ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"102"> quantité, parce que qui prouve le plus prouve le moins); une syllabe longue autorise souvent à supposer la contraction de deux voyelles, & même le retranchement d'une consonne intermédiaire. Je cherche l'étymologie de pinus; & comme la premiere syllabe de pinus est longue, je suis porté à penser qu'elle est formée des deux premieres du mot picinus, dérivé de pix; & qui seroit effectivement le nom du pin, si on avoit voulu le définir par la principale de ses productions. Je sai que l'x, le c, le g, toutes lettres gutturales, se retranchent souvent en latin, lorsqu'elles sont placées entre deux voyelles; & qu'alors les deux syllabes se confondent en une seule, qui reste longue: maxilla, axilla, vexillum, texela, mala, ala, velum, tela.

14°. Ce n'est pas que ces syllabes contractées & réduites à une seule syllabe longue, ne puissent, en passant dans une autre langue, ou même par le seul laps de tems, devenir breves: aussi ces sortes d'inductions sur la quantité des syllabes, sur l'identité des voyelles, sur l'analogie des consonnes, ne peuvent guere être d'usage que lorsqu'il s'agit d'une dérivation immédiate. Lorsque les degrés de filiation se multiplient, les degrés d'altération se multiplient aussi à un tel point, que le mot n'est souvent plus reconnoissable. En vain prétendroit - on excture les transformations de lettres en d'autres lettres trèséloignées. Il n'y a qu'à supposer un plus grand nombre d'altérations intermédiaires, & deux lettres qui ne pouvoient se substituer immédiatement l'une à l'autre, se rapprocheront par le moyen d'une troisieme. Qu'y a - t - il de plus éloigné qu'un b & une s? cependant le b a souvent pris la place de l's consonne ou du digamma éolique. Le digamma éolique, dans un très - grand nombre de mots adoptés par les Latins, a été substitué à l'esprit rude des Grecs, qui n'est autre chose que notre h, & quelquefois même à l'esprit doux; témoin I^^SPEROS2, vesper, H)R, ver, &c. De son côté l's a été substituée dans beaucoup d'autres mots latins, à l'esprit rude des Grecs; UPER, super, E(C, sex, U(S2, sus, &c. La même aspiration a donc pû se changer indifféremment en b & en s. Qu'on jette les yeux sur le Vocabulaire hagiologique de l'abbé Chatelain, imprimé à la tête du Dictionnaire de Menage, & l'on se convaincra par les prodigieux changemens qu'ont subi les noms des saints depuis un petit nombre de siecles, qu'il n'y a aucune étymologie, quelque bisarre qu'elle paroisse, qu'on ne puisse justifier par des exemples avérés; & que par cette voie on peut, au moyen des variations intermédiaires multipliées à volonté, démontrer la possibilité d'un changement d'un son quelconque, en tout autre son donné. En effet, il y a peu de dérivation aussi étonnante au premier coup d'oeil, que celle de jour tirée de dies; & il y en a peu d'aussi certaine. Qu'on réfléchisse de plus que la variété des métaphores entées les unes sur les autres, a produit des bisarreries peut - être plus grandes, & propres à justifier par conséquent des étymologies aussi éloignées par rapport au sens, que les autres le sont par rapport au son. Il faut donc avoüer que tout a pû se changer en tout, & qu'on n'a droit de regarder aucune supposition étymologique comme absolument impossible. Mais que faut - il conclure de - là? qu'on peut se livrer avec tant de savans hommes à l'arbitraire des conjectures, & bâtir sur des fondemens aussi ruineux de vastes systèmes d'érudition; ou bien qu'on doit regarder l'étude des étymologies comme un jeu puérile, bon seulement pour amuser des enfans? Il faut prendre un juste milieu. Il est bien vrai qu'à mesure qu'on suit l'origine des mots, en remontant de degré en degré, les altérations se multiplient, soit dans la prononciation, soit dans les sons, parce que, excepté les seules inflexions grammaticales, chaque passage est une alté<cb-> ration dans l'un & dans l'autre; par conséquent la liberté de conjecturer s'étend en même raison. Mais cette liberté, qu'est - elle? sinon l'effet d'une incertitude qui augmente toûjours. Cela peut - il empêcher qu'on ne puisse discuter de plus pres les dérivations les plus immédiates, & même quelques autres étymologies qui compensent par l'accumulation d'un plus grand nombre de probabilités, la distance plus grande entre le primitif & le dérivé, & le peu de ressemblance entre l'un & l'autre, soit dans le sens, soit dans la prononciation. Il faut donc, non pas renoncer à rien savoir dans ce genre, mais seulement se résoudre à beaucoup ignorer. Il faut, puisqu'il y a des étymologies certaines, d'autres simplement probables, & quelques - unes évidemment fausses, étudier les caracteres qui distinguent les unes des autres, pour apprendre, sinon à ne se tromper jamais, du moins à se tromper rarement. Dans cette vûe nous allons proposer quelques regles de critique, d'après lesquelles on pourra vérifier ses propres conjectures & celles des autres. Cette vérification est la seconde partie & le complément de l'art étymologique.

