ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"208"> il ne faut pas, dit Quintilien, que par quelque chemin que ce puisse être, l'idée obscène parvienne à l'entendement. Pour moi, poursuit - il, content de la pudeur romaine, je la mets en sûreté par le silence; car il ne faut pas seulement s'abstenir des paroles obscènes, mais encore de la pensée de ce que ces mots signifient, Ego Romani pudoris more contentus, verecundiam silentio vindicabo. Quint. Just. l. VIII. c. 3. n. 3. Obscenitas verò non à verbis tantùm abesse debet, sed à significatione. Ib. l. VI. c. iij. de Risu, n. 5.

Tous les anciens n'étoient pas d'une morale aussi sévere que celle de Quintilien; ils se permettoient au moins l'euphémisme, & d'exciter modestement dans l'esprit l'idée obscène.

« Ne devrois - tu pas mourir de honte, dit Chremès à son fils, d'avoir eu l'insolence d'amener à mes yeux, dans ma propre maison, une ...? Je n'ose prononcer un mot deshonnête en présence de ta mere, & tu as bien osé commettre une action infâme dans notre propre maison ».

Non mihi per fallacias, adducere ante oculos..... Pudet dicere hâc presente v erbum turpe, at te id nullo modo puduit facere. Terenc. Heaut. act. V. sc. jv. v. 18.

« Pour moi j'observe & j'observerai toûjours dans mes discours la modestie de Platon, dit Cicéron ».

Ego servo & servabo Platonis verecundiam. Itaque tectis verbis, ea ad te scripsi, quoe apertissimis aiunt Stoici. Illi, étiam crepitus, aiunt oequè liberos ac ructus, esse opportere. Cic. l. IX. epist. 22.

AEquè (Page 6:208)

AEquè câdem modestia, potiùs cùm muliere fuisse, quam concubuisse dicebant. Varro, de ling. latin. l. V. sub fine.

Mos fuit res turpes & foedas prolata honestiorum convertier dignitate. Arnob. l. V.

C'étoit par la même figure qu'au lieu de dire je vous abandonne, je vous quitte; les anciens disoient souvent, vivez, portez - vous bien, vivez forêts.

Omnia vel medium fiant mare, vivite sylvoe, Virg. Ec. VIII. v. 58.

Et dans Térence, And. act. IV. sc. ij. v. 13. Pamphile dit, « J'ai souhaité d'être aimé de Glycerie; mes souhaits ont été accomplis; que tous ceux qui veulent nous séparer soient en bonne santé». Valeant qui inter nos dissidium volunt. Il est évident que valeant n'est pas au sens propre; il n'est dit que par euphémisme. Madame Dacier traduit valeant par s'en aillent bien loin; je ne crois pas qu'elle ait bien rencontré.

Les anciens disoient aussi avoir vécu, avoir été, s'en être allé, avoir passé par la vie, vitâ functus. Fungi, or, signifie passer par, dans un sens métaphorique, être délivré de, s'être acquitté de, au lieu de dire être mort. Le terme de mourir leur paroissoit en certaines occasions un mot funeste.

Les anciens portoient la superstition jusqu'à croire qu'il y avoit des mots dont la seule prononciation pouvoit attirer quelque malheur, comme si les paroles, qui ne sont qu'un air mis en mouvement, pouvoient produire naturellement par elles - mêmes quelqu'autre effet dans la nature, que celui d'exciter dans l'air un ébranlement qui se communiquant à l'organe de l'oüie, fait naître dans l'esprit des hommes les idées dont ils sont convenus par l'éducation qu'ils ont reçûe.

Cette superstition paroissoit encore plus dans les cérémonies de la religion; on craignoit de donner aux dieux quelque nom qui leur fût desagréable: c'est ce qui se voit dans plusieurs auteurs. Je me contenterai de ce seul passage du poëme séculaire d'Horace: « ô Ilythie, dit le choeur des jeunes filles à Dia<cb-> ne, ou si vous aimez mieux être invoquée sous le nom de Lucine ou sous celui de Génitale »:

Lenis Ilythia, tuere matres, Sive tu Lucina probas vocari, Seu Genitalis. Horat. carm. soecul.

