ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"436"> ce commune & familiere, ne s'étant point rencontré parmi les Egyptiens, dans la circonstance où il leur auroit été le plus utile; ces peuples pressés entre l'inconvénient & la nécessité d'attacher la mémoire des faits à des monumens, ne dûrent naturellement penser qu'à en construire d'assez solides pour résister éternellement aux plus grandes révolutions. Tout semble concourir à fortifier cette opinion; l'usage antérieur de confier à la pierre & au relief l'histoire des connoissances & des transactions; les figures symboliques qui subsistent encore au milieu des plus anciennes ruines du monde, celles de Persepolis où elles représentent les principes du gouvernement ecclésiastique & civil; les colonnes sur lesquelles Theut grava les premiers caracteres hyérogliphiques; la forme des nouvelles pyramides sur lesquelles on se proposa, si ma conjecture est vraie, de fixer l'état des sciences & des arts dans l'Egypte; leurs angles propres à marquer les points cardinaux du monde & qu'on a employés à cet usage; la dureté de leurs matériaux qui n'ont pû se tailler au marteau, mais qu'il a fallu couper à la scie: la distance des carrieres d'où ils ont été tirés, aux lieux où ils ont été mis en oeuvre; la prodigieuse solidité des édifices qu'on en a construits; leur simplicité, dans laquelle on voit que la seule chose qu'on se soit proposée, c'est d'avoir beaucoup de solidité & de surface; le choix de la figure pyramidale ou d'un corps qui a une base immense & qui se termine en pointe; le rapport de la base à la hauteur; les frais immenses de la construction; la multitude d'hommes & la durée du tems que ce travail a consommés; la similitude & le nombre de ces édifices; les machines dont ils supposent l'invention; un goût décidé pour les choses utiles, qui se reconnoît à chaque pas qu'on fait en Egypte; l'inutilité prétendue de toutes ces pyramides comparées avec la haute sagesse des peuples. Tout bon esprit qui pesera ces circonstances, ne doutera pas un moment que ces monumens n'ayent été construits pour être couverts un jour de la science politique, civile & religieuse de la contrée; que cette ressource ne soit la seule qui ait pû s'offrir à la pensée, chez des peuples qui n'avoient point encore d'écriture & qui avoient vû leurs premiers edifices renversés; qu'il ne faille regarder les pyramides comme les bibles de l'Egypte, dont les tems & les révolutions avoient peut - être détruit les caracteres plusieurs siecles avant l'invention de l'écriture; que c'est la raison pour laquelle cet évenement ne nous a point été transmis; en un mot que ces masses loin d'éterniser l'orgueil ou la stupidité de ces peuples, sont des monumens de leur prudence & du prix inestimable qu'ils attachoient à la conservation de leurs connoissances. Et la preuve qu'ils ne se sont point trompés dans leur raisonnement, c'est que leur ouvrage a résisté pendant une suite innombrable de siecles, à l'action destructive des élémens qu'ils avoient prévûe; & qu'il n'a été endommagé que par la barbarie des hommes contre laquelle les sages égyptiens ou n'ont point pensé à prendre des précautions, ou ont senti l'impossibilité d'en prendre de bonnes. Tel est notre sentiment sur la construction des pyramides de l'Egypte; il seroit bien étonnant que dans le grand nombre de ceux qui ont écrit de ces édifices, personne n'eût rencontré une conjecture qui se présente si naturellement.

Si l'on fait remonter l'institution des prêtres égyptiens jusqu'au tems d'Hermès Trismégiste, il n'y eut dans l'état aucun ordre de citoyens plus ancien que l'ordre ecclésiastique; & si l'on examine avec attention quelques - unes des lois fondamentales de cette institution, on verra combien il étoit impossible que l'ordre des hiérophantes ne devînt pas nombreux, puissant, redoutable, & qu'il n'entraînât pas tous les maux dont l'Egypte fut desolée.

