ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"886"> dans l'Asie - mineure, & qui dominerent pendant 28 ans sur toute cette seconde partie du monde, ont nourri de tout tems une prodigieuse quantité de chevaux, & qu'ils faisoient du lait de leurs jumens leur boisson ordinaire. Il seroit donc ridicule de penser qu'ils eussent ignoré l'art de monter à cheval (m). Cela ne souffre aucune difficulté, quand on lit ce qu'Hérodote raconte des Amazones, femmes guerrieres qui descendoient des anciens Scythes.

Les Grecs (Hérodote, ibid.) les ayant vaincues en bataille rangée sur les bords de Thermodon, firent plusieurs prisonnieres, qu'ils mirent sur trois vaisseaux, & reprirent le chemin de leur patrie.

Quand on fut en plaine mer, nos héroïnes saisissant un moment favorable, se jetterent sur les hommes, les desarmerent, & leur couperent la tête. Comme elles ignoroient l'art de la navigation, elles furent obligées de s'abandonner à la merci des vents & des vagues, qui les porterent enfin sur un rivage des Palus Méotides, où étant descendues à terre, elles monterent sur les premiers chevaux qu'elles purent trouver, & coururent ainsi tout le pays.

Ce fait s'accorde parfaitement avec ce que l'abbréviateur de Trogue Pompée (Justin, l. II.) rapporte de l'éducation des Amazones: « elles ne passoient pas, dit - il, leur tems dans l'oisiveté ou à filer; elles s'exerçoient continuellement au métier des armes, à monter à cheval, & à chasser ». Strabon, l. II. d'après Métrodore &c. dit encore que les plus robustes des Amazones alloient à la chasse, & faisoient la guerre montées sur des chevaux. Le tems de leur célébrité est antérieur à la guerre de Troye: une partie de l'Asie & de l'Europe sentit le poids de leurs armes; elles bâtirent dans l'Asie mineure plusieurs villes (Justin, l. II.), entr'autres Ephèse, où il y a apparence qu'elles instituerent le culte de Diane.

Thésée étoit avec Hercule, lorsque ce héros à la tête des Grecs remporta sur elles la victoire du Thermodon. Résolues de tirer une vengeance éclatante de cet affront, elles se fortifierent de l'alliance de Sigillus, roi des Scythes, qui envoya à leur secours une nombreuse cavalerie commandée par son fils. Marchant tout de suite contre les Athéniens, qui obéissoient à Thésée, elles leur livrerent bataille jusque dans les murs d'Athenes, avec plus de courage que de prudence. Un différend survenu entr'elles & les Scythes empêcha ceux - ci de combattre: aussi furent - elles vaincues; & cette cavalerie ne servit qu'à favoriser leur retraite & leur retour.

Les annales des autres peuples, soit d'Europe, soit d'Afrique, concourent également à prouver l'ancienneté de l'équitation; on la voit établie chez les Macédoniens, avant que les Héraclides eussent conquis la Macédoine (Hérodote, l. VIII.). Les Gaulois, les Germains, les peuples d'Italie faisoient usage des chars ou de la cavalerie dans leurs premieres guerres qui nous sont connues (Diodore de Sicile, liv. V.). Les Ibériens ont de tout tems élevé d'excellens chevaux, de même que les Arabes, les Maures, & tous les peuples du Nord de l'Afrique.

Les traits historiques que nous venons de rapporter nous montrent évidemment, chez les Assyriens & les Egyptiens, les chevaux employés de toute antiquité dans les armées, à porter des hommes & à traîner des chars. Les Egyptiens ont inondé l'Asie de leurs troupes, pénétré dans l'Europe, & fondé plusieurs colonies dans la Grece: les Amazones & les Scythes, chez qui l'art de l'équitation étoit en usage de tems immémorial, avoient parcouru de même une partie de l'Europe & de l'Asie, sur - tout de l'Asie - mineure, & s'étoient fait voir dans la Grece. De ces évenemens, tous antérieurs à la guerre de Troye, on pourroit conclure, sans chercher de nouvelles preuves, que dans le tems de cette expédition l'art de monter à cheval n'étoit ignoré ni des Grecs ni des Troyens.

