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16°. C'est par le même principe que le tems & la frequence de l'usage d'un mot se compensent mutuellement pour l'altérer dans le même degré. C'est principalement la pente générale que tous les mots ont à s'adoucir ou à s'abreger qui les altere. Et la cause de cette pente est la commodité de l'organe qui les prononce. Cette cause agit sur tous les hommes: elle agit d'une maniere insensible, & d'autant plus que le mot est plus répeté. Son action continue, & la marche des altérations qu'elle a produites, a dù être & a été observée. Une fois connue, elle devient une pierre de touche sûre pour juger d'une foule de conjectures étymologiques; les mots adoucis ou abregés par l'euphonie ne retournent pas plus à leur premiere prononciation que les eaux ne remontent vers leur source. Au lieu d'obtinere, l'euphonie a fait prononcer optinere; mais jamais à la prononciation du mot optare, on ne substituera celle d'obtare. Ainsi dans notre langue, ce qui se prononçoit comme exploits, tend de jour en jour a se prononcer comme succès, mais une étymologie où son feroit passer un mot de cette derniere prononciation à la premiere ne seroit pas recevable.
17°. Si de ce point de vûe général on veut descendre dans les détails, & considérer les différentes suites d'altérations dans tous les langages que l'euphonie produisoit en même tems, & en quelque sorte parallelement les unes aux autres dans toutes les contrées de la terre; si l'on veut fixer aussi les yeux sur les différentes époques de ces changemens, on sera surpris de leur irrégularité apparente. On verra que chaque langue & dans chaque langue chaque dialecte, chaque peuple, chaque siecle, changent constamment certaines lettres en d'autres lettres, & se refusent à d'autres changemens aussi constamment usités chez leurs voisins. On conclura qu'il n'y a à cet égard aucune regle générale. Plusieurs savans, & ceux en particuher qui ont fait leur étude des langues orientales, ont, il est vrai, posé pour principe que les lettres distinguées dans la grammaire hébraïque & rangées par classes sous le titre de lettres des mêmes organes, se changent réciproquement entre elles, & peuvent se substituer indifféremment les unes aux autres dans la même classe; ils ont affirmé la même chose des voyelles, & en ont disposé arbitrairement, sans doute parce que le changement des voyelles est plus fréquent dans toutes les langues que celui des consonnes, mais peut - être aussi parce qu'en hébreu les voyelles ne sont point écrites. Toutes ces observations ne sont qu'un système, une conclusion géné<cb->
18°. Tous les changemens que souffre la prononciation
ne viennent pas de l'euphonie. Lorsqu'un
mot, pour être transmis de génération en génération,
passe d'un homme à l'autre, il faut qu'il soit
entendu avant d'être répeté; & s'il est mal - entendu, il sera mal répeté: voilà deux organes & deux
sources d'altération. Je ne voudrois pas décider que
la différence entre ces deux sortes d'altérations puisse
être facilement apperçue. Cela dépend de savoir
à quel point la sensibilité de notre oreille est aidéc
par l'habitude où nous sommes de former certains
sons, & de nous fixer à ceux que la disposition de
nos organes rend plus faciles (voyez
19°. Il résulte de tout ce que nous avons dit dans le cours de cet article, qu'une étymologie est une supposition; qu'elle ne reçoit un caractere de vérité & de certitude que de sa comparaison avec les faits connus; du nombre des circonstances de ces faits qu'elle explique; des probabilités qui en naissent, & que la critique apprécie. Toute circonstance expliquée, tout rapport entre le dérivé & le primitif supposé produit une probabilité, aucun n'est exclus; la probabilité augmente avec le nombre des rapports, & parvient rapidement à la certitude. Le sens, le son, les consonnes, les voyelles, la quanrité, se prêtent une force réciproque, Tous les rapports ne donnent pas une égale probabilité. Une étymologie qui donneroit d'un mot une définition exacte, l'emporteroit sur celle qui n'auroit avec lui qu'un rapport métaphorique. Des rapports supposés d'après des exemples, cedent à des