ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"310"> encore plus aisément ces obstacles, qu'on n'a donné aux éleves que des valets allemands; ce moyen est assez communément pratiqué, & ne réussit pas mal. Nous n'entrerons pas dans un plus grand détail sur ce qui regarde l'étude des langues. Nous en pourrons faire un jour le sujet d'un ouvrage particulier, si le succès répond à nos idées & à nos espérances.

Mathématiques. Entre toutes les sciences nécessaires aux militaires, les Mathématiques tiennent sans doute le rang le plus considérable. Les avantages qu'on peut en retirer sont aussi grands que connus. Il seroit superflu d'en faire l'éloge dans un tems où la Géométrie semble tenir le sceptre de l'empire littéraire. Mais cette Géométrie transcendante & sublime, moins respectable peut - être par elle - même que par l'étendue du génie de ceux qui la cultivent, mérite plus notre admiration que nos soins. Il vaut mieux qu'un militaire sache bien faire construire une redoute, que calculer le cours d'une comete.

Si les découvertes géométriques faites dans notre siecle ont été très - utiles à la société, on ne peut pas dire que ce soit dans la partie militaire. Nous en excepterons pourtant ce que nous devons aux excellentes écoles d'Artillerie, qui semblent avoir décidé notre supériorité sur nos ennemis. Il n'en a pas, à beaucoup près, été de même du Génie; nous avons encore des Valieres, & nous n'avons plus de Vaubans. Heureusement cette négligence a mérité l'attention du ministere. L'école de Génie établie depuis quelques années à Mezieres, nous rendra sans doute un lustre que nous avions laissé ternir, & dont nous devrions être si jaloux.

C'est par des considérations de cette espece, qu'on s'est déterminé à n'enseigner des Mathématiques dans l'école militaire, que ce qui a un rapport direct & immédiat à l'art de la guerre. L'Arithmétique, l'Algebre, la Géométrie élémentaire, la Trigonométrie, la Méchanique, l'Hydraulique, la Construction, l'Attaque & la Défense des places, l'Artillerie, &c. Mais on observe sur tout de joindre toûjours la pratique à la théorie: on ne néglige aucuns détails; il n'y en a point qui ne soit important.

Quant à la méthode synthétique ou analytique, si l'une est plus lumineuse, l'autre est plus expéditive; on a suivi les conseils des plus éclairés en ce genre; & c'est en conséquence qu'on fait usage de toutes les deux. C'est aussi ce qui nous a engagé à donner les élémens du calcul algébrique immédiatement après l'Arithmétique. Les progrès que nous voyons à cet égard, ne nous permettent pas de douter de la justesse de la décision.

Au reste l'école royale militaire joüira du même avantage que les écoles d'Artillerie & de Génie, c'est - à - dire que toutes les opérations se feront en grand sur le terrein, dans un espace fort vaste, particulierement destiné à cet objet. Il est inutile de remarquer que des secours de cette espece ne peuvent se trouver que dans un établissement royal.

Nous craindrions d'être prolixes, si nous entrions dans un plus grand détail sur cette matiere; nous pensons que ceci suffit pour en donner une idée assez exacte. Nous finirons cet article par quelques réflexions qui naissent de la nature du sujet, & qui peuvent néanmoins s'étendre à des objets différens.

On demande assez communément à quel âge on doit commencer à enseigner la Géométrie aux enfans. Quelques partisans enthousiastes de cette science se persuadent qu'on ne peut pas de trop bonne heure en donner les premiers élémens. Ils fondent principalement leur opinion sur ce que la Géométrie n'ayant pour base que la vérité, & l'évidence pour résultat, il s'ensuit naturellement que l'esprit s'accoûtume à la démonstration, & la démonstration est la fin que se propose le raisonnement. Ne parler qu'avec justesse, ne juger que par des rapports combinés avec autant d'exactitude que de précision, est sans doute un avantage qu'on ne peut acquérir trop tôt; & rien n'est plus propre à le procurer, qu'une étude prématurée de la Géométrie.

Nous n'entreprendrons point de combattre un sentiment soûtenu par de très - habiles gens; on nous permettra d'observer seulement qu'ils ont peut - être confondu la Géométrie avec la méthode géométrique. Cette derniere, il est vrai, nous paroît fort propre à former le jugement, en lui faisant parcourir successivement & avec ordre tous les degrés qui conduisent à la démonstration: l'expérience au contraire nous a quelquefois convaincus que des géometres, même très - profonds, s'égaroient assez aisément sur des sujets étrangers à la Géométrie.

Nous croyons moins fondés encore, ceux qui soûtenant un sentiment opposé, prétendent que l'étude de cette science doit être reservée à des esprits déjà formés. Cette opinion étoit plus commune, lorsque les géometres étoient moins savans & moins nombreux. Ils faisoient une espece de secret des principes de leurs connoissances en ce genre, & ne négligeoient rien pour se faire considérer comme des hommes extraordinaires, dont les talens étoient le fruit de la raison & du travail.