On étoit averti au commencement du sacrifice ou de la cérémonie, de prendre garde de prononcer aucun mot qui pût attirer quelque malheur; de ne dire que de bonnes paroles, bona verba fari; enfin d'être favorable de la langue, favete linguis, ou linguâ, ou ore; & de garder plûtôt le silence que de prononcer quelque mot funeste qui pût déplaire aux dieux; & c'est de - là que favete linguis signifie par extension, faites silence.

Favete linguis. Horat. l. II. od. i. Ore favete omnes. Virg. AEneïd. l. V. v. 71. Dicamus bona verba, venit natalis, ad aras Quisquis ades, linguâ, vir, mulierque fave. Tibull. l. II. el. ij. v. 1. Prospera lux oritur, linguisque, animisque favete, Nunc dicenda, bono, sunt bona verba, die. Ovid. Fast. l. I. v. 71.

Par le même esprit de superstition ou par le même fanatisme, lorsqu'un oiseau avoit été de bon augure, & que ce qu'on devoit attendre de cet heureux présage, étoit détruit par un augure contraire, ce second augure n'étoit pas appellé mauvais augure, on le nommoit l'autre augure, par euphémisme, ou l'autre oiseau; c'est pourquoi ce mot alter, dit Festus, veut dire quelquefois contraire, mauvais.

Alter & pro bono ponitur, ut in augurüs, altera cùm appellatur avis, quoe utique prospera non est. Sic alter nonnunquam pro adverso dicitur & malo. Fest. voce Alter.

Il y avoit des mots consacrés pour les sacrifices, dont le sens propre & littéral étoit bien différent de ce qu'ils signifioient dans ces cérémonies superstitieuses: par exemple, mactate, qui veut dire magis auctare, augmenter davantage, se disoit des victimes qu'on sacrifioit. On n'avoit garde de se servir alors d'un mot qui pût exciter dans l'esprit l'idée funeste de la mort; on se servoit par euphémisme de mactare, augmenter, soit que les victimes augmentassent alors en honneur, soit que leur volume fût grossi par les ornemens dont on les paroit, soit enfin que le sacrifice augmentât l'honneur qu'on rendoit aux dieux.

De même au lieu de dire on brûle sur les autels, ils disoient, les autels croissent par des feux, adolescunt ignibus aroe. Virg. Georg. l. IV. v. 379. car adolere & adolescere signifient proprement croître; & ce n'est que par euphémisme qu'on leur donne le sens de brûler.

Nous avons sur ces deux mots un beau passage de Varron: Mactare verbum est sacrorum, XAT) EU)FHMISMO\N dictum, quasi magis augere ac adolere, unde & magmentum, quasi majus augmentum; nam hostioe tanguntur molâ salsa, & tum immolatoe dicuntur: cùm verò ictoe sunt, & aliquid & illis in aram datum est, mactatoe dicuntur per laudationem, itemque boni hominis significationem. Varr. de vitâ pop. rom. l. II. dans les fragmens.

Dans l'Ecriture - sainte le mot de bénir est employé quelquefois au lieu de maudire, qui est précisément le contraire. Comme il n'y a rien de plus affreux à concevoir que d'imaginer quelqu'un qui s'emporte jusqu'à des imprécations sacrileges contre Dieu même, on se sert de bénir par euphémisme, & les circonstances font donner à ce mot le sens contraire.

Naboth n'ayant pas voulu rendre au roi Achab une vigne qui étoit l'héritage de ses peres, la reine Jezabel, femme d'Achab, suscita deux faux témoins qui déposerent que Naboth avoit blasphémé contre Dieu & contre le roi: or l'Ecriture, pour exprimer [p. 209] ce blasphème, fait dire aux témoins que Naboth a béni Dieu & le roi: viri diabolici dixerunt contra eum testimonium coram multitudine; benedixit Naboth Deum & regem. Reg. III. cap. xxj. v. 10. & 13. Le mot de bénir est employé dans le même sens au livre de Job, c. j. v. 5.