II. L'équitation connue chez les Grecs avant la guerre de Troye. Cette proposition, que nous croyons vrate dans toute son étendue, a trouvé néanmoins deux contradicteurs célebres, madame Dacier & M. Freret: fondés sur le prétendu silence d'Homere, & sur ce qu'il ne fait jamais combattre ses héros à cheval, mais montés sur des chars, ils ont prétendu que l'epoque de l'équitation dans la Grece & dans l'Asiemineure, étoit postérieure à la guerre de Troye, & que les Grecs, de même que les Troyens, ne savoient en ce tems - là faire usage des chevaux que lorsqu'ils étoient attelés à des chars.

Il semble qu'une opinion si singuliere doive tomber d'elle - même, quand on observe que les Grecs existoient long - tems avant le passage de la mer Rouge, puisque Argos étoit alors à son sixieme roi (n), & que plus de quatre cents ans avant ce passage, l'égyptien Ourane avoit franchi le Bosphore pour donner des lois à ces Grecs, qui n'étoient encore que des sauvages, vivans comme les bêtes des herbes qu'ils broutoient. D'ailleurs plusieurs villes de la Grece n'étoient que des colonies des Egyptiens ou des Phéniciens. L'Egyptien Cecrops (environ 1556 ans avant J.C.) qui vivoit dans le siecle de Moyse, avoit fondé les douze bourgs d'ou se forma depuis la ville d'Athenes: presque tout ce qui concernait la religion, les lois, les moeurs, avoit été porté d'Egypte dans la Grece. Sur quel fondement croirat - on que les Egyptiens qui humaniserent & policerent les Grecs, leur eussent laissé ignorer l'art de l'é<-> quitation, qu'ils possédoient si bien eux - mêmes, & qu'ils n'eussent voulu seulement que leur apprendre à conduire des chars? Comment ces Grecs, témoins des exploits de Sésostris, & qui avoient combattu contre les Amazones, ne virent - ils que des chars dans des armées où il y avoit indubitablement de la cavalerie?

Malgré la solidité de ces réflexions, il s'en est peu fallu que le sentiment de M. Freret & de madame Dacier, soûtenu par un profond savoir, n'ait prevalu sur les plus grandes autorités: mais la déference que l'on accorde à l'opinion de certains personnages, quand elle n'a point la vérité pour bate, cede tôt ou tard à l'évidence.

M. l'abbé Sallier (histoire de l'Académie des inseriptions & belles - lettres, tom. VII. p. 37.) est celui qui a coupé court au progrès de l'erreur: il a démontré sensiblement que l'art de monter à cheval étoit connu des Grecs long - tems avant la guerre de Troye; mais il ne résout pas entierement la question: il finit ainsi son mémoire.

« Le seul point sur lequel on ne trouve pas de témoignages dans Homere, se réduit donc à dire que les Grecs dans leurs combats, devant Troye, n'avoient point de soldats servans & combattans à cheval ».

On va donc s'attacher à prouver, par l'examen des raisons mêmes qu'a eu M. Freret de croire le contraire, que l'équitation étoit connue des Grecs & des Troyens avant le siége de Troye, & que ces peuples avoient dans leurs armées de la cavalerie

(m) Il y avoit au nord - est des Palus Méotides, des Scythes nommés lyrces, qui ne vivoient que du produit de leur chasse, & voici comment ils la pratiquoient. Cachés parmi les arbres qui étoient là en grand nombre, & ayant près d'eux un chien & un petit cheval couché sur le ventre, ils tiroient sur la bête à son passage, & montoient tout de suite à cheval pour courir à sa poursuite avec leur chien. Hérodote, liv. IV. (n) Ce royaume d'Argos avoit été fondé par l'égyptien Danaüs, vers l'an 1476, avant J.C.
[p. 887] distinguée des chars: nous conjecturons que ces chars ne servoient que pour les principaux chefs, lorsqu'ils marchoient à la tête des escadrons.

