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6°. On puisera dans cette connoissance détaillée des migrations des peuples, d'excellentes regles de critique, pour juger des étymologies tirées de leurs langues, & apprécier leur vraissemblance: les unes seront fondées sur le local des établissemens du peuple ancien; par exemple, les étymologies phéniciennes des noms de lieu seront plus recevables, s'il s'agit d'une côte ou d'une ville maritime, que si cette ville étoit située dans l'intérieur des terres: une étymologie arabe conviendra dans les plaines & dans les parties méridionales de l'Espagne; on préférera pour des lieux voisins des Pyrenées, des étymologies latines ou basques.
7°. La date du mêlange des deux peuples, & du tems où les langues anciennes ont été remplacées par de nouvelles, ne sera pas moins utile; on ne tirera point d'une racine celtique le nom d'une ville bâtie, ou d'un art inventé sous les rois francs.
8°. On pourra encore comparer cette date à la quantité d'altération que le primitif aura dû souffrir pour produire le dérivé; car les mots, toutes choses d'ailleurs égales, ont reçu d'autant plus d'altération qu'ils ont été transmis par un plus grand nombre de générations, & sur - tout que les langues ont essuyé plus de révolutions dans cet intervalle. Un mot oriental qui aura passé dans l'espagnol par l'arabe, sera bien moins éloigné de sa racine que celui qui sera venu des anciens Carthaginois.
9°. La nature de la migration, la forme, la proportion, & la durée du mêlange qui en a résulté, peuvent aussi rendre probables ou improbables plusieurs conjectures; une conquête aura apporté bien plus de mots dans un pays, lorsqu'elle aura été accompagnée de transplantation d'habitans; une possession durable, plus qu'une conquête passagere; plus lorsque le conquérant a donné ses lois aux vaincus, que lorsqu'il les a laissés vivre selon leurs usages: une conquête en général, plus qu'un simple commerce. C'est en partie à ces causes combinées avec les révolutions postérieures, qu'il faut attribuer les différentes proportions dans le mêlange du latin avec les langues qu'on parle dans les différentes contrées soûmises autrefois aux Romains; proportions d'après lesquelles les étymologies tirées de cette langue auront, tout le reste égal, plus ou moins de probabilité; dans le mêlange, certaines classes d'objets garderont les noms que leur donnent le conquérant; d'autres, celui de la langue des vaincus;
10°. Lorsqu'il n'y a eu entre deux peuples qu'une simple liaison sans qu'ils se soient mêlangés, les mots qui passent d'une langue dans l'autre sont le plus ordinairement relatifs à l'objet de cette liaison. La religion chrétienne a étendu la connoissance du latin dans toutes les parties de l'Europe, où les armes des Romains n'avoient pû pénétrer. Un peuple adopte plus volontiers un mot nouveau avec une idée nouvelle, qu'il n'abandonne les noms des objets anciens, auxquels il est accoûtumé. Une étymologie latine d'un mot polonois ou irlandois, recevra donc un nouveau degré de probabilité, si ce mot est relatif au culte, aux mysteres, & aux autres objets de la religion. Par la même raison, s'il y a quelques mots auxquels on doive se permettre d'assigner une origine phénicienne ou hébraïque, ce sont les noms de certains objets relatifs aux premiers arts & au commerce; il n'est pas étonnant que ces peuples, qui les premiers ont commercé sur toutes les côtes de la Méditerranée, & qui ont fondé un grand nombre dé colonies dans toutes les îles de la Grece, y ayent porté les noms des choses ignorées des peuples sauvages chez lesquels ils trafiquoient, & sur - tout les termes de commerce. Il y aura même quelques - uns de ces mots que le commerce aura fait passer des Grecs à tous les Européens, & de ceux ci à toutes les autres nations. Tel est le mot de sac, qui signifie proprement en hébreu une étoffe grossitre, propre à emballer les marchandises. De tous les mots qui ne dérivent pas immédiatement de la nature, c'est peut - être le plus universellement répandu dans toutes les langues. Notre mot d'arrhes, arrhabon, est encore purement hébreu, & nous est venu par la même voie. Les termes de Commerce parmi nous sont portugais, hollandois, anglois, &c. suivant la date de chaque branche de commerce, & le lieu de son origine.
