ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"100"> sives du pays, par différens peuples, indiquent suffisamment aux étymologistes dans quelles langues ils doivent chercher les origines de celle qu'ils étudient.

6°. Lorsqu'on veut tirer les mots d'une langue moderne d'une ancienne, les mots françois, par exemple, du latin, il est très - bon d'étudier cette langue, non - seulement dans sa pureté & dans les ouvrages des bons auteurs, mais encore dans les tours les plus corrompus, dans le langage du plus bas peuple & des provinces. Les personnes élevées avec soin & instruites de la pureté du langage, s'attachent ordinairement à parler chaque langue, sans la mêler avec d'autres: c'est le peuple grossier qui a le plus contribué à la formation des nouveaux langages; c'est lui qui ne parlant que pour le besoin de se faire entendre, néglige toutes les lois de l'analogie, ne se refuse à l'usage d'aucun mot, sous prétexte qu'il est étranger, dès que l'habitude le lui a rendu familier; c'est de lui que le nouvel habitant est forcé, par les nécessités de la vie & du commerce, d'adopter un plus grand nombre de mots; enfin c'est toûjours par le bas peuple que commence ce langage mitoyen qui s'établit nécessairement entre deux nations rapprochées, par un commerce quelconque; parce que de part & d'autre personne ne voulant se donner la peine d'apprendre une langue étrangere, chacun de son côté en adopte un peu, & cede un peu de la sienne.

7°. Lorsque de cette langue primitive plusieurs se sont formées à la fois dans différens pays, l'étude de ces différentes langues, de leurs dialectes, des variations qu'elles ont éprouvées; la comparaison de la maniere différente dont elles ont altéré les mêmes inflexions, ou les mêmes sons de la langue mere, en se les rendant propres; celle des directions opposées, si j'ose ainsi parler, suivant lesquelles elles ont détourné le sens des mêmes expressions; la suite de cette comparaison, dans tout le cours de leur progrès, & dans leurs différentes époques, serviront beaucoup à donner des vûes pour les origines de chacune d'entre elles: ainsi l'italien & le gascon qui viennent du latin, comme le françois, présentent souvent le mot intermédiaire entre un mot françois & un mot latin, dont le passage eût paru trop brusque & trop peu vraissemblable, si on eût voulu tirer immédiatement l'un de l'autre, soit que le mot ne soit effectivement devenu françois que parce qu'il a été emprunté de l'italien ou du gascon, ce qui est très - fréquent, soit qu'autrefois ces trois langues ayent été moins différentes qu'elles ne le sont aujourd'hui.

8°. Quand plusieurs langues ont été parlées dans le même pays & dans le même tems, les traductions réciproques de l'une à l'autre fournissent aux étymologistes une foule de conjectures précieuses. Ainsi pendant que notre langue & les autres langues modernes se formoient, tous les actes s'écrivoient en latin; & dans ceux qui ont été conservés, le mot latin nous indique très - souvent l'origine du mot françois, que les altérations successives de la prononciation nous auroient dérobée; c'est cette voie qui nous a appris que métier vient de ministerium; marguillier, de matricularius, &c. Le dictionnaire de Ménage est rempli de ces sortes d'étymologies, & le glossaire de Ducange en est une source inépuisable. Ces mêmes traductions ont l'avantage de nous procurer des exemples constatés d'altérations très - considérables dans la prononciation des mots, & de différences très - singulieres entre le dérivé & le primitif, qui sont sur - tout très - fréquentes dans les noms des saints; & ces exemples peuvent autoriser à former des conjectures auxquelles, sans eux, on n'auroit osé se livrer. M. Freret a fait usage de ces traductions d'une langue à une autre, dans sa dissertation sur le mot dunum, où, pour prouver que cette terminaison celti<cb-> que signifie une ville, & non pas une montagne, il allegue que les Bretons du pays de Galles ont traduit ce mot dans le nom de plusieurs villes, par le mot de caër, & les Saxons par le mot de burgh, qui signifient incontestablement ville: il cite en particulier la ville de Dumbarton, en gallois, Caërbriton; & celle d'Edimbourg, appellée par les anciens Bretons Dun - eden, & par les Gallois d'aujourd'hui Caereden.

9°. Indépendamment de ce que chaque langue tient de celles qui ont concouru à sa premiere formation, il n'en est aucune qui n'acquiere journellement des mots nouveaux, qu'elle emprunte de ses voisins & de tous les peuples avec lesquels elle a quelque commerce. C'est sur - tout lorsqu'une nation reçoit d'une autre quelque connoissance ou quelque art nouveau, qu'elle en adopte en même tems les termes. Le nom de boussole nous est venu des Italiens, avec l'usage de cet instrument. Un grand nombre de termes de l'art de la Verrerie sont italiens, parce que cet art nous est venu de Venise. La Minéralogie est pleine de mots allemans. Les Grecs ayant été les premiers inventeurs des Arts & des Sciences, & le reste de l'Europe les ayant reçûs d'eux, c'est à cette cause qu'on doit rapporter l'usage général parmi toutes les nations européennes, de donner des noms grecs à presque tous les objets scientifiques. Un étymologiste doit donc encore connoître cette source, & diriger ses conjectures d'après toutes ces observations, & d'après l'histoire de chaque art en particulier.

