ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"884"> tre, excitent en lui une sensation qui l'anime & qui l'intéresse ».

Equus paratur in diem belli, a dit le plus sage des rois. Prov. ch. xxj.

L'unanimité de sentiment qui regne à cet égard chez tous les peuples, est une preuve qu'elle a son fondement dans la Nature. Les principaux traits de la description précédente se retrouvent dans l'élégante peinture que Virgile a tracée du même animal:

Continuo pecoris generosi pullus in arvis Altius ingreditur, & mollia crura reponit; Primus & ire viam, & fluvios tentare minaces Audet, & ignoto sese committere ponti, Nec vanos horret strepitus. . . . . . . . . . . . . . . . . . . Tum si qua sonum procul arma dedére, Stare loco nescit, micat auribus, & tremit artus, Collectumque premens volvit sub naribus ignem. Virg. Georg. lib. III. vers. 75.

Homere (Il. l. XIII.) le plus célebre de tous les poëtes, & le chantre des héros, dit que les chevaux sont une partie essentielle des armées, & qu'ils contribuent extrèmement à la victoire. Tous les auteurs anciens ou modernes qui ont traité de la guerre, ont pensé de même; & la vérité de ce jugement est pleinement justifiée par la pratique de toutes les nations. Le cheval anime en quelque sorte l'homme au moment du combat; ses mouvemens, ses agitations calment cette palpitation naturelle dont les plus braves guerriers ont de la peine à se défendre au premier appareil d'une bataille.

A la noble ardeur qui domine dans ce superbe animal, à son extrème doeilité pour la main qui le guide, ajoûtons pour dernier trait qu'il est le plus fidele & le plus reconnoissant de tous les animaux, & nous aurons rassemblé les puissans motifs qui ont dû engager l'homme à s'en servir pour la guerre.

Fidelissimum inter omnia animalia, homini est canis atque equus, dit Pline (l. VIII. c. xl.) Amissos lugent dominos, ajoûte - t - il plus bas (ibid. c. xlij.), lacrymasque interdum desiderio fundunt. Homere (Iliade, liv. XVII.) fait pleurer la mort de Patrocle par les chevaux d'Achille. Virgile donne le même sentiment au cheval de Pallas fils d'Evandre:

. . . . Positis insignibus AEthon It lacrymans, guttisque humectat grandibus ora. AEneïd. l. XI. v. 89.

L'histoire (b) n'a pas dédaigné de nous apprendre que des chevaux ont défendu ou vengé leurs maîtres à coups de piés & de dents, & qu'ils leur ont quelquefois sauvé la vie.

Dans la bataille d'Alexandre contre Porus (Aul. Gell. noctium Attic. l. V. c. ij. & Q. Curt. l. VIII.), Bucéphale couvert de blessures & perdant tout son sang, ramassa néanmoins le reste de ses forces pour tirer au plus vîte son maître de la mêlée, où il couroit le plus grand danger: dès qu'il fut arrivé hors de la portée des traits, il tomba, & mourut un instant après; paroissant satisfait, ajoûte l'historien, de n'avoir plus à craindre pour Alexandré.

Silius Italicus (l. X.) & Juste Lipse (in epistol. ad Belgas.) nous ont conservé un exemple remarquable de l'attachement extraordinaire dont les chevaux sont capables.

A la bataille de Cannes un chevalier romain nommé Cloelius, qui avoit été percé de plusieurs coups, fut laissé parmi les morts sur le champ de bataille. Annibal s'y étant transporté le lendemain, Claelius, à qui il restoit encore un souffle de vie prêt à s'éteindre, voulut, au bruit qu'il entendit, faire un effort pour lever la tête, & parler; mais il expira aussitôt, en poussant un profond gémissement. A ce cri, son cheval qui avoit été pris le jour d'auparavant, & que montoit un Numide de la suite d'Annibal, reconnoissant la voix de son maître, dresse les oreilles, hennit de toutes ses forces, jette par terre le Numide, s'élance à - travers les mourans & les morts, arrive auprès de Claelius: voyant qu'il ne se remuoit point, plein d'inquiétude & de tristesse, il se courbe comme à l'ordinaire sur les genoux, & semble l'inviter à monter. Cet excès d'assection & de fidélité fut admiré d'Annibal, & ce grand homme ne put s'empêcher d'être attendri à la vûe d'un spectacle si touchant.

