ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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Quoique tous les monumens de la Grece se soient accordés à représenter les Tyndarides (x) à cheval; quoiqu'un fait remarquable, arrivé pendant la troisieme guerre de Messene (y), prouve manifestement l'accord de la tradition avec les Sculpteurs; quoique cette tradition ait pénétré jusqu'en Italie, & quoi qu'Homere lui - même en ait dit, M. Freret ne peut se résoudre à croire que Castor & Pollux ayent jamais sû monter à cheval: il veut absolument que ces deux héros & même Bellérophon, ne fussent que d'habiles pilotes, & leurs chevaux, comme celui qui accompagnoit les statues de Neptune, un emblème de la navigation.

M. Freret revient au récit de Pausanias sur l'Arcadien Iassius, vainqueur dans une course de chevaux, & cela à l'occasion d'un monument qui autorisoit cette tradition: c'étoit (Paus. liv. VIII.) une statue posée sur l'une des deux colonnes qu'on voyoit dans la place publique de Tégée, vis - à - vis le temple de Vénus. Les paroles (z) du texte de Pausanias l'ont fait regarder comme une statue équestre; mais le savant académicien veut qu'elles signifient seulement que cette statue a un cheval auprès d'elle, & tient de la main droite une branche de palmier: d'où il conclut qu'elle ne prouve point en faveur de l'équitation, & qu'on l'érigea en l'honneur de Iassius, parce qu'il avoit peut - être trouvé le secret d'élever des chevaux en Arcadie, pays froid, montagneux, où les races des chevaux transportés par mer des côtes d'Afrique, avoient peine à subsister. Quand une telle supposition auroit lieu, pourroit - on s'imaginer que cet Iassius qui auroit tiré des chevaux d'Afrique où l'équitation étoit connue de tout tems, eût ignoré lui - même l'art de les monter, & ne s'en fût servi qu'à traîner des chars?

Fable des centaures. La fable des centaures que les Poëtes & les Mythologistes ont tous représentés comme des monstres à quatre piés, moitié hommes, moitié chevaux, avoit toûjours été alléguée en preuve de l'ancienneté de l'équitation. Toutes les manieres dont on raconte leur origine, malgré la variété des circonstances, concouroient néanmoins à ce but. « Selon quelques - uns (Diod. liv. IV.), Ixion ayant embrassé une nuée qui avoit la ressemblance de Junon, engendra les centaures qui étoient de nature humaine: mais ceux - ci s'étant mêlés avec des cavales, ils engendrerent les hippocentaures, monstres qui tenoient en même tems de la nature de l'homme & de celle du cheval. D'autres ont dit qu'on donna aux centaures le nom d'hippocentaures, parce qu'ils ont été les premiers qui ayent sû monter à cheval; & que c'est de - là que provient l'erreur de ceux qui ont cru qu'ils étoient moitié hommes, moitié chevaux ».

Il est dit (Diodore, ib.) dans le récit du combat qu'Hercule soûtint contre eux, que la mere des dieux les avoit doüés de la force & de la vîtesse des chevaux, aussi bien que de l'esprit & de l'expérience des hommes. Ce centaure Nessus, qui moyennant un certain salaire transportoit d'un côté à l'autre du fleuve Evénus ceux qui vouloient le traverser, & qui rendit le même service à Déjanire, n'étoit vraissemblablement qu'un homme à cheval; on ne sauroit le prendre pour un batelier, qu'en lui supposant un esquif extrèmement petit, puisqu'il n'auroit pû y faire passer qu'une seule personne avec lui (a).

Presque tous les monumens anciens ont dépeint les centaures avec un corps humain, porté sur quatre piés de cheval. Pausanias (l. V.) assûre cependant que le centaure Chiron étoit représenté sur le coffre des Cypsélides, comme un homme porté sur deux piés humains, & aux reins duquel on auroit attaché la croupe, les flancs, & les jambes de derriere d'un cheval. M. Freret, que cette représentation met à l'aise, ne manque pas de l'adopter aussitôt comme la seule véritable; & il en conclut qu'elle désigne moins un homme qui montoit des chevaux, qu'un homme qui en élevoit. Croyant par cette réponse avoir pleinement satisfait à la question, il se jette dans un long détail astronomique, pour trouver entre la figure que forment dans le ciel les étoiles de la constellation du centaure, & la figure du centaure Chiron que l'on voyoit sur le coffre des Cypsélides, une ressemblance parfaite; & il finit cet article en disant que les différentes représentations des centaures n'avoient aucun rapport à l'équitation.

