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Quand nous venons au monde, nous vivons, mais nous ne sommes pas d'abord en état de faire cette réflexion, je suis, je vis, & encore moins celle - ci, je sens, donc j'existe. Nous n'avons pas encore vû assez d'êtres particuliers, pour avoir l'idée abstraite d'exister & d'existence. Nous naissons avec la faculté de concevoir & de réflechir; mais on ne peut pas dire raisonnablement que nous ayons alors telle ou telle connoissance particuliere, ni que nous fassions telle ou telle réflexion individuelle, & encore moins que nous ayons quelque connoissance générale, puisqu'il est évident que les connoissances générales ne peuvent être que le résultat des connoissances particulieres: je ne pourrois pas dire que tout triangle a trois côtés, si je ne savois pas ce que c'est qu'un triangle. Quand une fois, par la considération d'un ou de plusieurs triangles particuliers, j'ai acquis l'idée exemplaire de triangle, je juge que tout ce qui est conforme à cette idée est triangle, & que ce qui n'y est pas conforme n'est pas triangle.
Comment pourrois - je comprendre qu'il faut rendre à chacun ce qui lui est dû, si je ne savois pas encore ce que c'est que rendre, ce que c'est qu'être dù, ni ce que c'est que chacun? L'usage de la vie nous l'a appris, & ce n'est qu'alors que nous avons compris l'axiome.
C'est ainsi qu'en venant au monde nous avons les
organes nécessaires pour parler & tous ceux qui nous
serviront dans la suite pour marcher; mais dans les
premiers jours de notre vie nous ne parlons pas &
nous ne marchons pas encore: ce n'est qu'après
que les organes du cerveau ont acquis une certaine
consistance, & après que l'usage de la vie nous a
donné certaines connoissances préliminaires; ce
n'est, dis - je, qu'alors que nous pouvons comprendre
certains principes & certaines vérités dont nos maîtres
nous parlent; ils les entendent ces principes &
ces vérités, & c'est pour cela qu'ils s'imaginent que
leurs'éleves doivent aussi les entendre; mais les maîtres
ont vêcu, & les disciples ne font que de commencer
à vivre. Ils n'ont pas encore acquis un assez
grand nombre de ces connoissances préliminaires
que celles qui suivent supposent:
C'est d'après les principes que nous avons exposés, & en conséquence de la subordination & de la liaison de nos connoissances, qu'il y a des maîtres persuadés que pour faire apprendre aux jeunes gens une langue morte, le latin, par exemple, ou le grec, il ne faut pas commencer par les déclinaisons latines ou les greques; parce que les noms françois ne changeant point de terminaison, les enfans en disant musa, musoe, musam, musarum, musis, &c. ne sont point encore en état de voir où ils vont; il est plus simple & plus conforme à la maniere dont les connoissances se lient dans l'esprit, de leur faire étudier d'abord le latin dans une version interlinéaire où les mots latins sont expliqués en françois, & rangés dans l'ordre de la construction simple, qui seule donne l'intelligence du sens. Quand les enfans disent qu'ils ont retenu la signification de chaque mot, on leur présente ce même latin dans le livre de répétition où ils le retrouvent à la vérité dans le même ordre, mais sans françois sous les mots latins: les jeunes gens sont ravis de trouver eux - mêmes le mot françois qui convient au latin, & que la version interlinéaire leur a montré. Cet exercice les anime & écarte le dégoût, & leur fait connoître d'abord par sentiment & par pratique la destination des terminaisons, & l'usage que les anciens en faisoient.
Après quelques jours d'exercice, & que les enfans ont vû tantôt Diana, tantôt Dianam, Apollo, Apoliinem, &c. & qu'en françois c'est toûjours Diane, & toûjours Apollon; ils sont les premiers à demander la raison de cette différence, & c'est alors qu'on leur apprend à décliner.
C'est ainsi que pour faire connoître le goût d'un fruit, au lieu de s'amuser à de vains discours, il est plus simple de montrer ce fruit & d'en faire goûter; autrement c'est faire deviner, c'est apprendre à dessiner sans modele, c'est vouloir retirer d'un champ ce qu'on n'y a pas semé.
Dans la suite, à mesure qu'ils voyent un mot qui est ou au même cas que celui auquel il se rapporte, ou à un cas différent, Diana soror Apollinis, on leur explique le rapport d'identité, & le rapport ou raison de détermination. Diana soror, ces deux mots sont au même cas, parce que Diane & soeur c'est la même personne: soror Apollinis, Apollinis détermine soror, c'est - à - dire, fait connoître de qui Diane étoit soeur. Toute la syntaxe se réduit à ces deux rapports comme je l'ai dit il y a long > tems. Cette méthode de [p. 401]
Poursuivons nos réflexions sur la culture de l'esprit.
Nous avons déja remarqué qu'il y a plusieurs états dans l'homme par rapport à l'esprit. Il y a sur - tout l'état du sommeil qui est une espece d'infirmité périodique, & pourtant nécessaire, où, comme dans plusieurs autres maladies, nous ne pouvons pas faire usage de cette souplesse & de cette liberté d'esprit qui nous est si nécessaire pour démêler la vérité de l'erreur.