C'est ainsi que dans ces paroles de Virgile, auri sacra fames, se prend par euphémisme pour execrabilis. Tout homme condamné au supplice pour ses mauvaises actions, étoit appellé sacer, dévoüé; de - là, par extension autant que par euphémisme, sacer signifie souvent méchant, exécrable: homo sacer is est quem populus judicavit, ex quo quivis homo malus atque improbus sacer appellari solet, parce que tout méchant mérite d'être dévoüé, sacrifié à la justice.

Cicéron n'a garde de dire au sénat que les domestiques de Milon tuerent Clodius: ils firent, dit - il, ce que tout maître eût voulu que ses esclaves eussent fait en pareille occasion. Cic. pro Milone, n. 29.

La mer Noire, sujette à de fréquens naufrages, & dont les bords étoient habités par des hommes extrèmement féroces, étoit appellée Pont - Euxin, c'est - à - dire mer hospitaliere, mer favorable à ses hôtes, E)/CINOS2, hospitalis. C'est ce qui fait dire à Ovide que le nom de cette mer est un nom menteur:

Quem tenet Euxini mendax cognomine littus. Ovid. Trist. l. V. el. x. v. 13.

Malgré les mauvaises qualités des objets, les anciens qui personnifioient tout, leur donnoient quelquefois des noms flateurs, comme pour se les rendre favorables, ou pour se faire un bon présage; ainsi c'étoit par euphémisme & par superstition, que ceux qui alloient à la mer que nous appellons aujourd'hui mer Noire, la nommoient mer hospitaliere, c'est - à - dire mer qui ne nous sera point funeste, où nous serons reçûs favorablement, quoiqu'elle soit communément pour les autres une mer funeste.

Les trois furies, Alecto, Tisiphone & Mégere, ont été appellées Euménides, *EU)MENE)/IS2, c'est - à - dire douces, bienfaisantes, benevoloe. On leur a donné ce nom par euphémisme, pour se les rendre favorables. Je sai bien qu'il y a des auteurs qui prétendent que ce nom leur fut donné quand elles eurent cessé de tourmenter Oreste; mais cette aventure d'Oreste est remplie de tant de circonstances fabuleuses, que j'aime mieux croire que les furies étoient appellées Euménides avant qu'Oreste fût venu au monde: c'est ainsi qu'on traite tous les jours de bonnes les personnes les plus aigres & les plus difficiles, dont on veut appaiser l'emportement ou obtenir quelque bienfait.

Il y a bien des occasions où nous nous servons aussi de cette figure pour écarter des idées desagréables, comme quand nous disons le maître des hautesoeuvres, ou que nous donnons le nom de velours - maurienne à une sorte de gros drap qu'on fait en Maurienne, contrée de Savoie, & dont les pauvres Savoyards sont habillés. Il y a aussi une grosse étoffe de fil qu'on honore du nom de damas de Caux.

Nous disons aussi Dieu vous assiste, Dieu vous bénisse, plûtôt que de dire, je n'ai rien à vous donner.

Souvent pour congédier quelqu'un on lui dit: voilà qui est bien, je vous remercie, au lieu de lui dire, allez - vous - en. Souvent ces façons de parler, courage, tout ira bien, cela ne va pas si mal, &c. sont autant d'euphémismes.

Il y a, sur - tout en Medecine, certains euphémismes qui sont devenus si familiers qu'ils ne peuvent plus servir de voile, les personnes polies ont recours à d'autres façons de parler (F)

EUPHONIE (Page 6:209)

EUPHONIE, s. f. terme de Grammaire, prononciation facile. Ce mot est grec, E/UFWNI/A, R R. E=)U, bene, & FWNH/, vox; ainsi euphonie vaut autant que voix bonne, c'est - à - dire prononciation facile, agréable. Cette facilité de prononciation dont il s'agit ici, vient de la facilité du méchanisme des organes de la parole. Par exemple, on auroit de la peine à prononcer ma ame, ma épée; on prononce plus aisément mon ame, mon épée. De même on dit par euphonie, mon amie, & même m'amie, au lieu de ma amie.

