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De la théologie. Après avoir posé pour principe qu'il n'y a dans la nature que de la matiere & du vuide, que penserons - nous des dieux? abandonnerons - nous notre philosophie pour nous asseivir à des opinions populaires, ou dirons nous que les dieux sont des êtres corporels? Puisque ce sont des dieux, ils sont heureux; ils jouissent d'eux - mêmes en paix; rien de ce qui se passe ici - bas ne les affecte & ne les trouble; & il est suffisamment démontré par les phénomenes du monde physique & du monde moral, qu'ils n'ont eu aucune part à la production des êtres, & qu'ils n'en prennent aucune à leur conservation. C'est la nature même qui a mis la notion de leur existence dans notre ame. Quel est le peuple si barbare, qui n'ait quelque notion anticipée des dieux? nous opposerons - nous au consentement général des hommes? éleverons - nous notre voix contre la voix de la nature? La nature ne ment point; l'existence des dieux se prouveroit même par nos préjugés. Tant de phénomenes, qui ne leur ont été attribués que parce que la nature de ces êtres & la cause des phénomenes étoient ignorées; tant d'autres erreurs ne sont - elles pas autant de garans de la croyance générale? Si un homme a été frappé dans le sommeil par quelque grand simulacre, & qu'il en ait conservé la mémoire à son réveil; il a conclu que cet idole avoit nécessairement son modele errant dans la nature; les voix qu'il peut avoir entendues, ne lui ent pas permis de douter que ce modele ne fût d'une nature intelligente; & la constance de l'apparition en différens tems & sous une même forme, qu'il ne fût immortel: mais l'être qui est immortel, est inaltérable, & l'être qui est inaltérable, est par<cb->
De la morale. Le bonheur est la fin de la vie: c'est l'aveu secret du coeur humain; c'est le terme évident des actions mêmes qui en éloignent. Celui qui se tue regarde la mort comme un bien. Il ne s'agit pas de réformer la nature, mais de diriger sa pente générale. Ce qui peut arriver de mal à l'homme, c'est de voir le bonheur où il n'est pas, ou de le voir où il est en effet, mais de se tromper sur les moyens de l'obtenir. Quel sera donc le premier pas de notre philosophie morale, si ce n'est de rechercher en quoi consiste le vrai bonheur? Que cette étade importante soit notre occupation actuelle. Puisque nous voulons être heureux dès ce moment, ne remettons pas à demain à savoir ce que c'est que le bonheur. L'insensé se propose toûjours de vivre, & il ne vit jamais. Il n'est donné qu'aux immortels d'être souverainement heureux. Une folie dont nous avons d'abord à nous garantir, c'est d'oublier que nous ne sommes que des hommes. Puisque nous desesperons d'être jamais aussi parfaits que les dieux que nous nous sommes proposés pour modeles, resolvons - nous à n'être point aussi heureux. Parce que mon oeil ne perce pas l'immensité des espaces, dédaignerai je de l'ouvrir sur les objets qui m'environnent? Ces objets deviendront une source intarissable de volupté, si je sais en joüir ou les négliger. La peine est toûjours un mal, la volupté toûjours un bien: mais il n'est point de volupté pure. Les fleurs croissent à nos piés, & il faut au moins se pencher pour les cueillir. Cependant, ô volupté! c'est pour toi seule que nous faisons tout ce que nous faisons; ce n'est jamais toi que nous évitons, mais la peine qui ne t'accompagne que trop souvent. Tu échauffes notre froide raison; c'est de ton énergie que naissent la fermeté de l'ame & la force de la volonté; c'est toi qui nous meus, qui nous transportes, & lorsque nous ramassons des roses pour en former un lit à la jeune beauté qui nous a charmés, & lorsque bravant la fureur des tyrans, nous entrons tête baissée & les yeux fermés dans les taureaux ardens qu'elle a préparés. La volupté prend toutes sortes de formes. Il est donc important de bien connoître le prix des objets sous lesquels elle peut se pretenter à nous, afin que nous ne soyons point incertains quand il nous convient de l'aceueillir ou de la repousser, de vivre ou de mou<pb-> [p. 784]
Voilà les points fondamentaux de la doctrine d'Epicure, le seul d'entre tous les Philosophes anciens qui ait sû concrlier sa morale avec ce qu'il pouvoit prendre pour le vrai bonheur de l'homme, & ses préceptes avec les appétits & les besoins de la nature; aussi a - t - il eu & aura - t - il dans tous les tems un grand nombre de disciples. On se fait stoicien, mais on naît épicurien.