Il n'en étoit pas dans l'Egypte ainsi que dans les autres contrées du monde payen où un temple n'avoit qu'un prêtre & qu'un dieu. On adoroit dans un seul temple égyptien un grand nombre de dieux. Il y avoit un prêtre au moins pour chaque dieu, & un séminaire de prêtres pour chaque temple. Combien n'étoit - il pas facile de prendre trop de goût pour un état où l'on vivoit aisément sans rien faire; où placé à côté de l'autel, on partageoit l'hommage avec l'idole, & l'on voyoit les autres hommes prosternés à ses piés; où l'on en imposoit aux souverains mêmes; où l'on étoit regardé comme le ministre d'en - haut & l'interprete de la volonté du ciel; où le caractere sacré dont on étoit revêtu permettoit beaucoup d'injustices, & mettoit presque toûjours à couvert du châtiment; où l'on avoit la confiance des peuples; où l'on dominoit sur les familles dont on possédoit les secrets; en un mot où l'on réunissoit en sa personne, la considération, l'autorité, l'opulence, la fainéantise & la sécurité. D'ailleurs il étoit permis aux prêtres Egyptiens d'avoir des femmes, & il est d'expérience que les femmes des ministres sont très - fécondes.

Mais pour que l'hyérophantisme engloutît tous les autres états & ruinât plus sûrement encore la nation, la prêtrise égyptienne fut une de ces professions dans lesquelles les fils étoient obligés de succéder à leurs peres. Le fils d'un prêtre étoit prêtre - né; ce qui n'empêchoit point qu'on ne pût entrer dans l'ordre écclésiastique sans être de famille sacerdotale. Cet ordre enlevoit donc continuellement des membres aux autres professions, & ne leur en restituo jamais aucun.

Mais il en étoit des biens & des acquisitions ai que des personnes. Ce qui avoit appartenu une fois aux prêtres ne pouvoit plus retourner aux laïcs. La richesse des prêtres alloit toûjours en croissant comme leur nombre. D'ailleurs la masse des superstitions lucratives d'une contrée suit la proportion de ses prêtres, de ses devins, de ses augures, de ses diseurs de bonne avanture, & de tous ceux en général qui tirent leur subsistance de leur commerce avec ciel.

Ajoûtons à ces considérations qu'il n'y avoit peut - être sur la surface de la terre aucun sol plus favorable à la superstition que l'Egypte. Sa fecondation étoit un prodige annuel. Les phénomenes qui accompagnoient naturellement l'arrivée des eaux, leur sejour & leur retraite portoient les esprits à l'étonnement. L'émigration réguliere des lieux bas vers les lieux hauts; l'oisiveté de cette demeure; le sems qu'on y donnoit à l'étude de l'astronomie; la vie sedentaire & renfermée qu'on y menoit; les météores, les exhalaisons, les vapeurs sombres & malsaines qui s'élevoient de la vase de toute une vaste contrée, trempée d'eau & frappée d'un soleil ard les monstres qu'on y voyoit éclore; une infinité d'évenemens produits dans le mouvement général de toute l'Egypte s'ensuyant à l'arrivée de son fleuve, & descendant des montagnes à mesure que les plaines se découvroient; tant de causes ne pouvoient manquer de rendre cette nation superstitieuse; car la uperstition est par - tout une suite nécessaire des ph<-> nomenes surprenans dont les raisons sont ignorées.