Principes de critique pour apprécier la certitude des étymologies. La marche de la critique est l'inverse, à quelques égards, de celle de l'invention: toute occupée de créer, de multiplier les systèmes & les hypotheses, celle - ci abandonne l'esprit à tout son essor, & lui ouvre la sphere immense des possibles; celle - là au contraire ne paroît s'étudier qu'à détruire, à écarter successivement la plus grande partie des suppositions & des possibilités; à rétrécir la carriere, à fermer presque toutes les routes, & à les réduire, autant qu'il se peut, au point unique de la certitude & de la vérité. Ce n'est pas à dire pour cela qu'il faille séparer dans le cours de nos recherches ces deux opérations, comme nous les avons séparéesici, pour ranger nos idées sous un ordre plus facile: malgréleur opposition apparente, elles doivent toûjours marcher ensemble dans l'exercice de la méditation; & bien loin que la critique, en modérant sans cesse l'essor de l'esprit, diminue sa fécondité, elle l'empêche au contraire d'user ses forces, & de perdre un tems utile à poursuivre des chimeres: elle rapproche continuellement les suppositions des faits; elle analyse les exemples, pour réduire les possibilités & les analogies trop générales qu'on en tire, à des inductions particulieres, & bornées à certaines circonstances: elle balance les probabilités & les rapports éloignés, par des probabilités plus grandes & des rapports plus prochains. Quand elle ne peut les opposer les uns aux autres, elle les apprécie; où la raison de nier lui manque, elle établit la raison de douter. Enfin elle se rend très - difficile sur les caracteres du vrai, au risque de le rejetter quelquefois, pour ne pas risquer d'admettre le faux avec lui. Le fondement de toute la critique est un principe bien simple, que toute vérité s'accorde avec tout ce qui est vrai; & que réciproquement ce qui s'accorde avec toutes les vérités, est vrai: de - là il suit qu'une hypothese imaginée pour expliquer un effet, en est la véritable cause, toutes les fois qu'elle explique toutes les circonstances de l'effet, dans quelque détail qu'on analyse ces circonstances, & qu'on développe les corollaires de l'hypothèse. On sent aisément que l'esprit humain ne pouvant connoître qu'une très - petite partie de la chaîne qui lie tous les êtres, ne voyant de chaque effet qu'un petit nombre de circonstances frappantes, & ne pouvant suivre une hypothèse que dans ses conséquences les moins éloignées, le principe ne peut jamais recevoir cette application complette & universelle, qui nous donneroit une certitude du même genre que celle des Mathématiques. Le hasard a pû tellement combiner un certain nom<pb-> [p. 103] bre de circonstances d'un effet, qu'elles correspondent parfaitement avec la supposition d'une cause qui ne sera pourtant pas la vraie. Ainsi l'accord d'un certain nombre de circonstances produit une probabilité toûjours contrebalancée par la possibilité du contraire dans un certain rapport, & l'objet de la critique est de fixer ce rapport. Il est vrai que l'augmentation du nombre des circonstances augmente la probabilité de la cause supposée, & diminue la probabilité du hasard contraire, dans une progression tellement rapide, qu'il ne faut pas beaucoup de termes pour mettre l'esprit dans un repos aussi parfait que le pourroit faire la certitude mathématique elle - même. Cela posé, voyons ce que fait le critique sur une conjecture ou sur une hypothèse donnée. D'abord il la compare avec le fait considéré, autant qu'il est possible, dans toutes ses circonstances, & dans ses rapports avec d'autres faits. S'il se trouve une seule circonstance incompatible avec l'hypothèse, comme il arrive le plus souvent, l'examen est fini: si au contraire la supposition répond à toutes les circonstances, il faut peser celles - ci en particulier, discuter le plus ou le moins de facilité avec laquelle chacune se prêteroit à la supposition d'autres causes; estimer chacune des vraissemblances qui en résultent, & les compter, pour en former la probabilité totale. La recherche des étymologies a, comme toutes les autres, ses regles de critique particulieres, relatives à l'objet dont elle s'occupe, & fondées sur sa nature. Plus on étudie chaque matiere, plus on voit que certaines classes d'effets se prêtent plus ou moins à certaines classes de causes; il s'établit des observations générales, d'après lesquelles on exclut tout - d'uncoup certaines suppositions, & l'on donne plus ou moins de valeur à certaines probabilités. Ces observations & ces regles peuvent sans doute se multiplier à l'infim; il y en auroit même de particulieres à chaque langue & à chaque ordre de mots; il seroit impossible de les renfermer toutes dans cet article, & nous nous contenterons de quelques principes d'une application générale, qui pourront mettre sur la voie: le bon sens, la connoissance de l'nistoire & des langues, indiqueront assez les différentes regles relatives à chaque langue en particulier.

