ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"308"> dans toutes les Sciences & dans tous les Arts? S'il s'est glissé quelques abus dans ces institutions, il est plus aisé de les réformer que de faire un établissement nouveau, qui ne pourroit que difficilement suppléer à ce qui est fait. La partie militaire sembloit donc être la seule qui méritât l'attention du souverain; & il y a bien de l'apparence que dans la suite on s'y seroit borné, si l'établissement du collége académique avoit eu quelque succès.

Après des conquêtes aussi glorieuses que rapides, le Roi venoit de rendre la paix à l'Europe; occupé du bonheur de ses sujets, ses regards se portoient successivement sur tous les objets qui pouvoient y contribuer, & sembloient sur - tout chercher avidement des occasions de combler de bienfaits ceux qui s'étoient distingués pendant la guerre & sous ses yeux. Les dispositions du Roi n'étoient ignorées de personne. Déjà les militaires que le hasard de la naissance n'avoit pas favorisés, venoient de trouver dans la bonté de leur Souverain la récompense de leurs travaux; la noblesse jusqu'alors refusée à leurs desirs, fut accordée à leur mérite: ils tinrent de leur valeur une distinction qui n'en est pas une à tous les yeux, quand on ne la doit qu'à la naissance.

Mais cette faveur étoit bornée, & ne s'étendoit que sur un certain nombre d'officiers. Ceux qui avoient prodigué leur sang & sacrifié leur vie, avoient laissé des successeurs, héritiers de leur courage & de leur pauvreté. Ces successeurs, victimes respectables & glorieuses de l'amour de la patrie, redemandoient un pere, qu'ils ne pouvoient pas manquer de trouver dans un Souverain plus grand encore par ses vertus que par sa puissance.

Animé d'un zèle toûjours constant, & qui fait son bonheur, un citoyen frere de celui dont nous avons parlé, occupé dans sa retraite de ce qui étoit capable de remplir les vûes de son Maître, crut pouvoir faire revivre en partie un projet, échoüé peut - être parce qu'il étoit trop vaste.

Le plan d'une école militaire lui parut aussi praticable qu'utile; il en conçut le dessein, mais il en prévit les difficultés. Il étoit plus aisé de le faire goûter que de le faire connoître, on n'approche du throne que comme on regarde le soleil.

Personne ne connoissoit mieux les dispositions & la volonté du Roi, que madame la marquise de Pompadour; l'idée ne pouvoit que gagner beaucoup à être présentée par elle: elle ne l'avoit pas seulement conçûe comme un effet de la bonté & de l'humanité du Roi; elle en avoit apperçû tous les avantages, elle en avoit senti toute l'étendue, elle en avoit approfondi toutes les conséquences. Touchée d'un projet qui s'accordoit si bien avec son coeur, elle se chargea du soin glorieux de présenter au Roi les moyens de soulager une noblesse indigente. Il ne lui fut pas difficile de montrer dans tout son jour une vérité dont elle étoit si pénétrée. Pour tout dire en un mot, c'est à ses soins généreux que l'école royale militaire doit son existence. Le projet fut agréé; le Roi donna ses ordres, fit connoître ses volontés par son édit de Janvier 1751; & c'est d'après cela qu'on travailla à un plan détaillé, dont nous allons tâcher de donner une esquisse.

S'il n'est pas aisé de former un système d'éducation privée, il est plus difficile encore de se former des regles certaines & invariables pour une institution qui doit être commune à plusieurs: on oseroit presque dire qu'il n'est pas possible d'y parvenir. En effet, nous avons un assez grand nombre d'ouvrages dans lesquels on trouve d'excellens préceptes, très propres à diriger l'instruction d'un jeune homme en particulier; nous en connoissons peu dont le but soit de former plusieurs personnes à - la - fois. Les hommes les plus éclairés sur cette matiere, se contentent tous d'une pratique confirmée par une longue expériencè. La diversité des génies, des dispositions, des goûts, des destinations, est peut - être la cause principale, d'un silence qui. e peut qu'exciter nos regrets. L'éducation, ce lien si précieux de la société, n'a point de lois écrites; elles sont déposées dans des mains qui savent en faire le meilleur usage, sans en laisser approfondir l'esprit. L'amour du bien public aüroit sans doute délié tant de langues savantes, s'il eût été possible de déterminer des préceptes fixes, qui fussent en même tems propres à tous les états.

Il n'y a point de Science qui n'ait des regles certaines; tout ce qu'on a écrit pour les communiquer aux hommes, tend toûjours à la perfection, c'est le but de tous ceux qui cherchent à instruire: mais comme il n'est pas possible d'embrasser tous les objets, la prudence exige qu'on s'attache particuliercment à ceux qui sont essentiels à la profession qu'on doit suivre. L'état des enfans n'étant pas toujours prévû, il n'est pas facile de fixer jusqu'à quel point leurs lumieres doivent être étendues sur telle ou telle. Science. La volonté d'un pere absolu peut dans un instant déranger les études les mieux dirigées, & faire un évêque d'un géometre.