Il n'est donc pas étonnant que par un juste retour (s'il est permis de s'exprimer ainsi) d'illustres guerriers, tels qu'un Alexandre & un César, ayent eu pour leurs chevaux un attahcement singulier. Le premier bâtit une ville en l'honneur de Bucéphale: l'autre dédia l'image du sien à Vénus. On sait combien la pie de Turenne étoit aimée du soldat françois, parce qu'elle étoit chere à ce héros (c)

Le peu de lumieres que nous avons sur ce qui s'est passé dans les tems voisins du déluge, ne nous permet pas de fixer avec précision celui où l'on commença d'employer les chevaux à la guerre. L'Ecriture (Gen. ch. xjv.) ne dit pas qu'il y eût de la cavalerie dans la bataille des quatre rois contre cinq, ni dans la victoire qu'Abraham bientôt après remporta sur les premiers, qui emmenoient prisonnier Loth son neveu. Mais quoique nous ignorions, faute de détails suffisans, l'usage que les patriarches ont pû faire du cheval, il seroit absurde d'en conclure qu'ils eurent l'imbécillité, suivant l'expression de S. Jerôme (Comment. du chap. xxxvj. d'ssaïe), de ne s'en pas servir.

Origene cépendant l'a voulu croire. On ne voit nulle part, dit - il, (Hométte xviij.) que les enfans d'Israël se soient servis de chevaux dans les armées. Mais comment a - t - il pû savoir qu'ils n'en avoient point? il faut, pour le prouver, une évidence bien réelle & des faits constans. La loi du Deutéronome (ch. xvij. v. 16.) dont s'appuie S. Jérôme, non multiplicabit sibi equos, n'exclut pas les chevaux des armées des Juifs; elle ne regarde que le roi, sibi, encore (d) ne lui en défend - elle que le grand nombre, non multiplicabit. C'étoit une sage prévoyance de la part de Moyse, ou parce que le peuple de Dieu devoit habiter un pays coupé, sec, aride, peu propre à nourrir beaucoup de chevaux; ou bien, selon que l'a remarqué M. Fleury, pour lui ôter le desir & le moyen de retourner en Egypte. C'est apparemment par la même raison qu'il fut ordonné à Josué (II. 6.) de faire couper les jarrets aux chevaux des Chananéens; ce qu'il exécuta après la défaite de Jabin roi d'Azor (vers l'an du monde 2559, avant J. C. 1445). David (II. Reg. viij. 4.) en fit autant à ceux qu'il prit sur Adaveser; il n'en réserva que cent.

Quoi qu'il en soit du sentiment d'Origene, la défense portée au dix - septieme chapitre du Deutéronome, le vingtieme chapitre du même livre (e), & le quinzieme de l'Exode (equum & ascensorem dejecit

(b) Occiso Schytharum Regulo ex provocatione dimicante, hostem (cum victor ad spoliandum venisset) ab equo ejus ictibus morsuque confectum esse ...... Ibidem Phylarchus refert Centaretum è Galatis in proelio, occiso Antiocho, potito equo ejus, conscendisse ovantem; at illum indignatione accensum, demptis froenis ne regi posset, proecipitem in abrupta isse exanimatumque unâ. Lib. VIII. 6. xlij. de Pline. (c) Chez les Scythes, Achéas leur roi pansoit lui - même son cheval, persuadé que c'étoit - là le moyen de se l'attacher davantage, & d'en retirer plus de service: il parut étonné, lorsqu'il sut par les ambassadeurs de Philippe que ce prince n'en usoit pas ainsi. Vie de Philippe de Macédoine, liv. XIII. par M. Olivier. (d) Salomon avoit mille quatre cens chariots & douze mille cavaliers. III. des Rois, ch. x. vers. 26. II. Paralip. c. jv. v. 24. (e) Si vous allez au combat contre vos ennemis, & qu'ils ayent un plus grand nombre de chevaux & de chariots, & plus de troupes que vous, ne les craignez pas, &c. v. 1.
[p. 885] in mare), sont autant de preuves certaines que du tems de Moyse l'art de l'équitation & l'usage de la cavalerie dans les armées n'étoient pas regardés comme une nouveauté.

