ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS
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qni paroissent plus raisonnées. A s'en tenir à l'expérience,
on est donc en droit de leur refuser toutes
ces propriétés de l'ame humaine. Direz - vous avec
Bayle, que de ce que l'ame des brutes emprisonnée
qu'elle est dans certains organes, ne manifeste pas
telles & telles facultés, telles & telles idées, il ne
s'ensuit point du tout qu'elle ne soit susceptible de
ces idées, & qu'elle n'ait pas ces facultés; parce
que c'est peut - être l'organisation de la machine qui
les voile & les enveloppe? A ce ridicule peut - être,
dont le bon sens s'irrite, voici une réponse décisive.
C'est une chose directement opposée à la nature d'un
Dieu bon & sage, & contraire à l'ordre qu'il suit
invariablement, de donner à la créature certaines
facultés, & de ne lui en permettre pas l'exercice,
sur - tout si ces facultés, en se déployant, peuvent
contribuer à la gloire du Créateur & au bonheur de
la créature. Voici un principe évidemment contenu
dans l'idée d'un Dieu souverainement bon & souverainement
sage, c'est que les intelligences qu'il a
créées, dans quelque ordre qu'il les place, à quelque
oeconomie qu'il lui plaise de les soûmettre (je
parle d'une oeconomie durable & réglée selon les
lois générales de la nature) soient en état de le glorifier
autant que leur nature les en rend capables,
& soient en même tems mises à portée d'acquérir le
bonheur dont cette nature est susceptible. De - là il
suit qu'il répugne à la sagesse & à la bonté de Dieu, de
soûmettre des créatures à aucune oeconomie qui ne
leur permette de déployer que les moins nobles
de leurs facultés, qui leur rende inutiles celles qui
sont les plus nobles, & par conséquent les empêche
de tendre au plus haut point de félicité où elles
puissent atteindre. Telle seroit une oeconomie qui
borneroit à de simples sensations des créatures susceptibles
de raisonnement & d'idées claires, & qui
les priveroit de cette espece de bonheur que procurent
les connoissances évidentes & les opérations
libres & raisonnables, pour les réduire aux seuls
plaisirs des sens. Or l'ame des brutes, supposé qu'elle
ne différât point essentiellement de l'ame humaine,
seroit dans le cas de cet assujettissement forcé qui
répugnè à la bonté & à la sagesse du Créateur, &
qui est directement contraire aux lois de l'ordre. C'en
est assez pour nous convaincre que l'ame des brutes
n'ayant, comme l'expérience le montre, aucune
connoissance de la divinité, aucun principe de religion,
aucunes notions du bien & du mal moral,
n'est point susceptible de ces notions. Sous cette exclusion
est comprise celle d'un nombre infini d'idées
& de propriétés spirituelles. Mais si elle n'est pas
la même que celle des hommes, quelle est donc sa
nature? Voici ce qu'on peut conjecturer de plus raisonnable
sur ce sujet, & qui soit moins exposé aux
embarras qui peuvent naître d'ailleurs.
