ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"346"> tres machines qui imiteront parfaitement toutes les actions des hommes: l'un & l'autre est également possible à Dieu; & il n'y aura dans ce dernier cas qu'une plus grande dépense d'art; une organisation plus fine, plus de ressorts combinés, seront toute la différence. Dieu dans son entendement infini renfermant les idées de toutes les combinaisons, de tous les rapports possibles de figures, d'impressions & de déterminations de mouvement, & son pouvoir égalant son intelligence, il paroît clair qu'il n'y a de différence dans ces deux suppositions, que celle des degrés du plus & du moins, qui ne changent rien dans le pays des possibilités. Je ne vois pas par où les Cartésiens peuvent échapper à cette conséquence, & quelles disparités essentielles ils peuvent trouver entre le cas du méchanisme des bêtes qu'ils défendent, & le cas imaginaire qui transformeroit tous les hommes en automates, & qui réduiroit un Cartésien à n'être pas bien sûr qu'il y ait d'autres intelligences au monde que Dieu & son propre esprit.

Si j'avois affaire à un Pyrrhonien de cette espece, comment m'y prendrois - je pour lui prouver que ces hommes qu'il voit ne sont pas des automates? Je ferois d'abord marcher devant moi ces deux principes: 1°. Dieu ne peut tromper; 2°. la liaison d'une longue chaîne d'apparences, avec une cause qui explique parfaitement ces apparences, & qui seule me les explique, prouve l'existence de cette cause. La pure possibilité ne prouve rien ici, puisque qui dit possibilité qu'une chose soit de telle maniere, pose en même tems possibilité égale pour la maniere opposée. Vous m'alléguez qu'il est possible que Dieu ait fabriqué des machines semblables au corps humain, qui par les seules lois du méchanisme parleront, s'entretiendront avec moi, feront des discours suivis, écriront des livres bien raisonnés. Ce sera Dieu dans ce cas, qui ayant toutes les idées que je reçois à l'occasion des mouvemens divers de ces êtres que je crois intelligens comme moi, fera joüer les ressorts de certains automates pour m'imprimer ces idées à leur occafion, & qui exécutera tout cela lui seul par les lois du méchanisme. J'accorde que tout cela est possible: mais comparez un peu votre supposition avec la mienne. Vous attribuez tout ce que je vois à un méchanisme caché, qui vous est parfaitement inconnu; vous supposez une cause dont vous ne voyez assurément point la liaison avec aucun des effets, & qui ne rend raison d'aucune des apparences: moi je trouve d'abord une cause dont j'ai l'idée, une cause qui réunit, qui explique toutes ces apparences; cette cause c'est une ame semblable à la mienne. Je sai que je fais toutes ces mêmes actions extérieures que je vois faire aux autres hommes par la direction d'une ame qui pense, qui raisonne, qui a des idées, qui est unie à un corps, dont elle regle comme il lui plaît les mouvemens. Une ame raisonnable m'explique donc clairement des opérations pareilles que je vois faire à des corps humains qui m'environnent. J'en conclus qu'ils sont unis comme le mien à des ames raisonnables. Voilà un principe dont j'ai l'idée, qui réunit & qui explique avec une parfaite clarté les phénomenes innombrables que je vois.

La pure possibilité d'une autre cause dont vous ne me donnez point l'idée, votre méchanisme possible, mais inconcevable, & qui ne m'explique aucun des effets que je vois, ne m'empêchera jamais d'affirmer l'existence d'une ame raisonnable qui me les explique, ni de croire fermement que les hommes avec qui je commerce, ne sont pas de purs automates. Et prenez - y garde, ma croyance est une certitude parfaite, puisqu'elle roule sur cet autre principe évident, que Dieu ne sauroit tromper: & si ce que je prends pour des hommes comme moi, n'étoient en effet que des automates, il me tromperoit; il fe<cb-> roit alors tout ce qui seroit nécessaire pour me pousser dans l'erreur, en me faisant concevoir d'un côté une raison claire des phénomenes que j'apperçois, laquelle n'auroit pourtant pas lieu, tandis que de l'autre il me cacheroit la véritable.

Tout ce que je viens de dire s'applique aisément aux actions des brutes, & la conséquence va toute seule. Qu'appercevons - nous chez elles? Des actions suivies, raisonnées, qui expriment un sens & qui représentent les idées, les desirs, les intérêts, les desseins de quelque être particulier. Il est vrai qu'elles ne parlent pas; & cette disparité entre les bêtes & l'homme, vous servira tout au plus à prouver qu'elles n'ont point comme lui des idées universelles, qu'elles ne forment point de raisonnemens abstraits. Mais elles agissent d'une maniere conséquente; cela prouve qu'elles ont un sentiment d'elles - mêmes, & un intérêt propre qui est le principe & le but de leurs actions; tous leurs mouvemens tendent à leur utilité, à leur conservation, à leur bien - être. Pour peu qu'on se donne la peine d'observer leurs allures, il paroît manifestement une certaine société entre celles de même espece, & quelquefois même entre les especes différentes; elles paroissent s'entendre, agir de concert, concourir au même dessein; elles ont une correspondance avec les hommes: témoin les chevaux, les chiens, &c. on les dresse, ils apprennent; on leur commande, ils obéissent; on les menace, ils paroissent craindre; on les flatte, ils caressent à leur tour. Bien plus, car il faut mettre ici à l'écart les merveilles de l'instinct, nous voyons ces animaux faire des actions spontanées, où paroît une image de raison & de liberté, d'autant plus qu'elles sont moins uniformes, plus diversifiées, plus singulieres, moins prévûes, accommodées sur le champ à l'occasion présente.