rapports fondés sur des faits connus, les exemples indéterminés aux exemples pris des mêmes langues & des mêmes siecles. Plus on remonte de degrés dans la filiation des étymologies, plus le primitif est loin du dérivé; plus toutes les ressemblances s'alterent, plus les rapports deviennent vagues & se réduisent à de simples possibilités; plus les suppositions sont multipliées, chacune est une source d'incertitude; il faut donc se faire une loi de ne s'en permettre qu'une à la fois, & par conséquent de ne remonter de chaque mot qu'à son étymologie immédiate; ou bien il faut qu'une suite de faits incontestables remplisse l'intervalle entre l'un & l'autre, & dispense de toute supposition. Il est bon en général de ne se permettre que des suppositions déjà rendues vraissemblables par quelques inductions. On doit vérifier par l'histoire des conquêtes & des migrations des peuples, du commerce, des arts, de l'esprit humain en général, & du progrès de chaque nation en particulier, les étymologies qu'on établit sur les mêlanges des peuple. & des langues; par des exemples connus, celles qu'on tire des changemens du sens, au moyen des métaphores; par la connoissance historique & grammaticale de la prononciation de chaque langue & de ses révolutions, celles qu'on fonde sur les altérations de la prononciation: comparer toutes les étymologies supposées, soit avec la chose nommée, sa nature, ses rapports & son analogie avec les différens êtres, soit avec la chronologie des altérations successives, & l'ordre invariable des progrès de l'eupnonie. Rejetter enfin toute étymologie contredite par un seul fait, & n'admettre comme certaines que celles qui seront appuyées sur un très - grand nombre de probabilités réunies.
20°. Je finis ce tableau raccourci de tout l'art étymologique par la plus générale des regles, qui les renferme toutes; celle de douter beaucoup. On n'a point à craindre que ce doute produise une incertitude universelle; il y a, même dans le genre étymologique, des choses évidentes à leur maniere; des dérivations si naturelles, qui portent un air de vérité si frappant, que peu de gens s'y refusent. A l'égard de celles qui n'ont pas ces caracteres, ne vaut - il pas beaucoup mieux s'arrêter en - deçà des bornes de la certitude, que d'aller au - delà? Le grand objet de l'art étymologique n'est pas de rendre raison de l'origine de tous les mots sans exception, & j'ose dire que ce seroit un but assez frivole. Cet art est principalement recommandable en ce qu'il fournit à la Philosophie des matériaux & des observations pour élever le grand édifice de la théorie générale dos langues; or
Noas n'avons plus pour finir cet article qu'à y joindre quelques réflexions sur l'utilité des recherches étymologiques, pour les disculper du reproche de frivolité qu'on leur fait souvent.
Depuis qu'on connoît l'enchaînement général qui unit toutes les vérités; depuis que la Philosophie ou plûtôt la raison, par ses progrès, a fait dans les sciences, ce qu'avoient fait autrefois les conquêtes des Romains parmi les nations; qu'elle a réuni toutes les parties du monde littéraire, & renversé les barrieres qui divisoient les gens de lettres en autant de petites républiques étrangeres les unes aux autres, que leurs études avoient d'objets différens: je ne saurois croire qu'aucune sorte de recherches ait grand besoin d'apologie: quoi qu'il en soit, le développement des principaux usages de l'étude étymologique ne peut être inutile ni déplacé à la suite de cet article.
L'application la plus médiate de l'art étymologique, est la recherche des origines d'une langue en
particulier: le résultat de ce travail, poussé aussi loin
qu'il peut l'être sans tomber dans des conjectures
trop arbitraires, est une partie essentielle de l'analyse
d'une langue, c'est - à - dire de la connoissance
complete du système de cette langue, de les élémens
radicaux, de la combinaison dont ils sont susceptibles,
&c. Le fruit de cette analyse est la facilité de
comparer les langues entr'elles sous toutes sortes de
rapports, grammatical, philosophique, historique,
&c. (voyez au mot Next page
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