ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS

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"398"> qui regarde la poitrine, les poumons, le coeur, l'estomac, la circulation du sang, &c. non pour se conduire eux - mêmes quand ils seront malades, mais pour avoir sur ces points des lumieres toûjours utiles, & qui sont une partie essentielle de la connoissance de nous - mêmes. Il est vrai que la Nature ne nous conduit que par instinct sur ce qui regarde notre conservation; & j'avoue qu'une personne infirme, qui connoîtroit autant qu'il est possible tous les ressorts de l'estomac, & le jeu de ces ressorts, n'en feroit pas pour cela une digestion meilleure que celle que feroit un ignorant qui auroit une complexion robuste, & qui joüiroit d'une bonne santé. Cependant les connoissances dont je parle sont très - utiles, non - seulement parce qu'elles satisfont l'esprit, mais parce qu'elles nous donnent lieu de prévenir par nous - mêmes bien des maux, & nous mettent en état d'entendre ce qu'on dit sur ce point.

Sans la santé, dit le sage Charron, la vie est à charge, & le mérite même s'évanoüit. Quel secours apportera la sagesse au plus grand homme, continue - t - il, s'il est frappé du haut - mal ou d'apoplexie? La santé est un don de nature; mais elle se conserve, poursuit - il, par sobriété, par exercice moderé, par éloignement de tristesse & de toute passion.

Le principal de ces conseils pour les jeunes gens, c'est la tempérance en tout genre: le vice contraire fait périr un plus grand nombre de personnes que le glaive, plus occidit gula quam gladius.

On commence communément par être prodigue de sa santé; & quand dans la suite on s'avise de vouloir en devenir oeconome, on sent à regret qu'on s'en est avisé trop tard.

L'habitude en tout genre a beaucoup de pouvoir sur nous; mais on n'a pas d'idées bien précises sur cette matiere: tel est venu à bout de s'accoûtumer à un sommeil de quelques heures, pendant que tel autre n'a jamais pû se passer d'un sommeil plus long.

Je sais que parmi les sauvagés, & même dans nos campagnes, il y a des enfans nés avec une si bonne santé, qu'ils traversent les rivieres à la nage, qu'ils endurent le froid, la faim, la soif, la privation du sommeil, & que lorsqu'ils tombent malades, la seule nature les guérit sans le secours des remedes: delà on conclut qu'il faut s'abandonner à la sage prévoyance de la nature, & que l'on s'accoûtume à tout; mais cette conclusion n'est pas juste, parce qu'elle est tirée d'un dénombrement imparfait. Ceux qui raisonnent ainsi, n'ont aucun égard au nombre infini d'enfans qui succombent à ces fatigues, & qui sont la victime du préjugé, que l'on peut s'accoûtumer à tout. D'ailleurs, n'est - il pas vraissemblable que ceux qui ont soûtenu pendant plusieurs années les fatigues & les rudes épreuves dont nous avons parlé, auroient vêcu bien plus long tems s'ils avoient pû se ménager davantage?

En un mot, point de mollesse, rien d'efféminé dans la maniere d'élever les enfans; mais ne croyons pas que tout soit également bon pour tous, ni que Mithridate se soit accoûtumé à un vrai poison. On ne s'accoûtume pas plus à un véritable poison, qu'à des coups de poignard. Le Czar Pierre voulut que ses matelots accoûtumassent leurs enfans à ne boire que de l'eau de la mer, ils moururent tous. La convenance & la disconvenance qu'il y a entre nos corps & les autres êtres, ne va qu'à un certain point; & ce point, l'expérience particuliere de chacun de nous doit nous l'apprendre.

Il se fait en nous une dissipation continuelle d'esprits & de sucs nécessaires pour la conservation de la vie & de la santé; ces esprits & ces sucs doivent donc être reparés; or ils ne peuvent l'être que par des alimens analogues à la machine particuliere de chaque individu.

