ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"890"> mier rang vaincu, le second l'étoit conséquemment, & sans ressource; car comment faire faire à des chars mis en rang, des demi - tours à droite pour la retraite?

Il paroît suffisamment prouvé par les remarques que nous venons de faire sur quelques endroits du texte d'Homere, que l'art de monter les chevaux a été connu dans la Grece avant le siége de Troye, & qu'il y avoit même dans les armées des Grecs & des Troyens, des troupes de cavalerie, proprement dite. Si ce poëte n'a point décrit particulierement de combats de cavalerie, on ne voit pas non plus qu'il soit entré dans un plus grand détail, par rapport aux combats d'infanterie. Son véritable objet, en décrivant des batailles, étoit de chanter les exploits des héros & des plus illustres guerriers des deux partis: ces héros combattoient presque tous sur des chars, & l'on oseroit presque assûrer qu'il n'appartenoit qu'à eux d'y combattre. Leur valeur & leur fermeté y paroissoient avec d'autant plus d'éclat, que leur attention n'étoit point divisée par le soin de conduire les chevaux. Voilà pourquoi les descriptions des combats de chars sont si fréquentes, si longues, si détaillées. C'étoit par ces combats que les grandes affaires s'entamoient, parce que les chefs, montés sur des chars, marchoient toûjours à la tête des troupes: Homere n'en omet aucune circonstance, & pese sur tous les détails, parce qu'il a sû déjà nous intéresser vivement au sort des guerriers qu'il fait combattre. Son grand objet se trouvant rempli parlà, dès que les troupes se mêlent, & que l'affaire devient générale, il passe rapidement sur le reste du combat; & pour ne point fatiguer le lecteur, il se hâte de lui en apprendre l'issue, sans descendre à cet égard dans aucune particularité. Tel est la méthode d'Homere, quand il décrit des combats ou des batailles.

Témoignages des écrivains postérieurs à Homerc. M. Freret qui s'étoit fait un principe constant de soûtenir que les Grecs & les Troyens au tems de la guerre de Troye ne connoissoient que l'usage des chars, & qu'on ne pouvoit prouver par les poëmes d'Homere que l'art de monter à cheval leur fût connu, récuse conséquemment à son systeme, les témoignages de tous les écrivains postérieurs à ce poëte, & particulierement tous ceux que les auteurs latins fournissent contre son opinion.

« Virgile, dit - il, & les poëtes latins, ont été moins scrupuleux qu'Homere, & ils n'ont pas fait difficulté de donner de la cavaierie aux Grecs & aux Troyens; mais ces poëtes postérieurs d'onze ou douze siecles aux tems héroïques, écrivoient dans un siecle où les moeurs des premiers tems n'étoient plus connues que des savans..... leur exemple, ajoûte - t - il, ne peut avoir aucune autorité lorsqu'ils s'écartent de la conduite d'Homere ».

Si le témoignage de Virgile, postérieur d'onze ou douze siecles à la ruine de Troye, ne peut avoir aucune force: pourquoi M. Freret veut - il que le sien postérieur de trois mille ans, soit préféré? pourquoi admet - il plûtôt celui de Pollux auteur grec, plus moderne que Virgile d'environ deux cents ans? Quant à ce qu'il dit que les moeurs des premiers tems n'étoient connues que des savans, ce reproche ne convient point à Virgile: au titre si justement acquis de prince des Poëtes, il joignoit celui de favant & d'excellent homme de lettres.

De plus, son Enéide qu'il fut douze ans à composer, est entierement faite à l'imitation d'Homere. Virgile ayant pris ce grand poëte pour modele, & pour sujet de son poëme, des évenemens célebres qui touchoient, pour ainsi dire, à ceux qui sont chantés dans l'Iliade, croira - t - on qu'il ait confondu les usages & les tems, & méprisé le suffrage des savans au point de faire combattre ses héros à cheval, s'il n'avoit pas regardé comme un fait constant que l'équitation étoit en usage de leur tems?

