac est plein, la sensation de l'appétit cesse jusqu'à ce qu'il soit vuide: c'est parce que dans la plénitude, les membranes du ventricule sont toutes fort tendues, & cette tension émousse la sensation; d'ailleurs le suc salivaire & le suc gastrique étant alors mêlés avec les alimens, ils ne font plus d'impression sur l'estomac. Si même ce viscere est trop plein, cette distension produit une douleur ou une inquiétude fatigante.

9°. Quand le ventricule ne se vuide pas suffisamment, le dégoût succede. En voici les raisons. 1°. Dans ce cas, l'air qui se sépare des alimens & qui gonfle le sac qui les renferme, produit une sensation fatigante: or dès qu'il y a dans ce viscere une sensation fatigante, elle fait disparoître la sensation agréable, celle qui cause l'appétit; c'est - là une de ces lois qu'a établi la nature par la nécessité de la construction. 2°. Le mauvais goût aigre, rancide, alkalin, que contractent les alimens par leur séjour dans le ventricule, donne de la répugnance pour toutes sortes d'alimens semblables à ceux qui se sont altérés dans cet organe de la digestion. 3°. Il faut remarquer que dès qu'il y a quelque aliment qui fait une impression desagréable sur la langue ou sur le palais, aussi - tôt le dégoût nous saisit, & l'imagination se révolte.

10°. Elle suffit seule pour jetter dans le dégoût, & peut même faire desirer des matieres pernicieuses, ou des choses qui n'ont rien qui soit alimentaire. C'est en partie l'imagination qui donne un goût si capricieux aux filles attaquées de pâles couleurs: ces filles mangent de la terre, du plâtre, de la craie, de la farine, des charbons, &c. & il n'y a qu'une imagination blessée qui puisse s'attacher à de tels objets. On doit regarder cette sorte de goût ridicule comme le délire des mélancoliques, lesquels fixent leur esprit sur un objet extravagant: mais il est certain que l'impression que font ces matieres est agréable, car elles ne rebutent point les filles qui ont de telles fantaisies. Voyez Pales Couleurs.

De plus, qui ne sait que les femmes enceintes desirent, mangent quelquefois avec plaisir du poisson crud, des fruits verds, de vieux harengs, & autres mauvaises drogues, & que même elles les digerent sans peine? Voilà néanmoins des matieres desagréables & nuisibles, qui flatent le goût des femmes grosses sans altérer leur santé, ou sans produire d'effets mauvais qui soient bien marqués. Il est donc certain que dans ces cas les nerfs ne sont plus affectés comme ils l'étoient dans la santé, & que des choses desagréables à ceux qui se portent bien, font des impressions flateuses lorsque l'économie animale est dérangée: c'est pour cela que les chates & d'autres femelles sont quelquefois exposées aux mêmes caprices que les filles par rapport au goût. Souvent les medecins industrieux ont éloigné ces idées extravagantes, en attachant l'esprit malade à d'autres objets: il est donc évident qu'en plusieurs cas, l'imagination conserve ses droits sur l'estomac; elle peut même lui donner une force qu'il n'a pas naturellement. Ajoûtons que dans certains dégoûts les malades dont l'imagination est pour ainsi dire ingénieuse à rechercher ce qui pourroit faire quelque impression agréable, s'attachent comme par une espece de délire à des alimens bisarres, & quelquefois par un instinct de la nature, à des alimens salutaires.

On pourroit sans doute proposer plusieurs autres phénomenes de la faim, à l'explication desquels nos principes ne sauroient suffire, & nous sommes bien éloignés de le nier: mais la physiologie la plus savante ne l'est point assez pour porter la lumiere dans les détours obscurs du labyrinthe des sensations; il s'y trouve une infinité de faits inexplicables, plusieurs autres encore qui dépendent du tempérament particulier, de l'habitude, & des jeux inconnus de la structure de notre machine.

