ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"148"> nos sensations, & entre les causes & les effets; car nous ne connoissons notre être sensitis, que parce qu'il nous est indiqué par nos sensations. Nous ne connoissons les causes de nos sensations, que parce que nos sensations nous assûrent qu'elles sont produites par ces causes: nous ne connoissons les objets de nos sensations que parce qu'ils nous sont représentés par nos sensations. Deux sortes de rapports constituent l'évidence indicative; les rapports essentiels, & les rapports nécessaires. Les rapports essentiels consistent dans les liaisons des choses qui ne peuvent exister les unes sans les autres: tel est le rapport qu'il y a entre les effets & leurs causes, par exemple, entre le mouvement & la cause motrice, & pareillement aussi entre le mouvement & le mobile. Mais ces rapports essentiels ne se trouvent pas entre les causes & les effets, ni entre les sujets sur lesquels s'operent les effets, & ces effets mêmes, ni entre le sujet & la cause; car le mobile peut n'être pas mû, & la cause motrice peut aussi ne pas mouvoir: mais quand le mouvement existe, il établit au moins alors un rapport nécessaire entre les uns & les autres; & ce rapport nécessaire forme ainsi une évidence à laquelle nous ne pouvons nous refuser.

8°. Que nous ne connoissons avec évidence les êtres qui nous sont indiqués par nos sensations que par leurs propriétés, qui ont une liaison essentielle ou nécessaire avec nos sensations; parce que ne connoissant que nos sensations en elles - mêmes, & que les êtres qui nous sont indiqués par nos sensations n'étant pas eux - mêmes nos sensations, nous ne pouvons pas connoître ces êtres en eux - mêmes.

9°. Que la simple faculté passive par laquelle l'être sensitif peut être affecté de sensations n'est point elle - même la propriété active, ou la cause qui lui produit les sensations dont il est affecté. Car une propriété purement passive n'est pas une propriété active.

10°. Qu'en effet, l'être sensitif ne peut se causer à lui - même aucune sensation: il ne peut, par exemple, quand il sent du froid, se causer par lui - même la sensation de chaleur.

11°. Que l'être sensitif a des sensations desagréables dont il ne peut se délivrer; qu'il voudroit en avoir d'agréables qu'il ne peut se procurer. Il n'est donc que le sujet passif de ses sensations.

12°. Que l'être sensitif ne pouvant se causer à lui - même ses sensations, elles lui sont causées par une puissance qui agit sur lui, & qui est réellement distincte de lui - même.

13°. Que l'être sensitif est dépendant de la puissance qui agit sur lui, & qu'il lui est assujetti.

14°. Qu'il n'y a nulle intelligence, ou nulle combinaison d'idées du present & du passé, sans la mémoire; parce que sans la mémoire, l'être sensitif n'auroit que la sensation de l'instant présent, & ne pourroit réunir à cette sensation aucune de celles qu'il a déjà reçûes. Ainsi nulle liaison, nul rapport mutuel, nulle combinaison d'idées ou sensations remémoratives, & par conséquent nulle appréhension consécutive, ou nulle fonction intellectuelle de l'être sensitif.

15°. Que l'être sensitif ne tire point de lui les idées ou les sensations dont il se ressouvient; parce qu'il n'existe en lui d'autres sensations que celles dont il est affecté actuellement & sensiblement. Ainsi on ne peut, dans l'ordre naturel, attribuer à l'être sensitif des idées permanentes, habituelles, innées, qui puissent subsister dans l'oubli actuel de ces idées; car l'oubli d'une idée ou sensation est le néant de cette même sensation, & le ressouvenir d'une sensation est la réproduction de cette sensation: ce qui indique nécessairement une cause active qui reproduit les sensations dans l'exercice de la mémoire.

16°. Que nous éprouvons que les objets que nous appellons corps ou matiere sont eux - mêmes dans l'ordre naturel les causes physiques de toutes les différentes idées représentatives, des différentes affections, du bonheur, du malheur, des volontés, des passions, des déterminations de notre être sensitif, & que ces objets nous instruisent & nous affectent selon des lois certaines & constantes. Ces mêmes objets, quels qu'ils soient, & ces lois sont donc dans l'ordre naturel des causes nécessaires de nos sentimens, de nos connoissances, & de nos volontés.

17°. Que l'être sensitif ne peut par lui - même ni changer, ni diminuer, ni augmenter, ni défigurer les sensations qu'il reçoit par l'usage actuel des sens.

18°. Que les sensations représentatives que l'ame reçoit par l'usage des sens, ont entr'elles des différences essentielles & constantes qui nous instruisent sûrement de la diversité des objets qu'elles représentent. La sensation représentative d'un cercle, par exemple, differe essentiellement, & toûjours de la même maniere, de la sensation représentative d'un quarré.

19°. Que l'être sensitif distingue les sensations les unes des autres, par les différences que les sensations elles - mêmes ont entr'elles. Ainsi le discernement, ou la fonction par laquelle l'ame distingue les sensations & les objets représentés par les sensations, s'exécute par les sensations mêmes.