Plus habiles en même tems & plus communicatifs, les grands géometres de nos jours n'ont pas craint d'applanir des routes, qu'à peine ils avoient trouvé frayées; leur complaisance a quelquefois été jusqu'à y semer des fleurs. On a vû disparoître des difficultés, qui n'étoient telles que pour le préjugé & l'ignorance. Les principes les plus lumineux y ont succédé, & presque tous les hommes peuvent aujourd'hui cultiver une science, qui passoit autrefois pour n'être propre qu'aux génies supérieurs.

Nous pensons qu'il ne seroit pas prudent de prononcer sur l'âge auquel on doit commencer l'étude de la Géométrie; cela dépend principalement des dispositions que l'on trouve dans les éleves. Les esprits trop vifs n'ont pas d'assiette; ceux qui sont trop lents conçoivent avec peine, & se rebutent aisément. Le plus sage, à notre avis, est de les disposer à cette étude par celle de la Logique.

Logique. Si l'on veut bien ne pas oublier que ce sont des militaires seulement que nous avons à instruire; on ne trouvera peut - être pas étrange que nous abandonnions quelquefois des routes connues, pour en préférer d'autres que nous croyons plus propres à notre objet.

Il n'est pas question de discuter ici le plus ou le moins d'utilité de la Logique qu'on enseigne communément dans les écoles. La méthode est apparemment très - bonne, puisqu'on ne la change pas: mais qu'on nous permette aussi de la croire parfaitement inutile dans l'école royale militaire. L'espece de logique dont nous pensons devoir faire usage, consiste moins dans des regles, souvent inintelligibles pour des enfans, que dans le soin de ne les laisser s'arrêter qu'à des idées claires, & dans l'attention à laquelle on peut les accoûtumer de ne jamais se précipiter soit en portant des jugemens, soit en tirant des conséquences.

Pour parvenir à donner à un enfant des idées claires, il faut l'exercer continuellement à définir & à diviser; c'est par - là qu'il distinguera exactement chaque chose, & qu'il ne donnera jamais à l'une ce qui appartient à l'autre. Cela peut se faire aisément sans préceptes; la seule habitude suffit. De - là il n'est pas difficile de le faire passer à la considération des idées & des jugemens qui regardent nos connoissances, comme les idées de vrai, de faux, d'incertain, d'affirmation, de négative, de conséquence, &c. Si l'on établit ensuite quelques vérités, de la certitude des<pb-> [p. 311] quelles dépendent toutes les autres, on l'accoûtumera insensiblement à raisonner juste; & c'est le seul but de la Logique.

Cette méthode nous paroît propre à tous les âges, & peut être employée sur tous les objets d'étude; elle exige seulement beaucoup d'attention de la part des maitres, qui ne doivent jamais laisser dire aux enfans rien qu'ils n'entendent, & dont ils n'ayent l'idée la plus claire qu'il est possible. Nous ne pouvons nous étendre davantage sur un sujet qui demanderoit un traité particulier. Ceci nous paroît suffisant pour faire connoître nos vûes.

Géographie. La Géographie est utile à tout le monde; mais la profession qu'on embrasse doit décider de la maniere plus ou ou moins étendue dont il faut l'etudier. En la considérant comme une introduction necessaire à l'Histoire, il seroit difficile de lui assigner des bornes, autres que celles qu'on donneroit à l'Histoire même. On a tant écrit sur cette matiere, qu'on ne s'attend pas sans doute à quelque chose de nouveau de notre part. Nous nous contenterons d'observer que des militaires ne sauroient avoir une connoissance trop exacte des pays qui sont communément le théatre de la guerre. La Topographie la plus détaillée leur est nécessaire. Au reste la Géographie s'apprend aisément, & s'oublie de même. On employe utilement la méthode de rapporter aux différens lieux les traits d'histoire qui peuvent les rendre remarquables. On juge bien que les faits militaires sont toujours preteres aux autres, à moins que ceuxci ne soient d'une importance considérable. Par ce moyen on fixe davantage les idées; & la mémoire, quoique plus chargée, en devient plus ferme.

Histoire. L'Histoire est en même tems une des plus agreables & des plus utiles connoissances que puisse acquérir un homme du monde. Nous ignorons par quelle bisarrerie singuliere on ne l'enseigne dans aucune de nos écoles. Les étrangers pensent sur cela bien différemment de nous; ils n'ont aucune université, aucune academie, où l'on n'enseigne publiquement l'Histoire. Ils ont d'ailleurs peu de professeurs qui ne commencent leurs cours par des prolégomenes historiques de la science qu'ils professeut; & cela suffit pour guider ceux qui veulent approfondir davantage. S'il est dangereux d'entreprendre l'étude de l'Histoire sans guides, comme cela n'est pas douteux, il doit paroitre étonnant qu'on néglige si fort d'en procurer à la jeunesse françoise. Sans nous arrêter à chercher la source du mal, tâchons d'y apporter le remede.