Tout ce qu'on peut présumer, c'est que Virgile s'est abstenu de parler de chars aussi fréquemment qu'Homere, pour rendre ses narrations plus intéressantes, & parce que les Romains n'en faisoient point usage dans leurs armées. Enfin les faits cités par les auteurs doivent passer pour incontestables, quand ils sont appuyés sur une tradition ancienne, publique, & constante: tel étoit l'usage établi depuis un tems immémorial chez les Romains, de nommer les exercices à cheval de leur jeunesse, les jeux troyens.

Trojaque nunc pueri trojanum dicitur agmen. (En. l. V. v. 602.) Virgile n'invente rien en cet endroit, il se conforme à l'histoire de son pays, qui rapportoit apparemment l'origine des courses de chevaux dans le cirque, au dessein d'imiter de semblables jeux militaires pratiqués autrefois par les Troyens, & dont le souvenir s'étoit conservé dans les anciennes annales du latium. Enée faisoit exercer ses enfans à monter à cheval: Frenatis lucent in equis. (Id. v. 557.)

C'est en suivant les plus anciennes traditions greques, que Virgile (Georg. l. III. v. 115.) attribue aux Lapithes de Pélétronium l'invention de l'art de monter à cheval. Il nous apprend dans le même endroit (Ib. v. 113.) l'origine des chars qui furent inventés par Ericthonius, quatrieme roi d'Athenes (q) depuis Cécrops; & ce qui suppose nécessairement que l'équitation étoit connue en Grece avant Ericthonius, c'est que la tradition véritable ou fabuleuse de ces tems là, rapporte que ce fut pour cacher la difformité de ses jambes qui étoient tortues, que ce prince inventa les chars.

Hygin qui, de même que Virgile, vivoit sous le regne d'Auguste, a fait de Bellérophon un cavalier (Fable 273.), & dit que ce prince remporta le prix de la course à cheval aux jeux funebres de Pelias, célébrés après le retour des Argonautes; mais parce qu'on ignore dans quel poëte ancien Hygin a puisé ce fait, M. Freret le traite impitoyablement de commentateur sans goût, sans critique, indigne qu'on lui ajoûte foi. Il en dit autant de Pline (l. VII. c. lvj.), qui en faisant l'énumération de ceux auxquels les Grecs attribuoient l'invention de quelque art ou de quelque coûtume, ose d'après les Grecs, regarder Bellérophon comme l'inventeur de l'équitation, & ajoûter que les centaures de Thessalie combattirent les premiers à cheval.

Pour réfuter ce qu'Hygin dit de Bellérophon, M. Freret prétend premierement que, selon Pausanias (lib. VI.), l'opinion commune étoit que Glaucus pere de Bellérophon, avoit dans les jeux funebres de Pelops, disputé le prix à la course des chars: secondement, que ces mêmes jeux étoient représentés sur un très - ancien coffre, dédié par les Cypselides de Corinthe, & conservé à Olympie au tems de Pausanias (l. V.), & qu'on ne voyoit dans la représentation de ces jeux ni Bellérophon, ni de course à cheval. On peut facilement juger de la solidité de cette réfutation.

Le témoignage de Pausanias favorisant ici l'opinion de M. Freret, il s'en rapporte aveuglément à lui: mais il doit reconnoître de même la vérité d'un autre passage de cet auteur, capable de renverser son système.

Pausanias (l. V.) assûre que Casius arcadien, & pere d'Atalante, remporta le prix de la course à cheval, aux jeux funebres de Pelops à Olympie (r). Ce

(q) Il vivoit environ 1489 ans avant J. C. Il succéda à Amphiction, & institua les jeux panathénaïques en l'honneur de Minerve.
[p. 891] fait qui donneroit aux courses à cheval presque la même ancienneté que celle qu'on trouve dans Hygin, M. Freret soûtient qu'il n'est fondé que sur une tradition peu ancienne: Pindare, dit - il, n'en a pas fait usage lorsqu'il a célébré des victoires remportées dans les courses de chevaux. « Dans ces occasions, ajoûte - t - il, l'histoire ancienne ne lui fournissant aucun exemple de ces courses, il a recours aux avantures des héros qui se sont distingués dans les courses de chars (s)». Mais qui ne voit que le poëte a voulu varier ses descriptions, en faisant de ces deux sortes de courses un objet de comparaison, capable de jetter plus de feu, plus de brillant, plus d'énergie dans ses odes?