Madame Dacier, qui pensoit sur la question présente de même que l'illustre académicien, « ne comprend pas, dit - elle, (préf. de la traduct. de l'Iliade, édit. 1741. p. 60.) comment les Grecs, qui étoient si sages, se sont servis si long - tems de chars au lieu de cavalerie, & comment ils n'ont pas vû les inconvéniens qui en naissoient ». Sans examiner la difficulté bien plus grande de conduire un char que de manier un cheval, ni le terrein considérable que ces chars devoient occuper, elle se contente d'observer, ajoûte - t - elle, « que quoiqu'il y eût sur chaque char deux hommes des plus distingués & des plus propres pour le combat, il n'y en avoit pour. tant qu'un qui combattît, l'autre n'étant occupé qu'à conduire les chevaux: de deux hommes en voilà donc un en pure perte. Mais il y avoit des chars à trois & à quatre chevaux pour le service d'un seul homme: autre perte digne de considération ». Madame Dacier conclut, malgré ces observations, qu'il falloit bien que l'art de monter à cheval ne fût point connu des Grecs dans le tems de la guerre de Troye.

Quelle erreur de sa part! Pour supposer dans ce peuple une si grande ignorance, il faut ou qu'elle n'ait pas toûjours bien entendu le texte de son auteur, ou qu'elle n'ait pas assez réfléchi sur les expressions d'Homere. On doit convenir cependant qu'elle étoit si peu sûre de son opinion, qu'elle a dit ailleurs (Remarques sur le X. liv. de l'Iliade): « Dans les troupes il n'y avoit que des chars; les cavaliers n'étoient en usage que dans les jeux & dans les tournois ». Mais qu'étoient ces jeux & ces tournois, que des exercices & des préparations pour la guerre Et pourroit - on penser que les Grecs s'y fussent distingués dans l'art de monter des chevaux, sans profiter d'un si grand avantage dans les combats?

M. Freret moins indéterminé (mém. de Litt. de l'Acad. des inscript. tom. VII. p. 286.) ne se dément pas dans son opinion. « On est surpris, dit il, en examinant les ouvrages des anciens écrivains, surtout ceux d'Homere, de n'y trouver aucun exemple de l'équitation, & d'être obligé de conclure que l'on a long - tems ignoré dans la Grece l'art de monter à cheval, & de tirer de cet animal les services que nous en tirons aujourd'hui, soit pour le voyage, soit pour la guerre ».

Telle est la proposition qui fait le sujet de sa dissertation: elle est remplie de recherches curieuses & savantes, mais qui, toutes prises dans leur véritable sens, peuvent servir à prouver le contraire de ce qu'il avance.

Après avoir établi pour principe qu'Homere ne parle en aucun endroit de ses poëmes, de cavaliers, ni de cavalerie, il prétend que ce poëte, quoiqu'il écrivît dans un tems où l'équitation étoit connue, s'est néanmoins abstenu d'en parler, pour ne pas choquer ses lecteurs par un anachronisme contre le costume, qui eût été remarqué de tout le monde. Cet argument négatif est la base de tous ses raisonnemens; & M. Freret n'oublie rien pour lui donner d'ailleurs une force qu'il ne sauroit avoir de sa nature.

Pour cet effet, 1°. il examine & combat tous les témoignages des écrivains postérieurs à Homere que l'on peut lui opposer: 2°. il discute dans quel tems ont été élevés les plus anciens monumens de la Grece, sur lesquels on voyoit représentés des cavaliers ou des hommes à cheval, pour montrer qu'ils sont tous postérieurs à l'établissement de la course des chevaux dans les jeux olympiques: 3°. il cherche à prouver que la fable des Centaures n'avoit dans son origine aucun rapport à l'équitation: 4°. il termine ses recherches par quelques conjectures sur le tems où il croit que l'art de monter à cheval a commencé d'être connu des Grecs.