Cet inconvénient inévitable dans toutes les éducations, ne subsiste point dans l'école royalc militatre; il ne doit en sortir que des guerriers, & la Science des armes a trop d'objets pour ne pas répondre à la variété des goûts. Voilà le plus grand avantage que l'on ait eu en formant un plan d'éducation militané. Seroit - il sage de desirer qu'il en fùt ainsi de toutes res professions? Si nos souhaits étoient contredits, nous ne croyons pas que ce fùt par l'expérience. Mais avant que de donner l'esquisse d'un tableau qui ne doit être fini que par le tems & des épreuves multipliées, nous pensons qu'il est nécessaire de faire quelques observations.

Le seul but qu'on se propose, est de former des militaires & des citoyens; les moyens qu'on met en usage pour y parvenir, ne produiront peut - être pas des savans, parce que ce n'est pas l'objet. On ne doit donc pas comparer ces moyens aux routes qu'auroient suivies des gens dont les lumieres très - respectables d'ailleurs, ne rempliroient pas les vûes qui nous sont prescrites.

On doit remarquer aussi que l'école royale militaire est encore au berceau; qu'on se croit fort éloigne du point de perfection; qu'on n'ose se flater d'y arriver qu'avec le secours du tems, de la patience, & sur - tout des avis de ceux qui voudront bien redresser des erreurs presque nécessaires dans un établissement nouveau: il intéresse toute la nation; tout ce qui a l'esprit vraiment patriotique, lui doit ses lumieres; ce seroit avec le plus grand empressement qu'on chercheroit à en profiter. C'est principalement dans cette attente que nous allons mettre sous les yeux le fruit de nos réflexions & de notre travail, toûjours prêts à - préférer le meilleur au bon, & à corriger ce qu'il y auroit d'inutile ou de mauvais dans nos idées.

Dans toutes les éducations on doit se proposer deux objets, l'esprit & le corps. La culture de l'esprit consiste principalement dans un soin particulier de ne l'instruire que de choses utiles, en n'employant que les moyens les plus aisés, & proportionnés aux dispositions que l'on trouve.

Le corps ne mérite pas une attention moins grande; & à cet égard il faut avoüer que nous sommes bien inférieurs, non - seulement aux Grecs & aux Romains, mais même à nos ancêtres, dont les corps mieux exercés, étoient plus propres à la guerre que les nôtres. Cette partie de notre éducation a été singulierement négligée, sur un principe faux en lui - même. On convient, il est vrai, que la force du [p. 309] corps est moins nécessaire, depuis qu'elle ne décide plus de l'avantage des combattans; mais outre qu'un exercice continuel l'entretient dans une santé vigoureuse, desirable pour tous les états, il est constant que les militaires ont à essuyer des fatigues qu'ils ne peuvent surmonter qu'autant qu'ils sont robustes. On soûtient difficilement aujourd'hui le poids d'une cuirasse, qui n'auroit fait qu'une très - legere partie d'une armure ancienne.

Nous venons de dire que l'esprit ne devoit être nourri que de choses utiles. Nous n'entendons pas par - là que tout ce qui est utile, doive être enseigné; tous les génies n'embrassent pas tous les objets, les connoissances nécessaires n'ont peut - être que trop d'étendue: ainsi dans le détail que nous allons faire; il sera facile de distinguer par la nature des choses, ce qui est essentiel de ce qui est avantageux, en un mot ce qui est bon de ce qui est grand.

Religion. La Religion étant sans contredit ce qu'il y a de plus important dans quelqu'education que ce foit, on imagine aitément qu'elle a attiré les premiers soins. M. l'archeveque de Paris est supérieur spirituel de l'école royale militaire; lui - même est venu voir cette portion précieuse de son troupeau. Il se chargea de diriger les instructions qui lui étoient nécessaires; il en fixa l'ordre & la méthode; il détermina les heures & la durée des prieres, des catéchismes, & généralement de tous les exercices spirituels, qui se pratiquent avec autant de décence que d'exactitude. Ce prélat a confié le soin de cette importante partie à des docteurs de Sorbonne dont il a sait choix: on ne pouvoit les chercher dans un corps ni plus éclairé, ni plus respectable.

Les exercices des jours ouvriers commençent par la priere & la messe; ils sont terminés par une priere d'un quart - d'heure. Les instructions sont réservees pour les dimanches & fêtes, elles sont aussi simples que lumineuses; l'on y interroge régulierement tous les éleves, sur ce qui fait la base de notre croyance. M. l'archevêque connoît parfaitement l'étendue & les bornes que doit avoir la science d'un militaire dans ce genre - là. Nous n'entrerons pas dans un plus grand détail à ce sujet; ce que nous venons de dire est suffisant pour tranquilliser l'esprit de ceux qui ont clu trop legerement que cette partie pourrcit être néghgée; un établissement militaire n'a pas à cet égard les mêmes dehors & le même extérleur que bien d'autres.