Observez que dans le sommeil nous ne pouvons penser à aucun objet, à moins que nous ne l'ayons vû auparavant, soit en tout, soit en partie: jamais l'image du soleil ni celle des étoiles, ni celle d'une fleur, ne se présenteront à l'imagination d'un enfant nouveau - né qui dort, ni même à celle d'un aveugle - né qui veille. Si quelquefois l'image d'un objet bisarre qui ne fut jamais dans la nature se présente à nous dans le sommeil, c'est que par l'usage de la vûe nous avons vû en divers tems & en divers objets, les membres différens dont cet Être chimérique est composé: tel est le tableau dont parle Horace au commencement de son art poét que; la tête d'une belle femme, le cou d'un cheval, les plumes de différentes especes d'oiseaux, enfin une queue de poisson; telles sont les parties dont l'ensemble forme ce tableau bisarre qui n'eut jama>s d'original.
Les enfans nouveau - nés qui n'ont encore rien vû, & les aveugles de naissance, ne sauroient faire de pareilles combinaisons dans leur sommeil; ils n'ont que le sentiment intime qui est une suite nécessaire de ce qu'ils sont des êtres vivans & animés, & de ce qu'ils ont des organes où circulent du sang & des esprits, unis à une substance spirituelle, par une union dont le Créateur s'est reservé le secret.
Le sentiment dont je parle ne sauroit être d'abord
un sentiment refléchi, comme nous l'avons déja remarqué,
parce que l'enfant ne peut point encore
avoir d'idée de sa propre individualité, ou du
Un indolent qui après un travail de quelques heures s'abandonne à son indolence & à sa paresse, sans être occupé d'aucun objet particulier, n'est - il pas, du moins pendant quelques momens, dans la situation de l'enfant nouveau - né, qui sent parce qu'il est vivant, mais qui n'a point encore cette idée refléchie, je sens?
Nous avons déja remarqué avec le P. Buffier, que notre ame n'opere qu'autant que notre corps se trouve en certaine disposition (Traité des premieres vérités, III. part. pag. 8.): la chose est indubitable & l'expérience en est journaliere, ajoûte ce respectable philosophe. (Ibid.)
En effet, les organes des sens & ceux du cerveau ne paroissent - ils pas destinés à l'exécution des opérations de l'ame en tant qu'unie au corps? & comme le corps se trouve en divers états selon l'âge, selon l'air des divers climats qu'il habite, selon les alimens dont il se nourrit, &c. & qu'il est sujet à différentes maladies, par les différentes altérations qui arrivent à ses parties; de même l'esprit est sujet à diverses infirmités, & se trouve en des états différens, soit à l'occasion de la disposition habituelle des organes destinés à ses fonctions, soit à cause des divers accidens qui surviennent à ces organes.
Quand les membres de notre corps ont acquis une certaine consistance, nous marchons, nous sommes en état de porter d'abord de petits fardeaux d'un lieu à un autre; dans la suite nous pouvons en soûlever & en transporter de plus grands; mais si quelqu'obstruction empêche le cours des esprits animaux, aucun de ces mouvemens ne peut être exécuté.
De même, lorsque parvenus à un certain âge, les organes de nos sens & ceux du cerveau se trouvent dans l'état requis pour donner lieu à l'ame d'exercer ses fonctions à un certain degré de rectitude, selon l'institution de la nature, ce que l'expérience générale de tous les hommes nous apprend; on dit alors qu'on est parvenu à l'âge de raison. Mais s'il arrive que le jeu de ces organes soit troublé, les fonctions de l'ame sont interrompues: c'est ce qu'on ne voit que trop souvent dans les imbécilles, dans les insensés, dans les épileptiques, dans les apoplectiques, dans les malades qui ont le transport au cerveau, enfin dans ceux qui se livrent à des passions violentés.
Cette fiere raison dont on fait tant de bruit, Un peu de vin la trouble, un enfant la séduit. Des Houlieres, Idyle des moutons.
Ainsi l'esprit a ses maladies comme le corps, l'indocilité, l'entêtement, le préjugé, la précipitation, l'incapacité de se prêter aux reflexions des autres, les passions, &c.
Mais ne peut - on pas guérir les maladies de l'esprit, dit Cicéron? on guérit bien celles du corps, ajoûte - t - il. His nulla - nè est adhibenda curatio? an quòd corpora curari possint, animorum medicina nulla sit? Cic. Tusc. lib. III. cap. ij. Une multitude d'observations physiques de medecine & d'anatomie, dit le savant auteur de l'économie animale, tom. III. pag. 215. deuxieme édit. à Paris chez Cavelier 1747. nous prouvent que nos connoissances dépendent des facultés organiques du corps. Ce témoignage joint à celui du P. Buffier & de tant d'autres savans respectables, fait voir qu'il y a deux sortes de moyens naturels pour guérir les maladies de l'esprit, du moins celles qui peuvent être guéries; le premier moyen, c'est le régime, la tempérance, la continence, l'usage des alimens propres à guérir chaque sorte de maladie de l'esprit (voyez la médecine de l'esprit, par M. le Camus, chez Ganneau, à Paris, 1753), la fuite & la privation de tout ce qui peut irriter ces maladies. Il est certain que lorsque l'estomac n'est point surchargé, & que la digestion se fait aisément, les liqueurs coulent sans altération dans leurs canaux, & l'ame exerce ses fonctions sans obstacle.
Outre ces moyens, Cicéron nous exhorte d'écouter
& d'étudier les leçons de la sagesse, & surtout
d'avoir un desir sincere de guérir. C'est un
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