Si ces courses à cheval, dit M. Freret, avoient été en usage dès le tems de l'olympiade d'Hercule, pourquoi n'en trouve - t - on aucun exemple jusqu'à la trente - troisieme olympiade de Coroebus, célébrée l'an 648 (t) avant J. C. 700 ans après les jeux funebres de Pelops, & 240 ans après le renouvellement des jeux olympiques par Iphitus? Ce raisonnement ne prouve rien du tout: car on pourroit avec autant de raison dire à M. Freret: vous assûrez qu'au tems d'Homere l'art de l'équitation étoit porté à un tel degré de perfection, qu'un seul écuyer conduisoit à toute bride quatre chevaux à la fois, s'élançant avec adresse de l'un à l'autre pendant la rapidité de leurs courses; & moi je dis que si cela étoit vrai, on n'auroit pas attendu près de trois cents ans depuis Homere, pour mettre les courses de chevaux au nombre des spectacles publics.

Il y a quelque apparence que la nouveauté des cou ses de chars fut la cause qu'on abandonna les autres pendant long - tems, & qu'on n'y revint qu'après plusieurs siecles: il falloit en effet bien plus d'art & de dextérité pour conduire dans la carriere un char attelé de plusieurs chevaux, que pour manier un seul cheval. Qu'on en juge par le discours de Nestor à Antiloque son fils (Iliad. l. XXIII.).

La fable & Homere après elle, ont parlé du cheval d'Adraste: ce poëte le nomme le divi Arion; il avoit eu pour maitre Hercule; ce fut étant monté sur Arion (Paus. II. vol. p. 181.) que ce héros gagna des batailles, & qu'il évita la mort. Après avoir pris Augias roi d'Elis, & après la guerre de Thebes antérieure à celle de Troye, il donna ce cheval à Adraste. Comme on voit dans presque tous les auteurs qui en ont parlé ce rapide coursier toûjours seul, on en a conclu avec assez de vraissemblance, que c'étoit un cheval de monture: mais M. Freret lui trouve un second qu'on nommoit Cayros. Voilà un sait. Antimaque (u) l'assûre; il faut l'en croire: mais il doit aussi servir d'autorité à ceux qui ne pensent pas comme M. Freret. Or Antimaque dit positivement qu'Adraste fuit en deuil monté sur son Arion. On a donc eu rai<cb-> son de regarder Arion comme un cheval accoûtumé à être monté, sans nier toutefois qu'il n'ait pû être quelquefois employé à conduire un char. Antimaque ajoûte qu'Adraste fut le troisieme qui eut l'honneur de dompter Arion: c'est qu'il avoit appartenu d'abord à Onéus, qui le donna à Hercule. Tout cela ne prouve - t - il pas en faveur de l'équitation de tems antérieurs à la guerre de Troye?

Monumens anciens. M. Freret suit la même marche dans l'examen des monumens anciens. Ceux où il n'a point vû de chevaux de monture, méritent seuls quelque croyance, ils sont autant de preuves positives: les autres sont ou factices, ou modernes, on ne doit point y ajoûter foi.

