ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"832"> vient point de la différente constitution de nos organes, ou enfin s'ils n'ont point plus de qualités que celles qui nous paroissent, quelqu'une de ces qualités pouvant ne pas tomber sous nos sens. Sextus n'a fait qu'ébaucher la matiere des sens de leurs divers rapports & de leurs erreurs; au lieu que Malebranche, dans son excellente recherche de la vérité, l'a presque épuisée.

Le quatrieme, des circonstances. Par ce terme, dit Sextus, nous entendons les habitudes, les dispositions, & les conditions différentes. Ce moyen consiste à considérer quelles sont les sensations & les perceptions d'une personne, conformes ou non conformes à sa nature, dans la veille ou dans le sommeil, dans les différens âges de la vie, dans le mouvement ou dans le repos, dans la haine ou dans l'amour, quand elle a faim ou quand elle est rassasiée, quand elle a de certaines dispositions ou habitudes, quand elle est dans la confiance ou dans la crainte, dans la tristesse ou dans la joie. Il est constant, & Sextus le prouve au long, que, suivant ces différentes dispositions, les hommes sont tantôt dans un certain état, tantôt dans un autre. Ainsi l'on peut dire facilement comment un objet est apperçû de chacun; mais il ne sera pas également facile de prononcer quel peut être réellement cet objet. Pour trouver un juge recevable qui décidât entre ces contrariétés infinies, il faudroit trouver un homme qui ne fût dans aucune isposition, dans aucune circonstance: mais c'est une supposition impossible. Tour homme est lui - même une partie discordante; tout homme est du nombre des choses dont on dispute.

Le cinquieme, des situations, des distances, & des lieux. Selon que ces relations sont différentes, les mêmes choses paroissent diversement. Un même portique, si on le regarde par une des extrémités de sa longueur, paroît aller toûjours en diminuant; mais si on le regarde par son milieu, il semble égal partout. Un vaisseau vû de loin, paroît petit & sans mouvement; de près, il paroît gr & en mouvement. Une même tour vûe de loin paroît ronde, & de près quarrée. Voilà pour les distances. A l'égard des lieux, la lumiere d'une lampe est obscure au Soleil, & brillante dans les ténebres. Une rame paroît rompue dans l'eau, & droite dehors. Un oeuf est mou dans le corps de l'oiseau, & dur dehors. Le corail est mou dans la mer, & se durcit à l'air. Une même voix paroît autre dans une trompette, autre dans les flûtes, & autre dans l'air simple. Quant aux positions; une peinture vûe presque tout - à - fait de côté, ensorte que l'oeil ne soit presque point élevé au - dessus du tableau, paroît unie; mais si l'oeil est plus élevé, si le tableau est moins incliné, ou vis - à - vis de l'oeil, l'image paroît avoir des éminences & des enfoncemens. Le cou des pigeons paroît de diverses couleurs, suivant qu'ils se tournent. Or tous les objets des sens se présentant à eux de quelque distance, dans quelque lieu, & dans quelque position (toutes choses, qui chacune à part causent de grandes différences dans les perceptions & dans les idées), nous sommes obligés par ces raisons là d'adopter l'époque.

Le sixieme, des mêlanges. Rien de tout ce qui est hors de nous, ne tombe sous nos sens seul & pur, mais toûjours avec quelqu'autre chose; d'où il arrive qu'il est apperçû & senti diversement par ceux qui le considerent. La couleur de notre visage, par exemple, paroît autre quand il fait chaud que quand il fait froid; ainsi nous ne pouvons pas dire quelle elle est purement & simplement, mais seulement quelle elle nous paroît avec le chaud ou avec le froid. Mais outre les mêlanges extérieurs, il y en a qui résident dans les organes mêmes de nos sens, & qui varient infiniment la perception des objets. Nos yeux ont en eux - mêmes des tuniques & des humeurs. Ainsi comme nous ne pouvons pas voir les objets extérieurs sans le mêlange de ces choses qui sont dans nos yeux, nous ne pouvons pas non plus les appercevoir purement & exactement, & jamais nous ne les appercevons qu'avec quelque mêlange. C'est la raison pourquoi toutes choses paroissent pâles & d'une couleur morte à ceux qui ont la jaunisse, & d'une couleur de sang à ceux qui ont un épanchement de sang dans les yeux. Il en est de même des oreilles, de la langue, &c. lesquelles sont si souvent chargées d'humeurs qui modifient l'impression des objets de plusieurs façons différentes. Tous ces mêlanges ne permettant pas aux sens de recevoir exactement les qualités des objets extérieurs, l'entendement ne peut non plus juger quels ils sont purement & simplement; parce que les sens qui lui servent de guide se trompent, outre que peut - être il mêle lui - même certaines choses qui lui sont propres, auxperceptions qui lui viennent des sens.