Après ces réflexions, il ne nous reste qu'à dire en deux mots comment la faim se dissipe, même sans manger, moyen que tout le monde sait, & que l'instinct fait sentir aux bêtes: elle se dissipe outre cela, 1° en détrempant trop les sucs dissolvans, & en relâchant les fibres à force de boire des liqueurs aqueuses chaudes, telles que le thé: 2°. en bûvant trop de liquides huileux, qui vernissent & émoussent les nerfs, ou même en respirant continuellement des exhalaisons de matieres grasses, comme font par exemple les faiseurs de chandelle: 3°. lorsque l'ame est occupée de quelque passion qui fixe son attention, comme la mélancolie, le chagrin, &c. la faim s'évanoüit, tant l'imagination agit sur l'estomac: 4°. les matieres putrides ôtent la faim sur le champ, comme un seul grain d'oeuf pourri, dont Bellini eut des rapports nidoreux pendant trois jours, &c. 5°. l'horreur ou la répugnance naturelle qu'on a pour certains alimens, pour [p. 376] certaines odeurs, pour la vûe d'objets extrèmement dégoûtans, ou pour entendre certains discours à table, qui affectent l'imagination d'une maniere desagréable. De cette horreur naît encore quelquefois le vomissement, qui ôte à l'estomac l'humeur utile qui picotoit auparavant ses nerfs.

Tirons maintenant une conclusion toute simple de ce discours. Nous avons déjà remarqué en le commençant, que la faim est un des plus forts instincts qui nous maîtrise: ajoûtons que si l'homme se trouvoit hors d'état d'en suivre les mouvemens, elle produiroit entr'autres accidens l'hémorrhagie du nez, la rupture de quelques vaisseaux, la putréfaction des liquides, la férocité, la fureur, & finalement la mort au sept, huit ou neuvieme jour, dans les personnes d'un tempérament robuste; car il est difficile de croire que Charles XII. aît été sans défaillance au fort de son âge & de sa vigueur, cinq jours à ne boire ni manger, ainsi que M. de Voltaire le dit dans la vie si bien écrite qu'il nous a donnée de ce monarque. A plus forte raison devons - nous regarder comme un conte le fait rapporté par M. Maraldi, de l'académie des Sciences (ann. 1706. p. 6.), que dans un tremblement de terre arrivé à Naples, un jeune homme étoit resté vivant quinze jours entiers sous des ruines, sans prendre d'alimens ni de boisson. Il ne faudroit jamais transcrire des fables de cet ordre dans des recueils d'observations de compagnies savantes. La vie d'un homme en santé ne se soûtient sans alimens qu'un petit nombre de jours; la nutrition, la réparation des humeurs, celle de la transpiration, l'adoucissement du frotement des solides, en un mot la conservation de la machine, ne peut s'exécuter que par un perpétuel renouvellement du chyle. La nature pour porter l'homme fréquemment & invinciblement à cette action, y a mis un sentiment de plaisir qui ne s'altere jamais dans la santé; & de ce sentiment qu'il a reçu pour la conservation de son être, il en a fait par son intempérance un art des plus exquis, dont il devient souvent la victime. Voyez ce que nous avons dit de cet art au mot Cuisine. Voyez Gourmandise, Intempérance, &c. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Faim (Page 6:376)

Faim, (Séméiotique.) Ce sentiment qui fait desirer de prendre des alimens, l'appétit proprement dit, doit être considéré par les medecins, non - seulement entant qu'il est une des fonctions naturelles qui intéresse le plus l'économie animale, & dont les lésions sont de très - grande importance (attendu que ce desir dispose à pourvoir au premier & au plus grand des besoins de l'animal, qui est de se nourrir, & à y pourvoir d'une maniere proportionnée), mais encore entant que ce sentiment, bien ou mal reglé, peur fournir différens signes qui sont de grande conséquence pour juger des suites de l'état présent du sujet d'où ils sont tant dans la santé que dans la maladie.

On ne peut juger du bon ordre dans l'économie animale, que par la maniere dont se fait l'exercice des fonctions: lorsqu'il se soûtient avec facilité & sans aucun sentiment d'incommodité, il annonce l'état de bonne santé. Mais de ces conditions requises, celle dont il est le plus difficile de s'assûrer, est la durée de cet exercice ainsi réglé; on ne peut y parvenir que par les indices d'une longue vie, qui sont en même tems des signes d'une santé bien établie. On doit chercher ces indices dans les effets qui résultent d'une telle disposition dans les solides & les fluides de la machine animale, qu'il s'ensuive la conservation de toutes ses parties dans l'état qui leur est naturel.