Examen du texte d'Homere. Puisque Homere est regardé, pour ainsi dire, comme le juge de la question, voyons d'abord si son silence est réel, & si nous ne pouvons pas trouver dans ses ouvrages des témoignages positifs en faveur de l'équitation.

Dans le dénombrement (Iliad. l. II.) des Grecs qui suivirent Agamennon au siége de Troye, il est dit de Ménesthée, le chef des Athéniens, « qu'il n'avoit pas son égal dans l'art de mettre en bataille toute sorte de troupes, soit de cavalerie, soit d'infanterie ». Sur quoi il est bon d'observer que les Athéniens habitoient un pays coupé, montueux, très - difficile, & dans lequel l'usage des chars étoit bien peu pratiquable.

On trouve parmi les troupes troyennes les belliqueux escadrons des Ciconiens; & l'on voit dans l'odyssée (livre IX. pag. 262. édit. 1741.) que ces Ciconiens savoient très - bien combattre à cheval, & qu'ils se défendoient aussi à pié, quand il le falloit. Quoi de plus clair que l'opposition de combattre à pié & de combattre à cheval? Ils étoient en plus grand nombre; voilà donc beaucoup de gens de cheval. Madame Dacier le dit de même dans sa traduction: elle pensoit donc autrement quand elle composa la préface de sa traduction de l'Iliade.

Quand Nestor conseille (Iliad. l. VII.) aux Grecs de retrancher leur camp: « nous ferons, leur dit - il, un fosse large & profond, que les hommes & les chevaux ne puissent franchir ». Que peut - on entendre par ces mots, si ce n'est des chevaux de cavaliers? Les Grecs avoient - ils naturellement à craindre que des chars attelés de deux, trois ou quatre chevaux franchissent des fossés?

Ulysse & Diomede (Iliad. l. X.) s'étant chargés d'aller reconnoître pendant la nuit la position & les desseins des Troyens, rencontrerent Dolon, que les Troyens envoyoient au camp des Grecs dans le même dessein, & ils apprirent de lui que Rhésus, arrivé nouvellement à la tête des Thraces, campoit dans un quartier séparé du reste de l'armée. Sur cet avis les deux héros coupent la tête de Dolon, pressent leur marche, & arrivent dans le camp des Thraces, qu'ils trouverent tous endormis, chacun d'eux ayant auprès de soi ses armes à terre & ses chevaux. Ils étoient couchés sur trois lignes; au milieu dormoit Rhésus leur chef, dont les chevaux étoient aussi tout - près de lui, attachés à son char.

Diomede se jette aussi - tôt sur les Thraces, en égorge plusieurs, & le roi lui - même: après quoi, pendant qu'Ulysse va détacher les chevaux de Rhésûs, il essaye d'en enlever le char; mais Minerve lui ordonne d'abandonner cette entreprise. Il obéit, rejoint Ulysse, & montant ainsi que lui sur l'un des chevaux de Rhésus, ils sortent du camp & volent vers leurs vaisseaux, poussant les chevaux, qu'ils foüettent avec un arc. Arrivés dans l'endroit où ils avoient laissé le corps de Dolon, Diomede saute legerement à terre, prend les armes de l'espion troyen, remonte promptement à cheval, & Ulysse & lui continuent de pousser à toute bride ces fougueux coursiers, qui secondent merveilleusement leur impatience. Nestor entend le bruit, & dit: il me semble qu'un bruit sourd, comme d'une marche de chevaux, a frappé mes oreilles.

Tout lecteur non prévenu verra sans doute dans cette épisode une preuve de la connoissance que les Grecs, ainsi que les Thraces, avoient de l'équitation. Les cavaliers thraces, couchés sur trois rangs,

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