Le septieme, des quantités & des compositions. Il est évident que ce moyen nous oblige encore à suspendre nos jugemens touchant la nature des choses. Par exemple, les raclures de cornes de chevres paroissent blanches, quand on les considere simplement & à part; mais dans la substance même de la corne, elles semblent noires. Les grains de sable séparés les uns des autres, paroissent raboteux, & en monceau on les trouve mous. Si l'on mange de l'ellébore réduit en poudre, il étrangle; mais il ne fait pas le même effet quand on le mange en gros morceaux, &c. Cette raison des quantités & des compositions fait donc que nous n'appercevons que d'une maniere obscure les qualités réelles des objets extérieurs, & nous conduit encore à l'époque.

Le huitieme, des relations. Toutes choses sont relatives à quelques autres. Une chose peut être dite relative à deux égards: 1°. à l'égard de celui qui juge; car un objet extérieur paroît tel ou tel, relativement à quelque être qui en juge: 2°. une chose est relative à tout ce qui accompagne la perception ou la considération de cette chose. C'est ainsi que le coté droit est relatif au gauche, on ne peut penser à l'un sans penser à l'autre. Il y a des relations d'identité & de diversité, d'égalité & d'inégalité, de signe & de chose signifiée, sous lesquelles tous les êtres sans exception sont compris. Il est donc évident que nous ne pouvons pas dire ce qu'est une chose purement & de sa nature, mais seulement quelle elle paroît par rapport à une autre: nouveau principe d'époque.

Le neuvieme, des choses qui arrivent fréquemment ou rarement. Le Soleil est sans doute quelque chose de bien plus surprenant à voir, qu'une comete; mais parce que nous le voyons souvent, & que nous voyons rarement une comete, elle nous épouvante tellement, que nous nous imaginons que les dieux veulent nous présager par - là quelque grand évenement, pendant que le Soleil ne fait point cet effet sur nous. Mais imaginons - nous que le Soleil parût rarement, ou qu'il se couchât rarement, & qu'après avoir éclairé tout le monde, il le laissât ensuite pour long - tems dans les ténebres, nous trouverions - là de grands sujets d'étonnement. Un tremblement de terre effraye tout autrement ceux qui le sentent pour la premiere sois, que ceux qui y sont accoûtumés. Quelle n'est pas la surprise de ceux qui voyent la mer pour la premiere fois? On estime les choses rares; mais celles qui sont familieres, sont vûes avec indifférence. Puis donc que les mêmes objets nous paroissent tantôt précieux & dignes d'admiration, & tantôt tout différens, suivant leur abondance ou leur rareté, nous en concluons qu'on peut bien dire comment une chose nous paroît selon qu'elle arrive fréquemment ou rarement, mais que nous [p. 833] ne saurions rien affirmer nuement & simplement sur son compte.

Le dixieme, des instituts, des coûtumes, des lois, des persuasions fabuleuses, & des opinions des dogmatiques. C'est ici la source la plus abondante des contrariétés humaines, & des raisons d'adhérer à l'époque. Suivons encore notre guide, qui nous fournit les définitions & les exemples que vous allez lire. Un institut est le choix que l'on fait d'un certain genre de vie, ou quelque plan de conduite & de pratiques, que l'on prend d'une seule personne, comme par exemple de Diogene, ou des Lacédémoniens. Une loi est une convention écrite par les gouverneurs de l'état, laquelle convention emporte avec elle une punition contre celui qui la transgresse. La coûtume est l'approbation d'une chose fondée sur le consentement & la pratique commune de plusieurs, dont la transgression n'est point punie comme celle de la loi: par exemple, c'est une loi de ne point commettre d'adultere, mais c'est une coûtume parmi nous de ne point habiter avec sa femme en public. Une persuasion fabuleuse est l'approbation que l'on donne à des choses feintes & qui n'ont jamais été, telles que sont entre autres choses les fables que l'on raconte de Saturne; car ces choses - là sont reçûes comme vraies parmi le peuple. Une opinion dogmatique est l'approbation que l'on donne à une chose qui paroît être appuyée sur le raisonnement, ou sur une démonstration: par exemple, que les premiers élémens de toutes choses sont des atomes indivisibles, ou des homaeomeries, c'est - à - dire des parties similaires qui se distribuent différemment pour composer les différens corps, &c. Or nous opposons chacun de ces genres, ou avec lui - même, ou avec chacun des autres. Par exemple, nous opposons une coûtume à une coûtume ne cette maniere. Quelques peuples d'Ethiopie, disons - nous, impriment des marques sur le corps de leurs enfans, & non pas nous. Les Perses croyent qu'il est décent de porter un habit bigarré de diverses couleurs & long jusqu'aux talons; & nous, nous croyons que cela est indécent. Les Indiens caressent leurs femmes à la vûe de tout le monde, mais plusieurs autres peuples trouvent cela honteux. Nous opposons loi à loi. Ainsi, chez les Romains, celui qui enonce aux biens de son pere, ne paye point les dettes de son pere; & chez les Rhodiens, il est obligé de les payer. Dans la Chersonèse Taurique en Scythie, c'étoit une loi d'immoler les étrangers à Diane; mais chez nous il est défendu de tuer un homme dans un temple. Nous opposons institut à institut, lorsque nous opposons la maniere de vivre de Diogene à celle d'Aristippe, ou l'institut des Lacedémoniens à celui des Italiens. Nous opposons une persuasion fabuleuse à une autre, lorsque nous disons que quelquefois Jupiter est appellé, dans les fables, le pere des dieux & des hommes, & que quelquefois l'Océan est appellé l'origine des dieux, & Thétis leur mere, suivant l'expression de Junon dans Homere. Nous opposons les opinions dogmatiques les unes autres, lorsque nous disons que les uns croyent l'ame mortelle, & d'autres immortelle; que les uns assûrent que la providence des dieux dirige les évenemens, & que d'autres n'admettent point de providence. Sextus, après avoir ainsi opposé ces chefs à eux - mêmes, les met aux prises les uns avec les autres; mais ce détail nous meneroit trop loin. Tels sont les dix moyens de l'époque: renfermée dans de justes bornes, elle est sans contredit le principe le plus excellent qu'aucune secte ait jamais avancé, le préservatif le plus infaillible contre l'erreur. Aussi Descartes, ce restaurauteur immortel de la saine philosophie, est - il parti, pour ainsi dire, de là; par une suspension universelle du jugement, il à frayé, à la vérité, de nouvelles routes qui, malgré les prétentions de quelques philoso<cb-> phes plus récens, sont les seules qui conviennent à l'esprit humain. L'époque, principe mort entre les mains des Sceptiques qui se contentoient de détruire sans édifier, & qur se jettoient tête baissée dans un doute universel, devient une source de lumiere & de vérité, lorsqu'elle est employée par un philosophe judicieux & exempt de préjugés. Voyez Doute. Cet article est tiré des papiers de M. Formey.