10°. Tous les peuples de la terre se sont mêlés en tant de manieres différentes, & le mélange des langues est une suite si nécessaire du mélange des peuples, qu'il est impossible de limiter le champ ouvert aux conjectures des étymologistes. Par exemple, on voudra du petit nombre de langues dont une langue s'est formée immédiatement, remonter à des langues plus anciennes; souvent même quelques - unes de ces langues se sont totalement perdues: le celtique, dont notre langue françoise a pris plusieurs racines, est dans ce cas; on en rassemblera les vestiges épars dans l'irlandois, le gallois, le bas - breton, dans les anciens noms des lieux de la Gaule, &c. le saxon, le gothique, & les différens dialectes anciens & modernes de la langue germanique, nous rendront en partie la langue des Francs. On examinera soigneusement ce qui s'est conservé de la langue des premiers maîtres du pays, dans quelques cantons particuliers, comme la basse Bretagne, la Biscaye, l'Epire, dont l'âpreté du sol & la bravoure des habitans ont écarté les conquérans postérieurs. L'histoire indiquera les invasions faites dans les tems les plus reculés, les colonies établies sur les côtes par les étrangers, les différentes nations que le commerce ou la nécessité de chercher un asyle, a conduits successivement dans une contrée. On sait que le commerce des Phéniciens s'est étendu sur toutes les côtes de la Méditerranée, dans un tems où les autres peuples étoient encore barbares; qu'ils y ont établi un très grand nombre de colonies; que Carthage, une de ces colonies, a dominé sur une partie de l'Afrique, & s'est soûmis presque toute l'Espagne méridionale. On peut donc chercher dans le phénicien ou l'hébreu un grand nombre de mots grecs, latins, espagnols, &c. On pourra par la même raison supposer que les Phocéens établis à Marseille, ont porté dans la Gaule méridionale plusieurs mots grecs. Au défaut même de l'histoire on peut quelquefois fonder ses suppositions sur les mélanges de peuples plus anciens que les histoires même. Les courses connues des Goths & des autres nations septentrionales d'un bout de l'Europe à l'autre; celles des Gaulois & des Cimmériens dans des siecles plus éloignés; celles des Scythes en Asie, [p. 101] donnent droit de soupçonner des migrations semblables, dont les dates trop reculées seront restées inconnues, parce qu'il n'y avoit point alors de nations policées pour en conserver la mémoire, & par conséquent le mélange de toutes les nations de l'Europe & de leurs langues, qui a dû en résulter. Ce soupçon, tout vague qu'il est, peut être confirmé par des étymologies qui en supposeront la réalité, si d'ailleurs elles portent avec elles un caractere marqué de vraissemblance; & dès - lors on sera autorisé à recourir encoré à des suppositions semblables, pour trouver d'autres étymologies. *A MIL*TEIN, traire le lait, composé de l'A privatis & de la racine MEL, lait; mulgeo & muleco en latin, se rapportent manifestement à la racine milk ou mulk, qui signifie lait dans toutes les langues du Nord; cependant cette racine n'existe seule ni en grec ni en latin. Les mots styern, suéd. star, ang. A)S2HR, gr. stella, latin, ne sont - ils pas évidemment la même racine, ainsi que le mot MGIH, la lune, d'où mensis en latin, & les mots moon, ang. maan, dan. mond, allem.? Des étymologies si bien vérifiées, m'indiquent des rapports étonnans entre les langues polies des Grecs & des Romains, & les langues grossieres des peuples du Nord. Je me prêterai donc, quoiqu'avec réserve, aux étymologies d'ailleurs probables qu'on fondera sur ces mêlanges anciens des nations, & de leurs langages.

