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27°. Que la mémoire ou la faculté qui rappelle ou fait renaître les sensations, n'appartient pas essentiellement à l'être sensitif; que c'estune faculté ou cause corporelle & conditionnelle, qui consiste dans l'organisation des corps des animaux: car la mémoire peut être troublée, affoiblie, ou abolie par les maladies ou dérangemens de ces corps.
28°. Que l'intelligence de l'être sensitif est assujettie aux différens états de perfection & d'imperfection de la mémoire.
29°. Que les rêves, les délires, la folie, l'imbécillité, ne consistent que dans l'exercice imparfait de la mémoire. Un homme couché à Paris, qui rêve qu'il est à Lyon, qu'il y voit la chapelle de Versailles, qu'il parle au vicomte de Turenne, est dans l'oubli de beaucoup d'idées qui dissiperoient ses erreurs: il ne se ressouvient pas alors qu'il s'est couché le soir à Paris, qu'il est dans son lit, qu'il est privé de la lumiere du jour, que la chapelle de Versailles est fort éloignée de Lyon, que le vicomte de Turenne est mort, &c. Ainsi sa mémoire qui lui rappelle Lyon, la chapelle de Versailles, le vicomte de Turenne, est alors en partie en exercice & en partie interceptée: mais à son réveil, & aussi - tôt que sa mémoire est en plein exercice, il reconnoît toutes les absurdités de son rêve.
Il en est de même du délire & de la folie: car ces états de déréglement des fonctions de l'esprit, ne consistent aussi que dans l'absence ou privation d'idées intermédiaires dont on ne se ressouvient pas, ou qui ne sont pas rappellées régulierement par le méchanisme de la mémoire. Dans la folie de cet homme, qui se croyoit le pere éternel, la mémoire ne lui rappelloit point, ou soiblement, les connoissances de son pere, de sa mere, de son enfance,
L'imbécillité dépend aussi de la mémoire, dont l'exercice est si lent & si défectueux, que l'intelligence ne peut être que très - bornée & très - imparfaite.
Le déréglement moral, qui est une espece de folie, résulte d'un méchanisme à - peu - près semblable: car lorsque le méchanisme des sens & de la mémoire cause quelques sensations affectives, trop vives & trop dominantes, ces sensations forment des goûts, des passions, des habitudes, qui subjuguent la raison; on n'aspire à d'autre bonheur qu'à celui de satisfaire des goûts dominans & des passions pressantes. Ceux qui ont le malheur d'être, par la mauvaise organisation de leur corps, livrés à des sentimens ou sensations affectives, trop vives ou habituelles, s'abandonnent à des déréglemens de conduite, que leur raison ni leur intérêt bien entendu ne peuvent réprimer. Leur intelligence n'est uniquement occupée qu'à découvrir les ressources & les moyens de satisfaire leurs passions. Ainsi le déréglement moral est toûjours accompagné du déréglement d'intelligence.
30°. Que la mémoire peut nous rappeller les sensations dans un autre ordre & sous d'autres formes, que nous ne les avons reçûes par l'usage des sens.
Les Peintres qui représentent des tritons, des nayades, des sphynx, des lynx, des centaures, des satyres, réunissent, par la mémoire, des parties de corps humain à des parties de corps de bêtes, & forment des objets imaginaires. Les Physiciens qui entreprennent d'expliquer des phénomenes dont le méchanisme est inconnu, se représentent des enchaînemens de causes & d'effets, dont ils se forment des idées représentatives du méchanisme de ces phénomenes, lesquelles n'ont pas plus de réalité que celles des tritons & des nayades.
31°. Que les sensations changées ou variées, ou diversement combinées par la mémoire, ne produisent que des idées factices, formées de sensations que nous avons déjà reçûes par l'usage des sens. C'est pourquoi les Poëtes n'ont pû nous représenter le Tartare, les Champs elysées, les Dieux, les Puissances infernales, &c. que sous des formes corporelles; parce qu'il n'y a pas d'autres idées représentatives, que celles que nous avons reçûes par la voie des sens. Il en est de même de toutes les abstractions morales: telles sont les idées abstraites factices de bonheur, de malheur, de passions en général; elles ne sont compréhensibles que par le secours des sensations affectives que nous avons éprouvées par l'usage des sens. Il en est de même encore de toutes les abstractions relatives, morales, ou physiques: telles sont la bonté, la clémence, la justice, la cruauté, l'estime, le mépris, l'aversion, l'amitié, la complaisance, la préférence, le plus, le moins, le meilleur, le pire, &c. car elles tiennent & se rapportent toutes à des objes corrélatifs sensibles. La bonté, par exemple, tien à ceux qui font du bien, & se rapporte à ceux qui le reçoivent, & aux bienfaits qui sont les effets de la bonté. Or tous ces objets ne sont connus que par les sentations, & c'est de ces objets même que se tire l'i<pb-> [p. 151]
32°. Que ces idées factices, produites volontairement ou involontairement, sont la source de nos erreurs.
33°. Qu'il n'y a que les sensations telles que nous les recevons, ou que nous les avons reçûes par l'usage des sens, qui nous instruisent sûrement de la réalité & des propriétés des objets, qui nous procurent ou qui nous ont procuré ces sensations; car il n'y a qu'elles qui soient completes, régulieres, immuables, & absolument contormes aux objets.