20°. Que le jugement s'opere de la même maniere; car juger, n'est autre chose qu'appercevoir & reconnoître les rapports, les quantités, & les qualités ou façons d'être des objets: or ces attributs font partie des sensations représentatives des objets; une porte fermée fait naître la sensation d'une porte fermée; un ruban blanc, la sensation d'un ruban blanc; un grand bâton & un petit bâton vûs ensemble, font naître la sensation du grand bâton & la sensation du petit bâton: ainsi juger qu'une porte est fermée, qu'un ruban est blanc, qu'un bâton est plus grand qu'un autre, n'est autre chose que sentir ou appercevoir ces sensations telles qu'elles sont. Il est donc évident que ce sont les sensations elles - mêmes qui produisent les jugemens. Ce qu'on appelle conséquences dans une suite de jugemens, n'est que l'accord des sensations, apperçû relativement à ces jugemens. Ainsi toutes ces appréhensions ou apperceptions ne sont que des fonctions purement passives de l'être sensitif Il paroît cependant que les affirmations, les négations & les argumentations marquent de l'action dans l'esprit: mais c'est notre langage, & surtout les fausses notions puisées dans la logique scholastique, qui nous en imposent. La logique des colléges a encore d'autres défauts, & surtout celui d'apprendre à convaincre par la forme des syllogismes. Une bonne logique ne doit être que l'art de faire appercevoir dans les sensations, ce que l'on veut apprendre aux autres; mais ordinairement le syllogisme n'est pas, pour cet effet, la forme de discours la plus convenable. Tout l'art de la vraie Logique ne consiste donc qu'à rappeller les sensations nécessaires, à réveiller & à diriger l'attention, pour faire découvrir dans ces sensations ce qu'on veut y faire appercevoir. Voyez Sensations, §. Déduction.

21°. Qu'il n'y a pas de sensations représentatives simples; par exemple, la sensation d'un arbre renferme celle du tronc, des branches, des feuilles, des fleurs: & celles - ci renferment les sensations d'étendue, de couleurs, de figures, &c.

22°. Que de plus, les sensations ont entr'elles par la mémoire une multitude de rapports que l'ame apperçoit, qui lient diversement toutes les sensations les unes aux autres, & qui, dans l'exercice de la mémoire, les rappellent à l'ame, selon l'ordre dans lequel elles l'intéressent actuellement; ce qui [p. 149] regle ses recherches, ses examens, & ses jugemens. Il est certain que la remémoration suivie & volontaire dépend de la liaison intime que les idées ont entr'elles, & que cette appréhension consécutive est suscitée & dirigée par l'intérêt même que nous causent les sensations; car c'est l'intérêt qui rend l'esprit attentif aux liaisons par lesquelles il passe d'une sensation à une autre. Si l'idée actuelle d'un fusil intéresse relativement à la chasse, l'esprit est aussi - tôt affecté de l'idée de la chasse; si elle l'intéresse relativement à la guerre, il sera affecté de l'idée de la guerre, & ne pensera pas à la chasse. Si l'idée de la guerre l'intéresse relativement à un ami qui a été tué à la guerre, il pense aussi - tôt à cet ami. Si l'idée de son ami l'intéresse relativement à un bienfait qu'il en a reçû, il sera dans l'instant affecté de l'idée de ce bienfait, &c. Ainsi chaque sensation en rappelle une autre, par les rapports qu'elles ont ensemble, & par l'intérêt qu'elles reveillent; ensorte que l'induction & l'ordre de la remémoration ne sont que les effets des sensations mêmes.

La contemplation ou l'examen n'est qu'une remémoration volontaire, dirigée par quelque doute intéressant: alors l'esprit ne peut se décider qu'après avoir acquis par les différentes sensations qui lui sont rappellées, les connoissances dont il a besoin pour s'instruire, ou pour appercevoir le résultat ou la totalité des avantages ou des desavantages, qui peuvent, dans les délibérations, le décider ou le déterminer à acquiescer ou à se désister.

La conception ou la combinaison des idées ou sensations qui affectent en même tems l'esprit, & qui l'intéressent assez pour fixer son attention aux unes & aux autres, n'est qu'une remémoration simultanée, & une contemplation soûtenue par l'intérêt que ces sensations lui causent. Alors toutes ces sensations concourent, par les rapports intéressans & instructifs que l'esprit y apperçoit, à former un jugement ou une décision; mais cette décisien sera plus ou moins juste, selon que l'esprit a saist ou apperçû plus ou moins exactement l'accord & le produit qui doivent résulter de ces sensations. L'être sensitif n'a donc encore, dans tous ces exercices, d'autre fonction que celle de découvrir dans ses sensations, ce que les sensations qui l'interessent lui font elles mêmes appercevoir ou sentir exactement & distinctement.