Il seroit à souhaiter que quelque habile physicien, qui joindroit l'expérience aux lumieres & à la réflexion, nous donnât un traité sur le pouvoir & sur les bornes de l'habitude.

J'ajoûterai encore un mot qui a rapport à cet article, c'est que la société qui s'intéresse avec raison à la conservation de ses citoyens, a établi de longues épreuves, avant que de permettre à quelque particulier d'exercer publiquement l'art de guérir. ependant malgré ces sages précautions, le goût du merveilleux & le penchant qu'ont certaines personnes à s'écarter des regles communes, fait que lorsqu'ils tombent malades, ils aiment mieux se livrer à des particuliers sans caractere, qui conviennent eux - mêmes de leur ignorance, & qui n'ont de ressource que dans le mystere qu'ils font d'un prétendu secret, & dans l'imbécillité de leurs dupes. Voyez la lettre judicieuse de M. de Moncrif, au second tome de ses oeuvres, pag. 141, au sujet des empyriques & des charlatans. Il seroit utile que les jeunes gens fussent éclairés de bonne heure sur ce point. Je conviens qu'il arrive quelquefois des inconvéniens en suivant les regles, mais où n'en arrive - t - il jamais? Il n'en arrive que trop souvent, par exemple, dans la construction des édifices; faut - il pour cela ne pas appeller d'architecte, & se livrer plûtôt à un simple manoeuvre?

II. Le second objet de l'éducation, c'est l'esprit qu'il s'agit d'éclairer, d'instruire, d'orner, & de regler. On peut adoucir l'esprit le plus féroce, dit Horace, pourvû qu'il ait la docilité de se prêter à l'instruction.

Nemo adeò ferus est ut non mitescere possit, Si modò culturoe patientem commodet aurem. Hor. I. ep. 1. v. 39.

La docilité, condition que le poëte demande dans le disciple, cette vertu, dis - je, si rare, suppose un fond heureux que la nature seule peut donner, mais avec lequel un maître habile mene son éleve bien loin. D'un autre côté, il faut que le maître ait le talent de cultiver les esprits, & qu'il ait l'art de rendre son éleve docile, sans que son éleve s'apperçoive qu'on travaille à le rendre tel, sans quoi le maître ne retirera aucun fruit de ses soins: il doit avoir l'esprit doux & liant, savoir saisir à propos le moment où la leçon produira son effet sans avoir l'air de leçon; c'est pour cela que lorsqu'il s'agit de choisir un maître, on doit préférer àu savant qui a l'esprit dur, celui qui a moins d'érudition, mais qui est liant & judicieux: l'érudition est un bien qu'on peut acquérir; au lieu que la raison, l'esprit insinuant, & l'humeur douce, sont un présent de la nature. Docendi rectè sapere est principium & fons; pour bien instruire, il faut d'abord un sens droit. Mais revenons à nos éleves

Il faut convenir qu'il y a des caracteres d'esprit qui n'entrent jamais dans la pensée des autres; ce sont des esprits durs & inflexibles, durá cervice ... & cordibus & auribus. Act. ap. c. vij. v. 51.

Il y en a de gauches, qui ne saisissent jamais ce qu'on leur dit dans le sens qui se présente naturellement, & que tous les autres entendent. D'ailleurs, il y a certains états où l'on ne peut se prêter à l'instruction; tel est l'état de la passion, l'état de dérangement dans les organes du cerveau, l'état de la maladie, l'état d'un ancien préjugé, &c. Or quand il s'agit d'enseigner, on suppose toûjours dans les éleves cet esprit de souplesse & de liberté qui met le disciple en état d'entendre tout ce qui est à sa portée, & qui lui est présenté avec ordre & en suivant la génération & la dépendance naturelle des connoissances.