Le premier endroit où ce législateur en ait parlé avec une sorte de détail, est au quatorzieme chapitre de l'Exode, où il décrit le passage de la mer rouge par les Israélites (ans du monde 2513, avant J. C. 1491, selon M. Bossuet). Pharaon qui les poursuivoit, fut englouti par les eaux avec ses chariots de guerre, ses cavaliers, & toutes les troupes qu'il avoit pû rassembler. Son armée, suivant Josephe, étoit composée de 200 mille hommes de pié, 50 mille cavaliers, & 600 chars (f)

Si les livres du Pentateuque n'offrent point de preuve plus ancienne de l'usage de la cavalerie dans les armées, c'est que conformément au plan que Moyse s'étoit tracé, il n'a pas dû nous instruire des guerres que les Egyptiens avoient eues contre leurs voisins avant la délivrance des Juifs, & qu'il s'est borné seulement à raconter les faits essentiellement liés avec l'histoire du peuple de Dieu.

Mais outre qu'il seroit absurde de prétendre établir en Egypte l'époque de l'équitation par une cavalerie si nombreuse qu'elle égale ce que les plus grandes puissances de l'Europe peuvent en entretenir aujourd'hui, on doit encore observer que les chevaux ont toûjours fait une des principales richesses des Egyptiens (g). D'ailleurs le livre de Job (h), probablement écrit avant ceux de Moyse, parle de l'équitation & de chevaux employés à la guerre, comme de choses généralement connues.

L'histoire profane est sur ce point entierement conforme à l'Ecriture - sainte. Les premiers faits qu'elle allegue, & qui ont rapport à l'équitation, supposent tous à cet art une antiquité beaucoup plus grande: disons mieux, on ne découvre en nul endroit les premieres traces de son origine.

On voyoit, selon Diodore de Sicile, liv. I. gravée sur de la pierre dans le tombeau d'Osimandué, l'histoire de la guerre que ce roi d'Egypte avoit fait aux peuples révoltés de la Bactriane: il avoit mené contre eux, disoit - on, quatre cents mille hommes d'infanterie, & vingt mille chevaux (i). Entre cet Osimandué & Sésostris, qui vivoit long - tems avant la guerre de Troye, & avant l'expédition des Argonautes, Diodore compte vingt - cinq générations: voilà donc la cavalerie admise dans les armées, bien peu de siecles après le délugé.

Sésostris, le plus grand & le plus puissant des rois d'Egypte, ayant formé le dessein de conquérir toute la terre, assembla, dit le même historien (Diodore de Sicile, l. I.), une armée proportionnée à la grandeur de l'entreprise qu'il méditoit: elle étoit composée de six cents mille hommes de pié, vingt - quatre mille chevaux, & vingt - sept mille chariots de guerre. Avec ce nombre prodigieux de troupes de terre, & une flotte de quatre cents navires, ce prince soûmit les Ethiopiens, se rendit maître de toutes les provinces maritimes, & de toutes les îles de la mer - rouge, pénétra dans les Indes, où il porta ses armes plus loin que ne fit depuis Alexandre: revenant sur ses pas, il conquit la Scythie, subjugua tout le reste de l'Asie & la plûpart des Cyclades, passa en Europe; & après avoir parcouru la Thrace, où son armée manqua de périr, il retourna au - bout de neuf ans dans ses états, avec une reutation supérieure à celle des rois ses prédécesseurs.

Ce prince oit fait dresser dans les lieux qu'il avoit soûmis, des colonnes avec l'inscription suivante en caracteres égyptiens (k): Sésostris, roi des rois, a conquis cette province par ses armes. Quelques - unes de ces colonnes s'étoient conservées jusqu'au tems d'Hérodote, & cet historien (l. II.) ajoûte qu'il y avoit encore alors sur les frontieres de l'Ionie deux statues en pierre de Sésostris, l'une sur le chemin d'Ephese à Phocée, l'autre sur celui de Sardis à Smirne. Un rouleau portant une inscription, j'ai conquis cette terre avec mes épaules, peu différente de celle qu'on vient de lire, traversoit la poitrine de ces statues.