Mais lorsque dans une contrée le rapport de ceux qui travaillent à ceux qui ne font rien, va toûjours en diminuant, il faut à la longue que les bras qui s'occupent ne puissent plus suppléer à l'inaction de ceux qui demeurent oisifs, & que la condition de la fainéantise y devienne onéreuse à elle - même. Ce fut aussi ce qui arriva en Egypte; mais le mal étoit alors trop grand pour y remédier. Il fallut andonner les choses à leur torrent. Le gouvernement en fut ébranlé. L'indigence & l'esprit d'intérêt engen<pb-> [p. 437] drerent parmi les prêtres l'esprit d'intolérance. Les uns prétendirent qu'on adorât exclusivement les gruës; d'autres voulurent qu'il n'y eût de vrai dieu que le crocodile. Ceux - ci ne prêcherent que le culte des chats, & anathématiserent le culte des oignons. Ceux - là condamnerent les mangeurs de féves à être brûles comme des impies. Plus ces articles de croyance étoient ridicules, plus les prêtres y mirent de chaleur. Les séminaires se soûleverent les uns contre les autres; les peuples crurent qu'il s'agissoit du renversement des autels & de la ruine de la religion, tandis qu'au fond il n'étoit question entre les prêtres que de s'attirer la confiance & les offrandes des peuples. On prit les armes, on se battit, & la terre fut arrosée de sang.

L'Egypte fut superstitieuse dans tous les tems; parce que rien ne nous garantit entierement de l'influence du climat, & qu'il n'y a guere de notions antérieures dans notre esprit à celles qui nous viennent du spectacle journalier du sol que nous habitons. Mais le mal n'étoit pas aussi général sous les premiers dépositaires de la sagesse de Trismégiste, qu'il le devint sous les derniers hyérophantes.

Les anciens prêtres de l'Egypte prétendoient que leurs dieux étoient adorés même des barbares. En effet le culte en étoit répandu dans la Chaldée, dans presque toutes les contrées de l'Asie, & l'on en retrouve encore aujourd'hui des traces très - distinctes parmi les céremonies religieuses de l'Inde. Ils regardoient Osiris, Isis, Orus, Hermès, Anubis, comme des ames célestes qui avoient généreusement abandonne le sejour de la felicité suprème, pris un corps humain & accepté toute la misere de notre condition, pour converser avec nous, nous instruire de la nature du juste & de l'injuste, nous communiquer les sciences & les arts, nous donner des lois, & nous rendre plus sages & moins malheureux. Ils se disoient descendans de ces êtres immortels, & les héritiers de leur divin esprit. Doctrine excellente à débiter aux peuples; aussi n'y avoit - il anciennement aucun culte superstitieux dont les ministres n'eussent quelque prétention de cette nature; ils réunirent quelquefois la souveraineté avec le acerdoce. Ils étoient distribués en différentes classes employées à différens exercices, & distinguées par des marques particulïeres. Ils avoient renoncé à toute occupation manuelle & prophane. Ils erroient sans cesse entre les simulacres des dieux, la démarche composée, l'air austere, la contenance droite, & les mains renfermées sous leurs vêtemens. Une de leurs fonctions principales étoit d'exhorter les peuples à garder un attachement inviolable pour les usages du pays; & ils avoient un assez grand intérêt à bien remplir ce devoir du sacerdoce. Ils observoient le ciel pendant la nuit; ils avoient des purifications pour le jour. Ils célebroient un office qui consistoit à chanter quelques hymnes le matin, à midi, l'après - midi, & le soir. Ils remplissoient les intervalles par l'étude de l'arithmétique, de la géométrie & de la physique expérimentale, W=ERI\ TH\N E)MPEIRI/AN. Leur vêtement étoit propre & modeste; c'étoit une étoffe de lin. Leur chaussure étoit une natte de jonc. Ils pratiquoient sur eux la circoncision. Ils se rasoient tout le corps. Ils s'abluoient d'eau froide trois fois par jour. Ils buvoient peu de vin. Ils s'interdisoient le pain dans les tems de purification, ou ils y mêloient de l'hyssope. L'huile & le poisson leur étoient absolument défendus. Ils n'osoient pas même semer des féves. Voici l'ordre & la marche d'une de leurs processions.

Les chantres étoient à la tête, ayant à là main quelques symboles de l'art musical. Les chantres étoient particulierement versés dans les deux livres de Mercure qui renfermoient les hymnes des dieux & les maximes des rois.