Une semblable assertion ne peut rien prouver contre l'ancienneté de l'art de monter à cheval, qu'autant qu'on s'est fait un principe de n'en pas admettre l'existence avant un certain tems. M. Freret, à qui la foiblesse de son raisonnement ne pouvoit être inconnue, a cru lui donner plus de force en jettant des nuages sur l'ancienneté de la fiction des centaures; il a donc prétendu qu'elle étoit postérieure à Hésiode & à Homere, & qu'on n'en découvroit aucune trace dans ces poëtes.

Mais il n'y aura plus rien qu'on ne puisse nier ou rendre problématique, quand on détournera de leur véritable sens, les expressions les plus claires d'un auteur. Homere (Iliad. l. I. & Il.) appelle les centaures des monstres couverts de poil, FHRAS2 LAKNH/ENTAS2 FHRSI/N O)RESKW/OISI; cette expression qui paroît d'une maniere si précise se rapporter à l'idée que l'on se formoit du tems de ce poëte, sur la foi de la tradition, de ces êtres phantastiques, M. Freret veut qu'elle désigne seulement la grossiereté & la férocité de ces montagnards.

Enfin quoique ces peuples demeurassent dans la Thessalie, province qui a fourni la premiere & la meilleure cavalerie de la Grece, plûtôt que de trouver dans ce qu'on a dit d'eux le moindre rapport avec l'équitation ou avec l'art de conduire des chars, M. Freret aimeroit mieux croire qu'ils ne surent jamais faire aucun usage des chevaux, pas même pour les atteler à des chars; il se fonde sur ce que dans l'Iliade les meilleurs chevaux de l'armée des Grecs étoient ceux d'Achille & d'Eumelus fils d'Admete, qui regnoient sur le canton de la Thessalie le plus éloigné de la demeure des centaures. Un pareil raisonnement n'a pas besoin d'être réfuté.

Conjectures de M. Freret. Le quatrieme & dernier article de la savante dissertation de M. Freret, contient ses conjectures sur l'époque de l'équitation dans l'Asie mineure & dans la Grece: elles se réduisent à établir que l'art de monter à cheval n'a été connu dans l'Asie mineure que par le moyen des différentes incursions que les Trérons & les Cimmeriens y firent, & dont les plus anciennes étoient postérieures

(x) Les Romains représentoient les Tyndarides à cheval. Denys d'Halicarnasse, liv. VI. dit que le jour de la bataille du lac Rhégille, l'an de Rome 258 & 494 avant J.C. on avoit vû deux jeunes hommes à cheval d'une taille plus qu'humaine qui chargerent à la tête des Romains la cavalerie latine, & la mirent en déroute. Le même jour ils furent vûs à Rome dans la place publique, annoncerent la nouvelle de la victoire, & disparurent aussi - tôt. (y) Pendant que les Lacédémoniens célébroient la fête des dioscures, deux jeunes messéniens revêtus de casaques de pourpre, la tête couverte de toques semblables à celles que l'on donnoit à ces dieux, & montés sur les plus beaux chevaux qu'ils purent trouver, se rendirent au lieu où les Lacédémoniens étoient assemblés pour le sacrifice. On les prit d'abord pour les dieux mêmes dont on célébroit la fête, & l'on se prosterna devant eux: mais les deux messéniens profitant de l'erreur, se jetterent au milieu des Lacédémoniens, & en blesserent plusieurs à coups de lances. Cette action fur regardée comme un véritable sacrilege, parce que les messéniens adoroient aussi les dioscures. Pausanias, liv. IV. (z) *IPW=ON TE E/XOMENOS2 HAI\ HLA/DON E\N TH= DEZIA= FE/RWN FOI/NIHOS2. (a) Déjanire étoit avec Hercule & Hyllus son fils.
[p. 893] de 150 ans à la guerre de Troye, & de quelques années seulement, suivant Strabon, à l'arrivée des colonies éoliennes & ioniennes dans ce pays. Quant à la Grece européenne, il ne veut pas que l'équitation y ait précédé de beaucoup la premiere guerre de Messene, parce que Pausanias dit que les peuples du Péloponnese étoient alors peu habiles dans l'art de monter à cheval. M. Freret pense encore que la Macédoine est le pays de la Grece où l'usage de la cavalerie a commencé; qu'il a passé de - là dans la Thessalie, d'où il s'est répandu dans le reste de la Grece méridionale.