Ninus roi des Assyriens fit une premiere entreprise contre la Bactriane, qui ne lui réussit pas. Il résolut quelques années après d'en tenter un seconde; mais connoissant le nombre & le courage des habitans de ce pays, que la nature avoit d'ailleurs rendu inaccessible en plusieurs endroits, il tâcha de s'en assûrer le succès en mettant sur pié une armée à laquelle rien ne pût résister: elle montoit, poursuit Diodore, selon le dénombrement qu'en a fait Ctésias dans son histoire, à dix - sept cents mille hommes d'infanterie, deux cents dix mille de cavalerie, & près de dix mille six cents chariots armés de faulx.

Le regne de Ninus, en suivant la supputation d'Hérodote, que l'on croit la plus exacte, & qui rapproche beaucoup de nous la fondation du premier empire des Assyriens, doit se rencontrer avec le gouvernement de la prophétesse Débora, 514 ans avant Rome, 1267 ans avant Jesus - Christ, c'est - à - dire qu'il est antérieur à la ruine de Troye, au moins de 80 (l) ans. L'on conviendra aisément qu'une si grande quantité de cavalerie en suppose l'usage établi chez les Assyriens plusieurs siecles auparavant.

Tout ce qui nous reste dans les auteurs sur l'histoire des différens peuples d'Asie, démontre l'ancienneté de l'équitation: elle étoit (dit Hérodote, l. IV.) connue chez les Scolothes, nation Scythe, qui comptoient mille ans depuis leur premier roi, jusqu'au tems où Darius porta la guerre contre eux.

Par un usage aussi ancien que leur monarchie, le roi se rendoit tous les ans dans le lieu où l'on conservoit une charrue, un joug, une hache & un vase, le tout d'or massif, & que l'on disoit être tombés du ciel; & il se faisoit en cet endroit de grands sacrifices. Le Scythe à qui pour ce jour la garde du thrésor étoit confiée ne voyoit jamais, disoit - on, la fin de l'année: en récompense on assûroit à sa famille autant de terre qu'il en pouvoit parcourir dans un jour, monté sur un cheval.

Que ce fait soit véritable ou non, il est certain que les Scythes en général, eux qui sous des noms différens occupoient en Asie & en Europe une étendue immense de pays, qui firent plusieurs irruptions

(f) L'Exode dit de même, six cens chars. Le nombre de l'infanterie & de la cavalerie n'y est point spécifié. (g) Il y a apparence que du tems du patriarche Joseph, les rois d'Egypte avoient des gardes à cheval, & que ce sont eux qui courent après Benjamin, & qui l'arrêtent. Hist. des Juifs par Josephe, lib. I. (h) On peut en conclure que les chars sont postérieurs à la simple cavalerie: Job ne parle que de celle - ci, c. xxxjx. v. 18. 19. & suiv. Au vers. 18. il est dit que l'autruche se moque du cheval & de celui qui le monte: les versets suivans contiennent la belle description du cheval qu'on a vûe ci - devant. (i) Le sentiment de Marsham & de Newtor qui a suivi le premier est insoûtenable, suivant M. Freret même. Ces deux Anglois font Sefostris postérieur à la guerre de Troye; mais il est évident, par tous les anciens, que ce roi d'Egypte a vécu long - tems avant le siege de Troye & l'expédition des Argonautes. Mém. de litt. de l'acad. des Inscript. to. VII. p. 145. De cette expédition à la guerre de Troye, il y a au moins soixante - dix ans d'intervalle. En supposant Sésostris antérieur aux Argonautes du même nombre d'années; & en comptant trois générations par siécle, il n'y auroit qu'un petit nombre de siécles d'intervalle entre le déluge & Osimandué. (k) In cippis illis pudendum viri, apud gentes quidem strenuas & pugnaces, apud ignaves autem & timidas, feminoe, expressit: ex proecipuo hominis membro, animarum in singulis affectionem, posteris evidentissimam fore ratus. Diod. lib. I. apud Rhodanum. (l) M. Bossuet, qui suit cette chronologie, place le siége de Troye l'an 1184, avant J. C.

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