11°. On peut en généralisant cette derniere observation,
établit un nouveau moyen d'estimer la
vraissemblance des suppositions étymologiques, fondée
sur le mélange des nations & de leurs langages;
c'est d'examiner quelle étoit au tems du mélange
la proportion des idées des deux peuples; les objets
qui leur étoient familiers, leur maniere de vivre,
leurs arts, & le degré de connoissance auquel
ils étoient parvenus. Dans les progrès généraux de
l'esprit humain, toutes les nations partent du même
point, marchent au même but, suivent à - peu - près la
même route, mais d'un pas très - inégal. Nous prouverons
à l'article
12°. On vout quelquefois donner à un mot d'une langue moderne, comme le françois, une. origine tirée d'une langue ancienne, comme le latin, qui, pendant que la nouvelle se formoit, étoit parlée & écrite dans le même pays en qualité de langue savante. Or il faut bien prendre garde de prendre pour des mots latins, les mots nouveaux, auxquels on ajoûtoit des terminaisons de cette langue; soit qu'il n'y eût véritablement aucun mot latin correspondant, soit plûtôt que ce mot fût ignoré des écrivains du tems. Faute d'avoir fait cette legere attention, Ménage a dérivé marcassin de marcassinus, & il a perpétuellement assigné pour origine à des mots françois de prétendus mots latins, inconnus lorsque la langue latine étoit vivante, & qui ne sont que ces mêmes mots françois latinisés par des ignorans: ce qui est en fait d'étymologie, un cercle vicieux.
13°. Comme l'examen attentif de la chose dont on veut expliquer le nom, de ses qualités, soit absolues, soit relatives, est une des plus riches sources de l'invention; il est aussi un des moyens les plus sûrs pour juger certaines étymologies: comment ferat - on venir le nom d'une ville, d'un mot qui signifie pont, s'il n'y a point de riviere? M. Freret a employé ce moyen avec le plus grand succès dans sa dissertation sur l'étymologie de la terminaison celtique dunum, où il réfute l'opinion commune qui fait venir cette terminaison d'un prétendu mot celtique & tudesque, qu'on veut qui signifie montagne. Il produit une longue énumération des lieux, dont le nom ancien se terminoit ainsi: Tours s'appelloit autrefois Casarodunum; Leyde, Lugdunum Batavorum; Tours & Leyde sont situés dans des plaines. Plusieurs lieux se sont appellés Uxellodunum, & uxel signifioit aussi montagne; ce seroit un pléonasme. Le mot de Noviodunum, aussi très - commun, se trouve donné à des
14°. C'est cet examen attentif de la chose qui peut
seul éclairer sur les rapports & les analogies que les
hommes ont dû saisir entre les différentes idées, sur
la justesse des métaphores & des tropes, par lesquels
on a fait servir les noms anciens à désigner des objets
nouveaux. Il faut l'avoüer, c'est peut - être par
cet endroit que l'art étymologique est le plus susceptible
d'incertitude. Très - souvent le défaut de justesse
& d'analogie ne donne pas droit de rejetter les
étymologies fondées sur des métaphores; je crois l'avoir
dit plus haut, en traitant de l'invention: il y en
a sur - tout deux raisons; l'une est le versement d'un
mot, si j'ose ainsi parler, d'une idée principale sur
l'accessoire; la nouvelle extension de ce mot à d'autres
idées, uniquement fondée sur le sens accessoire
sans égard au primitif, comme quand on dit un cheval
serré d'argent; & les nouvelles métaphores entées
sur ce nouveau sens, puis les unes sur les autres, au
point de présenter un sens entierement contradictoire
avec le sens propre. L'autre raison qui a introduit
dans les langues des métaphores peu justes, est l'embarras
où les hommes se sont trouvés pour nommer
certains objets qui ne frappoient en rien le sens de
l'ouie, & qui n avoient avec les autres objets de la
nature, que des rapports très - éloignés. La nécessité
est leur excuse. Quant à la premiere de ces deux especes
de métaphores si éloignées du sens primitif,
j'ai déjà donné la seule regle de critique sur laquelle
on puisse compter; c'est de ne les admettre que dans
le seul cas où tous les changemens intermédiaires
sont connus; elle resserre nos jugemens dans des limites
bien étroites, mais il faut bien les resserrer
dans les limites de la certitude. Pour ce qui regarde
les métaphores produites par la nécessité, cette
nécessité même nous procurera un secours pour les
vérifier: en effet, plus elle a été réelle & pressante,
plus elle s'est fait sentir à tous les hommes, plus elle
a marqué toutes les langues de la même empreinte.
Le rapprochement des tours semblables dans plusieurs
langues très - différentes, devient alors une
preuve que cette façon détournée d'envisager l'objet,
étoit aussi nécessaire pour pouvoir lui donner
un nom, qu'elle semble bisarre au premier coupd'oeil. Voici un exemple assez singulier, qui justifiera
notre regle. Rien ne paroît d'abord plus étonnant
que de voir le nom de pupilla, petite fille, diminutif
de pupa, donné à la prunelle de l'oeil. Cette étymologie devient indubitable par le rapprochement du
grec
15°. L'altération supposée dans les sons, forme
seule une grande partie de l'art étymologique, &
mérite aussi quelques considérations particulieres.
Nous avons déjà dit (8°.) que l'altération du dérivé
augmentoit à mesure que le tems l'éloignoit du primitif,
& nous avons ajoûté, toutes choses d'ailleurs,
égales, parce que la quantité de cette altération dépend
aussi du cours que ce mot a dans le public. Il
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