Ils étoient suivis des tireurs d'horoscopes, portant la palme & le cadran solaire, les deux symboles de l'astrologie judiciaire. Ceux - ci étoient savans dans les quatre livres de Mercure sur les mouvemens des astres, leur lumiere, leur coucher, leur lever, les conjonctions & les oppositions de la lune & du soleil.

Après les tireurs d'horoscopes, marchoient les scribes des choses sacrées, une plume sur la tête, l'écritoire, l'encrier & le jonc à la main. Ils avoient la connoissance de l'hyérogliphe, de la cosmologie, de la géographie, du cours du soleil, de la lune & des autres planetes, de la topographie de l'Egypte & des lieux consacrés, des mesures, & de quelques autres objets relatifs à la politique & à la religion.

Après les horoscopistes venoient ceux qu'on appelloit les stolites, avec les symbobes de la justice, & les coupes de libations. Ils n'ignoroient rien de ce qui concerne le choix des victimes, la discipline des temples, le culte divin, les cérémonies de la religion, les sacrifices, les prémices, les hymnes, les prieres, les ftes, les pompes publiques, & antres matieres qui composoient dix des livres de Mercure.

Les prophetes fermoient la procession. Ils avoient la poitrine nue; ils portoient dans leur sein découvert l'hydria; ceux qui veilloient aux pains sacrés les accompagnient. Les prophetes étoient initiés à tout ce qui a rapport à la nature des dieux & à l'esprit des lois; ils présidoient à la répartition des impôts; & les livres sacerdotaux, qui contenoient leur science, étoient au nombre de dix.

Toute la sagesse égyptienne formoit quarante - deux volumes, dont les six derniers, à l'usage des pastophores, traitoient de l'Anatomie, de la Medecine, des maladies, des remedes, des instrumens, des yeux, & des femmes. Ces livres étoient gardés dans les temples. Les lieux où ils étoient déposés, n'étoient accessibles qu'aux anciens d'entre les prêtres. On n'initioit que les naturels du pays, qu'on faisoit passer auparavant par de longues épreuves. Si la recommandation d'un souverain contraignoit à admettre dans un séminaire quelque personnage étranger, on n'épargnoit rien pour le rebuter. On enseignoit d'abord au néophite l'épistolographie, ou la forme & la valeur des caracteres ordinaires. De - là il passoit à la connoissance de l'Ecriture - sainte ou de la science du sacerdoce, & son cours de théologie finissoit par les traités de l'hyérogliphe ou du style lapidaire, qui se divisoit en caracteres parlans, symboliques, imitatifs, & allégoriques.

Leur philosophie morale se rapportoit principalement à la commodité de la vie & à la science du gouvernement. Si l'on considere qu'au sortir de leur école, Thalès sacrifia aux dieux, pour avoir trouvé le moyen de décrire le cercle & de mesurer le triangle; & que Pythagore immola cent boeufs, pour avoir découvert la propriété du quarré de l'hypothenuse, on n'aura pas une haute opinion de leur géométrie. Leur astronomie se reduisoit à la connoissance du lever & du coucher des astres, des aspects des planetes, des solstices, des équinoxes, des parties du zodiaque; connoissance qu'ils appliquoient à des calculs astrologiques & généthliaques. Eudoxe publia les premieres idées systématiques sur le mouvement des corps célestes; Thalès prédit la premiere éclipse: soit que ce dernier en eût inventé la méthode, soit qu'il l'eût apprise en Egypte, qu'étoit - ce que l'astronomie égyptienne? il y a toute apparence que leurs observations ne devoient leur réputation qu'à l'inexactitude de celles qu'on faisoit ailleurs. La gamme de leur musique avoit trois tons, & leur lyre trois cordes. Il y avoit long - tems que Pythagore avoit cessé d'être leur disciple, lorsqu'il s'occupoit encore à chercher les rapports des intervalles des sons. Un long usage d'em<pb->

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