Cette disposition consiste principalement dans la faculté qui est dans cette machine, de convertir les alimens en une substance semblable à celle dont elle est déjà composée dans son état naturel; ainsi un des principaux signes que l'observation ait fournis jusqu'à présent pour faire connoître cette disposition, est le bon appétit des alimens qui se renouvelle souvent, & que l'on peut satisfaire abondamment, sans que la digestion s'en fasse avec moins de facilité & de promptitude.

Il suit de - là que cet appétit doit être une source de signes propres à faire juger des suites dans l'état de le sion des fonctions, entant que ce sentiment subsiste convenablement, ou qu'il est déréglé, soit par excès, soit par défaut. Cette conséquence, aussi - bien que son principe, n'ayant pas échappé aux plus anciens observateurs des phénomenes que présente l'économie animale, tant dans la santé que dans la maladie, ils ont recueilli un grand nombre de ceux qui sont relatifs à l'appétit des alimens: il suffira d'en rapporter quelques - uns des principaux, d'après Lommius (observ. medic. lib. III.), & d'indiquer où on pourra en trouver une exposition plus étendue.

C'est un signe salutaire dans toutes les maladies, que les malades n'ayent point de dégoût pour les alimens qui leur sont présentés convenablement; la disposition contraire est d'un mauvais présage. Voyez Dégoût.

S'il arrive qu'un malade ayant pris des alimens de mauvaise qualité, ou qui ne conviennent pas à son état, n'en soit cependant pas incommodé, c'est une marque de bonne disposition au rétablissement de la santé: on doit tirer une conséquence opposée, si les alimens les plus propres & les mieux administrés, bien loin de produire de bons effets, en produisent de mauvais.

Lorsque les convalescens ont appétit & mangent beaucoup, sans que les forces & l'embonpoint reviennent, c'est un mal, parce qu'alors ils prennent plus de nourriture qu'ils n'en peuvent bien digérer: il en faut retrancher. Si la même chose arrive à ceux même qui ne mangent que modérément, c'est une preuve qu'ils ont encore besoin d'abstinence; & s'ils tardent de la faire, il y a tout lieu pour eux de craindre la rechûte: car ils y ont de la disposition tant qu'il reste encore quelque chose de morbifique à détruire, quoique la maladie soit décidée.

Ceux qui ayant fait diete rigoureusement pendant le cours de leur maladie, se sentent ensuite pressés par la faim, font beaucoup espérer pour leur rétablissement.

Pour un plus grand détail de signes diagnostics & prognostics tirés de l'appétit des alimens & de ses lésions, voyez Hippocrate & ses commentateurs, tels sur - tout qne Duret, in Coacas. Voyez aussi Galien, Sennert, Riviere, & les différens auteurs d'institutions de medecine, tant anciens que modernes: en les parcourant tous, & en les comparant les uns aux autres, on peut aisément se convaincre que ceux - ci, moins observateurs, n'ont pris pour la plûpart d'autre peine que de répeter & de mal expliquer ce que ceux - là ont transmis à la postérité sur le sujet dont il s'agit, comme sur tout autre de ce genre. (d)

Faim canine (Page 6:376)

Faim canine, (Med.) En terme de l'art, cynorexie, c'est une faim demesurée qui porte à prendre beaucoup de nourriture, quoique l'estomac la rejette peu de tems après. La faim canine est donc une vraie maladie, qu'il ne faut pas confondre, comme on fait dans le discours ordinaire, avec le grand & fréquent appétit; état que les gens de l'art appellent orexie. Il ne faut pas non plus confondre la faim canine avec la boulimie, comme nous le dirons dans la suite.

Ainsi les medecins éclairés distinguent avec raison, d'après l'exemple des Grecs, par des termes consacrés, les différentes affections du ventricule dans la sensation de la faim, & voici comment. Ils nomment faim, le simple appétit, le besoin de manger commun à tous les hommes: ils appellent orexie, une faim dévorante qui requiert une nourriture plus

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