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Tous les autres objets changent à tous les instans, paroissent & disparoissent, s'approchent & s'éloignent les uns des autres, & de ce moi, qui, par sa présence continuelle, devient le terme nécessaire auquel nous les comparons. Nous les appercevons hors de nous, parce que l'objet que nous appellons nous, n'est qu'un objet particulier, comme eux, & parce que nous ne pouvons rapporter nos sensations à différens points d'un espace, sans voir les assemblages de ces sensations les uns hors des autres; mais quoiqu'apperçûs hors de nous, comme leur perception est toûjours accompagnée de celle du moi, cette perception simultanée établit entr'eux & nous une relation de présence qui donne aux deux termes de cette relation, le moi & l'objet extérieur, toute la réalité que la conscience assûre au sentiment du moi.
Cette conscience de la présence des objets n'est point encore la notion de l'existence, & n'est pas même celle de présence; car nous verrons dans la suite que tous les objets de la sensation ne sont pas pour cela regardés comme présens. Ces objets dont nous observons les distances & les mouvemens autour de notre corps, nous intéressent par les effets que ces distances & ces mouvemens nous paroissent produire sur lui, c'est - à - dire par les sensations de plaisir & de douleur dont ces mouvemens sont accompagnés ou suivis. La facilité que nous avons de changer à volonté la distance de notre corps aux autres objets immobiles, par un mouvement que l'effort qui l'accompagne nous empêche d'attribuer à ceux - ci, nous sert à chercher les objets dont l'approche nous donne du plaisir, à éviter ceux dont l'approche est accompagnée de doûleur. La présence de ces objets devient la source de nos desirs & de nos craintes, & le motif des mouvemens de notre corps, dont nous dirigeons la marche au milieu de tous les autres corps, précisément comme un pilote conduit une barque sur une mer semée de rochers & couverte de barques ennemies. Cette comparaison, que je n'employe point à titre d'ornement, sera d'autant plus propre à rendre mon idée sensible, que la circonstance où se trouve le pilote, n'est qu'un cas particulier de la situation ou se trouve l'homme dans la nature, environné, pressé, traversé, choqué par tous les êtres: suivons - la. Si le pilote ne pensoit qu'à éviter les ro<cb->
Voilà une nouvelle chaîne & de nouvelles relations par lesquelles les êtres supposés hors de nous se lient encore à la conscience du moi, non plus par la simple perception simultanée, puisque souvent ils ne sont point apperçûs du - tout, mais par la connexité qui enchaîne entr'eux les changemens de tous les êtres & nos propres sensations, comme causes & effets les uns des autres. Comme cette nouvelle chuine de rapports s'étend à une foule d'objets hors de la portée des sens, l'homme est forcé de ne plus confondre les êtres mêmes avec ses sensations, & il apprend ào distinguer les uns des autres, les objets présens, c'est - à - dire renfermés dans les limites de la sensation actuelle, & liés avec la conscience du moi par une perception simultanée; & les objets absens, c'est - à - dire des êtres indiqués seulement par leurs effets, ou par la mémoire des sensations passées que nous ne voyons pas, mais qui par un enchaînement quelconque de causes & d'effets, agissent sur ce que nous voyons; que nous verrions s'ils étoient placés dans une situation & à une distance convenable, & que d'autres êtres semblables à nous voyent peut - être dans le moment même; c'est - à - dire encore que ces êtres, sans nous être présens par la voie des sensations, forment entr'eux, avec ce que nous voyons & avec nous - mêmes, une chaîne de rapports, soit d'actions réciproques, soit de distance seulement; rapports dans lesquels le moi étant toûjours un des termes, la réalité de tous les autres nous est certifiée par la conscience de ce moi.
Essayons à - présent de suivre la notion de l'existence dans les progrès de sa formation. Le premier fondement de cette notion est la conscience de notre propre sensation, & le sentiment du moi qui résulte de cette conscience. La relation nécessaire entre l'être appercevant & l'objet apperçû, considéré hors du moi, suppose dans les deux termes la même réalité; il y a dans l'un & dans l'autre un fondement de cette relation, que l'homme, s'il avoit un langage, pourroit désigner par le nom commun d'existence ou de présence; car ces deux notions ne seroient point encore distinguées l'une de l'autre.