Je me représente l'ame des bêtes comme une substance
immatérielle & intelligente: mais de quelle
espece? Ce doit être, ce semble, un principe actif
qui a des sensations, & qui n'a que cela. Notre ame
a dans elle - même, outre son activité essentielle, deux
facultés qui fournissent à cette activité la matiere sur
laquelle elle s'exerce. L'une, c'est la faculté de former
des idées claires & distinctes sur lesquelles le
principe actif ou la volonté agit d'une maniere qui
s'appelle réflexion, jugement, raisonnement, choix libre: l'autre, c'est la faculté de sentir, qui consiste
dans la perception d'une infinité de petites idées involontaires,
qui se succedent rapidement l'une à
l'autre, que l'ame ne discerne point, mais dont les
différentes successions lui plaisent ou lui déplaisent,
& à l'occasion desquelles le principe actif ne se déploie
que par desirs confus. Ces deux facultés paroissent
indépendantes l'une de l'autre: qui nous
empêcheroit de supposer dans l'échelle des intelli<cb->
gences, au - dessous de l'ame humaine, une espece
d'esprit plus borné qu'elle, & qui ne lui ressembleroit
pourtant que par la faculté de sentir; un esprit
qui n'auroit que cette faculté sans avoir l'autre, qui
ne seroit capable que d'idées indistinctes, ou de perceptions
confuses? Cet esprit ayant des bornes beaucoup
plus étroites que l'ame humaine, en sera essentiellement
ou spécifiquement distinct. Son activité
sera resserrée à proportion de son intelligence:
comme celle - ci se bornera aux perceptions confuses,
celle - là ne consistera que dans des desirs confus
qui seront relatifs à ces perceptions. Il n'aura
que quelques traits de l'ame humaine; il sera son
portrait en raccourci. L'ame des brutes, selon que je
me la figure, apperçoit les objets par sensation; elle
ne réfléchit point; elle n'a point d'idée distincte;
elle n'a qu'une idée confuse du corps. Mais qu'il y
a de différence entre les idées corporelles que la sensation
nous fait naître, & celles que la bête reçoit
par la même voie! Les sens sont bien passer dans
notre ame l'idée des corps: mais notre ame ayant
outre cela une faculté supérieure à celle des sens,
rend cette idée toute autre que les sens ne la lui
donnent. Par exemple, je vois un arbre, une bête
le voit aussi: mais ma perception est toute différente
de la sienne. Dans ce qui dépend uniquement des
sens, peut - être que tout est égal entr'elle & moi:
j'ai cependant une perception qu'elle n'a pas, pourquoi?
Parce que j'ai le pouvoir de réfléchir sur l'objet
que me présente la sensation. Dès que j'ai vû un
seul arbre, j'ai l'idée abstraite d'arbre en général,
qui est séparée dans mon esprit de celle d'une plante,
de celle d'un cheval & d'une maison. Cette vûe que
l'entendement se forme d'un objet auquel la sensation
l'applique, est le principe de tout raisonnement,
qui suppose réflexion, vûe distincte, idées abstraites
des objets, par où l'on voit les rapports & les
différences, & qui mettent dans chaque objet une
espece d'unité. Nous croyons devoir aux sens des
connoissances qui dépendent d'un principe bien plus
noble, je veux dire de l'intelligence qui distingue,
qui réunit, qui compare, qui fournit cette vûe de
discrétion ou de discernement. Dépouillons donc
hardiment la bête des priviléges qu'elle avoit usurpés
dans notre imagination. Une ame purement sensitive
est bornée dans son activité, comme elle l'est
dans son intelligence; elle ne réfléchit point, elle
ne raisonne point; à proprement parler, elle ne
choisit point non plus; elle n'est capable ni de vertus
ni de vices, ni de progrès autres que ceux que
produisent les impressions & les habitudes machinales.
Il n'y a pour elle ni passé ni avenir; elle se contente
de sentir & d'agir, & si ses actions semblent
lui supposer toutes les propriétés que je lui refuse,
il faut charger la pure méchanique des organes de
ces trompeuses apparences.
En réunissant le méchanisme avec l'action d'un
principe immatériel & soi - mouvant, dès - lors la grande
difficulté s'affoiblit, & les actions raisonnées des
brutes peuvent très - bien se réduire à un principe
sensitif joint avec un corps organisé. Dans l'hypothese
de Descartes, le méchanisme ne tend qu'à la
conservation de la machine; mais le but & l'usage
de cette machine est inexpliquable, la pure matiere
ne pouvant être sa propre fin, & l'arrangement le
plus industrieux d'un tout matériel ayant nécessairement
de sa conservation d'autre raison que lui - même.
D'ailleurs de cette réaction de la machine, je veux
dire de ces mouvemens excités chez elle, en conséquence
de l'impression des corps extérieurs, on
n'en peut donner aucune cause naturelle ni finale.