Les premieres années de l'enfance exigent, par [p. 399] rapport à l'esprit, beaucoup plus de soins qu'on ne leur en donne communément, ensorte qu'il est souvent bien difficile dans la suite d'effacer les mauvaises impressions qu'un jeune homme a reçues par les discours & les exemples des personnes peu sensées & peu éclairées, qui étoient auprès de lui dans ces premieres années.

Dès qu'un enfant fait connoître par ses regards & par ses gestes qu'il entend ce qu'on lui dit, il devroit être regardé comme un sujet propre à être soûmis à la jurisdiction de l'éducation, qui a pour objet de former l'esprit, & d'en écarter tout ce qui peut l'égarer. Il seroit à souhaiter qu'il ne fût approché que par des personnes sensées, & qu'il ne pût voir ni entendre rien que de bien. Les premiers acquiescemens sensibles de notre esprit, ou pour parler comme tout le monde, les premieres connoissances ou les premieres idées qui se forment en nous pendant les premieres années de notre vie, sont autant de modeles qu'il est difficile de réformer, & qui nous servent ensuite de regle dans l'usage que nous faisons de notre raison: ainsi il importe extrèmement à un jeune homme, que des qu'il commence à juger, il n'acquiesce qu'à ce qui est vrai, c'est - à - dire qu'à ce qui est. Ainsi loin de lui toutes les histoires fabuleues, tous ces contes puériles de Fées, de loup - garou, de juif errant, d'esprits folets, de revenans, de sorciers, & de sortileges, tous ces faiseurs d'horoscopes, ces diseurs & diseuses de bonne aventure, ces interpretes de songes, & tant d'autres pratiques superstitieuses qui ne servent qu'à égarer la raison des enfans, à effrayer leur imagination, & souvent même à leur faire regretter d'être venus au monde.

Les personnes qui s'amusent à faire peur aux enfans, sont très - repréhensibles. Il est souvent arrivé que les foibles organes du cerveau des enfans, en ont été dérangés pour le reste de la vie, outre que leur esprit se remplit de préjugés ridicules, &c. Plus ces idées chimériques sont extraordinaires, & plus elles se gravent profondément dans le cerveau.

On ne doit pas moins blâmer ceux qui se font un amusement de tromper les enfans, de les indaire en erreur, de leur en faire accroire, & qui s'en applaudissent au lieu d'en avoir honte: c'est le jeune homme qui fait alors le beau rôle; il ne sait pas encore qu'il y a des personnes qui ont l'ame assez basse pour parler contre leur pensée, & qui assûrent d'insignes faussetés du même ton dont les honnêres gens disent les vérités les plus certaines; il n'a pas encore appris à se défier; il se livre à vous, & vous le trompez: toutes ces idées fausses deviennent autant d'idées exemplaires, qui égarent la raison des enfans. Je voudrois qu'au lieu d'apprivoiser ainsi l'esprit des jeunes gens avec la séduction & le mensonge, on ne leur dît jamais que la vérité.

On devroit leur faire connoître la pratique des arts, même des arts les plus communs; ils tireroient dans la suite de grands avantages de ces connoissances. Un ancien se plaint que lorsque les jeunes gens sortent des écoles, & qu'ils ont à vivre avec d'autres hommes, ils se croyent transportés en un nouveau monde: ut cum in forum venerint, existiment se in alium terrarum orbem delatos. Qu'il est dangereux de laisser les jeunes gens de l'un & de l'autre sexe acquérir eux - mêmes de l'expérience à leurs dépens, de leur laisser ignorer qu'il y a des séducteurs & des fourbes, jusqu'à ce qu'iis ayent été séduits & trompés! La lecture de l'histoire fourniroit un grand nombre d'exemples, qui donneroient lieu à des leçons très - utiles.

On devroit aussi faire voir de bonne heure aux jeunes gens les expériences de Physique.