(Pausan. l. V.) Le cofre des Cypsélides dont il a déjà été parlé, est, selon cet académicien, un monument du huitieme siecle avant J. C. On y voyoit représentés les évenemens les plus célebres de l'histoire des tems héroïques, la célébration des jeux funebres de Pelias, plusieurs expéditions militaires, des combats, & même en un endroit deux armées en présence: dans toutes ces occasions, les principaux héros étoient montés sur des chars à deux ou à quatre chevaux, mais on n'y voyoit point de cavaliers; doit - on conclure qu'il n'y en avoit point, de ce que Pausanias n'en parle pas? mais son silence ne prouve rien ici: au contraire, l'expression qu'il employe donneroit lieu de croire qu'il y en avoit. En décrivant deux armées représentées sur ce coffre, il dit que l'on y voyoit des cavaliers montés sur des chars (Paus. l. V.). Ce n'est point - là affirmer qu'il n'y en avoit point de montés sur des chevaux, car il ne dit pas qu'ils fussent tous sur des chars: d'ailleurs les chefs, dans les tems héroïques, combattant pour l'ordinaire sur des chars, il se pourroit fort bien que le sculpteur, qui ne s'attachoit qu'à faire connoître ces chefs & par leur portrait & par leur nom, n'ait représenté qu'eux, pour ne pas jetter trop de confusion dans ses bas - reliefs en y ajoûtant un grand nombre de figures d'hommes à cheval. Cette raison est d'autant plus plausible, que dans le tems où ce coffre a été fait il y avoit, de l'aveu de M. Freret, au moins 250 ans que l'équitation étoit connue des Grecs.

Sur le massif qui soûtenoit la statue d'Apollon dans le temple d'Arayclé, Castor & Pollux étoient représentés à cheval (Paus. l. III.), de même que leurs fils Anaxias & Mnasinoüs. Pausanias rapporte encore qu'on voyoit à Argos (lib. II.) dans le temple des Dioscures, les statues de Castor & Pollux, celles de Phoebe & Ilaïra leurs femmes, & celles de leurs fils Anaxias & Mnasinoüs, & que ces statues étoient d'ébene, à l'exception de quelques parties des chevaux. Il y avoit à Olympie (Pausan. l. V.) un grouppe de deux figures représentant le combat d'Hercule contre une amazone à cheval; les mêmes Castor & Pollux étoient représentés à Athenes debout, & leurs fils à cheval (Paus. l. II.).

M. Freret qui rapporte tous ces monumens, & quelques autres d'après Pausanias, étale une érudition immense pour montrer que les plus anciens sont postérieurs à l'établissement de la course des chevaux aux jeux olympiques. Quand on en conviendroit avec lui, on n'en seroit pas moins autorisé à croire que la plûpart de ces monumens n'ont été faits que pour en remplacer d'autres que la longueur du tems ou les fureurs de la guerre avoient détruits; & que les sculpteurs se sont exactement conformés à la maniere distinctive dont les héros avoient été représentés dans les anciens monumens, de même qu'à ce que la tradition en rapportoit. La pratique constante de toutes les nations & de tous les tems, donne à cette conjecture beaucoup de vraissemblance.

(r) Ces jeux, dic M. Freret, sont postérieurs de quelques années à ceux de Pélias, & c'est ce que l'on nomme l'olympiade d'Hercule, qui combattit à ces jeux, & qui en regla la forme soixante ans avant la guerre de Troye. (s) M. Freret cite en preuve la premiere olympionlque de Pindare, où à propos de la victoire remportée par Hiéron à la course des chevaux, ce poëte rapporte l'histoire de Pélops, vainqueur à la course des chars. Mais du tems d'Hiéron, à celui où l'on introduisit aux jeux olympiques les courses des chevaux, il y a cent forxante ans d'intervalle: les exemples anciens ne pouvoient donc pas manquer à Pindare, s'il avoit eu dessein d'en rapporter. (t) Ce calcul de M. Freret n'est ni le plus exact, ni le plus suivi. Les plus savans chronologistes rapportent l'olympiade de Coraebus à l'an 776 avant J. C. l'époque de la fondation de Rome, liée avec cette olympiade, semble donner à ce dernier sentiment toute la force d'une démonstration. Il suit de - là que les courses de chevaux furent admises au nombre des spectacles des jeux olympiques cent vingt - huit ans plûtôt que M. Freret ne l'a crû. (u) Auteur d'un poëme de la Thébaïde; il vivoit du tems de Socrate. Quintssien dit qu'on lui donnoit le second rang après Homere; Adrien le mettoit au - dessus d'Homere même.

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