11°. La connoissance générale des langues dont on peut tirer des secours pour éclaircir les origines d'une langue donnée, montre plûtôt aux étymologistes l'espace où ils peuvent étendre leurs conjectures, qu'elle ne peut servir à les diriger; il faut que ceux - ci tirent de l'examen du mot même dont ils cherchent l'origine, des circonstances ou des analogies sur lesquelles ils puissent s'appuyer. Le sens est le premier guide qui se présente: la connoissance détaillée de la chose exprimée par le mot, & de ses circonstances principales, peut ouvrir des vûes. Par exemple, si c'est un lieu, sa situation sur une montagne ou dans une vallée; si c'est une riviere, sa rapidité, sa profondeur; si c'est un instrument, son usage - ou sa forme; si c'est une couleur, le nom des objets les plus communs, les plus visibles auxquels elle appartient; si c'est une qualité, une notion abstraite, un être en un mot, qui ne tombe pas sous les sens, il faudra étudier la maniere dont les hommes sont parvenus à s'en former l'idée, & quels sont les objets sensibles dont ils ont pû se servir pour faire naître la même idée dans l'esprit des autres hommes, par voie de comparaison ou autrement. La théorie philosophique de l'origine du langage & de ses progrès, des causes de l'imposition primitive des noms, est la lumiere la plus sûre qu'on puisse consulter; elle montre autant de sources aux étymologistes, qu'elle établit de résultats généraux, & qu'elle décrit de pas de l'esprit humain dans l'invention des langues. Si l'on vouloit entrer ici dans les détails, chaque objet fourniroit des indications particulieres qui dépendent de sa nature, de celui de nos sens par lequel il a été connu, de la maniere dont il a frappé les hommes, & de ses rapports avec les autres objets, soit réels, soit imaginaires. Il est donc inutile de s'appesantir sur une matiere qu'on pourroit à peine effleurer; l'article Origine des Langues, auquel nous renvoyons, ne pourra même renfermer que les principes les plus généraux: les détails & l'application ne peuvent être le fruit que d'un examen attentif de chaque objet en particulier. L'exemple des étymologies déjà connues, & l'analogie qui en résulte, sont le secours le plus général dont on puisse s'aider dans cette sorte de conjectures, comme dans toutes les autres, & nous en avons déjà parlé. Ce sera encore une chose très - utile de se supposer soi - même à la place de ceux qui ont eu à donner des noms aux objets; pourvû qu'on se mette bien à leur place, & qu'on oublie de bonnesoi tout ce qu'ils ne devoient pas savoir, on connoîtra par soi - même, avec la difficulté, toutes les ressources & les adresses du besoin: pour la vaincre l'on formera des conjectures vraissemblables sur les idées qu'ont voulu exprimer les premiers nomenclateurs, & l'on cherchera dans les langues anciennes les mots qui répondent à ces idées.

12°. Je ne sai si en matiere de conjectures étymologiques, les analogies fondées sur la signification des mots, sont présérables à celles qui ne sont tirées que du son même. Le son paroit apparrenir directement à la substance même du mot; mais la vérité est que l'un sans l'autre n'est rien, & qu'ainsi l'un & l'autre rapport doivent être perpétuellement combinés dans toutes nos recherches. Quoi qu'il en soit, non seulement la ressemblance des sons, mais encore des rapports plus ou moins éloignés, servent à guider les étymologistes du dérivé à son primitif. Dans ce genre rien peut - être ne peut borner les inductions, & tout peut leur servir de fondement, depuis la ressemblance totale, qui, lorsqu'elle concourt avec le sens, établit l'identité des racines jusqu'aux ressemblances les plus legeres; on peut ajoûter, jusqu'au caractere particulier de certaines différences. Les sons se distinguent en voyelles & en consonnes, & les voyelles sont breves ou longues. La ressemblance dans les sons suffit pour supposer des étymologies, sans aucun égard à la quantité, qui varie souvent dans la même langue d'une génération à l'autre, ou d'une ville à une ville voisine: il seroit superflu d'en citer des exemples. Lors même que les sons ne sont pas entierement les mêmes, si les consonnes se ressemblent, on n'aura pas beaucoup d'égard à la différence des voyelles; effectivement l'expérience nous prouve qu'elles sont beaucoup plus sujettes à varier que les consonnes: ainsi les Anglois, en écrivant grace comme nous, prononcent gréce. Les Grecs modernes prononcent ita & épsilon, ce que les anciens prononçoient èta & upsilon: ce que les Latins prononçoient ou, nous le prononçons u. On ne s'arrête pas même lorsqu'il y a quelque différence entre les consonnes, pourvû qu'il reste entr'elles quelqu'analogie, & que les consonnes correspondantes dans le dérivé & dans le primitif, se forment par des mouvemens semblables des organes; ensorte que la prononciation, en devenant plus forte ou plus foible, puisse changer aisément l'une & l'autre. D'après les observations faites sur les changemens habituels de certaines consonnes en d'autres, les Grammairiens les ont rangées par classes, relatives aux différens organes qui servent à les former: ainsi le p, le b & l'm sont rangés dans la classe des lettres labiales, parce qu'on les prononce avec les levres (Voy. au mot Lettres, quelques considérations sur le rapport des lettres avec les organes). Toutes les fois donc que le changement ne se fait que d'une consonne à une autre consonne, l'altération du dérivé n'est point encore assez grande pour faire méconnoître le primitif. On étend même ce principe plus loin; car il suffit que le changement d'une consonne en une autre soit prouvé par un grand nombre d'exemples, pour qu'on se permette de le supposer; & véritablement on a toûjours droit d'établir une supposition dont les faits prouvent la possibilité.

13°. En même tems que la facilité qu'ont les lettres à se transformer les unes dans les autres, donne aux étymologistes une liberté illimitée de conjecturer, sans égard à la quantité prosodique des syllabes, au son des voyelles, & presque sans égard aux consonnes même, il est cependant vrai que toutes ces choses, sans en excepter la quantité, servent quelquefois à indiquer des conjectures heureuses. Une syllabe longue (je prends exprès pour exemple la

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