On trouveroit dans la description de plusieurs ma<cb-> chines d'usage, une ample moisson de faits amusans & instructifs, capables d'exciter la curiosité des jeunes gens; tels sont les divers phosphores, la pierre de Boulogne, la poudre inflammable, les effets de la pierre d'aimant & ceux de l'électricité, ceux de la raréfaction & de la pesanteur de l'air, &c. Il ne faut d'abord que bien faire connoître les instrumens, & faire voir les effets qui résultent de leur combinaison & de leur jeu. Voyez - vous cette espece de boule de cuivre (l'éolipile)? elle est vuide en - dedans, il n'y a que de l'air; remarquez ce petit tuyau qui y est attaché & qui répond au - dedans, il est percé à l'extrémité; comment feriez - vous pour remplir d'eau cette boule, & pour l'en vuider après qu'elle en auroit été remplie? je vais la faire remplir d'elle - même, après quoi j'en ferai sortir un jet - d'eau. On ne montre d'abord que les faits, & l'on differe pour un âge plus avancé à leur en donner les explications les plus vraissemblables que les Philosophes ont imaginées. En combien d'inconvéniens des hommes qui d'ailleurs avoient du mérite, ne sont - ils pas tombés, pour avoir ignoré ces petits mysteres de la Nature!

Je vais ajouter quelques réflexions, dont je sais que les maîtres qui ont du zele & du discernement pourront faire un grand usage pour bien conduire l'esprit de leurs jeunes éleves.

On sait bien que les enfans ne sont pas en état de saisir les raisonnemens combinés ou les assertions, qui sont le résultat de profondes méditations; ainsi il seroit ridicule de les entretenir de ce que les Philosophes disent sur l'origine de nos connoissances, sur la dépendance, la liaison, la subordination & l'ordre des idées, sur les fausses suppositions, sur le dénombrement imparfait, sur la précipitation, enfin sur toutes les sortes de sophismes: mais je voudrois que les personnes que l'on met auprès des enfans, fussent suffisamment instruites sur tous ces points, & que lorsqu'un enfant, par exemple, dans ses réponses ou dans ses propos, suppose ce qui est en question, je voudrois, dis - je, que le maître sût que son disciple tombe dans une pétition de principe, mais que sans se servir de cette expression scientifique, il fît sentir au jeune éleve que sa réponse est défectueuse, parce que c'est la même chose que ce qu'on lui demande. Avoüez votre ignorance; dites, je ne sais pas, plûtôt que de faire une réponse qui n'apprend rien; c'est comme si vous disiez que le sucre est doux parce qu'il a de la douceur, est - ce dire autre chose sinon qu'il est doux parce qu'il est doux?

Je voudrois bien que parmi les personnes qui se trouvent destinées par état à l'éducation de la jeunesse, il se trouvât quelque maître judicieux qui nous donnât la logique des enfans en forme de dialogues à l'usage des maîtres. On pourroit faire entrer dans cet ouvrage un grand nombre d'exemples, qui disposeroient insensiblement aux préceptes & aux regles. J'aurois voulu rapporter ici quelques - uns de ces exemples, mais j'ai craint qu'ils ne parussent trop puérils.

Nous avons déjà remarqué, d'après Horace, qu'il n'y a parmi les jeunes gens que ceux qui ont l'esprit souple, qui puissent profiter des soins de l'éducation de l'esprit. Mais qu'est - ce que d'avoir l'esprit souple? c'est être en état de bien écouter & de bien répondre; c'est entendre ce qu'on nous dit, précisésément dans le sens qui est dans l'esprit de celui qui nous parle, & répondre relativement à ce sens.

Si vous avez à instruire un jeune homme qui ait le bonheur d'avoir cet esprit souple, vous devez sur - tout avoir grande attention de ne lui rien dire de nouveau qui ne puisse se lier avec ce que l'usage de la vie peut déjà lui avoir appris.

Le grand secret de la didactique, c'est - à - dire de l'art d'enseigner, c'est d'être en état de démêler la

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