Par exemple, pour expliquer comment les bêtes
cherchent l'aliment qui leur est propre, suffit - il de
dire, que le picotement causé par certain suc acre
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aux nerfs de l'estomac d'un chien, étant transmis au
cerveau, l'oblige de s'ouvrir vers les endroits les
plus convenables, pour faire couler les esprits dans
les muscles des jambes; d'où suit le transport de la
machine du chien vers la viande qu'on lui offre? Je ne
vois point de raison physique qui montre que l'ébranlement
de ce nerf transmis jusqu'au cerveau doit faire
refluer les esprits animaux dans les muscles qui produisent
ce transport utile à la machine. Quelle force
pousse ces esprits précisément de ce côté - là? Quand
on auroit découvert la raison physique qui produit
un tel effet, on en chercheroit inutilement la cause
finale. La machine insensible n'a aucun intérêt, puisqu'elle n'est susceptible d'aucun bonheur; rien à proprement
parler, ne peut être utile pour elle.
Il en est tout autrement dans l'hypothese du méchanisme
réuni avec un principe sensitif; elle est
fondée sur une utilité réelle, je veux dire, sur celle
du principe sensitif, qui n'existeroit point, s'il n'y
avoit point de machine à laquelle il fût uni. Ce principe
étant actif, il a le pouvoir de remuer les ressorts
de cette machine, le Créateur les dispose de maniere
qu'il les puisse remuer utilement pour son bonheur,
l'ayant construit avec tant d'art, que d'un
côté les mouvemens qui produisent dans l'ame des
sentimens agréables tendent à conserver la machine,
source de ces sentimens; & que d'un autre côté
les desirs de l'ame qui répondent à ces sentimens,
produisent dans la machine des mouvemens insensibles,
lesquels en vertu de l'harmonie qui y regne,
tendent à leur tour à la conserver en bon état, afin
d'en tirer pour l'ame des sensations agréables. La
cause physique de ces mouvemens de l'animal si sagement
proportionnés aux impressions des objets, c'est
l'activité de l'ame elle - même, qui a la puissance de
mouvoir les corps; elle dirige & modifie son activité
conformément aux diverses sensations, qu'excitent
en elle certaines impressions externes dès qu'elle y
est involontairement appliquée; impressions qui,
selon qu'elles sont agréables ou affligeantes pour
l'ame, sont avantageuses ou nuisibles à la machine.
D'autre côté à cette force, toute aveugle qu'elle
est, se trouve soûmis un instrument si ar>stement
fabriqué, que d'une telle suite d'impressions que fait
sur lui cette force aveugle, résultent des mouvemens
également réguliers & utiles à cet agent.
Ainsi tout se lie & se soûtient: l'ame, en tant que
principe sensitif, est soûmise à un méchanisme qui
lui transmet d'une certaine maniere l'impression des
objets du dehors; en tant que principe actif, elle
préside elle - même à un autre méchanisme qui lui est
subordonné, & qui n'étant pour elle qu'instrument
d'action, met dans cette action toute la régularité
nécessaire. L'ame de la bête étant active & sensitive
tout ensemble, réglant son action sur son sentiment,
& trouvant dans la disposition de sa machine & de
quoi sentir agréablement, & de quoi exécuter utilement
& pour elle, & pour le bien des autres parties
de l'univers, est le lien de ce double méchanisme;
elle en est la raison & la cause finale dans l'intention
du Créateur.