Après la rehgion, le sentiment qui succede le plus naturellement, a pour objet le Souverain. Il est si facile à un François d'aimer son Roi, que ce seroit l'insulter que de lui en faire un précepte. Outre ce penchant commun à toute la nation, les éleves de l'école royale militaire ont des motifs de reconnoissance, sur lesquels il ne faut que resléchir un moment pour en être pénétré. Si on leur parle souvent de leur Maitre & de ses bienfaits, c'est moins pour reveiller dans leur coeur un sentiment qu'on ne cesse jamais d'y appercevoir, que pour redoubler leur zele & leur émulation; c'est principalement à ce soin qu'on doit les progrès qu'ils ont faits jusqu'ici: on n'y a encore remarqué aucun rallentissement.

Etudes. La Grammaire, les langues françoise, latine, allemande, & italienne; les Mathématiques, le Dessein, le Génie, l'Artillerie, la Géographie, l'Histoire, la Logique, un peu de Droit naturel, beaucoup de Morale, les ordonnances militaires, la théorie de la guerre, les évolutions; la Danse, l'Escrime, le Manége, & ses parties, sont les objets des études de l'école royale militaire. Disons un mot de chacun en particulier.

Grammaire. La Grammaire est nécessaire & commune à toutes les langues; sans elle on n'en a jamais qu'une connoissance fort imparfaite. Ce que chaque langue a de particulier, peut être considéré comme des exceptions à la Grammaire générale par laquelle on commence ici les études. On juge aisément qu'elle ne peut s'enseigner qu'en françois. C'est d'après les meilleurs modeles qu'ou a tâché de se restraindre au plus petit nombre de regles qu'il a été possible. Les premieres applications s'en font toûjours à la langue françoise, parce que les exemples sont plus frappans & plus immédiatement sensibles. Lorsqu'une fois les éleves sont assez fermes sur leurs principes, pour appliquer facilement l'exemple à la regle & la regle à l'exemple, on commence à leur faire voir ce qu'il y a de commun entre ces principes appliqués aux - langues latine & allemande. On y parvient d'autant plus aisément, que toutes ces leçons se font de vive voix. On pourroit se contenter de citer l'expérience pour justifier cette méthode, fort commune par - tout ailleurs qu'en France; un moment de réflexion en fera sentir les avantages. Ce moyen est beaucoup plus propre à fixer l'attention que des leçons dictées, qui font perdre un tems considérable & toûjours précieux. Nous nous assûrons par cette voie que nos regles ont été bien entendues; parce que, comme il n'est pas naturel que des enfans puissent retenir exactement les mêmes mots qui leur ont été dits, lorsqu'on les interroge, ils sont obligés d'en substituer d'équivalens, ce qu'ils ne font qu'autant qu'ils ont une connoissance claire & distincte de l'objet dont il s'agit. si l'on remarque quelque incertitude dans leurs réponses, c'est une indication certaine qu'il faut répéter le principe, & l'expliquer d'une façon plus intelligible. Il faut convenir que cette méthode est moins faite pour la commodité des maîtres, que pour l'avantage des éleves. Il est aisé de conclure de ce que nous venons de dire, que le raisonnement a plus de part à cette forme d'instruction que la mémoire. Lorsqu'après des interrogations réitérées & retournées de plusieurs manieres, on s'est bien assûré que les principes sont clairement conçus, chaque éleve en particulier les rédige par écrit comme il les a entendus, le professeur y corrige ce qu'il pourroit y avoir de défectueux, & passe à une autre matiere qu'il traite dans le même goût.

Nous observerons deux choses principales sur cette méthode: la premiere, c'est qu'elle n'est peut - être praticable qu'avec peu d'éleves ou beaucoup de maîtres; la seconde, est que l'esprit des enfans se trouvant par - là dans une contention assez forte, la durée des leçons doit y être proportionnée. Nous croyons qu'il y a de l'avantage à les rendre plus courtes, & à les réitérer plus souvent.

Après avoir ainsi jetté les premiers fondemens des connoissances grammaticales, après avoir fait sentir ce qu'il y a d'analogue & de différent dans les langues; après avoir fixé les principes communs à toutes en général, & caractéristiques de chacune en particulier, l'usage à notre avis, est le meilleur moyen d'acquérir une habitude suffisante d'entendre & de s'exprimer avec facilité; & c'est tout ce qui est nécessaire à un militaire.

Langues. On sent aisément la raison du choix qu'on a fait des langues latine, allemande, & italienne. La premiere est d'une utilité si généralement reconnue, qu'elle est regardée comme une partie essentielle de toutes les éducations. Les deux autres sont plus particulierement utiles aux militaires, parce que nos armes ne se portent jamais qu'en Allemagne ou en Italie.

La langue italienne n'a rien de difficile, particulierement pour quelqu'un qui sait le latin & le françois. Il n'en est pas de même de l'allemand, dont la prononciation sur - tout ne s'acquiert qu'avec peine; mais on en vient à - bout à un âge où les organes se prêtent facilement: c'est dans la vûe de surmonter

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