1°. Il faut rejetter toute étymologie, qu'on ne rend vraissemblable qu'à force de suppositions multipliées. Toute supposition enferme un degré d'incertitude, un risque quelconque; & la multiplicité de ces risques détruit toute assûrance raisonnable. Si donc on propose une étymologie dans laquelle le primitif soit tellement éloigné du dérivé, soit pour le sens, soit pour le son, qu'il faille supposer entre l'un & l'autre plusieurs changemens intermédiaires, la vérification la plus sûre qu'on en puisse faire sera l'examen de chacun de ces changemens. L'étymologie est bonne, si la chaîne de ces altérations est une suite de faits connus directement, ou prouvés par des inductions vraissemblables; elle est mauvaise, si l'intervalle n'est rempli que par un tissu de suppositions gratuites. Ainsi quoique jour soit aussi éloigné de dies dans la prononciation, qu'alfana l'est d'equus; l'une de ces étymologies est ridicule, & l'autre est certaine. Quelle en est la différence? Il n'y a entre jour & dies que l'italien giorno qui se prononce dgiorno, & le latin diurnus, tous mots connus & usités; au lieu que fanacus, anacus, aquus pour dire cheval, n'ont jamais existé que dans l'imagination de Menage. Cet auteur est un exemple frappant des absurdités, dans lesquelles on tombe en adoptant sans choix ce que suggere la malheureuse facilité de supposer tout ce qui est possible: car il est très - vrai qu'il ne fait aucune supposition dont la possibilité ne soit justifiée par des exemples. Mais nous avons prouvé qu'en multipliant à volonté les altérations intermé<cb-> diaires, soit dans le son, soit dans la signification, il est aisé de dériver un mot quelconque de tout autre mot donné: c'est le moyen d'expliquer tout, & dèslors de ne rien expliquer; c'est le moyen aussi de justifier tous les mépris de l'ignorance.