Epicure étoit Athénien, du bourg de Gargette & de la tribu d'Egée. Son pere s'appelloit Néoclès, & sa mere Chérestrata: leurs ancêtres n'avoient pas été sans distinction; mais l'indigence avoit avili leurs descendans. Néoclès n'ayant pour tout bien qu'un petit champ, qui ne fournissoit pas à sa subsistance, il se fit maître d'école; la bonne vieille Chérestrata, tenant son fils par la main, alloit dans les maisons faire des lustrations, chasser les spectres, lever les incantations; c'étoit Epicure qui lui avoit enseigné les formules d'expiations, & toutes les sotises de cette espece de superstition.
Epicure naquit la troisieme année de la cent neuvieme olympiade, le septieme jour du mois de Gamilion. Il eut trois freres, Néoclès, Charideme & Aristobule: Plutarque les cite comme des modeles de la tendresse fraternelle la plus rare. Epicure demeura à Téos jusqu'à l'âge de dix - huit ans: il se rendit alors dans Athenes avec la petite provision de connoissances qu'il avoit faites dans l'école de son pere; mais son séjour n'y fut pas long. Alexandre
Epicure avoit trente - sept ans lorsqu'il reparut dans Athenes: il fut disciple du platonicien Pamphile, dont il méprisa souverainement les visions: il ne put souffrir les sophismes perpétuels de Pyrrhon: il sortit de l'école du pythagoricien Nausiphanès, mécontent des nombres & de la métempsycose. Il connoissoit trop bien la nature de l'homme & sa force, pour s'accommoder de la sévérité du Stoïcisme. Il s'occupa à feuilleter les ouvrages d'Anaxagore, d'Archelaüs, de Metrodore & de Démocrite; il s'attacha particulierement à la philosophie de ce dernier, & il en fit les fondemens de la sienne.
Les Platoniciens occupoient l'académie, les Péripathéticiens le Lycée, les Cyniques le cynosarge, les Stoïciens le portique; Epicure établit son école dans un jardin délicieux, dont il acheta le terrein, & qu'il fit planter pour cet usage. Ce fut lui qui apprit aux Athéniens à transporter dans l'enceinte de leur ville le spectacle de la campagne. Il étoit âgé de quarante - quatre ans lorsqu'Athenes, assiégée par Démétrius, fut desolée par la famine: Epicure, résolu de vivre ou de mourir avec ses amis, leur distribuoit tous les jours des fèves, qu'il partageoit au compte avec eux. On se rendoit dans ses jardins de toutes les contrées de la Grece, de l'Egypte & de l'Asie: on y étoit attiré par ses lumieres & par ses vertus, mais sur - tout par la conformité de ses principes avec les sentimens de la nature. Tous les philosophes de son tems sembloient avoir conspiré contre les plaisirs des sens & contre la volupté: Epicure en prit la défense; & la jeunesse athénienne, trompée par le mot de volupté, accourut pour l'entendre. Il ménagea la foiblesse de ses auditeurs; il mit autant d'art à les retenir qu'il en avoit employé à les attirer; il ne leur développa ses principes que peu à - peu. Les leçons se donnoient à table ou à la promenade; c'étoit ou à l'ombre des bois, ou sur la mollesse des lits, qu'il leur inspiroit l'enthousiasme de la vertu, la tempérance, la frugalité, l'amour du bien public, la fermeté de l'ame, le goût raisonnable du plaisir, & le mépris de la vie. Son école, obscure dans les commencemens, finit par être une des plus éclatantes & des plus nombreuses.
Epicure vêcut dans le célibat: les inquiétudes qui
suivent le mariage lui parurent incompatibles avec
l'exercice assidu de la philosophie; il vouloit d'ailleurs
que la femme du philosophe fût sage, riche & belle. Il
s'occupa à étudier, à écrire & à enseigner, sil avoit
composé plus de trois cents traités différens; il ne
nous en reste aucun. Il ne faisoit pas assez de cas de
cette élégance à laquelle les Athéniens étoient si sensibles;
il se contentoit d'être vrai, clair & profond.
Il fut chéri des grands, admiré de ses rivaux, &
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