Vous Cartésien, m'alléguez l'idée vague d'un méchanisme possible, mais inconnu & inexplicable pour vous & pour moi: voilà, dites - vous, la source des phénomenes que vous offrent les bêtes. Et moi j'ai l'idée claire d'une autre cause; j'ai l'idée d'un principe sensitif: je vois que ce principe a des rapports très - distincts avec tous les phénomenes en question, & qu'il explique & réunit universellement tous ces phénomenes. Je vois que mon ame en qualité de principe sensitif, produit mille actions & remue mon corps en mille manieres, toutes pareilles à celles dont les bêtes remuent le leur dans des circonstances semblables. Posez un tel principe dans les bêtes, je vois la raison & la cause de tous les mouvemens qu'elles font pour la conservation de leur machine: je vois pourquoi le chien retire sa patte quand le feu le brûle; pourquoi il crie quand on le frappe, &c. ôtez ce principe, je n'apperçois plus de raison, ni de cause unique & simple de tout cela. J'en conclus qu'il y a dans les bêtes un principe de sentiment, puisque Dieu n'est point trompeur, & qu'il seroit trompeur au cas que les bêtes fussent de pures machines; puisqu'il me représenteroit une multitude de phénomenes, d'où résulte nécessairement dans mon esprit l'idée d'une cause qui ne seroit point: donc les raisons qui nous montrent directement l'existence d'une ame intelligente dans chaque homme, nous assûrent aussi celle d'un principe immatériel dans les bêtes.

Mais il faut pousser plus loin ce raisonnement pour en mieux comprendre toute la force. Supposons dans les bêtes, si vous le voulez, une disposition de la machine d'où naissent toutes leurs opérations surprenantes; croyons qu'il est digne de la sagesse divine de produire une machine qui puisse se conserver elle - même, & qui ait au - dedans d'elle, en vertu de son admirable organisation, le principe de tous les mouvemens qui tendent à la conserver; je demande à quoi bon cette machine? pourquoi ce merveilleux [p. 347] arrangement de ressorts? pourquoi tous ces organes semblables à ceux de nos sens? pourquoi ces yeux, ces oreilles, ces narines, ce cerveau? c'est, dites - vous, afin de régler les mouvemens de l'automate sur les impressions diverses des corps extérieurs: le but de tout cela, c'est la conservation même de la machine. Mais encore, je vous prie, à quoi bon dans l'univers des machines qui se conservent elles - mêmes? Ce n'est point à nous, dites - vous, de pénétrer les vûes du Créateur, & d'assigner les fins qu'il se propose dans chacun de ses ouvrages. Mais s'il nous les découvre ces vûes par des indices assez parlans, n'est - il pas raisonnable de les reconnoître? Quoi! n'ai - je pas raison de dire que l'oreille est faite pour oüir & les yeux pour voir; que les fruits qui naissent du sein de la terre sont destinés à nourrir l'homme; que l'air est nécessaire à l'entretien de sa vie, puisque la circulation du sang ne se feroit point sans cela? Nierez - vous que les différentes parties du corps animal soient faites par le Créateur pour l'usage que l'expérience indique? Si vous le niez, vous donnez gain de cause aux athées.