L'habitude de voir reparoitre les objets sensibles [p. 263]
Le concept de l'existence est donc le même dans un sens, soit que l'esprit ne l'attache qu'aux objets de la sensation, soit qu'il l'étende sur les objets que l'imagination lui présente avec des relations de distance & d'activité, puisqu'il est toûjours primitivement renfermé dans la conscience même du moi généralisé plus ou moins. A voir la maniere dont les enfans prêtent du sentiment à tout ce qu'ils voyent, & l'inclination qu'ont eu les premiers hommes à répandre l'intelligence & la vie dans toute la nature; je me persuade que le premier pas de cette généralisation a été de prêter à tous les objets vûs hors de nous tout ce que la conscience nous rapporte de nous même, & qu'un homme, à cette premiere époque de la raison, auroit autant de peine à reconnoître une substance purement matérielle, qu'un matérialiste en a aujourd'hui à croire une substance purement spirituelle, ou un cartésien à recevoir l'attraction. Les différences que nous avons observées entre les animaux & les autres objets, nous ont fait retrancher de ce concept l'intelligence, & successivement la sensibilité. Nous avons vû qu'il n'avoit été d'abord
Je me sers de ces deux mots pour abréger, & pour
designer ces deux notions qui commencent effectivement
à cette époque à être distinguées l'une de l'autre,
quoiqu'elles n'ayent point encore acquis toutes
les limitations qui doivent les caractériser dans la
suite. Les sens ont leurs illusions, & l'imagination
ne connoît point de bornes: cependant & les illusions
des sens & les plus grands écarts de l'imagination,
nous présentent des objets placés dans l'espace
avec les mêmes rapports de distance & d'activité,
que les impressions les plus régulieres des sens & de
la mémoire. L'expérience seule a pû apprendre à
distinguer la différence de ces deux cas, & à n'attacher
qu'à l'un des deux le concept de l'existence.
On remarqua bien - tôt que parmi ces tableaux, il y
en avoit qui se représentoient dans un certain ordre,
dont les objets produisoient constamment les
mêmes effets qu'on pouvoit prévoir, hâter ou fuir,
& qu'il y en avoit d'autres absolument passagers,
dont les objets ne produisoient aucun effet permanent,
& ne pouvoient nous inspirer ni craintes ni desirs,
ni servir de motifs à nos démarches. Dès - lors ils n'entrerent
plus dans le système général des êtres au milieu
desquels l'homme doit diriger sa marche, & l'on
ne leur attribua aucun rapport avec la conscience
permanente du moi, qui supposât un fondement hors
de ce moi. On distingua donc dans les tableaux des
sens & de l'imagination, les objets existans des objets
simplement apparens, & la réalité de l'illusion. La
liaison & l'accord des objets apperçus avec le système
général des êtres déjà connus, devint la regle pour juger
de la réalité des premiers, & cette regle servit
aussi à distinguer la sensation de l'imagination dans
les cas où la vivacité des images & le manque de
points de comparaison auroit rendu l'erreur inévitable,
comme dans les songes & les délires: elle servit
aussi à démêler les illusions des sens eux - mêmes
dans les miroirs, les réfractions, &c. & ces illusions
une fois constatées, on ne s'en tint plus à séparer
l'existence de la sensation; il fallut encore séparer la
sensation du concept de l'existence, & même de celui
de présence, & ne la regarder plus que comme
un signe de l'une & de l'autre, qui pourroit quelquefois
tromper. Sans developper avec autant d'exactitude
que l'ont fait depuis les philosophes modernes,
la différence de nos sensations & des êtres qu'elles
représentent, sans savoir que les sensations ne sont
que des modificatious de notre ame, & sans trop
s'embarrasser si les êtres existans & les sensations
forment deux ordres de choses entierement séparés
l'un de l'autre, & liés seulement par une correspondance
plus ou moins exacte, & relative à de certai<pb->
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