Époque (Page 5:833)

Époque, en Astronomie. On appelle époque ou racine des moyens mouvemens d'une planete, le lieu moyen de cette planete déterminé pour quelque instant marqué, afin de pouvoir ensuite, en comptant depuis cet instant, déterminer le lieu moyen de la planete, pour un autre instant quelconque.

Parmi les planetes nous comprenons aussi le soleil, que les tables astronomiques supposent, ou peuvent supposer en mouvement, en lui attribuant le mouvement de la terre. Voyez Copernic. Voyez aussi Mouvement moyen, Lieu moyen, Temps moyen, Équation du temps .

Les astronomes sont convenus de faire commencer l'année dans leurs tables à l'instant du midi qui précede le premier jour de Janvier, c'est - à - dire, à midi le 31 Décembre, ensorte qu'à midi du premier Janvier on compte déja un jour complet ou vingt - quatre heures écoulées. Ainsi, quand on trouve dans les tables astronomiques au méridien de Paris l'époque de la longitude moyenne du soleil en 1700, de 9 signes 10 degrés 7 minutes 15 secondes; cela signifie que le 31 Décembre 1699, à midi, à Paris, la longitude moyenne du soleil, c'est - à - dire, sa distance au premier point d'Aries, en n'ayant égard qu'à son mouvement moyen, étoit de 9 signes 10 degrés 7 minutes 15 secondes, & ainsi des autres.

L'époque une fois bien établie, le lieu moyen pour un instant quelconque est aisé à fixer par une simple regle de trois. Car on dira; comme une année ou 365 jours est au tems écoulé depuis ou avant l'époque, aimi le mouvement moyen de la planete, ou le tems périodique moyen pendant une année (Voyez Periode & Mouvement moyen ) est au mouvement cherché, qu'on ajoûtera à l'époque ou qu'on en retranchéra. Toute la difficulté se réduit donc à bien fixer l'époque, c'est - à - dire le vrai lieu moyen pour un tems déterminé. Pour cela il faut observer la planete le plus exactement qu'il est possible dans les points de son orbite où le lieu vrai se confond avec le lieu moyen, c'est - à - dire où les équations du moyen mouvement sont nulles (Voyez Equation). On aura donc le lieu moyen de la planete pour cet instant, & par conséquent une simple regle de trois donnera le lieu moyen à l'instant de l'époque. Par exemple, le lieu moyen du Soleil se confond sensiblement avec le lieu vrai, lorsque le soleil est apogée ou périgée, parce qu'alors l'équation du centre est nulle; le lieu moyen de la Lune se confond à peu près avec le lieu vrai lorsque la Lune est apogée ou périgée, & de plus en conjonction ou opposition; je dis à peu près, parce que dans ce cas - là même il y a encore quelques équations, la plûpart assez petites, que les tables & la théorie donnent, & auxquelles il est nécessaire d'avoir égard pour déterminer le vrai mouvement moyen; aussi, comme ces équations ne sont pas exactement connues, l'époque du lieu moyen de la lune ne peut être fixée que par une espece de tâtonnement & par des combinaisons répétées & délicates. Il paroît en effet que M. Halley l'avoit trop reculée d'environ une minute, & d'autres astronomes la font de près de deux minutes plus avancée. Ce sont les observations réitérées des lieux de la Lune comparés avec les calculs de ces mêmes lieux, qui peuvent servir à fixer l'époque aussi exactement qu'il est possible. Voyez Lune, & les articles cités ci - dessus. (O)

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