La vie d'un homme ne suffit pas pour étudier l'Histoire en détail; on doit donc se borner à ce qui peut être relatif à l'état qu'on a embrassé. Un magistrat s'attachera à y découvrir l'esprit & l'origine des lois, dont il est le dispensateur: un ecclesiastique n'y cherchera que ce qui a rapport à la religion & à la discipline: un savant s'occupera de discussions chronologiques, dans lesquelles un militaire doit le laisser s'égarer ou s'instruire, & se contenter d'y trouver des exemples de vertu, de courage, de prudence, de grandeur d'ame, d'attachement au souverain, indépendamment des détails militaires dont il peut tirer de grands secours. Il remarquera dans l'histoire ancienne cette discipline admirable, cette subordination sans bornes, qui rendirent une poignée d'hommes les maîtres de la terre. L'histoire de son pays, si nécessaire & si communément ignorée, lui fera connoître l'état présent des affaires & leur origine, les droits du prince qu'il sert, & les intérêts des autres souverains; ce qui seroit d'autant plus avantageux, qu'il est assez ordinaire aujourd'hui de voir choisir les négociateurs dans le corps militaire. Ces connoissances approcheroient plus de la perfection, si l'on donnoit au moins à ceux en qui on trouveroit plus de capacité, des principes un peu étendus du droit public.

Droit naturel. Mais si l'on ne va pas jusque - là, le droit de la guerre au moins ne doit pas être ignoré; cette connoissance sera précédée d'une teinture un peu forte du droit naturel, dont l'étude très - négligée est beaucoup plus utile qu'on ne pense. On ne sera pas surpris que cette étude ait été abandonnée, si l'on considere combien peu elle flatte nos passions; sa morale très - conforme à celle de la Religion, nous présente des devoirs à remplir; les préceptes austeres de la loi naturelle sont propres à former l'honnête homme suivant le monde; mais quoi qu'on en dise, c'est un miroir dans lequel on craint souvent de se regarder.

Morale. La Morale étant du ressort de la Religion, cette partie est plus particulierement confiée aux docteurs chargés des instructions spirituelles; mais s'il leur est réservé d'en expliquer les principes, il est du devoir de tout le monde d'en donner des exemples; rien ne fait un si grand effet pour les moeurs. Il est plus facile à des enfans de prendre pour modele les actions de ceux qu'ils croyent sages, que de se convaincre par des raisonnemens; la Morale est encore une de ces sciences où l'exemple est préférable aux préceptes, mais malheureusement il est plus aisé de les donner que de les suivre.

Ordonnances militaires. C'est à toutes ces connoissances préliminaires, que doit succéder l'étude attentive & réfléchie de toutes les ordonnances militaires. Elles contiennent une théorie savante, à laquelle on aura soin de joindre la pratique autant qu'on le pourra. Par exemple, l'ordonnance pour le service des places sera non - seulement l'objet d'une instruction particuliere faite par les officiers, elle sera encore pratiquée dans l'hôtel comme dans une place de guerre. Le nombre des éleves dans l'établissement provisoire, ne permet, quant à présent, d'en exécuter qu'une partie.

Il en sera de même de chaque ordonnance en particulier. Il est inutile de s'étendre beaucoup sur l'importance de cet objet, tout le monde peut la sentir. Le détail en seroit aussi trop étendu pour que nous entreprenions d'y entrer; nous dirons seulement un mot de l'exercice & des évolutions.

Exercice, évolutions. Tous ceux qui connoissent l'état actuel du service militaire, conviennent de la nécessité d'avoir un grand nombre d'officiers suffisamment instruits dans l'art d'exercer les troupes. Il est constant qu'un usage continuel est un moyen efficace pour y parvenir. C'est d'après cette certitude sondée sur l'expérience, que les éleves de l'école royale militaire sont exercés tous les jours, soit au maniement des armes, soit aux différentes évolutions qu'ils doivent un jour faire exécuter eux - mêmes. Les jours de dimanche & fêtes sont pourtant plus particulierement consacrés à ces exercices. D'après les soins qu'on y prend, & l'habileté de ceux qu'on y employe, il n'y a pas lieu de douter que cette école ne devienne une pepiniere d'excellens officiers majors, dont on commence à sentir tout le prix, & dont on ne peut pas se dissimuler la rareté.

Tactique. Ce n'est qu'après ces principes nécessaires, qu'on peut passer à la grande théorie de l'art de la guerre. On conçoit aisément que les grandes opérations de Tactique ne sont praticables qu'à un certain point par un corps peu nombreux; mais cela n'empêche pas qu'on ne puisse en enseigner la théorie, sauf à en borner les démonstrations aux choses possibles. Après tout, on ne prétend pas qu'en sortant de l'école royale militaire, un éleve soit un officier accompli; on le prépare seulement à le devenir. Il est certain au moins qu'il aura des facilités que d'autres n'ont ni peuvent avoir.

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