Ainsi l'on voit premierement que M. Freret ne s'attache ni à déduire ni à discuter les faits constans que nous avons cités de Sésostris, des Scolothes ou Scythes, & des Amazones. Il est vrai qu'il nie que ces femmes guerrieres ayent jamais combattu à cheval, parce qu'Homere ne le dit pas; car le silence d'Homere est par - tout une démonstration évidente pour lui, quoiqu'il ne veuille pas s'en rapporter aux expressions positives de ce poëte: mais cette assertion gratuite & combattue par le témoignage unanime des historiens, ne sauroit détruire les probabilités que l'on tire en faveur de l'ancienneté de l'équitation chez les Grecs, des conquêtes des Scythes & des Egyptiens, & des colonies que ceux - ci & les Phéniciens ont fondées dans la Grece plusieurs siecles avant la guerre de Troye.

Secondement, fixer seulement l'époque de l'équitation dans la Grece européenne vers le tems de la premiere guerre de Messene, c'est contredire formellement Xénophon (de rep. Lacedoemon.), qui attribue à Lycurgue les réglemens militaires de Sparte, tant par rapport à l'infanterie pesamment armée, que par rapport aux cavaliers: dire que ceux - ci n'ont jamais servi à cheval, & dériver leur dénomination du tems où elle désignoit aussi ceux qui combattoient sur des chars, c'est éluder la difficulté & supposer ce qui est en question. Ces cavaliers, dit Xénophon, étoient choisis par des magistrats nommés hippagiritoe, ab equitatu congregando; ce qui prouve une connoissance & un usage antérieurs de la cavalerle. Cet établissement de Lycurgue, tout sage qu'il étoit, souffrit ensuite diverses altérations, mais il ne fut jamais entierement aboli. Les hommes choisis, qui suivant l'intention du législateur avoient été destinés pour combattre à cheval, s'en dispenserent peu - à - peu, & ne se chargerent plus que du soin de nourrir des chevaux durant la paix, qu'ils confioient pendant la guerre (b) à tout ce qu'il y avoit à Sparte d'hommes peu vigoureux & peu braves. M. Freret confond en cet endroit l'ordre des tems. A la bataille de Leuctres, dit - il, la cavalerie lacédemonienne étoit encore très - mauvaise, selon Xénophon; elle ne commença à devenir bonne qu'après avoir été mêlée avec la cavalerie étrangere, ce qui arriva au tems d'Agésilaüs: ce prince étant passé dans l'Asie mineure, leva parmi les Grecs asiatiques un corps de 1500 chevaux, avec lesquels il repassa dans la Grece, & qui rendit de grands ervices aux Lacédemoniens.

Agésilaüs avoit fait tout cela avant la bataille de Leuctres. La suite des évenemens est totalement intervertie dans ces réflexions de M. Freret. Il suit de cette explication, qu'encore que les cavaliers spartiates n'ayent pas toûjours combattu à cheval, il ne laissoit pas d'y avoir toûjours de la cavalerie à Sparte, mais à la vérité très - mauvaise: on le voit surtout dans l'histoire des guerres de Messene. Pausanias, l. IV.