Mais pour mieux expliquer ma pensée, supposons
un de ces chefs - d'oeuvres de la méchanique où divers
poids & divers ressorts sont si industrieusement ajustés,
qu'au moindre mouvement qu'on lui donne, il
produit les effets les plus surprenans & les plus agréables
à la vûe; comme vous diriez une de ces machines
hydrauliques dont parle M. Regis, une de ces
merveilleuses horlogès, un de ces tableaux mouvans,
une de ces perspectives animées; supposons
qu'on dise à un enfant de presser un ressort, ou de
tourner une manivelle, & qu'aussi - tôt on apperçoive
des décorations superbes & des paysages rians;
qu'on voye remuer & danser plusieurs figures, qu'on
entende des sons harmonieux, &c. cet enfant n'est - il
pas un agent aveugle, par rapport à la machine? Il
en ignore parfaitement la disposition, il ne sait comment
& par quelles lois arrivent tous ces effets qui
le surprennent; cependant il est la cause de ces mouvemens;
en touchant un seul ressort il a fait joüer
toute la machine; il est la force mouvante qui lui
donne le branle. Le méchanisme est l'affaire de l'ouvrier
qui a inventé cette machine pour le divertir:
ce méchanisme que l'enfant ignore est fait pour lui,
& c'est lui qui le fait agir sans le savoir. Voilà l'ame
des bêtes: mais l'exemple est imparfait; il faut supposer
qu'il y ait quelque chose à ce ressort d'ou dépend
le jeu de la machine, qui attire l'enfant, qui
lui plaît & qui l'engage à le toucher. Il faut supposer
que l'enfant s'avançant dans une grote, à
peine a - t - il appuyé son pied sur un certain endroit
où est un ressort, qu'il paroît un Neptune qui vient
le menacer avec son trident; qu'effrayé de cette
apparition, il fuit vers un endroit où un autre ressort
étant pressé, fasse survenir une figure plus agréable,
ou fasse disparoître la premiere. Vous voyez
que l'enfant contribue à ceci, comme un agent aveugle,
dont l'activité est déterminée par l'impression
agréable ou effrayante que lui causent certains objets.
L'ame de la bête est de même, & de - là ce merveilleux
concert entre l'impression des objets & les mouvemens
qu'elle fait à leur occasion. Tout ce que ces
mouvemens ont de sage & de régulier est sur le
compte de l'intelligence suprême qui a produit la
machine, par des vûes dignes de sa sagesse & de sa
bonté. L'ame est le but de la machine; elle en est
la force mouvante; réglée par le méchanisme, elle
le regle à son tour. Il en est ainsi de l'homme à certains
égards, dans toutes les actions, ou d'habitude,
ou d'instinct: il n'agit que comme principe sensitif,
il n'est que force mouvante brusquement déterminée
par la sensation: ce que l'homme est à certains
égards, les bêtes le sont en tout; & peut - être que
si dans l'homme le principe intelligent & raisonnable
étoit éteint, on n'y verroit pas moins de mouvemens
raisonnés, pour ce qui regarde le bien du
corps, ou, ce qui revient à la même chose, pour
l'utilité du principe sensitif qui resteroit seul, que
l'on n'en remarque dans les brutes.
Si l'ame des bêtes est immatérielle, dit - on, si c'est
un esprit comme notre hypothese le suppose, elle est
donc immortelle, & vous devez nécessairement lui
accorder le privilége de l'immortalité, comme un
apanage inséparable de la spiritualité de sa nature.
Soit que vous admettiez cette conséquence, soit que
vous preniez le parti de la nier, vous vous jettez
dans un terrible embarras. L'immortalité de l'ame des
bêtes est une opinion trop choquante & trop ridicule
aux yeux de la raison même, quand elle ne seroit
pas proscrite par une autorité supérieure, pour l'osersoûtenir
sérieusement. Vous voilà donc réduit à nier
la conséquence, & à soûtenir que tout être immatériel
n'est pas immortel: mais dès lors vous anéantissez
une des plus grandes preuves que la raison
fournisse pour l'immortalité de l'ame. Voici comme
l'on a coûtume de prouver ce dogme: l'ame ne meurt
pas avec le corps, parce qu'elle n'est pas corps,
parce qu'elle n'est pas divisible comme lui, parce
qu'elle n'est pas un tout tel que le corps humain, qui
puisse périr par le dérangement ou la séparation des
parties qui le composent. Cet argument n'est solide,
qu'au cas que le principe sur lequel il roule le soit
aussi; savoir, que tout ce qui est immatériel est immortel,
& qu'aucune substance n'est anéantie: mais
ce principe sera réfuté par l'exemple des bêtes; donc
la spiritualité de l'ame des bêtes ruine les preuves de
l'immortalité de l'ame humaine. Cela seroit bon si
de ce raisonnement nous concluions l'immortalité
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