2°. Il y a des suppositions qu'il faut rejetter, parce qu'elles n'expliquent rien; il y en a d'autres qu'on doit rejetter, parce qu'elles expliquent trop. Une étymologie tirée d'une langue étrangere n'est pas admissible, si elle rend raison d'une terminaison propre à la langue du mot qu'on veut éclaircir, toutes les vraissemblances dont on voudroit i'appuyer, ne prouveroient rien, parce qu'elles prouveroient trop: ainsi avant de chercher l'origine d'un mot dans une langue étrangere, il faut l'avoir décomposé, l'avoir dépouillé de toutes ses inflexions grammaticales, & réduit à ses élémens les plus simples. Rien n'est plus ingénieux que la conjecture de Bochart sur le nom d'insula Britannica, qu'il dérive de l'hébreu Baratanac, pays de l'étain, & qu'il suppose avoir été donné à cette île par les marchands phéniciens ou carthaginois, qui alloient y chercher ce métal. Notre regle détruit cette étymologie: Britannicus est un adjectif dérivé, où la Grammaire latine ne connoît de radical que le mot britan. Il en est de même de la terminaison celtique magum, que Bochart fait encore venir de l'hébreu mohun, sans considérer que la terminaison um ou us (car magus est aussi commun que magum) est évidemment une addition faite par les Latins, pour décliner la racine celtique mag. La plûpart des éty mologistes hébraïsans ont été plus sujets que les autres à cette faute; & il faut avoüer qu'elle est souvent difficile à éviter, sur - tout lorsqu'il s'agit de ces langues dont l'analogie est fort compliquée & riche en inflexions grammaticales. Tel est le grec, où les augmens & les terminaisons déguisent quelquefois entierement la racine. Qui reconnoîtroit, par exemple, dans le mot H)MMIYS2 le verbe A)PTW dont il est cependant le participe très - régulier? S'il y avoit un mot hébreu hemmen, qui signifiât comme HMMETIS2, arrangé ou joint, il faudroit rejetter cette origine pour s'en tenir à la derivation grammaticale. J'ai appuyé sur cette espece d'écueil, pour faire sentir ce qu'on doit penser de ceux qui écrivent des volumes d'étymologies, & qui ne connoissent les langues que par un coup - d'oeil rapide jetté sur quelques dictionnaires.

3°. Une étymologie probable exclut celles qui ne sont que possibles. Par cette raison, c'est une regle de critique presque sans exception, que toute étymologie étrangere doit être écartée, lorsque la décomposition du mot dans sa propre langue répond exactement à l'idée qu'il exprime: ainsi celui qui guidé par l'analogie de parabole, paralogisme, &c. chercheroit dans la préposition greque PARA) l'origine de parasol & parapluie, se rendroit ridicule.

4°. Cette étymologie devroit être encore rebutée par une autre regle presque toûjours sûre, quoiqu'elle ne soit pas entierement générale: c'est qu'un mot n'est jamais composé de deux langues différentes, à moins que le mot étranger ne soit naturalisé par un long usage avant la composition; ensorte que ce mot n'ait besoin que d'être prononcé pour être entendu: ceux même qui composent arbitrairement des mots scientifiques, s'assujettissent à cette regle, guidés par la seule analogie, si ce n'est lorsqu'ils joignent à beaucoup de pédanterie beaucoup d'ignorance; ce qui arrive quelquefois: c'est pour cela que notre regle a quelques exceptions.

5°. Ce sera une très - bonne loi à s'imposer, si l'on veut s'épargner bien des conjectures frivoles, de ne s'arrêter qu'à des suppositions appuyées sur un certain nombre d'inductions, qui leur donnent déjà un commencement de probabilité, & les tirent de la

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