Il est à - propos de remarquer que Strabon, sur lequel M. Freret s'appuye en cet endroit, prouve contre lui. Lorsque cet auteur dit (Strabon, l. X.) que les hommes choisis, que l'on nommoit à Sparte les cavaliers, servoient à pié; il ajoûte qu'ils le faisoient à la différence de ceux de l'île de Crete: ces derniers combattoient donc à cheval. Or Lycurgue avoit puisé dans l'île de Crete la plûpart de ses lois, par conséquent l'usage de la cavalerie avoit précédé dans la Grece le tems où ce législateur a vécu.

S'il est vrai qu'au commencement des guerres de Messene les peuples du Péloponnese fusient très - peu habiles dans l'art de monter à cheval (c), il l'est encore davantage qu'ils ne se servoient point de chars; on n'en voit pas un seul dans leurs armées, quoiqu'il y eût de la cavalerie. Il est bien singulier que ces Grecs, qui, dans les tems héroïques n'avoient combattu que montés sur des chars, qui encore alors se faisoient gloire de remporter dans les jeux publics le prix à la course des chars, ayent cessé néanmoins tout - à - coup d'en faire usage à la guerre, qu'on n'en voye plus dans leurs armées, & qu'ils n'ayent commencé d'en avoir que plusieurs siecles après, lorsque les généraux d'Alexandre se furent partagés l'empire que ce grand prince avoit conquis sur Darius.

Une chose étonnante dans le systeme de M. Freret, c'est qu'il suppose nécessairement que l'usage des chars a été connu des Grecs avant celui de l'équitation. La marche de la Nature qui nous conduit ordinairement du simple au composé, se trouve ici totalement renversée, quoi qu'en ait dit Lucrece dans les vers suivans:

Et priùs est repertum in equi conscendere costas, Et moderarier hunc froeno, dextraque vigere, Quam bijugo curru belli temare pericla. Lucr. l. V.

Ce poëte avoit raison de regarder l'art de conduire un char attelé de plusieurs chevaux, comme quelque chose de plus combiné, que celui de monter & conduire un seul cheval. Mais M. Freret soûtient que cela est faux, & que la façon la plus simple & la plus aisée de faire usage des chevaux, celle par où l'on a dû commencer, a été de les attacher à des fardeaux, & de les leur faire tirer après eux: « Par - là, dit - il, la fougue du cheval le plus impétueux est arrêtée, ou du moins diminuée......... Le traîneau a dû être la plus ancienne de toutes les voitures; ce traîneau ayant été posé ensuite sur des rouleaux, qui sont devenus des roues lorsqu'on les a attachées à cette machine, s'éleva peu - à - peu de terre, & a formé des chars anciens à deux ou à quatre roues. Quelle combinaison, quelle suite d'idées il faut supposer dans les premiers hommes qui se sont servis du cheval? Cet animal a donc été très - longtems inutile à l'homme, s'il a fallu, avant qu'il le prît à son service, qu'il connût l'art de faire des liens, de façonner le bois, d'en construire des traîneaux? Mais pourquoi n'a - t - il pû mettre sur le dos du cheval les fardeaux qu'il ne pouvoit porter lui - même? Ne diroit - on pas que le cheval a la férocité du tigre & du lion, & qu'il est le plus difficile des animaux, lui qu'on a vû sans bride & sans mors obéir aveuglement à la voix du numide »? Mais pour combattre un raisonnement aussi extraordinaire que celui de M. Freret, il suffit d'en appeller à l'expérience connue des siecles passés & à nos usa<->

(b) Equos enim locupletiores alebant, cum vero in expeditionem eundum esset, veniebat is qui designatus erat, & equum & arma... qualiacumque accipiebat, atque ita militabat. Equis inde milites corporibus imbecilles, animisque languentes imponebant. Xénoph. hist. greq. lib. VI. (c) L'état de foiblesse où se trouvoit alors toute la Grece en général étoit une suite de l'irruption des Doriens de Thessalie, sous la conduite des Héraclides: cet évenement arrivé un siecle après la prise de Troye, jetta la Grece dans un état de barbarie & d'ignorance à peu - près pareil, dit M. Freret, à celui où l'invasion des Normands jetta la France sur la fin du neuvieme siecle. Cela est conforme à ce que rapporte Thucydide, liv. I. il fallut plusieurs siecles pour mettre les Grecs en état d'agir avec vigueur.

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