34°. Que des idees innées ou des idées que l'ame se produiroit elle - même sans l'action d'aucune cause extrinseque, ne procureroient à l'ame ancune évidence de la réalité d'aucun être, ou d'aucune cause distinete de l'ame même; parce que l'anie seroit elle - même le sujet, la source & la cause de ces idées, & qu'elle n'auroit par de telles idées aucun rapport nécessaire avec aucun être distinct d'elle - même. Ces idées seroient donc à cet égard destituées de toute évidence. Ainsi les idées innées ou estentielles qu'on a voulu attribuer aux parties de la matiere, ne leur procureroient aucune apperception d'objets extrinseques, ni aucunes connoissances réelles.
35°. Qu'une sensation abstraite générale n'est que l'idee particuliere d'un attribut commun à plusieurs objets, dejà connus par des sensations completes & représentatives de ces objets; or chacun ayant cet attribut, qui leur est commun par similitude ou ressemblance, on s'en forme une idée factice & sommaire d'unité, quoiqu'il soit réellement aussi multiple ou aussi nombreux qu'il y a d'êtres à qui il appartient. La blancheur de la neige, par exemple, n'est pas une seule blancheur; car chaque particule de la neige a réellement & séparément sa blancheur particuliere. L'esprit qui ne peut être assecté que de fort peu de sensations distinctes à - la - fois, réunit & confond ensemble les qualités qui l'affectent de la même maniere, & se forme de ces qualités, qui existent réellement & séparément dans chaque être, une idée uniforme & générale. Ainsi l'esprit ne conçoit les idées sommaires ou générales, que pour éviter un détail d'idées particulieres dont il ne peut pas être affecte distinctement en même tems. C'est donc l'imperfection ou la capacité trop bornée de l'esprit, qui le force à avoir des idées abstraites générales. Il en est de même des idées abstraites particulieres ou bornées à un seul objet. Un homme fort attentif, par éxemple, à la saveur d'un fruit, cesse de penser dans cet instant à la figure, à la grosseur, à la couleur, & aux autres qualités de ce fruit; parce que l'esprit ne peut être en même tems affecte attentivement que de très - peu de sensations. Il n'y a que l'intelligence par essence, l'Être supreme, qui exclue les idees abstraites, & qui réunisse dans chaque instant & toûjours les connoissances détaillées, distinetes & completes de tous les êtres réels & possibles, & de toutes leurs dépendances.
36°. Qu'on ne peut rien déduire sûrement & avec évidence, d'une sensation sommaire on générale, qu'autant qu'elle est réunie aux sensations completes, reprétentatives, & exactes des objets auxquels elle appartient. Par exemple, l'idée abstraite, générale, factice de justice, qui renferme confusément les idées abstraites de justice retributive, distributive, attributive, arbitraire, &c. n'établit aucune con<cb->
37°. Que nos sensations nous font appercevoir deux sortes de vérités; des vérités réelles, & des vérités purement spéculatives ou idéales. Les vérités réelles sont celles qui consistent dans les rapports exacts & évidens, qu'ont les objets réels avec les sensations qu'ils procurent. Les vérités purement idéales sont celles qui ne consistent que dans les rapports que les sensations ont entre elles: telles sont les vérités métaphysiqués, géométriques, logiques, conjecturales, qu'on déduit d'idées factices, ou d'idees abstraites générales. Les rêves, le délire, la solie produisent aussi des vérités idéales; parce que dans ces cas l'esprit n'est décidé de même que par les rapports que les sensations dont il est affecté alors, ont entre elles. Un homme qui en rêvant croit être dans un bois où il voit un lion, est saisi de la peur, & se détermine idéalement à monter sur un arbre pour se mettre en sûreté; l'esprit de cet homme tire des conséquences justes de ses sensations, mais elles n'en sont pas moins fausses relativement aux objets de ces mêmes sensations. Les vérités idéales ne consistent donc que dans les rapports que les sensations ont entre elles, séparément des objets réelles de ces sensations.
Telles sont les vérités qui résultent des idées factices, & celles qui résultent des idées sommaires ou générales, lesquelles ne sont aussi elles - mêmes que des idées factices. En effet il est évident que ces idées factices n'ont aucun rapport avec les objets, tels qu'on les a apperçûs par l'usage des sens: ainsi les vérités qu'elles presentent ne peuvent nous instruire de la réalite & des propriétés des objets, ni des proprietes & des fonctions de l'etre sensitif, qu'autant que nous saisissons des rapports réels & exacts entre les objets mêmes & nos sensations, & entre nos sensations & notre être sensitif. La certitude de nos connoissances naturelles ne consiste donc que dans l'évidence des vérités reelles.
38°. Que ce sont les idées factices & les idées abstraites
générales qui font méconnoître l'évidence, &
qui savorisent le pyrrhonisme; parce que les hommes
livrés sans diseernement à des idées factices, à des
idées abstraites générales, & à des idées telles qu'ils
les ont reçûes par l'usage des sens, tirent de ces diverses
idées des conséquences qui se contrarient: d'où
il semble qu'il n'y a aucune certitude dans nos connoissances.
Mais tous ceux qui seront assujettis dans
la déduction des vérités réelles, aux sensations telles
qu'ils les ont reçûes par l'usage des sens, conviendront
toûjours de la certitude de ces vérités. Une
regle d'arithmétique soûmet décisivement les hommes
dans les disputes qu'ils ont entre eux sur leurs
intérets; parce qu'alors leur calcul a un rapport
exact & évident avec les objets réels qui les intéressent.
Les hommes ignorans & les bêtes se bornent
ordinairement à des vérités réelles, parce que
leurs fonctions sensitives ne s'étendent guere au<pb->
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