C'est par la raison de cette facilité dans la prononciation, que pour éviter la peine que cause l'hiatus ou bâillement toutes les fois qu'un mot finit par une voyelle, & que celui qui suit commence par une voyelle, on insere entre ces deux voyelles certaines consonnes qui mettent plus de liaison, & par consêquent plus de facilité dans le jeu des organes de la parole. Ces consonnes sont appellées lettres euphoniques, parce que tout leur service ne consiste qu'à faciliter la prononciation. Ces mots prosum, profui, profueram, &c. sont composés de la préposition pro & du verbe sum; mais si le verbe vient à commencer par une voyelle, on insere une lettre euphonique entre la préposition & le verbe; le d est alors cette lettre euphonique, pro - d - est, pro - d - eram, pro - d - ero, &c. Ce service des lettres euphoniques est en usage dans toutes les langues, parce qu'il est une suite naturelle du méchanisme des organes de la parole.

C'est par la même cause que l'on dit m'aime - t - il? dira - t - on? Le t est la lettre euphonique; il doit être entre deux divisions, & non entre une division & une apostrophe, parce qu'il n'y a point de lettre mangée: mais il faût écrire va - t'en, parce que le t est - là le singulier de vous. On dit va - t'en, comme on dit allez - vous en, allons - nous en. V. Apostrophe.

On est un abregé de homme; ainsi comme on dit l'homme, on dit aussi l'on, si l'on veut: l interrompt le bâillement que causeroit la rencontre de deux voyelles, i, o, si on, &c.

S'il y a des occasions où il semble que l'euphonie fasse aller contre l'analogie grammaticale, on doit se souvenir de cette réflexion de Cicéron, que l'usage nous autorise à préférer l'euphonie à l'exactitude rigoureuse des regles: impetratum est à consuetudine, ut peccare suavitatis causâ liceret. Cic. Orat. c. xcvij. (F)

EUPHORBE (Page 6:209)

EUPHORBE, s. m. (Hist. nat. bot.) genre de plante de la classe des tithymales; elle est ainsi nommée, dit - on, d'Euphorbe, medecin du roi Juba, & frere du célebre Antoine Musa, medecin d'Auguste; mais Saumaise a prouvé que cette plante étoit connue sous ce nom long - tems avant le medecin du roi de Lybie.

Voici ses caracteres: sa fleur, son fruit & son lait ressemblent à ceux du tithymale; sa forme est anguleuse, de même que dans le cierge; elle est ornée de piquans, & presque dénuée de feuilles. Boerhaave & Miller en comptent dix à douze especes, & ce dernier auteur y joint la maniere de les cultiver; mais nous ne parlerons que de l'espece d'où découle la gomme dite euphorbe. Elle s'appelle euphorbium antiquorum verum dans Commellin, hort. med. Amst. 23. & par les Malais scadidacalli. Hort. malab. vol. II. tab. lxxxj. &c.

C'est un arbrisseau qui vient dans les terres sablonneuses, pierreuses & stériles des pays chauds, à la hauteur de dix piés & davantage. Sa racine est grosse, se plonge perpendiculairement dans la terre, & jette des fibres de tous côtés; elle est ligneuse intérieurement, couverte d'une écorce brune en - dehors, & d'un blanc de lait en dedans. Sa tige qui est simple, a trois ou quatre angles; elle est comme articulée & entrecoupée de différens noeuds, & les angles sont garnis d'épines roides, pointues, droites, brunes & luisantes, placées deux à deux. Elle est composée d'une écorce épaisse, verte - brune, & d'une pulpe humide, blanchâtre, pleine de lait, & sans partie ligneuse. Elle se partage en plusieurs branches

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