On a de la peine à comprendre comment le méchànisme corporel de la mémoire fait renaître régulierement à l'ame, selon son attention, les sensations par lesquelles elle exerce dans la remémoration ses fonctions intellectuelles. Cependant ce méchanisme de la mémoire peut devenir intelligible, en le comparant à celui de la vision. Les rayons de lumiere qui frappent l'oeil en même tems, peuvent faire voir d'un même regard une multitude innombrable d'objets, quoique l'ame n'apperçoive distinctement, dans chaque instant, que ceux qui fixent son attention. Mais aussi - tôt qu'elle est déterminée de même par son attention vers d'autres objets, elle les apperçoit distinctement, & se détache de ceux qu'elle voyoit auparavant. Ainsi, de tous les rayons de lumiere qui partent des objets, & qui se réunissent sur l'oeil, il n'y en a que fort peu qui ayent leur effet par rapport à la vision actuelle: mais comme ils sont tous également en action sur l'oeil, ils peuvent tous également se prêter dans l'instant à l'attention de l'ame, & lui procurer distinctement des sensations qu'elle n'avoit pas, ou qu'elle n'avoit que confusément auparavant. Les radiations des esprits animaux établies par l'usage des sens dans les nerfs, & qri forment un confluent au siége de l'ame où elles sont toûjours en action, peuvent de même procurer à l'ame, selon son attention, toutes les sensa<cb-> tions qu'elle reçoit, ou ensemble, ou successivement dans l'exercice de la remémoiation.

23°. Que les sensations successives que nous pouvons recevoir par l'usage des sens & de la mémoire, se correspondent ou se réunissent les unes aux autres, conformément à la représentation des objets corporels qu'elles nousindiquent. Si j'ai une sensation représentative d'un morceau de glace, je suis assûré que si je touche cette glace, j'aurai une sensation de dureté ou de résistance, & une sensation de froid.

24°. Qu'il y a entre les sensations & les objets, & entre les sensations mêmes, des rapports certains & constans, qui nous instruisent sûrement des rapports que les objets ont entr'eux, & des rapports qu'il y a entre ces objets & nous; que la sensation, par exemple, que nous avons d'un corps en mouvement, change continuellement de relations à l'égard des sensations que nous avons aussi des corps qui environnent ce corps qui est en mouvement, & que par son mouvement, ce même corps produit dans les autres corps des effets conformes aux sensations que nous avons de ces corps; c'est - à - dire que nous sommes assûrés par l'expérience que les corps agissent les uns sur les autres, conformément aux sensations que nous avons de leur grosseur, de leur figure, de leur pesanteur, de leur consistance, de leur souplesse, de leur rigidité, de leur proximité ou de leur éloignement, de la vîtesse & de la direction de leur mouvement; qu'un corps moû, par exemple, cédera à l'action d'un corps dur & fort pesant qui appuyera sur lui; qu'un corps mû rapidement cassera un corps fragile qu'il rencontrera; qu'un corps dur & aigu percera un corps tendre contre lequel il sera poussé fortement; qu'un corps chaud me causera une sensation de chaleur, &c. Ensorte qu'il y a une correspondance certaine entre les corps & les sensations qu'ils nous procurent, entre nos sensations & les divers effets que les corps peuvent opérer les uns sur les autres, & entre les sensations présentes & les sensations qui peuvent naître en nous par tous les différens mouvemens & les différens effets des corps: d'où résulte une évidence ou une certitude de connoissances à laquelle nous ne pouvons nous refuser, & par laquelle nous sommes continuellement instruits des sensations agréables que nous pouvons nous procurer, & des sensations desagréables que nous voulons éviter. C'est dans cette correspondance que consistent, dans l'ordre naturel, les regles de notre conduite, nos intérêts, notre science, notre bonheur, notre malheur, & les motifs qui forment & dirigent nos volontés.

25°. Que nous distinguons les sensations que nous retenons, ou qui nous sont rappellées par la mémoire, de celles que nous recevons par l'usage actuel des sens. C'est par la distinction de ces deux sortes de sensations que nous jugeons de la présence des objets qui affectent actuellement nos sens, & de l'absence de ceux qui nous sont rappellés par la mémoire. Ces deux sorte, de sensations nous affectent différemment, lorsoue les sens & la mémoire agissent ensemble régulierement pendant la veille; ainsi nous les distinguons sûrement par la maniere dont les unes & les autres nous affectent en même tems. Mais pendant le sommeil, lorsque nous rêvons, nous ne rccevons des sensations que par la mémoire dont l'exercice est en grande partie intercepté, & nous n'avons pas, par l'usage actuel des sens, de sensations opposées à celles que nous recevons par la mémoire; celles - ci fixent toute l'attention de l'esprit, & le tiennent dans l'illusion, de maniere qu'il croit appercevoir les objets mêmes de ses sensations.

26°. Que dans le concours de l'exercice des sens & de l'exercice de la mémoire, nous sommes affec<pb->

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