Je vais plus avant: les organes de nos sens, qu'un art si sage, qu'une main si industrieuse a façonnés, ont - ils d'autres fins dans l'intention du Créateur, que les sensations mêmes qui s'excitent dans notre ame par leur moyen? Doutera - t - on que notre corps ne soit fait pour notre ame, pour être à son égard un principe de sensation & un instrument d'action? Et si cela est vrai des hommes, pourquoi ne le seroit - il pas des animaux? Dans la machine des animaux, nous découvrons un but très - sage, très - digne de Dieu, but vérifié par notre expérience dans des cas semblables; c'est de s'unir à un principe immatériel, & d'être pour lui source de perception & instrument d'action; voilà une unité de but, auquel se rapporte cette combinaison prodigieuse de ressorts qui composent le corps organisé; ôtez ce but, niez ce principe immatériel, sentant par la machine, agissant sur la machine, & tendant sans cesse par son propre intérêt à la conserver; je ne vois plus aucun but d'un si admirable ouvrage. Cette machine doit être faite pour quelque fin distincte d'elle; car elle n'est point pour elle - même, non plus que les roues de l'horloge ne sont point faites pour l'hor'oge. Ne répliquez pas, que comme l'horloge est construite pour marquer les heures, & qu'ainsi son usage est de fournir aux hommes une juste mesure du tems, il en est de même des bêtes; que ce sont les machines que le Créateur a destinées à l'usage de l'homme. Il y auroit en cela une grande erreur; car il faut soigneusement distinguer les usages accessoires, & pour ainsi dire, étrangers des choses, d'avec leur fin naturelle & principale. Combien d'animaux brutes, dont l'homme ne tire aucun usage, comme les bêtes féroces, les insectes, tous ces petits êtres vivans, dont l'air, l'eau, & presque tous les corps sont peuplés! Les animaux qui servent l'homme, ne le font que par accident; c'est lui qui les dompte, qui les apprivoise, qui les dresse, qui les tourne adroitement à ses usages. Nous nous servons des chiens, des chevaux, en les appliquant avec art à nos besoins, comme nous nous servons du vent pour pousser les vaisseaux, & pour faire aller les moulins. On se méprendroit fort de croire que l'usage naturel du vent & le but principal que Dieu se propose en produisant ce météore, soit de faire tourner les moulins, & de faciliter la course des vaisseaux; & l'on aura beaucoup mieux rencontré, si l'on dit que les vents sont destinés à purifier & à rafraîchir l'air. Appliquons ceci à notre sujet. Une horloge est faite pour montrer les heures, & n'est faite que pour cela; toutes les différentes pieces qui la composent sont nécessaires à ce but, & y concourent toutes: mais y a - t - il quelque proportion entre la délicatesse, la variété, la multiplicité des organes des animaux, & les usages que nous en tirons, que même nous ne tirons que d'un petit nombre d'especes, & encore de la plus petite partie de chaque espece? L'horloge a un but distinct d'elle - même: mais regardez bien les animaux, suivez leurs mouvemens, voyez - les dans leur naturel, lorsque l'industrie des hommes ne les contraint en rien, & ne les assujettit point à nos besoins & à nos caprices, vous n'y remarquez d'autre vûe que leur propre conservation. Mais qu'entendez - vous par leur conservation? est - ce celle de la machine? Votre réponse ne satisfait point; la pure matiere n'est point sa fin à elle - même; encore moins le peut - on dire d'une portion de matiere organisée; l'arrangement d'un tout matériel a pour but autre chose que ce tout; la conservation de la machine de la bête, quand son principe se trouveroit dans la machine même, seroit moyen & non fin: plus il y auroit de fine méchanique dans tout cela, plus j'y découvrirois d'art, & plus je serois obligé de recourir à quelque chose hors de la machine, c'est - à - dire, à un être simple, pour qui cet arrangement fût fait, & auquel la machine entiere eût un rapport d'utilité. C'est ainsi que les idées de la sagesse & de la véracité de Dieu, nous menent de concert à cette conclusion générale que nous pouvons désormais regarder comme certaine. Il y a une ame dans les bêtes, c'est - à - dire, un principe immatériel uni à leur machine, fait pour elle, comme elle est faite pour lui, qui reçoit à son occasion différentes sensations, & qui leur fait faire ces actions qui nous surprennent, par les diverses directions qu'elle imprime à la force mouvante dans la machine.

Nous avons conduit notre recherche jusqu'à l'éxistence avérée de l'ame des bêtes, c'est - à - dire, d'un principe immatériel joint à leur machine. Si cette ame n'étoit pas spirituelle, nous ne pourrions nous assûrer si la nôtre l'est; puisque le privilége de la raison & toutes les autres facultés de l'ame humaine, ne sont pas plus incompatibles avec l'idée de la pure matiere, que l'est la simple sensation, & qu'il y a plus loin de la matiere rafinée, subtilisée, mise dans quelque arrangement que ce puisse être, à la simple perception d'un objet, qu'il n'y a de cette perception simple & directe aux actes réfléchis & au raisonnement.

D'abord il y a une distinction essentielle entre la raison humaine & celle des brutes. Quoique le préjugé commun aille à leur donner quelque degré de raison, il n'a point été jusqu'à les égaler aux hommes. La raison des brutes n'agit que sur de petits objets, & agit très - foiblement; cette raison ne s'applique point à toutes sortes d'objets comme la nôtre. L'ame des brutes sera donc une substance qui pense, mais le fonds de sa pensée sera beaucoup plus étroit que celui de l'ame humaine. Elle aura l'idée des objets corporels qui ont quelque relation d'utilité avec son corps: mais elle n'aura point d'idées spirituelles & abstraites; elle ne sera point susceptible de l'idée d'un Dieu, d'une religion, du bien & du mal moral, ni de toutes celles qui sont si bien liées avec celles - là, qu'une intelligence capable de recevoir les unes est nécessairement susceptible des autres. L'ame de la béte ne renfermera point non plus ces notions & ces principes sur lesquels on bâtit les sciences & les arts. Voilà beaucoup de propriétés de l'ame humaine qui manquent à celle de la bête: mais qui nous garantit ce défaut? L'experience: avec quelque soin que l'on observe les bêtes, de quelque côté qu'on les tourne, aucune de leurs actions ne nous découvre la moindre trace de ces idées dont je viens de parler; je dis même celles de leurs actions qui marquent le plus de subtilité & de finesse, &

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